- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 26 mai 2013

de la mousse dans ma moutarde? Mais quel monde!


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Dans Sainte-Pélagie, 
Sous ce règne élargie, 
Où, rêveur et pensif, 
Je vis captif,

Pas une herbe ne pousse 
Et pas un brin de mousse 
Le long des murs grillés 
Et frais taillés!

Oiseau qui fends l'espace... 
Et toi, brise, qui passe 
Sur l'étroit horizon 
De la prison,

Dans votre vol superbe, 
Apportez-moi quelque herbe, 
Quelque gramen, mouvant 
Sa tête au vent!

Qu'à mes pieds tourbillonne 
Une feuille d'automne 
Peinte de cent couleurs 
Comme les fleurs!

Pour que mon âme triste 
Sache encor qu'il existe 
Une nature, un Dieu 
Dehors ce lieu,

Faites-moi cette joie, 
Qu'un instant je revoie 
Quelque chose de vert 
Avant l'hiver!

Gérard de Nerval, Petits Châteaux de Bohême, Politique, 1832

Gérard Labrunie, dit de Nerval


Oui, c'est ce qui me vient à l'esprit en cette semaine de réchauffement climatique particulièrement manifeste, où il n'a cessé de pleuvoir, où il a fait moche, triste, et carrément froid.



Bonjour à toutes et tous!


Dimanche dernier, je vous avais proposé un petit jeu, tournant autour de la racine proto-indo-européenne… *meug-.

Cette racine est tellement riche, nous a donné tellement de mots, qu'il me semblait utile de s'y attarder encore, le temps d'un dimanche…

*meug-, donc, qui sémantiquement correspondait, vous vous en souvenez, à "glissant, humide, visqueux, gluant...", se rapporte en fait à la racine proto-indo-européenne ...

*meus- (*meu- chez Pokorny).


Je vous propose donc de regarder plus attentivement cette dernière avant de nous replonger dans *meug-.


Alors, *meus-!
Sa traduction littérale en serait "humide". Ou mouillé.

Elle faisait référence à des terrains marécageux, ou à la végétation qui y poussait.

Marécage

C'est ainsi que nous lui devons… mousse! La mousse, cette plante rase des lieux humides.

Mousse

Même si le latin avait bâti muscus sur la racine, il apparaît que "mousse" ne nous vient pas de là, mais plutôt du francique (ou du vieux néerlandais) *mosa - la mousse, lui-même basé sur le proto-germanique *musą (mousse, tourbière, marécage).

Peut-être connaissez-vous l'anglais quagmire: le bourbier, tant au sens propre qu'au figuré…

Belle voiture dans un beau bourbier

Quagmire est curieusement composé de deux quasi-synonymes:

  • Quag était un vieux mot, à présent obsolète, pour tourbière, ou marécage.
  • Quant à mire - qui existe toujours en tant que tel, il provient du vieux norrois myrr: tourbière, descendant de *meus- par une forme suffixée proto-germanique *meuz-i-.

 
Bon, jusqu'ici, rien de particulier...
Là où vous risquez d'être surpris, c'est quand vous saurez que notre racine proto-indo-européenne *meus- nous a également donné… … …

Moutarde!!

Moutarde à l'ancienne

Eh oui!

En fait, l'ancien français mostarde, que l'on peut décomposer en most-arde dérive, pour sa première partie, du latin mustum: le vin qui n'a pas encore fermenté.
Pour ce qui est de "arde", il provient du latin ardens: brûlant, enflammé, qui nous a bien évidemment donné ardent, ardeur

Sur mustum nous avons créé … le moût! Le jus (de raisins ou non) non fermenté.

Cuve à moût dans une distillerie de whisky

La moutarde, c'était donc le moût ardent!

Du côté de 1223, Gautier de Coinci, moine bénédictin et trouvère à ses heures, nous précise, dans "Les Myracles Nostre Dame" qu'il rédigea entre 1214 et 1236, et tant qu'à faire, en vers octosyllabiques à rimes plates, que la moutarde est un "condiment préparé avec des graines de moutarde pilées, additionnées d'aromates et délayées avec du moût".
(Ici, j'en suis fort marri, point de vers octosyllabiques à rimes plates; il s'agit du texte de la version traduite en français moderne, publiée par Vernon Frédéric Koenig à Genève)

Gautier de Coinci

Les Myracles Nostre Dame (merci Gallica!!)


- Bon alors, deux choses: 1. tu te fous de ma balle avec tes rimes plates, et 2. 'y a aucun rapport entre du moût et un lieu ou une plante humide. Encore une fois: du grand n'importe quoi. Pauv' taré.
- Ah, bonjour, vous voilà enfin!!

Eh bien, sans rire, les rimes plates sont tout simplement des rimes qui se suivent par groupe de deux, sous la forme AABB.
Un exemple? Mais Politique, le poème de Gérard de Nerval en exergue!

Prenons cet extrait où il nous parle de... mousse...!!
Pas une herbe ne pousse - "ousse": rime A 
Et pas un brin de mousse - "ousse": rime A 
Le long des murs grillés - "illés": rime B
Et frais taillés! - "illés": rime B

Pour ce qui est de moût et de son rapport avec la notion d'humidité, j'en conviens, ce n'est pas très clair.
Mais ça le sera peut-être un peu plus quand vous saurez que si le latin mustum désigne "le vin qui n'a pas encore fermenté" c'est parce qu'en réalité, il désigne le NOUVEAU vin.
Mustum étant le neutre substantivé de mustus: "nouveau-né, nouveau".

Le rapport??

Mais pardi, le (tout) nouveau-né se présente à nous, par la force des choses, tout mouillé.

Je le reconnais, ça paraît tiré par les cheveux (ou par les forceps), mais c'est bien comme cela que l'on explique le lien…
Au sens littéral, on pense même - mais sans certitude absolue - que mustus signifiait "mouillé".

On pourrait peut-être trouver un certain parallélisme, une analogie - oh, qui vaut ce qu'elle vaut - avec notre façon de confondre "récent" et "frais" dans des expressions comme: "fraîchement arrivé" ou "des nouvelles fraîches"…
Oui, ce qui est frais est un peu froid, certes, mais aussi humide

Pour ce qui est de l'ascendance précise de mustus, le terme nous arrive d'une forme suffixée de la racine proto-indo-européenne *meus- au degré zéro: *mus-to-.

Je m'avancerais bien en supposant que "moutard" pourrait venir de là, car le mot désigne bien un jeune enfant…
D'autant que mieux moutard que jamais.
Mais rien n'est moins sûr…


Mais bon, c'est pas tout.

Car *meus- nous a aussi légué…

saumure:
Du latin sal muria: sal étant le sel, et muria, dérivé de *meus-, l'eau salée (oui, je sais, ça fait beaucoup de sel, mais bon, c'est comme ça. Au moins, de la sorte, on savait que l'eau était vraiment salée. Mais alors salée).
Non mais allo quoi, tu parles d'eau salée, et tu ne mets pas de sel dedans?

Le latin sal muria est apparenté au grec ancien ἁλμυοίς, halmuoís (sa traduction? ben: "saumure") où hal est bien sal: le sel, et muoís, lui aussi dérivé de *meus- correspond à muria.

Bain de saumure


Mais *meus- nous a surtout légué…

...par le latin mundus

...le monde!!

 


Singulier, étonnant, surprenant, déconcertant, décoiffant, suffocant, bluffant?

Oui, je sais.

Monde nous arrive du latin mundus, substantif dérivé de l'adjectif euh... mundus, construit sur le proto-indo-européen *meus-.

- Mais je??
- Oui, alors, j'explique:

*meus- signifiait notamment humide, mouillé.

De l'idée de "mouillé", on est vite passé à l'état de ce qui a été mouillé: "lavé".
Et ce qui est lavé est donc … propre, net.

Et oui, le monde, étymologiquement, c'est ce qui est propre, ce qui est net.
Contrairement à euh... ce qui ne l'est pas.

Si cette étymologie de monde ne vous parle pas, pensez simplement à son contraire étymologico-sémantique - peut-on vraiment le qualifier d'antonyme?: "immonde", qui, lui, conserve toujours bien le sens de sale, beeeerk, dégoûtant, répugnant…!

Nous retrouvons d'ailleurs la racine *meus- derrière les termes tchèques mýt ("laver") et u-mytý ("lavé, propre").

Et pour le plaisir - car étymologiquement, le mot n'a strictement aucun rapport, sachez que cosmos, basé sur le grec ancien κόσμος, kósmos, reprend aussi cette idée de "netteté"…

Le Cosmodrome de Baïkonour

Il signifie l'ordre, mais aussi, d'une certaine façon, l'ordonnancement, le fait d'arranger, d'organiser, d'apprêter, de parer dans le sens de décorer.
D'où le fameux dérivé... cosmétique! Du grec κοσμητικός, kosmêtikós ("décoratif, ordonné").

Pour les Anciens, l'Ordre et la Beauté présidaient au Monde, à l'Univers...



Bon, là, on a franchement fait le tour de *meus-.


Square de Meeûs, à Bruxelles: on peut aussi en faire le tour


L'auriez-vous cru, que saumure, monde, moût et moutarde soient de si proches cousins?


Revenons à présent à *meug- pour d'autres découvertes encore plus surprenantes…

Quoique… Finalement…

Je préfère laisser ces pures merveilles encore enfouies et intouchées jusqu'à dimanche prochain!
Là, oui, vous saurez TOUT!






A toutes et tous, je vous souhaite un excellent dimanche, une très très bonne semaine, et…

A dimanche prochain!





(Vernon) Frédéric


dimanche 19 mai 2013

jouons un peu


article précédent: Cerbère, zibeline et héraldique



Bonjour à toutes et tous !


En ce beau (?) dimanche, je vous propose de jouer à un petit jeu…


Trouvez le mot qui permettrait de relier,
par les racines proto-indo-européennes,
"(se) moucher" et "intervalle".


se moucher, c'est ça

des intervalles, c'est par exemple ça


Il nous faudra en fait rechercher les racines proto-indo-européennes qui se cachent derrière l'un et l'autre de ces mots, et ensuite trouver un troisième mot qui combinera, lui, les DEUX racines trouvées.

Suis-je clair ?



Commençons par l'étymologie de "intervalle".

Intervalle nous vient du latin intervallum, littéralement: ben, intervalle.

Le mot est composé de inter, et de vallum.

"Inter" qui vous le savez, signifie "entre", provient du latin intrā : "à l'intérieur".
Et intrā, oui, provient d'une racine proto-indo-européenne, et plus précisément d'une forme suffixée de la racine *en- ("en", "in", "dans") :

*en-t(e)ro-


Saint-Malo Intra-Muros


Mais en l'occurrence, ce n'est pas cette racine-là, fort commune, qui nous intéresse, mais bien celle qui se cache derrière vallum.

Vallum, c'était … la palissade !



Le mot venant de vallus : le pieu ; la palissade étant simplement une succession de pieux.
Et donc, on peut comprendre qu'originellement, l'intervalle désignait l'espace ouvert au milieu d'un camp entouré d'une palissade ou encore l'espace entre deux palissades.

Mais surtout! Vallus provient d'une racine proto-indo-européenne:

*walso-

*walso-, c'était déjà le pieu, le piquet.

En anglais, la racine a donné … wall! Le mur, la paroi.

Evidemment



Retenez donc, pour notre petit jeu: *walso-


Et passons maintenant au deuxième mot de départ: "(se) moucher".

"Moucher" provient quant à lui du latin tardif mucco - muccare, dérivé de muccus: la morve. (oui, désolé. Mais au moins, je ne mettrai pas de photo)

Muccus n'est qu'une variante du plus classique mucus. Qui nous a été transmis comme tel: mucus.

Et, évidemment, mucus est construit sur une racine proto-indo-européenne:

*meug-

Ses différents signifiés? Glissant, humide, visqueux, gluant. Ce genre de choses…

C'est plus précisément une variante de cette racine, *meuk-, qui a permis de créer le latin mucus.



Alors, voilà.

Vous avez à présent à votre disposition deux racines:


  1. *walso- le pieu, et
  2. *meug- humide, gluant… … …



Quel pourrait être le mot - français - qui serait basé sur ces DEUX racines ????

(et je le précise en me relisant, il n'y a RIEN de sexuel dans ce mot, ou alors il faut VRAIMENT être pervers.)


Mmmmmmmmh ?


Je vous laisse un peu chercher ??














Allez, un petit indice :


  • Dans ce mot, composé de deux parties, la première est basée sur *meug-, et donc, forcément, la deuxième l'est sur *walso-.


Encore un indice? Ou l'autre?


  • Le mot nous vient du latin, mais par le grec.
  • La deuxième partie du mot provient de *walso- par une ancienne forme grecque *walsos, qui s'est altérée par la suite en *hālos.
  • Et *hālos est devenu… hēlos.
  • De "pieu", la signification du mot en grec est passée à "clou", "vis". Voire "verrue" ! 

  • C'est une forme au degré zéro de la variante *meuk- que l'on retrouve à l'origine de la première partie du mot: *muk-.



Alors, dites-moi ?

"Mukhelos", ou quelque chose d'approchant, qui s'étire comme une succession de clous, qui s'accroche comme un clou en tout cas, et qui est aussi un peu gluant, ou humide


Non ?
Continuons...


  • Ce mot fait référence à la partie végétative d'un organisme.
  • Et le mot qui désigne l'étude de ces organismes commence par la même racine grecque.
  • Ces organismes, on les mange! 
  • Enfin, pas tous!!!
  • Sans eux, les Schtroumpfs logeraient à la belle étoile…

Très ressemblant.
Vraiment.


Oui?

Il s'agit bien des champignons.



Dont l'étude est la... mycologie.

Et donc,
Quelle en est la partie végétative, en quelque sorte leurs racines?


Le mycélium !

Mycélium


Eh oui, le mycélium, partie végétative des champignons ou de certaines bactéries filamenteuses.
Il est composé d'un ensemble de filaments, plus ou moins ramifiés, appelés hyphes, que l'on trouve dans le sol ou le substrat de culture.


Bravo !!


Et par là même, je réponds à une suggestion d'un internaute qui me fait l'honneur de suivre le blog, et qui se reconnaîtra !


Je vous le dis tout de suite, la racine proto-indo-européenne *meug- à l'origine du mot est particulièrement prolifique.

Et ses nombreux dérivés sont parfois vraiment surprenants…


Mais bon, ça ce sera pour la prochaine fois!





Bon dimanche, bonne semaine à toutes et tous, et…
… A dimanche prochain !


Miss Hélium




Frédéric

dimanche 12 mai 2013

Cerbère, zibeline et héraldique




J'avais dessiné, sur le sable, son doux visage, qui me souriait...
... et j'ai crié: Zibeline!


Christophe (& Fred)

Bonjour à toutes et tous!


Le sujet de ce dimanche m'a été soufflé par un collègue, qui venait de lire Aux Canaries, par cette canicule? Quel cynisme, gros canaillou! - Pascal si tu me lis! - et qui me fit remarquer que je n'avais peut-être pas épuisé le sujet...


En évoquant, au sortir d'une réunion,  d'autres chiens célèbres, en me lançant Cúchulainn en pleine figure, et en mentionnant également au passage … Cerbère!


Alors, Cúchulainn!
Oui, bien sûr!

Si vous avez lu le dimanche consacré au chien, vous pouvez déjà traduire le mot!
Cú Chulainn, également écrit Cú Chulaind ou Cúchulainn, c'est le : le chien … de Culann.

Fastoche le vieil irlandais!

A la prononciation, ça donne quelque chose comme cuchulann, le ch central se prononçant comme dans l'écossais loch.

Culann était, dans le Táin_Bó_Cúailnge, cycle ulstérien d'histoires héroïques protohistorique, un forgeron dont la maison était gardée par un chien particulièrement puissant et féroce.

Culann invita un jour chez lui Conchobar mac Nessa, le roi de l'Ulster.
Et avant de relâcher le chien de garde, il lui demanda s'il n'y a plus personne à attendre.
Le bon roi, un peu distrait, oublie que son neveu de cinq ans, Sétanta, doit aussi arriver.

Quand Sétanta débarque, le chien se précipite dessus, et le pauvre Sétanta n'a pas d'autre choix que de  tuer le molosse, à contre-coeur, pour se défendre.
Le pauvre enfant, dépité, propose alors au forgeron de prendre la place de son chien en attendant qu'il en trouve un autre.

C'est ainsi que Sétanta devint, pour un temps, le chien de Culann, Cú Chulainn.

Et Cú Chulainn, le prototype même du héros mythologique irlandais, va ensuite connaître une vie assez bien remplie et mouvementée...

Cú Chulainn au combat


Mais parlons plutôt de Cerbère!
Cerbère, vous le savez, était ce monstrueux chien à trois têtes (voire plus) qui gardait l'entrée des Enfers…

Cerbère

Cerbère nous vient du latin Cerberus, lui-même repris du grec ancien Κέρβερος, Kérberos.

Et selon Pokorny, Kérberos est dérivé de la racine proto-indo-européenne…

*k̂erbero-

Ici, pas de notion de monstre, d'enfer, de gardien
Loin de là...
Non, *k̂erbero- évoque simplement une couleur! Ou plutôt un jeu de couleurs...

*k̂erbero- désignait plutôt ce qui était tacheté, moucheté, ou encore bigarré, panaché


Dans la mythologie védique - précisément dans les Purana - on raconte que le premier homme, passé de l'autre côté, devint Yama, le gardien des Enfers.

Yama

Il avait deux chiens à quatre yeux pour l'aider dans sa tâche: Syama le noir et … Sarvarā (ou Sabala, ou Cerbura): le tacheté

Nous retrouvons évidemment la racine *k̂erbero- derrière Sarvarā, d'autant qu'il s'agit clairement du même animal symbolique que le Kérberos des Grecs…


Mais la racine proto-indo-européenne *k̂erbero- nous a quand même donné autre chose que le nom d'un chien gardant les enfers…

Preuve en est le vieux slavon sobolь qui désignait la zibeline à la fourrure noire.
Qui a donné le russe соболь (sobol) ou le tchèque sobol.

On peut encore citer l'allemand Zobel, qui, NON, ne désigne pas un prix Nobel pour acteurs du X, mais bien la martre noire, emprunté au slavon sobolь via le vieux haut allemand sabel.


Zibeline!
Le mot, attesté en 1534, apparait comme substantif sous la plume de Rabelais, et est un de ces italianismes typiques de la Renaissance, croisant l’italien zibellino et le moyen français sabeline ("fourrure, peau de zibeline")…

Zibeline (Martes zibellina)

Et puis, il y a le terme sable, utilisé en héraldique.
Le sable est un émail héraldique de couleur noire.
En représentation monochrome, il est symbolisé par un quadrillage de hachures horizontales et verticales.

sable
Le plus souvent, le sable est symboliquement associé à l'humilité, la prudence, la sagesse et la retenue, ou parfois à la tristesse, la lâcheté ou le désespoir.

Le mot sable provient du vieux haut allemand sabel.
Emprunté donc au vieux slavon sobolь. 'Faut suivre.

A l'entrée sable dans le wiktionary, nous apprenons que le commerce de la fourrure entre le nord de la Russie, la Sibérie vers l’Europe occidentale se faisait dès le haut Moyen Âge, par la Baltique et l’Allemagne.
Et que l’emploi du mot en héraldique s’explique par le fait que les boucliers, les écus étaient recouverts de fourrures de diverses couleurs.


Surprenant, non, le parcours de cette racine *k̂erbero-, qui a permis de désigner autant le chien des Enfers qu'une couleur d'héraldique…


Enfin, je ne terminerai pas ce sujet sans avoir mentionné Kerberos, le protocole d'authentification d'utilisateurs sur réseau informatique, bien connu de la faune IT dont je fais partie, et qui, quand il ne s'applique pas correctement, vous fait vivre un véritable enfer...


- Ouais mais oh! Et sable alors? Le VRAI sable, le sable de la plage??
- Ah mais bonjour! Oui, je vais bien, merci.

"Sable" dans cette acception plus courante, n'a absolument RIEN à voir - mais alors: RIEN - avec le sable héraldique, et nous arrive du latin sabulum ("sable, gravier") qui s’est syncopé en sablum.

Le latin sabulum provenait, lui, du grec psamathos, sable, dérivé de ...

la racine proto-indo-européenne... 

*bhes-1

qui évoque, elle, l'idée de "frotter", de "réduire en poudre", et qui nous a également apporté sand en anglais, ἄμαθος, hamathos en grec ancien, etc.





Bon dimanche, bonne semaine à toutes et tous, et…

A dimanche prochain!





Frédéric

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dimanche 5 mai 2013

enfin serein, avec cet élixir contre le phylloxera...




Bonjour à  tous !


Dimanche dernier - Aux Canaries, par cette canicule ? Quel cynisme, gros canaillou ! -, nous avions parlé du chien, et avions mentionné l'étoile alpha de la constellation du Grand Chien : Sirius.


Comme dans les journaux lus par Harry Potter :
les images prennent vie...
Voici le Grand Chien. Sirius correspond à son collier


C't'un drôle de nom, hein, "Sirius"…
Ca donne envie de creuser, d'en savoir un peu plus...


Alors voilà, en ce premier dimanche du joli moi de mai, un sujet sur Sirius.


Et d'ailleurs, dans Harry Potter,
Sirius Black est capable de se
transformer en ...
grand chien noir.


Bon, Sirius, je ne vous l'apprendrai pas, provient du latin… Sirius.
En fait, Sīrius.

Et le latin Sīrius s'est calqué sur le grec ancien Σείριος, Seírios.

Seírios peut se traduire par "ardent", "qui roussit".  Ou encore "torride", "qui brûle"…

Ce qui correspond très bien à l'idée que s'en faisaient les anciens, pour qui l'étoile était plutôt
- voire franchement -
destructrice, porteuse de la canicule, de sécheresse. Sirius la petite chienne : Canicula.


Ce bon Pline l'ancien nous en disait, dans son Histoire naturelle, livre II (de 37 !) :
"Quant à la Canicule, qui ignore que, se levant, elle allume l'ardeur du soleil ? Les effets de cet astre sont les plus puissants sur la terre : les mers bouillonnent à son lever, les vins fermentent dans les celliers, les eaux stagnantes s'agitent. Les Égyptiens donnent le nom d'oryx à un animal qui, disent-ils, se tient en face de cette étoile à son lever, fixe ses regards sur elle, et l'adore, pour ainsi dire, en éternuant. Les chiens aussi sont plus exposés à la rage durant tout cet intervalle de temps; cela ne fait aucun doute."
Pline l'Ancien...

...et sa Naturalis Historia


Oryx


Et puis, n'oublions pas, Sirius, c'est aussi le nom du chalutier à bord duquel le capitaine Haddock part à la recherche du trésor de Rackham le Rouge. 
 Le chalutier appartient au capitaine Chester, rencontré en Islande, dans L'Étoile mystérieuse...

Tintin et le Sirius
Wikipedia nous raconte encore que le Sirius du Capitaine Chester est inspiré d'un chalutier armé à Ostende, le O.88 John. Ce chalutier, construit en 1938 par le chantier naval "Boel et fils" à Temse (Tamise), appartenait à la "compagnie des pêcheries à vapeur".

Le Sirius, le vrai. Le O-88 John.


A partir d'ici, deux hypothèses en présence ; à vous de choisir.

Première option :

Seírios provient de la ...
racine proto-indo-européenne...

*saus- : sec.

Qui nous a également donné le hareng saur. Au sens de desséché, le hareng.
En wallon, on l'appelle sorèt.

J'ADORE le sorèt !!!

Saur nous vient de l'ancien français sor : rouge-brun, ou jaune-brun, lui-même dérivé du francique *saur : sec, reçu du proto-indo-européen *saus- par l'intermédiaire du germanique *sauza.

Curieux, non, que sor ait désigné une couleur ?
Selon Littré, sor / saur indique toujours une couleur jaune qui tire sur le brun ; ce terme ne s'utilise habituellement que pour ce type de hareng dont la peau, initialement d'un bleu profond, se dore sous l'effet du fumage (...).

Une forme suffixée de la racine, *saus-t-, a donné le grec austēros : rude, sévère, austère... dont nous avons évidemment tiré austère.


Et maintenant, la...
deuxième option, à qui va ma préférence, malgré mon goût prononcé pour le sorèt...:

Seírios est apparenté au grec ancien ξηρός, ksēros sec.

Et, forcément, ksēros nous arrive tout droit d'une…

… racine proto-indo-européenne:

*ksero-

Sens véhiculé ?

idem… "sec".


Vous prenez la racine, vous l'étirez quelque peu en rallongeant le e en ē - pour donc obtenir *ksēro-, et après avoir patienté quelques siècles, vous obtenez le grec ancien ξηρός, ksēros.


Nous devons à *ksero-, via *ksēro- et ξηρός ksēros quelques dérivés peu ou bien connus :

  • La xérodermie est un terme médical utilisé en dermatologie, qui décrit une pathologie de la peau se caractérisant par une sécheresse excessive.
  • La xérographie - dont Xerox a ... copié le nom, qui est un procédé d'impression à sec.
  • "Xérophile" se dit de végétaux vivant dans des milieux très pauvres en eau.
  • La xérophyte est quant à elle une plante adaptée aux milieux... secs.

Xerox

Et puis, il y a plein de mots médicaux plus déprimants les uns que les autres commençant par xéro- dont je vous ferai grâce…

Il y a aussi...
Le phylloxera (ou phylloxéra), cette abominable maladie qui, littéralement, dessèche les feuilles de la vigne; mot composé de phyllo- (du grec ancien φύλλον, phýllon: "feuille"), et de ξερός, xerós.

Ce mot en latin scientifique est très récent, datant de la seconde moitié du XIXème siècle; il fut créé par le botaniste français Jules Émile Planchon, qui parlait précisément de Phylloxera vastatrix.

Jules Emile Planchon


Là où je vais peut-être vous surprendre, c'est juste là, maintenant :

Elixir.

Le mot Elixir

- Ben i' vient d'l'arabe évidemment, tout le monde sait ça ! Comme Alchimie, Alhambra, alezan, Alcantara
- Ah bonjour ! Euh oui, c'est exact, mais enfin, pas exactement.

Elixir, qui désigne la fameuse Pierre philosophale, le but ultime de la recherche alchimique, provient du latin elixir, emprunté à l’arabe ibérique médiéval إكسير (al-) iksīr : "pierre philosophale".

Certes.

Mais l'arabe (al-) ’iksīr vient lui-même de la juxtaposition de l’article défini arabe ال, āl ("le, la") avec le grec ancien…  ξηρίον, xêríon, qui désignait de la poudre siccative à mettre sur les blessures, dérivé évident et direct de… ξηρός, xêrós : "sec".

Dans Elixir, il n'y a que le El qui est d'origine arabe.

Eh oui!

Johann Kunckel,
Laboratorium Chymicum, Leipzig, 1716,
ou Comment réussir sa couverture.
Curieux, le bouquin ne s'est jamais vendu


- Tiens, et comment est-on passé - me direz vous - avec élixir, d'une pierre - sèche - à quelque chose de liquide ?
Bah, parce que l'élixir, c'est le principe le plus pur que l'on peut extraire d'un corps, d'une substance. C'est en ce sens qu'il peut s'appliquer aussi bien à un sirop, à une décoction...


Enfin, on suppose que c'est sur une variante suffixée de la racine *ksero-: *kseres-no- que s'est souché le latin serēnus, dont nous avons tiré "serein".

A l'origine, le mot signifiait "sans nuages". Il s'appliquait donc au ciel.
Plus tard, par extension, il a fini par signifier "calme", "paisible".


Eh bien, c'est un dimanche serein, sous un ciel sans nuages, que je vous souhaite !


Ciel sans nuages




Bon dimanche, bonne semaine à tous, et…


A dimanche prochain !





Frédéric