- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 27 mai 2012

feu à volonté


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des fjords à l'Euphrate


"Atrrr" (ou peut-être "atrrrr"?)

Naoh, en voyant jaillir la flamme des deux bouts de bois qu'il frotte,
"La Guerre du feu", de Jean-Jacques Annaud, 1981 


Atrrr.


C'était Anthony Burgess qui s'était chargé d'inventer une langue paléolithique pour les besoins du film (le Ulam).

Le formidable Anthony Burgess

Burgess avait une grande passion pour la linguistique, que l'on retrouve dans l'argot teenager anglo-russe qu'il avait imaginé pour "A Clockwork Orange", le nadsat.

(le mot nadsat -надцать - lui-même étant le suffixe des numéraux russes de 11 à 19, tout comme -teen l'est pour les numéraux anglais de 13 à 19, d'où "teenagers" pour désigner les ados, "ceux de 13 à 19 ans")

Il avait même traduit "Cyrano de Bergerac" en anglais, et "The Waste Land" de T. S. Eliot en persan...

Et, probablement parce qu'il n'avait rien d'autre à faire, ou parce que justement, c'était vraiment la dernière chose à faire, il travaillait aussi sur une anthologie de la littérature anglaise traduite en ... malais...!

Bon, chacun son truc.

Désolé, mais pour moi, il faut déjà
être loin pour traduire
"The waste land" en persan...
C'est normalement à faire juste
avant la corde, le pistolet
ou le saut du balcon du 20ème


Ceci dit, il avait été rechercher "atrrr" dans les études de linguistique proto-indo-européenne.

Même si l'on peut évidemment douter de l'emploi du proto-indo-européen au paléolithique, il y a environ 400.000 ans...

Mais pourquoi pas: les racines proto-indo-européennes viennent bien, elles aussi, de quelque part...!


En tout cas, oui, la racine proto-indo-européenne *āter- véhiculait bien le sens de "feu", même si l'on peut se demander s'il ne fallait pas y voir aussi la notion de "fumée" causée par le feu.
L'un n'allant pas sans l'autre, de toute façon...

L'Oiseau de feu, conte russe


Quoi qu'il en soit, le mot latin āter, qui en est issu, ne signifiait plus vraiment "feu", mais bien la noirceur causée par le feu, ou sa fumée.

Le latin āter, c'est littéralement noir (mat), sombre, obscur...

L'ātrium romain était une cour intérieure et le plus souvent entourée d’une galerie couverte (portique), soutenue par deux rangées de colonnes.

Un lieu théoriquement bien clair...

Mais on suppose qu'à l'origine, il s'agissait de l'endroit où la fumée du foyer s'échappait par un trou dans le toit...

C'était d'ailleurs ainsi que les blackhouses étaient encore chauffées dans les Highlands écossais, il n'y a pas si longtemps: par un trou dans le toit...

Blackhouse sur l'île de Skye: pas de cheminée,
juste un trou dans le toit


Du proto-indo-européen *āter-, via le latin āter, nous avons certes gardé l'âtre: le foyer.
En roumain, vatră c'est aussi le foyer.

Mais le grec ancien ἀτηρός (atèros), basé sur cette même racine proto-indo-européenne *āter-, signifie, lui, littéralement funeste.

Oui, c'est plutôt - mais pas uniquement - par son sens de noir, sombre, obscur, que la racine *āter- nous a permis de construire du vocabulaire.

Le latin ātrox signifiait effrayant. Nous lui devons atroce, atrocité.

Atrabilaire! L'atrabilaire a la bile noire, et est donc toujours de mauvaise humeur.

C'est du moins ce que nous dit la théorie des humeurs, popularisée par Hippocrate.


- Mais mon p'tit bonhomme, et alors, le feu, c'était quelle racine proto-indo-européenne, puisque tu n'arrêtes pas de nous dire que *āter- c'était plutôt la fumée, le noir de suie...??
- Ah, vous êtes de retour; ça faisait longtemps. Bonjour à vous aussi!


Eh bien, pour tout vous dire, il y avait non pas une, mais DEUX autres racines proto-indo-européennes qui reprenaient l'idée de "feu".

  • L'une, sous la forme d'un nom inanimé, désignant le feu comme chose concrète: c'était *paǝwr̥-
  • Et l'autre, nom animé, désignant plutôt la personnification, la divinisation du feu: *egni- (ou *egnis-, *ogni- ou *Hn̥gʷnis- selon le code de translittération employé).


*paǝwr̥- nous a donné, par le latin focus (foyer) les français feu, focale, foyer.

Mais nous en avons également reçu l'anglais fire, le néerlandais vuur, l'allemand Feuer, voire le tchèque pȳř ("cendres brûlantes”)...

Et en passant par le grec ancien πῦρ (pŷr, "feu"), cette racine proto-indo-européenne *paǝwr̥- nous a légué "pyro-" et tous ses dérivés: du Pyrex® à la pyrotechnie, en passant par pyromane...

Un pyromane est-il systématiquement dingue de Pyrex?


La pyrite fut remarquée des anciens pour les étincelles qu'elle produit sous les chocs.
Le terme provient du grec πυρίτης (λίθος) – pyrítēs (líthos) – littéralement "pierre à feu".

Pyrite


Enfin - et là, il faut vraiment le savoir! - nous devons à *paǝwr̥-... fusil!

Fusil, qui nous vient du latin classique focus par le bas latin *focilis (probablement associé à petra - la pierre, dans l'expression *focilis petra "la pierre à feu"), proprement "qui produit le feu".

Le FAL. Ca me rappelle mon service militaire...


Quant à *egni-, nous lui devons le vieux slave огнь, ognĭ ("feu") qui a, à son tour, donné oheň en tchèque, ogień en polonais, ou encore огонь ("ogonje") en russe.

En sanskrit, अग्नि, Agní ("feu") est l'une des principales puissances agissantes numineuses du Védisme, seigneur du feu sacrificiel et du foyer.

C'est numineux.

Agni, le dieu du feu


Igné ("de la nature du feu"), ignicole ("qui adore le feu"), ignifuge, ignition ... en sont encore autant de dérivés.



Tiens, je terminerai ce "dimanche" par cette expression "faire long feu" que nos amis journalistes adoooorent employer.

NON, si un projet a raté, ou s'est lamentablement "ramassé", NON, on ne dit pas qu'"il n'a pas fait long feu"!!!

Que du contraire: il a FAIT LONG FEU:

Depuis la Renaissance, le feu désigne par métaphore la décharge de matière fulminante, c'est-à-dire l'explosion de la poudre à canon. "Faire feu" signifie tirer avec ce genre d'armes et le feu désigne le tir.

Si la charge de poudre brûle trop lentement sans dégager d'énergie soudaine, le coup ne part pas.

Le tir fait alors long feu : il rate. Comme un pétard mouillé, quoi...

Ce qui est bien le sens premier de l'expression, celui de "manquer": un projet, une plaisanterie, font long feu.


Mousquetaire et son mousquet
Pas sûr que là, il n'ait pas fait long feu...



Frédéric

dimanche 20 mai 2012

des fjords à l'Euphrate


article précédent: Guerre et Paix. Et saucisse



En ce dimanche, alors qu'outre-Manche on s'active à la préparation des Jeux Olympiques, je vous propose un jeu à ma façon, une devinette en images.

Pouvez-vous donc trouver le point commun qu'il peut y avoir entre...


L'Euphrate

Ferdinand de Lesseps

Saint-Christophe

Un ferry

Un fjord

La déesse Parvati

L'os du péroné

et...

Un port




Je vous laisse réfléchir...


Alors bon, disons-le tout de suite, rien à voir avec de l'eau, soyons clair.
Ou alors il faut que vous m'expliquiez ce que vient faire ici le péroné...


Ca y est?


Ceux qui ont pensé à la notion de "transporter", de "porter", ne sont pas trop, trop loin.


On se rapproche...


La solution?

La racine proto-indo-européenne *per-, et la notion qui lui est attachée, de "mener à", "traverser", "franchir".
Et bon, d'accord, par extension, de "porter, transporter".


Selon les lois de mutation consonantique, un "p" proto-indo-européen restera "p" en latin, et deviendra "f" dans les langues germaniques (à l'exception du moyen néerlandais, où il se transforme en "v").

Nous allons pouvoir le vérifier ici...

Le mot "Fjord" - tout comme l'anglais firth, l'estuaire -  provient du germanique *ferthuz: "un endroit où traverser, un gué", via le vieux norois fjördhr.

Nous trouvons encore l'anglais ford, pour le gué. (et non pas Land Rover, curieusement?)

Le français "port" nous vient toujours de la même racine *per-, mais cette fois par le latin portus: le port.
Portus est apparenté à portare ("transporter") et porta ("ouverture, porte") ; le sens étymologique en est donc le "passage" (vers la mer).

De *per- est également issu le grec πόρος, poros ("le passage").
D'où nous viennent notamment "pore" et "poreux".

"Ferry", lui, vient du germanique *farjan: "faire traverser quelqu'un ou quelque chose", en passant par le vieil anglais ferian: transporter.

D'ailleurs, en anglais, "fare" c'est toujours le prix du transport, le prix du billet (de train, d'avion...)...

L'Euphrate, par le grec Ευφράτης, Euphrátês, basé sur l'avestique huperethuua, c'est littéralement le fleuve "qui est bon à traverser" (parce que peu profond): il s'agit d'un composé de pǝrǝtu: le gué, et de hu-, décliné du proto-indo-européen *(e)su-, qui donnera le grec ευ- ("eu"): "bon, bien, vrai, véritable, normal" (pensez à eugénisme, eucharistie, eucalyptus, évangile...).


Note: le mot français "gué" vient lui aussi d'une racine proto-indo-européenne: *wadh-, qui signifiait "aller". 
"Gué" nous en a été légué par le vieux bas francique *wad "endroit peu profond". 



Gué!
Il correspond au latin "vadum" - le gué. 

C'est également *wadh-2 qui nous a donné "évader", "invasion", cette fois par le latin vādere: "aller, marcher"... 
*wadh-2 a fourni à l'anglais to wade: patauger, barboter, ou... passer à gué 
Quand vous consultez les spécifications techniques d'un Land Rover, vous apprenez la valeur "usine" de son wading depth: la profondeur de gué qu'il est possible de franchir avec le véhicule, sa "guéabilité".


Pour ce qui est de la déesse Parvati (पार्वती - Pārvatī), il faut savoir que son nom fait référence à la montagne, à l'Himalaya - parvatah, car elle est la fille de Himavat, le roi des montagnes de l'Himalaya, et de Meena
Elle est en quelque sorte "la montagnarde". Elle épousera Shiva et concevra Ganesh.

Ganesh.
Ce n'est pas parce que Parvati enfante
Ganesh qu'elle trompe Shiva.
Je sais, je n'en suis pas fier.

En tout cas, on peut en conclure que l'Himalaya, c'était, pour nos ancêtres, "ce qui se traversait, ce par quoi l'on passait..."


Une passe dans l'Himalaya

Saint-Christophe - en fait Christophe de Lycie, c'est le géant qui porta le Christ sur ses épaules pour traverser une rivière. Christophe est composé des mots grecs Kristos (Christ) et phorein (porter).

La question est "mais comment s'appelait-il avant???"

Le mot "peroné" est emprunté au grec ancien περόνη, perónê, toujours basé sur la racine proto-indo-européenne *per-, qui est donné à toute pointe qui traverse un objet; fibule, broche, pivot d'une porte, rivet, agrafe, clavette.

Et oui, le péroné est un os fin et pointu...

Oui, bon, pour ce qui est de Ferdinand de Lesseps, il fallait surtout réfléchir à son prénom, et non à son patronyme ni à son canal...


Le canal de Suez

"Ferdinand", c'est l'aventurier, celui qui prend des risques
Par le germanique *fardi- nanth, *fardi renvoyant à la notion de "porter", bien sûr, et *nanth provenant de *nanthiz: le risque.

Et puis, vous pouvez l'imaginer,  *per- nous a donné tous les dérivés en -port: transport, import/export, portable, portail, portière, report, rapport, porche, portique, supportable et insupportable...

Curieusement, nous lui devons aussi... Importun!

L'importun est celui qui déplaît, qui ennuie, qui fatigue par des assiduités, par des discours, par des demandes, par une présence hors de propos, etc.

Le mot nous vient de *per- par le latin importunus "impropre, inapproprié, fâcheux, gênant", qui à l'origine s'appliquait à un lieu "sans port", donc difficile d'accès, impropre à l'accostage.

Quant à "opportun", du latin opportunus, dérivé lui aussi du latin portus, il se dit du vent "qui pousse vers le port" d'où, au figuré, "opportun ; utile, avantageux".

Enfin "sport"nous vient également de *per-. Mais par l’anglais sport, lui-même tiré de l’ancien français desport (ou déport), "jeu, amusement", provenant du latin dēportō.

Et dēportō, composé de -porto (porter) et du préfixe de-, possède plusieurs définitions, dont celles de "Emporter d’un endroit à un autre, transporter", ou "rapporter, remporter".

Alors, de deux choses l'une: ou bien "faire du sport", du temps des Romains, c'était "soulever des poids, porter des altères"...

Ou alors c'était plutôt "faire tout pour remporter la victoire, rapporter la palme".

Nous aimerions croire que c'est la première définition qui est la bonne.

Car c'est celle qui correspond le mieux à ces citations de Pierre de Coubertin:

Pierre de Coubertin

"L'important dans la vie, ce n'est point le triomphe, mais le combat. L'essentiel n'est pas d'avoir vaincu, mais de s'être bien battu."
ou encore, le célèbre:
"L’important (n'est pas de gagner), c’est de participer."

Eh ben, NON! Dans l'Antiquité, l'important était clairement de gagner, de remporter la victoire, qui rejaillissait alors sur sa ville, sa renommée et son commerce...

Eh oui, c'est comme ça. Les Bisounours ne sont arrivés que nettement plus tard...



Frédéric


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dimanche 13 mai 2012

Guerre et Paix. Et saucisse


article précédent : il pleut





Ce soir je vais conclure.


Jean-Claude Dusse,
à de très (très) nombreuses reprises, dans
les Bronzés font du ski, 1979 



Jean-Claude Dusse (Michel Blanc) dans les Bronzés font du ski
















Le 8 mai 1945 commémore la victoire des Alliés sur l'Allemagne nazie et ainsi la fin de la Seconde Guerre mondiale, marquée par l'annonce de la capitulation de l'Allemagne.

Ce jour est appelé par les Anglophones le "VE Day" pour "Victory in Europe Day".


Annonce de la capitulation de l'Allemagne


En ces temps de commémoration et de souvenir, j'aurais aimé que "paix" provienne d'une lointaine racine proto-indo-européenne signifiant le calme, l'équilibre, la sérénité, voire l'Origine, l'Unité primordiale...

Eh bien, non !

Il faut se rendre à l'évidence.

La paix, étymologiquement, n'est qu'un pacte, un traité conclu à l'issue d'une guerre.

Point final.


"Paix" provient du latin pax/pacem : la paix, provenant lui-même du verbe latin pango (à infinitif : pangĕre, au parfait : panxi, au supin : pactum).

Pango, quant à lui, voulait dire "enfoncer, ficher, planter".
Mais aussi, dans le sens qui nous intéresse, "conclure".

J'avoue qu'au premier abord, on peut ne pas percevoir pourquoi à un même mot s'appliquaient des définitions sémantiques aussi disemblables que "conclure" et "enfoncer, enficher".


Jean-Claude Dusse n'aurait peut-être pas hésité à faire ce lien qui m'échappe?

Quoi qu'il en soit, il y a bien une explication, que je vous livre ici :

"conclure", comme acception du verbe pango, doit se comprendre comme "établir par une convention, stipuler, s'engager à, promettre".

"Conclure une affaire", "s'accorder sur quelque chose", donc.

- Mais Holmes, je comprends donc ainsi que pango est à l'origine de Paix, dans le sens d'"engagement qui nous lie".

Mais je ne vois toujours pas pourquoi ce même mot pango revêt ces sens si disparates.
Où voulez-vous en venir ?

- Elémentaire, mon cher Watson :

"Conclure une affaire", en ce sens - vous en convenez donc - c'est se lier, par un contrat, par un serment, par la parole donnée.

Tout s'éclaire quand l'on sait que la racine proto-indo-européenne à l'origine de pango, c'est *pag- (aussi retranscrite *pehg-).

*pag- véhiculait certes l'idée d'enfoncer une pointe, de planter (un pieu...), d'enficher, mais - et voilà la clef! - dans un but précis, celui d'"attacher", de "fixer", "de faire une jointure". De lier, de relier. 


La plus belle image qui me vient à l'esprit, c'est celle du pêcheur ramendant son filet.
Il enfonce une pointe, une aiguille, pour resserrer, pour raccomoder, pour lier, pour réparer.

Ramendage d'un filet


Le "pacte", mot directement issu du supin de pango : pactum, est donc étymologiquement ce qui nous lie, ce qui nous tient ensemble.

La paix n'est donc, étymologiquement, que la conclusion d'un traité, d'un accord qui nous lie.

La notion de paix est ainsi étroitement liée à celle de guerre, puisque par définition, il ne peut y avoir de paix conclue sans guerre préalable !

Ainsi va l'Humanité...



*pag- nous a donné l'ancien grec πήγνυμι, pêgnymi : ficher, planter, fixer.

Mais aussi l'anglais fang : le croc. L'on y retrouve bien l'idée de pointe acérée.


Sur *pag- s'est également formé un autre mot anglais : peg - patère, pince à linge, piquet.
To peg c'est attacher avec des épingles, fixer avec des piquets...





Tiens, dites-moi, pour vous, le terme "fugue" - la forme musicale - il provient de l'italien "fuga", le vol, non ? 

Car il s'agit de plusieurs voix qui se poursuivent, qui se cherchent, qui virevoltent... Hein hein ???

Extrait du manuscrit de l'Offrande musicale, J-S Bach


Oui!

Mais en allemand ... il y a deux Fuge...

Le premier est cet emprunt à l'italien fuga, évidemment utilisé dans le vocabulaire musical, mais ... le second nous vient, lui, par le vieux haut-allemand
{Althochdeutsch - la plus ancienne forme écrite de la langue allemande dans la période de 750 à 1050 environ}
fuogen

via le proto-germanique
{ou germanique commun, à l'origine supposée de toutes les langues germaniques}
*fōgijanan,

de notre brave racine proto-indo-européenne... *pag- ...

Fügen, c'est ajuster, joindre, ajouter, adapter, se conformer.





La "Badinerie" par les Swingle Singers :
'y'a pas mieux que la voix humaine pour faire entendre
les différentes voix musicales dans un morceau de Bach !



Ah Bach !!



"A entendre la musique de Bach, nous aurons l’impression (pour le dire à la manière élevée de Goethe) d’être présents au moment même où Dieu créa la monde" 
Friedrich Nietzsche,  Le Voyageur et son ombre

"S’il y a quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu."
Emil Michel Cioran

"Dieu aime Mozart par plaisir et Bach par reconnaissance"



Bon c'est pas tout ça. Et la guerre, alors ?

"Guerre" vient, par le francique *werra, de la racine proto-indo-européenne *wers-, associée à la notion de "confusion", de "mélange", de "trouble."

*wers- a naturellement donné l'anglais war - la guerre (nous retrouvons à nouveau ici la résultante de cette loi de transformation consonantique débouchant sur un "g" dans les langues romanes et un "w" dans les langues germaniques: Galles/Wales, Guillaume/William garde/watch, gaulois/wallon...).


Quoi de pire que la guerre ?

Ben pas grand-chose, et l'étymologie nous le confirme : l'anglais worse (pire, plus mauvais, plus mal) provient du proto-germanique *wers-izon-, qui n'est que le comparatif de la racine *wers-.

Et worst (LE pire, LE plus mauvais, LE plus mal) provient du proto-germanique *wers-ista-, le superlatif de cette même racine *wers-.


Mais comme souvent, il y a toujours du bon à prendre, même dans le plus mauvais...

Et *wers- ne fait pas défaut à la règle.


Car dans son acception de "mélange, mixture", nous lui devons l'indispensable allemand ... Wurst.


La saucisse. 

Wurst


Notons que le français "saucisse", lui, nous vient du latin salsīcia, pluriel neutre de salsīcius : "assaisonné avec du sel", dérivant du latin salsus : salé, de sal : sel.

Sal, dérivé, EVIDEMMENT, du proto-indo-européen *sal-, le sel...




"Sans musique ni saucisse, la vie serait une erreur." 
Friedrich Nietzsche & (und) Friedrich Blondieau




Frédéric


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des fjords à l'Euphrate


dimanche 6 mai 2012

il pleut


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Fabre d'Églantine (1780, faisant référence à la reine Marie-Antoinette)


Il pleut, il pleut bergère


Bien souvent, pour retrouver la racine originale proto-indo-européenne derrière les mots que nous utilisons aujourd'hui, nous devons faire un certain effort, essayer de voir "derrière".
On n'y trouve souvent qu'une forme déformée de la racine originale.

Mais parfois, certaines racines proto-indo-européennes nous sont parvenues telles quelles.
Ainsi, le néerlandais "nu" (maintenant) provient de la racine *nu-, reprenant la même idée.

En français, nous avons le verbe "pleuvoir", sans qui, par ici en tout cas, on ne saurait tout simplement pas parler du temps. (Et en ce moment, je peux vous dire qu'il pleut sur Bruxelles)

Alors, NON, il n'y avait pas une racine proto-indo-européenne *pleuvoar-!

Mais il existait bien la racine *pleu-!
Que nous retrouvons phonétiquement intacte dans l'expression "il pleut".

"Pleuvoir" étant issu du vieux français pluveir, lui même bâti sur le latin populaire *plŏvēre (plovebat, imparfait de l'indicatif, attesté chez Pétrone), dérivé du latin classique plŭĕre.

En fait, *pleu- n'exprime pas vraiment la notion précise de "pluie, pleuvoir".
Mais plutôt celle de "couler", de "flux", d'"écoulement".

Pluie, pleuvoir, pluvieux... en sont d'évidents dérivés.
Mais il y en a d'autres, peut-être plus surprenants...


A commencer par "poumon", "pulmonaire", via le latin pulmō .
Probablement parce que nos ancêtres avaient déjà compris que nos poumons permettaient à l'air de s'écouler en nous.

On retrouve la racine, avec un sens comparable, dans le sanskrit क्लोमन् (klóman), le grec ancien πλεύμων (pleumōn), ou encore le vieux slavon d'église плюща ("plioutcha").


Pluton (Pluto), le dieu romain des enfers, lui doit également son nom, emprunté au grec Πλούτων: Ploutōn. L'explication étymologique peut en paraître un peu absconse:

Ploutōn, le dieu grec des enfers, était souvent confondu avec le plus sympathique Plutus (Πλοῦτος, Ploutos), un dieu de l'abondance, de la richesse.
Au point que plus tard, les Romains représenteront Pluton avec le sceptre - marquant son pouvoir sur les royaumes infernaux - et la corne d'abondance, représentant la richesse.

La confusion entre les deux Dieux s'expliquait d'autant plus que Pluton régnait sous terre, et que Plutus veillait sur les richesses souterraines, ces semences qui allaient donner finalement de belles moissons.

- Oui, et alors? En quoi *pleu- est-elle liée à Pluton?
- Cool, on se détend, on y arrive...

C'est en réalité à Plutus et à la notion de richesse que *pleu- est reliée.
Tout peut se résumer par le symbole de la corne d'abondance: les richesses, c'est ce qui coule à flot.

Pluto à Disneyland: une certaine idée de l'enfer


Et la ploutocratie consiste - malheureusement toujours - en un système de gouvernement où l'argent constitue la base principale du pouvoir.


*pleu- est aussi à l'origine d'une jolie série de mots germaniques, via le proto-germanique *flōðuz, inondation, eau courante, déluge (déjà mentionné dans Tour de France et Tour de Babel).

L'anglais flood par exemple: l'inondation, mais aussi float: flotter, ou flow: le flux.

Et bien sûr, le français flotter vient de là! Par le francique flod.


Toujours via le germanique, *pleu- nous a encore laissé flottilleflottaison... Cette fois via le vieux norrois floti: "radeau, flotte, flottille".

Ligne de flottaison



En russe, on retrouve encore, dérivé du proto-indo-européen *pleu-, le verbe плыть ("pleutje"): nager.


Le français périple, qui dans son sens premier signifie: "navigation autour", "circumnavigation", est encore un bon descendant de *pleu-, par le grec πλέω (pleô): "naviguer".


Curieusement, le mot flèche nous vient lui aussi de *peu-!

Par le francique *fliukka (littéralement: "celle qui vole"), descendant du composé proto-germanique *fleug-ika.

Flèche.
Les mal-comprenants ont enfin leurs
signaux routiers


Car voler, c'est un peu "flotter dans l'air", non?

Cette association d'idée entre flotter sur l'eau et en l'air nous a donné les anglais fly: la mouche, ou encore to flight: voler...


- Ouais, tu fais ton malin, hein? Mais moi je ne vois pas comment une racine commençant par un "p" puisse produire des mots commençant par un "f". C'est encore du grand n'importe quoi.

- Oui, à première vue, ça peut paraître surprenant. Mais il s'agit là d'une dérivation classique, le son consonantique proto-indo-européen "p" ayant tendance à rester "p" dans les langues latines, et à se transformer en "f" dans les langues germaniques.

Le premier linguiste à avoir identifié ce phénomène, c'est Jacob Grimm - oui oui, l'un des frères Grimm! - dans ce qui deviendrait la loi de Grimm (ou "première mutation consonantique").

Jacob Grimm



C'est ainsi que la racine proto-indo-européenne *perd-: laisser échapper bruyamment un gaz intestinal, a donné le français péter, et l'anglais fart...




Frédéric

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