- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 30 septembre 2012

pomme de terre, es-tu là?


article précédent: magnanime animal



Eh oui, nous voilà au troisième - et dernier - volet de notre trilogie "corps-âme-esprit", annoncée dans exister, se redresser, transmettre, et dont les deux premiers pans étaient respectivement corsé, le corset du leipreachán! et magnanime animal.

L'esprit, l'Esprit, L'Esprit

Selon la Tradition (voir exister, se redresser, transmettre), il s'agit de cette part divine que nous avons tous en nous, précisément en notre centre intérieur.

La spiritualité, étymologiquement s'entend, serait donc quelque chose comme la recherche de ce centre où réside l'Esprit.

Ben quoi? Lotus Esprit

J'entends ou lis parfois de drôles de choses.
J'entends par exemple parler de "spiritualité sans Dieu".
Ce qui a autant de sens à mes yeux que des "frites sans pommes de terre", ou des "omelettes sans oeufs".

J'ai déjà également lu que la "spiritualité" était étymologiquement basée sur "esprit", et que donc il s'agit d'une réflexion, d'une application de sa raison, de son "esprit" dans l'acception moderne du terme: "les processus mentaux et la faculté de penser propre à l'homme".

Bah, pourquoi pas! A chacun sa vérité!
Mais sur un plan strictement étymologique, il faut reconnaître que tout cela est quand même assez douteux.


Allez, ceci dit, intéressons-nous à la racine proto-indo-européenne qui est à l'origine de "esprit"; il s'agit de...
*peis-2

Ce qu'elle voulait dire?

Surtout n'attendez pas de réponses aux grandes questions du genre "Pourquoi nous sommes là", "Qui sommes-nous", "Que faisons-nous sur Terre" …

Oh que non.

La racine *peis-2 signifiait tout simplement...
souffler

Eh oui, tout comme *anə- ou *bhes-2, ou même *ētmen-! (voir magnanime animal)

Elle nous est arrivée par le latin spīrō, à l'infinitif: spīrāre.

Et spīrō signifiait "souffler, respirer, exhaler, émettre", ou au sens figuré: "vivre, être inspiré poétiquement" …

Si l'âme est le souffle de vie, l'Esprit est le souffle créateur, l'inspiration divine.

C'est en tout cas ainsi que dans le psautier d'Oxford, rédigé en vieux français au début du XIIème siècle, le terme "espirit" apparaît, avec comme acceptions "vent, souffle, air", mais aussi "souffle créateur envoyé par Dieu", ou encore "inspiration divine".

Psautier d'Oxford

En français nous connaissons pas mal de dérivés de la racine:

  • hormis esprit, spirituel, spiritualité, spiritisme, spiritueux …,
  • il y a aussi aspirerinspirer, respirer, expirer ...
  • mais aussi conspirer
  • Ou encore soupirer, et… soupirail!

Soupirail, de soupirer au sens de "exhaler" avec le suffixe -ail, sous l’influence du latin spiraculum ("soupirail, ouverture") qui donne l’ancien provençal espiralh ("trou pratiqué dans un tonneau") et le judéo-français sospiriel attesté au onzième siècle chez Rachi.

Forcément: le Pont des Soupirs

Et un beau soupirail

- Ben, et aspirateur aussi!!!
- Oui, c'est exact (soupir), aspirateur aussi.

Aspirateur

Nous retrouvons la trace de *peis- en anglais: fizzle signifiant notamment siffler.

Ou encore en tchèque, où pískat signifie de même siffler, par le vieux slavon пискати ("piskati"): jouer de la flûte.

Et c'est sur le tchèque píšťala (par analogie de forme avec le sens originel, et encore actuel, de "sifflet, flûte") que s'est créé l'allemand Pistole ("courte arme à feu portative"), repris en français comme pistole, puis pistolet...!

Un pistolet ancien

- Bon d'accord, c'est amusant, mais revenons au latin: comment expliquez-vous qu'on passe de "peis" au latin spīrō?? Il n'y a pas de "s" au début de peis, à ce que je sache...
- Eh bien, le "s" initial de spīrō est un cas intéressant:
Il semble que le préfixe "s-" existait déjà en proto-indo-européen, où il aurait eu un sens perfectif (autrement dit: représentant l'action comme étant finie).

La notion de mode perfectif/imperfectif a disparu du français, mais pensez par exemple au français
"je mangeais",
comparé à
"j'ai mangé":
dans le second cas, vous signifiez que vous avez fini de manger: vous parlez au perfectif; alors que dans le premier cas, vous vous projetez dans le temps au moment où vous étiez encore en train de manger: il s'agit de l'imperfectif.

Nous parlons d'ailleurs encore judicieusement d'"imparfait" pour qualifier ce temps de la conjugaison des verbes. Vous pouvez faire l'expérience: c'est à l'imparfait que vous racontez un rêve, car vous revivez l'action, vous êtes toujours dedans; pour vous l'action n'est pas encore terminée...

Notez que cette notion de mode perfectif/imperfectif existe toujours bien dans d'autres langues indo-européennes, comme en russe.

Et donc, inactif en tant que tel en latin où il y est dénué de sens spécifique, ce préfixe s-, survivance du proto-indo-européen, expliquerait certains doublets latins comme repo et serpo pour "ramper" - pensez à reptile et serpent - ou encore l’équivalence entre culter ("couteau") et sculpo ("graver, sculpter").

Et donc, on pourrait imaginer une racine *peis- / *speis- à l'origine…
On retrouve d'ailleurs parfois la racine *peis-2 représentée *(s)peis-.

- Euh, mais d'où vient le "r" de spīrō, alors que la racine proto-indo-européenne se termine en "s"?
- Une seule réponse: relisez rhotacisme? Moi je n'aime pas ce garçon!




Bon dimanche, bonne semaine à toutes et tous!



Frédéric

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devinette!



dimanche 23 septembre 2012

magnanime animal


article précédent : corsé, le corset du leipreachán !



"Gall, amant de la Reine, alla, tour magnanime,
Galamment de l'arène à la tour Magne, à Nîmes."




Le distique ci-dessus est en fait constitué de vers holorimes.

Des vers holorimes - ou olorimes - sont des vers entièrement homophones : la rime est constituée par la totalité du vers, et non pas seulement par une ou plusieurs syllabes identiques à la fin des vers.

Alphonse Allais nous en a donné sa propre version :
"Ah! Vois au pont du Loing, de là, vogue en mer Dante. 
 Hâve oiseau pondu loin de la vogue ennuyeuse"

En précisant, en note, que "La rime n'est pas très riche, mais j'aime mieux cela que de sombrer dans la trivialité."

Alphonse Allais


Nous voilà à présent au deuxième volet de notre trilogie "corps - âme - esprit"… (annoncée in exister, se redresser, transmettre, et dont le premier volet, consacré au corps,  était : corsé, le corset du leipreachán !)


Le français "âme" nous vient de la racine proto-indo-européenne 

*anə-.

Qui est devenue anima en latin.


Et c'est du latin que nous arrive âme.

- Ah ouais? Et comment expliquer que anima devienne âme ? "âne" à la rigueur, mais âme ??
- Eh bien c'est encore une excellente question !

Dès le VIIIème siècle, on trouve trace de "anima" dans la langue cléricale médiévale.
Le terme figure encore dans la "Cantilène de Sainte Eulalie", début Xème.

Cantilène de sainte Eulalie, premier poème en
langue française


Mais dans le "Poème de saint Alexis", un siècle plus tard, anima s'est transformé en "aneme".

La Chanson de Saint Alexis


Et vers 1100, "La Chanson de Roland" reprend le terme sous la forme "anme".

Chanson de Roland

Le mot se stabilise en français sous la forme "ame" au XIIIème siècle.
Phonétiquement, la voyelle initiale [a] assimile la consonne qui suit et s'allonge, ce qu'indique l'accent circonflexe sur le "a".


Mais revenons à notre racine proto-indo-européenne *anə-.
Que pouvait-elle bien signifier ? "Vie" ?

Non, mieux que cela...


Traditionnellement, à la naissance, l'âme s'incarne, "entre dans un corps", et la mort n'est simplement que le processus inverse : la séparation de l'âme et du corps. Ne parlons-nous pas de "rendre l'âme" ?

*anə- ne véhicule pas vraiment le sens de "vie", mais bien celui de ce qui met en vie :
le souffle !

Eh oui, du premier cri au dernier souffle, nous ne faisons que respirer.
Respirer, c'est vivre.

Et le latin anima nous confirme la vision traditionnelle de l'âme comme étant "ce qui anime" : le souffle qui donne la vie.

Nous devons au latin anima : animer, bien sûr, mais aussi animal.

"Animisme" également, qui désigne la croyance en une âme, une force vitale, animant les êtres vivants, les objets mais aussi les éléments naturels, comme les pierres ou le vent, ainsi qu'en les génies protecteurs.

Moins connu est le lien entre le latin anima et …
animosité !

Animosité - disposition persistante de malveillance qui porte à nuire à quelqu’un - provient du latin animositas, signifiant à l'origine "courage", pour désigner ensuite "violence".

Nous trouvons dans animositas : "animosus" et le suffixe -itas.

  • -itas est une variante de "tas", et indique un état, une condition.
  • animosus, lui, est composé de anima suivi du suffixe adjectival -osus.

  Quant au suffixe -osus, il signifie "plein de", "qui a beaucoup de".

  "animosus" désignait donc celui qui était "très animé", "plein de souffle".
  Qui ne manque pas d'air? Donc… Courageux, hardi.


Un autre dérivé ?

"unanime" provient du latin unanimus : unus - anima, et signifie littéralement d'un seul souffle, d'une seule âme.

Et pusillanime se dit de celui qui "manque de courage, de caractère ; qui fuit les responsabilités".

  • Du latin pusillanimis, de pusillus (de très petite taille), diminutif de pusus ("garçonnet").
  • pusus basé sur le radical *pu ("petit") du latin puer (d'où puéril).
  • Pusus, puer (garçonnet, jeune esclave ...) provient de la racine proto-indo-européenne *pau-1 (peu, petit, petit d’un animal, petit animal), à qui nous devons notamment "peu" bien sûr, ou l'anglais "few", ou encore… Poucet !


Le petit Poucet ne serait donc pas celui qui est "grand comme un pouce", mais plutôt "le petit, ou le tout petit", tout simplement…

Le Petit Poucet

De la racine proto-indo-européenne *anə-, le grec a gardé ἄνεμος, ánemos : le vent, qui nous a donné à son tour l'anémomètre, mais aussi l'anémone, la fleur anémophile, c’est à dire qui s’ouvre lorsqu’il vente.

Anémone


Psyché -  Ψυχή, l'âme en grec, ne provient pas de *anə-, mais bien d'une autre racine proto-indo-européenne : *bhes-2, qui elle aussi signifie "respirer, souffler" !

Psyché, par David


Enfin, l'âme, en sanskrit, se dit आत्मन ātman.

ātman ne provient pas non plus de *anə-, ni de *bhes-2 mais d'une troisième racine proto-indo-européenne: *ētmen-

Et devinez quoi, *ētmen- désigne également... le souffle !

Mahatma - महात्मा, en sanskrit, c'est "la grande âme", mot composé de mahā ("grand"), et de ātman.

mahā descend de la racine proto-indo-européenne *meg- (grand) dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprises (voir notamment Ceci n'est pas une pomme), qui a par ailleurs donné le grec megas ou le latin magnus.

Le Mahatma Gandhi



Tiens, pour revenir au latin…

Quel serait, selon vous, en vous basant sur les racines latines, l'équivalent français du sanskrit Mahatma?





Oui ! Magnanime…!
Qui a une nature, un caractère ou une personnalité clémente, généreuse.

La tour Magne, à Nîmes


Frédéric

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dimanche 16 septembre 2012

corsé, le corset du leipreachán!


article précédent: exister, se redresser, transmettre




"(…) Cette drogue en moins d'un moment lui donnerait d'Eraste et l'air et le visage,
Et le maintien et le corsage (…)"
Jean de La Fontaine, in "La Coupe Enchantée, nouvelle tirée de l'Arioste"

(Alors NON, Eraste n'était pas un héro antique...)

La semaine dernière (voir exister, se redresser, transmettre), vous aviez eu droit à un petit prologue annonçant la trilogie Corps - âme - esprit.

En ce dimanche, commençons donc par … le corps.

le corps humain

La racine proto-indo-européenne
*kʷrep-
véhiculait l'idée de "corps", de "forme", d'"apparence".

Il semblerait même qu'elle eût signifié, sous une forme verbale, "apparaître".

Mais c'est sous une forme suffixée en -es, et au degré zéro (sans voyelle dans le radical): *kʷr̥p-es-, que la racine est arrivée en français, par le latin corpus: corps, substance.

C'est de corpus que nous viennent corps, corporel, ou … corpus évidemment!

Mais aussi - on n'y pense pas nécessairement - corporation, corpulent, ou encore corpuscule.

Corsage en est aussi dérivé:
"corsage", à l'origine, désigne l'ensemble du corps, et spécialement la taille ou le buste, depuis les hanches jusqu'aux épaules.
Par extension, le mot en est venu à désigner le corsage d'une robe, la partie qui embrasse le corsage.

Exemple de corsage

Et puis, "corser", c'est littéralement donner du corps!
D'où également "corset".
Les premières attestations écrites du mot sont en latin médiéval : corsetus ("sorte de surcot d'homme", puis "corsage de femme, partie ajustée du bliaut").

Surcot

Bliaut

Le sens moderne de "gaine baleinée et lacée" ne date que du dix-neuvième siècle.
Corset

Nous retrouvons encore la racine proto-indo-européenne *kʷrep- dans le sanskrit krp - à l'instrumental krpa: "apparence, forme, beauté".
Ou même dans l'Avesta, où kuhrp- c'est le corps.

Plus près de chez nous, on retrouve encore la trace du proto-indo-européen *kʷrep- dans l'irlandais "leipreachán", ou "luprachán"!

Mais oui, vous savez bien, ce petit lutin vert de la mythologie irlandaise, à barbe et à chapeau, qui passe son temps à confectionner des chaussures et stocke ses pièces de monnaie dans un pot d'or au pied de l'arc-en-ciel. Si on l'attrape, il peut exaucer trois voeux en échange de sa liberté.

leipreachán

Le mot en vieil irlandais était: luchorpán, composé de lú- "petit" et de corp "corps".

A noter que l'irlandais lú-, qui signifiait donc "petit, de petite taille", provient de la racine proto-indo-européenne *legʷh-: "léger", qui nous a transmis le français "léger", et toujours avec le sens de léger, l'anglais light, le russe лёгкий ("liogkii"), le norvégien lett, mais aussi, par le latin levis - léger, les français levier, lever, léviter, …




Frédéric

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dimanche 9 septembre 2012

exister, se redresser, transmettre





Allez, encore une p'tite trilogie...

Vous vous en souvenez peut-être, pour célébrer Douglas Adams et son oeuvre, j'avais osé une trilogie (voir DON'T PANIC, 42 et toutes ces sortes de choses, l'éternité? Oh juste une bonne hygiène de vie. et roulez, jeunesse.)


Cette fois, je me lance dans quelque chose d'un peu plus sérieux… et peut-être aussi d'un peu plus polémique aussi...

Traditionnellement, il est considéré que nous sommes faits de trois composants :

  • le corps
  • l'âme et 
  • l'esprit.


Pour les hommes - et les femmes - que nous sommes, issus des "Lumières", "occidentaux", "modernes", cela n'a plus guère de sens.

D'ailleurs, faites l'expérience, regardez sur Internet: âme et esprit sont désormais considérés comme de vulgaires synonymes.

Ce qui, entre nous, est du grand n'importe quoi. Mais bon, ce n'est que mon avis.

Il faut quand même savoir, qu'on y croie ou non, que pour les anciens, et selon la voie traditionnelle,

  • à côté du corps qui représente les organes, les muscles, le squelette: la machinerie, le physique, il y a... 
  • l'âme: ce qui vous est propre, le siège de vos sentiments, de vos émotions. "Vous", quoi !
  • Et puis, il y a l'esprit, ou l'Esprit, qui est en quelque sorte l'étincelle divine en nous.
    Notre part de divin.
    Le centre de notre labyrinthe intérieur.
    L'Esprit ne nous est pas propre, il est immuable, il n'existe même pas: il EST


- Euh ??
- Oui, exister nous vient du latin existere ou exsistere, composé de ex- et de sistere, forme dérivée de stare: "être debout, être stable".

  • Ex- nous vient de la racine proto-indo-européenne *eghs- "dehors", "hors de". Reconstruite avec les laryngales,*heǵʰs-
    Rappelez-vous, nous en avions parlé dans étrange étranger
  • Quant à stare, le verbe provient de la racine proto-indo-européenne *stā-, que nous avions abordée dans du passage des ans.
    *stā-, c'est notamment: "être debout". Sens que l'on retrouve dans son descendant station.

Le latin exsistere, donc, c'était étymologiquement, en reprenant le sens des racines premières, "sortir de, s'élever, se dresser".


Deux versions de l'Evolution de l'Homme...




L'Homme existe...

Je trouve personnellement cette image très belle, de l'Homme qui se redresse pour exister, ou, encore mieux, qui existe POUR se redresser !

Mais donc, "exister" sous-entend l'idée de "sortir", de "s'élever".

Si l'on essaie de comprendre la conception traditionnelle de ce que l'on dénomme "Dieu", on se rend compte que "Dieu" n'est jamais sorti de quoi que ce soit: Il/Elle/Cela n'a pas été créé(e).

Il/Elle/Cela a toujours été, et sera toujours.

Immuablement.

- Ouais, OK, admettons, mais c'est quoi ce machin: tradition, voie traditionnelle ? Tu s'rais pas en train de virer extrémiste religieux, ou quelque chose du style ??
- Mais noooon, pfff !

La tradition, dans le sens que je lui accorde du moins, c'est la perception la plus optimiste et positive de l'homme et de l'humanité que je connaisse : l'idée est que derrière TOUTE religion ou voie spirituelle, il y a, bien enfouie, cette fameuse Tradition.
La Tradition serait le point commun qui nous unit tous, dans l'espace et dans le temps, au-delà de nos différences superficielles…
Invariable, elle se transmettrait d'humain à humain, de génération en génération…
Même si les formes qu'elle revêt sont différentes d'une époque à l'autre, d'un lieu à l'autre, le fond est toujours invariablement le même.

Allez - gardez-ça pour vous - je vous livre ici...

le secret ultime de toute religion, de toute spiritualité: 

Connais-toi toi-même, et apprends à aimer les autres ! 
Et pour le reste, ben, fais pour le mieux. 

Et surtout garde ça en tête : "à chacun sa vérité". 

En gros, la même chose, version Monty Python


Tradition nous est arrivé par le latin traditio.
 - Traditio quant à lui est construit sur traditus suivi de -io

Et traditus, c'est le participe passé de trado.
 - Trado, composé de trans- et .
  • Dō- nous vient de la racine proto-indo-européenne *dō- qui euh… donnera notamment "donner".


Si l'on précise encore que -io, le suffixe qui accompagne traditus, permet de créer des noms à partir de la notion d’un verbe en apportant une forme répétitive, ou durable, nous avons absolument tout ce qu'il nous faut pour comprendre "tradition" comme "ce qui se donne, se transmet, ce que l'on fait passer à un autre, encore, et encore, et encore, et encore…"

Le relais 4X 100 mètres: une belle image de
la tradition



Frédéric


- Ben, et quoi, tu nous avais bien promis une Trilogie "Corps/Ame/Esprit" ?
- Bien sûr! Ceci n'était que la mise en bouche….

A la semaine prochaine pour le premier volet du triptyque !


dimanche 2 septembre 2012

rhotacisme ? Moi je n'aime pas ce garçon


article précédent : hernie, tétracorde et haruspice



*ghais-, la racine proto-indo-européenne *ghais- ! c'était, pour faire court : "coller".
Dans le sens d'"être fixé", d'"adhérer".

C'est par le latin que nous en avons hérité : haerĕo, à l'infinitif : haerēre, signifiait "rester contre quelque chose, rester ou être attaché, être fixé ou tenir à quelque chose, adhérer".

Ou même, en un sens moins littéral, s'attacher à faire quelque chose, être immobile, rester, demeurer

C'est de là que nous vient le français adhérer, bien sûr, construit sur ad : "à" + haerēre : "coller à".

La cohérence ("co-hérence"), c'est la qualité de ce qui est attaché ensemble, le "rapport d'harmonie ou d'organisation logique entre des éléments".

Nous retrouvons ici l'emploi du préfixe latin cum-, lui-même venant du proto-indo-européen *ko(m) -

PS: Pour les proto-indo-européens *ad- et *kom-, voir respectivement "arobase, arrobe et autres jubilatoires billevesées" et "jardins, courtisans, choeurs et ortolans".


Mais là où ça devient beaucoup plus curieux, c'est que hésiter vient de là !

Oui, car hésiter, c'est en quelque sorte être englué, être immobilisé, rester attaché à quelque chose et ne pas arriver à s'en détacher

- Ah bon ? Mais... adhérer - hésiter
Comment se fait-il que dans un cas, nous avons un "r" - adhéRer, et dans l'autre un "s" - héSiter??

- EXCELLENTE question !
Nous retrouvons d'ailleurs ce "s" au parfait de haerĕo : haesi, tout comme dans son supin : haesum.

A l'origine, donc, la racine proto-indo-européenne *ghais-
Avec un beau "s". 
Passée avec un "s" en latin.
"S" devenu un superbe "r" par la suite…

Soit dit en passant, nous devrions peut-être dire UNE "s", UNE "r".
Et il devrait en être de même pour les lettres F, H, L, M et !
Du moins si l'on se fie au Littré.
Mais l'usage est là, et tout comme les athlètes biélorusses shootées à la métélonome, les lettres se masculinisent…

La championne du poids Nadzeya Ostapchuk


Revenons donc à notre transformation de S en :
Il s'agit d'une parfaite illustration de rhotacisme.

- Rhotacisseuh-meuh ? Moi je n'aime pas ce garçon, hein.

(bête jeu de mot qui ne fera rire que les Belges ; allusion à "Ostracisme", dans "le Mariage de Mademoiselle Beulemans", pièce de théâtre particulièrement savoureuse du répertoire belge.)

Regardez l'extrait ci-dessous, et vous allez comprendre...!



Le pauvre Monsieur Beulemans ne comprend
décidément pas grand-chose à ce que lui raconte
son futur gendre...


Le rhotacisme, c'est tout simplement la transformation d’un phonème en "R", très fréquente en latin.
(A partir d'une certaine époque, qu'on peut placer avant le temps des guerres puniques, la prononciation d'un S entre deux voyelles inclina d'abord vers Z puis prit le son d'un R.)

Guerres puniques

Varron nous écrit d'ailleurs: "in multis verbis quod antiqui dicebant S, postea dicunt R (...)": "dans beaucoup de mots que les anciens prononçaient avec un S, nous disons R (...)".





D'où, à côté de "cohérence", cet autre dérivé de *ghais-, qui reprend toujours la notion originale de "coller", mais cette fois pour désigner la forte union des parties constituant un groupe: cohésion...

Ou encore, à côté de l'adhérence, l'adhésion : approbation, inscription à un parti, à un groupe.




Frédéric