- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 30 juin 2013

"acolyte", au singulier, c'est bien sympathique. Même en sanskrit.




Bonjour à toutes et tous!


Allez, on continue: (vous avez raté le train? On en était à énumérer la longue descendance de la racine proto-indo-européenne *sem-)


Selon les lois de mutation consonantique, un "*s" proto-indo-européen donne en grec, quand il est au début d'un mot, un… "h".

C'est ainsi que *sem- est devenu le grec heis: un.

Un beau dérivé de heis est l'anglais hyphen: le trait, mais pas n'importe lequel: le trait … d'union!
L'ancien grec ὑφέν, hyphen, c'était “liant ensemble”.



Bon allez, une variante de la racine proto-indo-européenne *sem-, au degré O: *som-, est à l'origine du grec homos: même.

D'où nous avons tiré homosexuel, homologue, homogène, homozygote, certes, mais aussi…

  • homélie (du grec homilos, le sermon s'adressant à l'assemblée - à cette foule ne faisant qu'un), ou encore…
  • homéopathie: mot récent, mais basé sur le grec ancien ὅμοιος (homoios, "semblable") flanqué du suffixe πάθος (pathos, "ce qu’on éprouve, ce qui affecte, la maladie").
    Homéopathie se traduirait donc littéralement par "la même maladie", rappelant la théorie sur laquelle est basée la méthode: le "principe de similitude".


L'acolyte est celui qui vous accompagne (à l'origine, celui qui accompagne le Maître), avec qui vous marchez ensemble!
Sur une forme au degré zéro de la racine: *sm-, le grec a créé ha-, ou a-: ensemble.
Quant à keleuthos/-kolouthos, c'était le chemin, la voie.


L'anacoluthe, cette figure de style qui crée une rupture, est en quelque sorte l'antonyme d'acolyte, car devant  a-kolouthos vient se placer un alpha privatif.

Anacoluthe pourrait se comprendre par "qui est sans accompagnement", entendez "sans suite".



Allez, encore une:
Une variante suffixée de *sem-: *sem-golo-, a donné le latin singulus: seul.
Dont l'anglais a, par exemple, tiré single, ou le français: singulier.

Aaah du Laphroaig, ici en version
Quarter Cask.
Un de mes Single (Malt) préférés...


Et puis, *sem-, sous une forme allongée au degré o: *sōmo-o-, s'est dérivée dans le russe сам/само ("sam/samo"): soi-même.
Que nous retrouvons dans:

  • samizdat: qui se publie soi-même; autopublication (voir étrange étranger), ou
  • samovar: само + варить ("varitje": bouillir), donc quelque chose comme "bouilloire autocuiseur"?

Samovar

Tiens, je suppose que vous avez lu l'Odyssée?

Homère - je sais, je vais vous perturber - Homère,  qui nous vient du latin Homērus, lui-même issu du grec ancien Ὅμηρος, Hómêros, c'est littéralement l'otage, ou "celui qui est obligé de suivre".
"Celui qui suit, celui qui accompagne"...

Eh oui, Homère n'est pas un nom propre!

Simplement, Homère, le poète, était... aveugle.
Il devait donc suivre aveuglément son accompagnateur...

Je dois cependant être prudent dans mes affirmations: pour ce qui est de Homère, la filiation avec *sem- n'est pas reconnue par tous. Je me suis basé, ici, sur "The Origins of English Words", par Joseph T. Shipley. Mais Watkins n'en parle pas...

Homère

En grec ancien, *sem- (toujours selon Shipley et Pokorny cette fois, mais Watkins ne les suit pas) s'est également dérivé en...  σύν, sún ("avec", ou "ensemble").

Et là, on est reparti!!!!
De synchroniser à synagogue, de syncope à syndicat, de syllable à syllogisme, de symbiose à sympathique, de symptôme à symphonie...

Tous ces mots en syn-,  syl-  ou sym- ( le "n" final devenant "l" devant un autre "l", ou devenant "m" devant "b" ou p") nous viennent de *sem-, portant toujours (sempiternellement dirais-je) la notion d'ensemble, d'assemblée, de rassemblement...

La syllabe sert à rassembler des lettres.
Le syllogisme est constitué de deux propositions qui mènent inévitablement, ensemble, à une conclusion logique...

Et ainsi de suite...


Bon, là, encore une salve et je m'arrête…
(Quand je vous disais que cette racine est incroyable!!)


Last but not least…

...


...


...


Sanskrit!

Le mot sanskrit provient du ...euh sanskrit samskrtam "mis ensemble, bien formé, parfait".
Le mot est basé sur sam- "ensemble" et krta- "faire, agir".

Quelques mots de sanskrit


Pour l'anecdote, derrière krta- se cache la racine proto-indo-européenne *kwer- "faire, former", qui nous a donné la somme, la résultante de toutes ses actions,  de "ce qui a été fait": le … karma.








Bon dimanche, bonne semaine à toutes et tous,

et… à dimanche prochain!






Frédéric



dimanche 23 juin 2013

C'est simple: trop souvent ensemble, on finit par être assimilé l'un à l'autre...

Bonjour à toutes et tous!


Dimanche dernier, dans le cadre de notre grand sujet sur l'étymologie des nombres, nous avions découvert la racine *oi- et ses variantes à suffixe dialectales:
*oi-no-*oi-wo- et *oi-ko-.

La signification de *oi-? "Un", tout simplement.
Le "un" avant le deux, ce "un" qui permet d'énumérer, de compter


Le plateau de "The One Show" sur BBC1


Mais, comme je vous l'exprimais précédemment (voir Namasté, nomade économe!), pour les anciens, "Un" c'était un peu plus que ça.
Un, c'était le principe, l'unité primordiale de laquelle tout découlait…
L'Unité, quoi.

Alors que *oi- désignait l'unicité, l'isolement, une autre racine désignait, elle, l'union, la complétude, à l'image du Un que se représentaient les anciens, ce grand tout de qui tout procédait.

Alpha et Omega, une belle image
du Grand Tout

Pour les anciens grecs - c'est du moins ce que nous raconte Steven Schwartzman dans "The Words of Mathematics: An Etymological Dictionary of Mathematical Terms Used in English" - "un" n'était pas à proprement parler considéré comme un nombre, mais plutôt comme le générateur des nombres.

Il est amusant de constater que nous, hommes modernes, continuons dans cette voie quand nous traitons des nombres premiers: même si "un" correspond parfaitement à la définition d'un nombre premier, car les seuls nombres entiers par lesquels il peut être divisé sont lui-même et … un, eh bien nous ne le reprenons pas dans la liste des premiers.

Ou alors, c'est juste un oubli?

Quelques nombres premiers


Alors, cette autre racine proto-indo-européenne, la voici! C'était…

*sem-

Et vous allez rapidement vous en rendre compte, on lui doit vraiment - mais VRAIMENT - beaucoup!!

L'hypothèse communément admise est que, entre *oi- et *sem-, *sem- est bien la racine originale, la première, la plus ancienne donc, qui reprenait tous les sens de "un".
*oi- ne serait arrivée que plus tard, par dérivation de la racine pronom *i- que l'on pourrait traduire par "ce", ou "il".
C'est sur cette dernière, par exemple, que s'est formé le latin is: "ce, il, elle", donnant "id" au neutre.

La traduction littérale de *sem-, telle qu'elle nous a été transmise, serait "comme un seul", ou alors "ensemble".

Ensemble

Alors que le numéral "un" est représenté par des dérivés de *oi-: *oi-no-, *oi-wo- ou *oi-ko- dans pratiquement toutes les langues indo-européennes, la racine *sem- n'est dans ce sens précis utilisée que dans trois langues: le grec, l'arménien et le tocharien. (Mais bon, des Tochariens on peut s'attendre à tout)

Comme ces trois langues sont, si je puis dire, "géographiquement distantes" les unes des autres, on soupçonne que la présence de *sem- comme numéral "un" dans ces trois langues n'est que le vestige d'un ancien usage.
En revanche, l'emploi abondant de *oi- (et surtout *oi-no-) dans une large zone géographiquement contiguë laisse à penser que cette dernière racine s'est développée massivement, et plus tard.

*sem-, donc, pourrait se traduire par "ensemble".
Ce qui tombe en fait très bien, car le français "ensemble" est un parfait descendant de notre racine proto-indo-européenne *sem-.

Ensemble nous est parvenu du latin insimul ("en même temps"), composé de in- et de … simul: "ensemble, à la fois", probablement via une forme archaïque *semol, mais assurément basé sur le proto-indo-européen *sem-.

Simul, nous a également donné - ben oui - simuler: "faire semblant", ou simultané: "en même temps".

"semblant" dans "faire semblant"?
Mais oui, c'est aussi un dérivé, ainsi que tout ces mots qui y … ressemblent!
Sembler, semblable, ressembler, assembler…!

Similaire, similarité, similitude…! Ou encore assimiler

Fax aussi, d'une certaine façon! Puisqu'étant l'abréviation du latin facsimile: "faire comme".
Tous ces mots sont bâtis sur une forme particulière et suffixée de la racine au degré zéro: *sm̥m-alo-.

Toujours sur une forme au degré zéro, cette fois *sm-, le latin a créé simplus, devenu en français "simple".

Une autre variante de la racine, *smo-, a de son côté donné l'anglais some: un, certain
Ou tous ces mots anglais se terminant en -some, où le suffixe -some pourrait se traduire par "qui ressemble à", "qui s'apparente à", "qui tend à", "qui potentiellement serait comme"...

Un exemple? cumbersome.
Pour comprendre le mot, dites-vous qu'il se base sur le vieux français combrer, que l'on retrouve toujours dans … encombrant.
La combre étant une obstruction, un obstacle, une barrière…
Et donc, cumber-some, c'est "ce qui tend à être un obstacle": ce qui est encombrant, pénible, lourd…

Troublesome, c'est "ce qui va très probablement créer des ennuis": difficile, gênant …
Et il y en a d'autres: gruesome (horrible), awesome (effarant), adventuresome (aventureux)...




Mais la liste des descendants de *sem- est loin d'être finie…


Toujours par le latin, à partir d'un composé de *sem- et de *per-1...
*per-1, encore elle?? Rappelez-vous, nous avions entrevu cette racine la semaine dernière, dans Karaton (Aksungur), contemporain d'Olympiodore, 412-422, en était. Nous lui devons notamment "premier", un des nombreux sens de *per-1 étant "devant".
Un autre en était "durant"; ou évoquait en tout cas la notion de durée.
… Composé qui a donc donné, vous l'avez deviné, le latin semper: "toujours", que l'on pourrait traduire par "une seule fois qui dure", ou alors "une fois pour toutes".
Dérivés? Mais oui! Le français sempiternel, ou l'espagnol siempre!


'y en a plein, des dérivés de *sem-!
Plein!!


Ah oui, inutile de vous dire que les anglais "same": même, identique, ou seem: sembler, avoir l'air proviennent bien de *sem-...
Tout comme le néerlandais samen: ensemble...

Evidemment!

Et il y en a encore d'autres, des cognats!


Mais bon, ce sera pour dimanche prochain.








Bon dimanche, bonne semaine à toutes et tous,

et… à dimanche prochain!

PS: émuler n'a RIEN à voir avec simuler!  
Oh que non! lisez donc Emile, arrête de m'imiter, fais plutôt travailler ton imagination..., si vous ne me croyez pas...




Frédéric

dimanche 16 juin 2013

Karaton (Aksungur), contemporain d'Olympiodore, 412-422, en était.


article précédent : Namasté, nomade économe !



- Karaton en était ?
- Mais oui, Karaton ("le noir" en langues turques),
dit aussi Aksungur ("le gerfaut blanc"),
fut le premier roi des...
Huns 


Ai pas trouvé de photos de Karaton,
voilà donc un faucon gerfaut


Bonjour à toutes et tous !


Nous commencions dimanche dernier une grande histoire étymologique des nombres…

Alors, allons-y, avec le premier de ces messieurs : "un".

Les Uns et les Autres, 1981, Claude Lelouch.
Un de mes films préférés...


"Un", n'y allons pas par … quatre … chemins, nous vient de la racine proto-indo-européenne…

*oi-

surtout, il faut bien le dire - représentée par une forme suffixée - dialectale -


*oi-no-

Signifiant "un", ou encore "unique".

Notez cependant que pour certains linguistes, *oi-no- était à prendre comme "celui-ci, ceci", ou même encore le défini "il, elle".

*oi-no-, quoi qu'il en soit, a ensemencé pratiquement toutes les langues indo-européennes !


Si si, j'ai osé : Yoko *oi-no-


C'est en l'occurence par l'adjectif numéral latin ūnus ("un"), que *oi-no- est arrivé jusqu'à nous en français moderne, avec "un" utilisé pour désigner l'unité ou l'indéfini, mais aussi des mots comme union, unité, unanime, univers, et d'une façon générale, tous ces mots commençant par uni-


L'anglais "one", quant à lui, descend de *oi-no- par le germanique *aina-, devenu ān ("un") en vieil anglais.

SUPERBE bande originale...!

Mais l'anglais doit encore à la racine proto-indo-européenne *oi-no- quelques autres mots, comme, à l'image du français "un", a/an (l'indéfini "un, une"), mais aussi alone (seul), lonely (solitaire)…

Tiens, saviez-vous qu'à l'origine, "one" se prononçait "onne" comme dans le français c… euh bonne ?
Et non "ouane" ; la prononciation de la voyelle se transformant vers la fin du Moyen-Age.


Pour revenir à notre *oi-no-, c'est par une forme suffixée *oino-ko- que la racine nous a donné le latin ūnicus : seul, unique, dont nous avons tiré le français "unique", bien entendu.

Unique


Et c'est aussi sur cette variante *oino-ko-, mais cette fois par le germanique *ainaga-, puis le vieil anglais oenig, que l'anglais "any" ("chaque", "chacun" ...) s'est créé.

Plus surprenant, comme dérivé de *oi-no-, est le français once.

Une once d'or

Dérivé de l'unité latine ūncia, désignant 1/12ème (et non 1/11ème !) de livre romaine.

Le latin lībra pour livre dérivant lui du grec ancien λίτρα, lítra : une mesure de poids grecque utilisée en Sicile, dont est naturellement tiré… litre !

Notez, tout le monde n'est pas d'accord chez les linguistes sur l'origine de lībra, d'aucuns y trouvant plutôt un lien de parenté avec un étymon étrusque.

Quoi qu'il en soit, on suppose, mais sans rien affirmer, que le latin ūncia devait avoir comme sens premier "unité de base".

- Bon, admettons, mais POURQUOI compter en base 12 ??? 'faut pas être bien dans sa tête, quand même… !
- Bonjour ! Oui, cela paraît assez surprenant. Mais il y a une bonne raison… Au moment de diviser !!!

Essayez de diviser 10 par 3, ou par 4, et comparez avec la division de 12 par ces mêmes nombres: avec 12, on tombe sur un nombre entier !
Nettement plus facile pour diviser une quantité d'oeufs, par exemple, sans en faire prématurément d'omelette…

10/2=5 --- 12/2= 6
10/3=3,3 - 12/3= 4
10/4=2,5 - 12/4= 3

Et puis, 12 est universel, ou du moins mondial !
Car on peut supposer que de tous temps et en tous lieux, l'Homme a observé qu'une année, qu'un grand cycle des saisons donc, équivalait à 12 lunaisons complètes.

- Ouais coco, mais encore une fois, c'est du grand n'importe quoi ! Comment ils faisaient, les Romains, pour compter 12? En employant quelles parties du corps?? 10, c'est deux mains ! Mais 12 ?
- D'accord ! 12, notez, c'est aussi deux mains plus une main gauche de Django Reinhardt, mais bon, j'en conviens, les Romains n'étaient pas réputés pour pratiquer le jazz manouche.

Le PRODIGIEUX Django !

Apparemment - c'est ce qu'on apprend - le calcul en base 12 se faisait en comptant les phalanges de la main, mais en omettant celles du pouce (puisqu'il était utilisé pour compter les phalanges des autres doigts).

Personnellement, ÇA, ça me paraît totalement absurde, inepte et ridicule.
Car si vous ME demandez de compter mes phalanges, je le ferai...
  • de 1. avec l'index, et non le pouce, et…
  • de 2. en parcourant (de mon index - essayez de le faire avec le pouce !) les phalanges de l'AUTRE main.


Enfin, passons… (Voyez le PS en fin de post !)

Ce qui est certain, c'est que l'avantage de divisions qui tombent juste explique que les systèmes de mesure aient longtemps comporté des sous-multiples en douzièmes (12 pouces dans un pied, 12 pennies dans un shilling, 12 deniers dans un sou, 12 pièces dans une douzaine, 12 douzaines dans une grosse, 12 grosses dans une grande grosse, etc).

Oh, on peut toujours continuer :
12 grandes grosses dans une très grande grosse,
12 très grandes grosses dans une vraiment très grande grosse,
12 vraiment très grandes grosses dans une énorme grosse,
12 énormes grosses dans une énorme grosse mais alors grosse de chez grosse,
12 énormes grosses mais alors grosses de chez grosses dans une etc...
...

Ces anciens systèmes ont été abandonnés partout, sauf peut-être chez quelques peuples frustres…
Allez, non, disons plutôt "conservateurs".
Je ne veux pas me fâcher avec mes amis d'outre-Atlantique…


Ah oui ! Et l'anglais "ounce" provient lui aussi du latin ūncia. Vous vous en doutiez.

Tout comme l'anglais … inch !
Le 1/12ème d'un pied. (Ah oui? Et on comptait les pieds sur les phalanges des mains, peut-être ? Avec ses gros orteils ??)

Un inch, un pouce, en français, c'est 2,54 centimètres.

Oui, passer de ūncia à inch semble curieux…
Le changement du u en i est un cas d'umlaut propre aux langues germaniques ; quant à la transformation du c (prononcé "k") en ch, il s'agit d'un exemple de palatisation typique à la phonologie du vieil anglais.

Loin des inches calculés par gros orteils, nous retrouvons encore la racine proto-indo-européenne *oi-no- dans les langues slaves.
En vieux slavon d'église, on connaissait ѥдинъ ("jedinŭ") pour "un" ; en russe par exemple, nous avons conservé один ("adínne")


Rappelez-vous, nous avions commencé ce dimanche en notant que *oi-no- était une forme dialectale de *oi-.

D'autres formes dialectales de cette racine ont existé - ce qui permet justement de qualifier toutes ces formes différentes de "dialectales", propres au parler d'une région…

Ainsi, nous pouvons retrouver des traces de la racine proto-indo-européenne *oi- sous les formes *oi-wo- ou *oi-ko- qui se sont déclinées dans les langues indo-aryennes et iraniennes, comme par exemple en…:
  • sanskrit एक (éka)
  • pendjabi: ਇੱਕ (ika)
  • bengali: এক (ek)
  • indonésien: eka
  • kurde: yek
  • vieux perse: aiva-
  • perse: یِک (yek)
  • tadjik: як (yak)
  • ossète: иу (iu)



Une toute petite remarque…

"Un" est le premier des nombres dont nous parlons.
Et nous avons coutume de considérer "premier" comme l'ordinal du cardinal "un".
Tout comme deuxième est l'ordinal de deux

Oui. Sauf que "premier" n'a rien à voir - étymologiquement du moins - avec "un".
D'ailleurs, nous utilisons très souvent un autre mot comme ordinal de un, dans les mots composés :

Ne disons-nous pas "vingt-et-unième", et non pas "vingt-et-premier"

Eh oui, unième existe, même si son emploi est limité, et est étymologiquement nettement plus cohérent.

Mais "premier", alors?
"Premier" nous vient d'une autre racine proto-indo-européenne, *per-1, signifiant notamment "devant".
Ce qui correspond bien à la notion de premier.

La racine *per-1 est tellement riche en dérivés de toutes sortes que nous pourrions lui consacrer,  à elle seule, plusieurs articles.
Je retiens l'idée pour plus tard…



Maintenant, comme mot de la fin, au risque de rendre les choses un peu complexes, je dois vous avouer qu'en réalité, (au moins) deux racines proto-indo-européennes permettaient de désigner le concept de "un".

La plus représentée est bien *oi- / *oi-no-, qui servait à compter.
Et désignait également l'unicité, l'isolement.

L'autre racine qui signifiait "un", dénotait, elle, plutôt l'union, la complétude.

Ah ah !

On l'utilisait - du moins on le suppose - quand on voulait mentalement regrouper plusieurs choses différentes pour les considérer comme un tout cohérent, ou quand on considérait plusieurs choses diverses comme identiques. Cette autre racine, c'était …

Ah, ça, ce sera pour dimanche prochain !






Bon dimanche, bonne semaine à toutes et tous,

A dimanche prochain !






Frédéric


PS :
Alors, pour le coup du pouce et le comptage des phalanges ! Ben oui, c'est parfaitement valable, si on compte sur ses phalanges PAR LE BAS ! SOUS les doigts ! Et là, le pouce devient indispensable, et tout s'éclaire ! Merci à mon correspondant de me l'avoir expliqué !
Moi, benoîtement je regardais mes mains sur le clavier, donc vues d'en haut...!

Il suffit parfois de peu pour voir les choses différemment.
Pour changer de point de vue, parfois, il suffit de changer de point de vue...


dimanche 9 juin 2013

Namasté, nomade économe !





"Toute chose est nombre."

Pythagore


"Dieu a tout réglé avec mesure et avec nombre."

La Bible


"ABC 
Easy as
one, two, three 
Or simple as
Do re mi 
ABC, one, two, three, baby, you and me!"

The Jackson 5



Bonjour à tous !

Bon là, on arrête avec les champignons, mousses et autres fungi (voir ici, ou , ou encore ici)…


Et on passe au premier chapitre de ce qui va devenir une nouvelle saga.

Ta Ta !

Un grrrrand sujet qui va nous occuper (en fait surtout moi) quelques dimanches…!


J'en avais l'idée en tête depuis belle lurette, et puis, mon ami François, mon vieux pote (ah, c'est quand même à l'unif qu'on s'est connus !), lui qui m'avait initié à la Margarita et à Douglas Adams, et à qui je dois des soirées mémorables autour des Monty Python et autres monuments de l'humour, me l'a suggéré il y a peu.


Arthur "Two Sheds" Jackson


Margarita


Alors, ce grand sujet, le voici : les nombres.
Ou, pour être précis, l'étymologie des noms utilisés pour les euh… nommer.


Juste un préambule : ne confondons pas nombres et chiffres.
Les nombres, ce sont des concepts permettant d'évaluer, de comparer ; ils s'appliquent à des grandeurs, des quantités… 
Les chiffres, quant à eux, ne servent qu'à écrire ces nombres. Il s'agit seulement de symboles utilisés pour les retranscrire
Pour l'anecdote, chiffre provient non pas du proto-indo-européen, mais bien de l'arabe : صفر, ṣifr : "vide".
Le vide ?? 
Et oui : à l'origine, le mot ne désignait que le zéro, mais par métonymie, il en est venu à désigner tous les euh … chiffres arabes.  
Qui, avant, n'étaient pas vraiment des chiffres, si vous me suivez, puisqu'ils étaient, en numérotation latine, des lettres capitales. 

Et puis, encore une petite mise au point :
NON, ce ne sont pas les Arabes qui ont inventé le zéro.  
Ce qui me permet d'en remettre une couche avec mon dada du dimanche :
Le concept du zéro était déjà utilisé par la pensée mathématique indienne. Je cite ici Wikipedia :
 
Les chiffres de 1 à 9 ont été inventés en Inde. Ils apparaissent dans des inscriptions de Nanaghat au IIIème siècle av. J.-C..
La numération de position avec un zéro (un simple point à l’origine), a, elle, été développée au cours du Vème siècle.
Dans un traité de cosmologie en sanskrit de 458, on voit apparaître le nombre 14 236 713 écrit en toutes lettres.
On y trouve aussi le mot “sunya” (le vide), qui représente le … zéro.
C’est à ce jour le document le plus ancien faisant référence à cette numération.

Zéro


Bon, et "nombre" alors ? D'où qu'i nous vient, lui, le mot "nombre" ? Hein hein ???

YESSS ! Nombre nous arrive d'une racine proto-indo-européenne :

*nem-

*nem- ne désignait pas, comme vous pourriez le croire, le numéro 4, juste après le potage tom yam, mais véhiculait plutôt l'idée d'assigner, de répartir, de distribuer
De "prendre" aussi.

*nems*


Vous allez voir, vous risquez d'être surpris par ce que *nem- nous a légué…


Alors, oui, le néerlandais nemen ou l'allemand nehmen : prendre viennent de là, par le vieux haut-allemand nëman : prendre, issu du germanique *neman.

En anglais il y avait encore le verbe to nim : prendre, à présent désuet.

Mais en revanche nous trouvons toujours l'anglais nimble : agile, vif, alerte
Le rapport ?
Nimble qualifie celui qui est apte à prendre, "qui prend" - entendez saisit - rapidement
C'est aussi celui qui ap-prend vite.


En grec, la racine proto-indo-européenne *nem- s'est muée en νείμειν, nemein : répartir, assigner, distribuer


Connaissez-vous Némésis, dérivé de nemein ?

Dans la mythologie grecque, Némésis (en grec ancien Νέμεσις, Némesis) était l'esprit de la juste rétribution divine, la déesse de la juste colère des dieux, parfois assimilée à la vengeance.

En ce sens, nemein signifiait "le don de ce qui est dû".
En d'autres termes: "tu l'avais cherché".

Némésis


Distribuer, assigner, répartir (les tâches, l'argent ou les biens, la nourriture…), cela correspond, sur un plan domestique, à administrer sa maison, sa maisonnée.

Gestion de la maison  : housekeeping

La gestion de la maison, en grec ancien, c'était οἰκονομία, oikonomía, que l'on pourrait traduire littéralement par "la loi de la maison", mot composé de οἶκος, oîkos ("ce qu'on a", "les ressources", "la maison", donc) et νόμος, nómos ("allocation", "gestion", d'où "usage", "loi"), nómos étant construit sur nemein.

En latin, le mot devint oeconomia, pour finalement devenir le français économie

Situation macroéconomique en Espagne.
Mais à mon avis on peut généraliser...

Le grec nómos signifiait ainsi portion, usage, loi, division, district


Le Deutéronome, dans la Bible, c'est littéralement la seconde loi.

Celle ajoutée par Moïse à la suite de la première.



Nous retrouvons notre racine *nem-, désignant ainsi la loi, dans le suffixe français -nome, -nomie, présent dans une foule de mots: astronome, métronome, autonome, agronome, ou encore antinomique


La monnaie n'a de sens que si tout le monde l'accepte, lui attribue une valeur unique, si son usage devient règle, loi.
La monnaie, ou la coutume, la règle, en grec ancien, c'était le même mot : νόμισμα, nómisma, toujours basé sur nómos.

Et oui, on retrouve nómisma, via le latin nummus, numisma, dans le français numismatique : relatif à la monnaie et aux médailles.


Par une forme suffixée *nem-os, la racine proto-indo-européenne *nem- nous a également donné namasté, salutation largement utilisée en Inde ou au Népal (elle s'est même exportée jusqu'au Japon).

Namasté नमस्ते  signifie "salutation" ; namaskar ( नमस्कार) a quant à lui une signification plus religieuse (littéralement "Je salue – ou je m'incline – devant votre forme").

Namasté dérive du sanskrit, et est en réalité la combinaison de deux mot s: "Namaḥ" et "te."
Namaḥ signifie "le salut", "l'obéissance", et te signifie simplement "à toi, envers toi" : c'est le datif de "toi".

Namasté signifie donc littéralement "salutation à toi".

Be seeing you - Bonjour chez vous


Alors, ben oui, Namah, vous vous en doutez, provient de *nem-.

Le rapport entre le salut, l'obéissance et "distribuer, répartir, allouer…" ?
S'incliner devant quelqu'un, lui obéir, c'est reconnaître à cette personne ce qu'elle vaut, et lui donner en conséquence (ou encore plus fort, lui rendre) ce qui lui est dû. Eh.

Mais quel respect de l'autre derrière cet usage…!

Namasté


Mais revenons, si vous le voulez bien, au grec ancien :

Un pâturage provenait de la division des terres en champs.
Diviser ? Mais oui, c'est toujours nemein, issu de *nem-.

Le pâturage, c'était nomē.
Et νομάς, nomás, c'était celui qui errait à la recherche d'un… pâturage.

Oui, nous lui devons... nomade !!!


Et puis, bon, je vais quand même en parler...

Probablement par une forme suffixée au timbre o : *nom-eso, notre racine proto-indo-européenne dominicale *nem- nous a donné nombre, numéral, numérique, énumérer, par le latin numerus : le nombre, la division.


Si maintenant nous faisons un pas de recul et contemplons tous ces dérivés antiques de *nem-, nous comprenons mieux la vision du monde qu'avaient les Anciens.

- Uh ??
- Bonjour. Oui, j'explique.

Pour nous,

1 + 1 = 2

On est tous d'accord, hein ?
Ca va de soi non ?

Et pourtant, pour nos lointains ancêtres, additionner de la sorte devait probablement sembler aberrant.

Car "avant tout", il y avait l'Unité. Le Grand TOUT, le UN primordial.
La divinité, quoi, pour les mal-comprenants.

Duquel tout découlait. Tout, tous, toutes en faisaient partie.

Donc, 2 n'était certainement pas l'addition de 1 + 1, totalement impossible, mais bien sa division.
Deux n'était que le fruit de la création, de la division de Un.
Tout comme une cellule, en se divisant, en forme deux.


1 = 2 + 2 



Et nous retrouvons derrière cette vision du nombre la cohérence mathématique que nos ancêtres percevaient dans l'Univers, où tout était à sa place, où, finalement vous receviez ce qui vous était dû - en mal ou en bien.






Bon dimanche à toutes et tous - mais qu'est-ce qu'il fait beau ici, j'espère que vous êtes sous le même soleil !! -, bonne semaine et…

A dimanche prochain !





Frédéric

dimanche 2 juin 2013

d'une main moite, le contrebandier craqua une allumette




vous ne regardez plus jamais une mèche de la même façon
Frédéric Blondieau, in le dimanche indo-européen


Bonjour à toutes et tous!

Après vous avoir proposé un jeu sur la racine *meug- (jouons un peu), puis avoir exploré la racine *meus-, étroitement apparentée à *meug- (de la mousse dans ma moutarde? Mais quel monde!), je vous avais promis de revenir sur *meug- pour en sortir encore quelques surprises…


Eh bien, allons-y!


La racine proto-indo-européenne *meug-, vous le savez déjà, évoquait ce qui était glissant, humide, visqueux, gluant… C'est d'ailleurs en cela qu'elle était proche de *meus- ("humide, mouillé"), qui faisait référence à des terrains marécageux ou à la végétation que l'on pouvait y trouver.

Un exemple clair qui appuie cette relation *meug- / *meus- pourrait être le champignon!
Ou du moins l'étymologie du mot le désignant en grec d'une part, et en anglais de l'autre…




Car *meug- nous a donné le grec μύκης múkês: champignon.
Certes.
Mais de son côté, *meus-, par la voie germanique cette fois, nous a apporté le vieux français meisseron (attesté plus tard, au XIème siècle sous la forme mousseron), ancien mot pour champignon.

Deux hypothèses sur la construction de meisseron ; à vous de choisir:
- Le mot est basé probablement sur le latin médiéval mussiriōnem, musariōnem, accusatif de mussiriō, musariō ("champignon") provenant du français "mousse".
- Il s'est basé directement sur "mousse".

Bah, dans les deux cas, comme nous l'avions déjà vu, "mousse" provient lui du francique ou vieux néerlandais *mosa - la mousse, lui-même basé sur le proto-germanique *musą (mousse, tourbière, marécage).

Et ainsi, par l'anglo-normand musherun, le vieux français meisseron a colonisé l'Angleterre à sa façon, pour devenir en moyen-anglais muscheron, et déboucher sur l'anglais moderne mushroom

Le pauvre mot en vieil anglais qui désignait originellement le champignon, et qui en a fait les frais? swamm

Bon, là je n'en suis pas fier, mais
- je vous jure que c'est vrai -
Marcel Proust aimait s'adonner à la
botanique.

Il aurait pu donc parfaitement écrire
Du côté de chez Swamm.

Pardon.

Et oui, encore une fois: quelle honte, un mot français importé en anglais pour affaiblir cette si belle langue…

Mushroom haircut: la coupe de cheveux
"champignon".
Ca peut être ça...

... ou ça.

Notons enfin que mousseron a été conservé en français moderne, mais pour ne plus désigner qu'un champignon comestible, le tricholome de la Saint-Georges.

Mousseron, ou tricholome de la Saint-Georges

Et pour mes amis Montois,
voici le combat du Tricholome
de la Saint-Georges et du Dragon


Alors, *meug-

Oui bon, on lui doit "moiteur, moite", par le latin mūcidus, moisi, gâté, morveux, créé sur le latin mucus: morve.
Ou encore muqueuse, basé lui aussi sur mucus.

Quant à notre préfixe myxo-, que nous retrouvons par exemple dans myxomatose, il désigne ce qui est "relatif au mucus, à une muqueuse".
Il nous arrive du grec ancien μύξα, mýxa (mucus).

Rien de bien transcendant, j'en conviens…

Même si le terme myxine est construit dessus.

Je ne veux pas faire de mon nez, mais enfin, myxine désigne quand même une des espèces d'animaux chordés crâniates agnathes marins nécrophages.
Ce brave animal, appelé également cochon des profondeurs, ressemble à une anguille gluante, à bouche circulaire entourée de barbillons.

Un spécimen de myxine particulièrement chordé,
très crâniate mais relativement peu agnathe.


Mais bon, je vous avais laissé sous-entendre que *meug- recelait encore quelques surprises…


Le mot qui désignait en grec ancien un lumignon (le bout de la mèche d’une bougie ou d’une lampe allumée), était le même que celui qui désignait le mucus: μύξα, mýxa.
Plus tard, en latin, le mot a été repris sous sa forme originale: myxa.

Curieux, non, cette analogie entre le mucus et le bout d'une mèche?
On suppose que le mot provient d'une image assez euh... parlante, mettant en scène le mucus. Oui, la morve!

Cette image??
Etes-vous VRAIMENT certain(e) de vouloir la visualiser????
Bon, OK, si vous insistez... - mais je vous aurai prévenu(e): "la mèche pendouillant au bec d'une lampe comme de la morve au nez."

Oui, je sais.
Mais je vous l'avais dit.

Et le français mèche, cet assemblage de fils de coton, de chanvre ou autre matière qu’on utilise pour l’éclairage dans les lampes à huile, à pétrole, à essence, nous vient du latin myxa...

Lampe à huile, avec sa mèche bien visible. Beeerk

Encore plus fort?
L'anglais match, l'allumette est calqué sur le vieux français meiche - qui deviendra donc mèche - via une ancienne forme anglaise macche


Uh oh, 27.


Quelque chose de glissant, humide, visqueux, gluant
Ca aurait tendance à vous filer entre les doigts non? Comme une anguille…

Vous devez connaître l'anglais smuggler: le contrebandier.
On parlera également de drug smuggler pour un trafiquant de drogue


Bon blend, pour un bon
whisky-coca

To smuggle nous vient d'une forme précédente smuckle, basée soit sur le néerlandais smokkelen ("faire de la contrebande, passer quelque chose en fraude"), forme fréquentative du moyen néerlandais smūken ("agir en secret, dune façon sournoise"), ou sur le néerlandais, bas saxon ou bas allemand smuggeln, au sens équivalent.
Quoi qu'il en soit, l'ascendance de chacun de ces mots est une source unique: le proto-germanique *smeuganan basé sur notre racine proto-indo-européenne *smeug-.

On retrouve la racine dans pas mal de langues germaniques, avec comme mots apparentés à smuggle (des "cognates" en franglais, de l'anglais cognate, du latin cognatus: apparenté):

  • En frison oriental (le seeltersk, encore appelé saterlandais), parlé en Saterland (Basse-Saxe, Allemagne): smukkeln ("agir insidieusement, faire de la contrebande")
  • En frison, mais occidental cette fois: smokkelje
  • En allemand: schmuggeln 
  • En danois: smugle
  • En suédois: smuggla
  • En islandais, on trouve encore smjúga pour se glisser, pénétrer 
  • En suédois on a encore smyga: ramper, se glisser, voler... 
  • En allemand schmiegen ("se blottir") ...

Frison, très réputé pour sa viande.
Remarquez la crinière frisée






Je vous souhaite à toutes et tous un bon dimanche, une bonne semaine!
Et… à dimanche prochain!







Frédéric

article suivant: Namasté, nomade économe!