- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 29 juin 2014

"C'est à cause de mes végétations" s'expliquait le vigile supposé veiller, surpris en train de ronfler





« La vigilance est le chemin du royaume immortel. 
La négligence celui qui conduit à la mort. »

Bouddha ("l'Eveillé")



Bonjour à toutes et tous!

Ce dimanche sera - déjà - le cinquième de notre série Magie et magiciens.


Après nous être intéressés à l’anglais witch - la sorcière - et avoir découvert la racine proto-indo-européenne qui se cachait derrière:

*weg-2être fort, être vif, animé”, 

poursuivons sur cette racine avec une série de mots dérivés, essentiellement français cette fois, dont vous me direz des nouvelles…


Go go go!

Une forme de notre racine *weg-2 au timbre o suffixée: *wog-eyo- a donné le latin vegeō, vegēre qui signifiait exciter, animer, ou encore, en tant que verbe intransitif: être vif, plein d’entrain, ardent

Même si à présent nous emploierions plus volontiers végéter en parlant de certains de nos frères humains fainéants ou glandeurs qui se contentent de vivre d’une façon assez passive (mais de suivre la coupe du monde, quand même, hein - comme quoi rien n’est ni tout noir, ni tout blanc), tous ces mots comme végétal, végéter, végétation nous arrivent de ce vegeō ardent, plein d'ardeur!

Car ne l’oublions pas, la végétation c’est littéralement ce qui pousse, qui croît, qui se développe, plein de vie.
Le monde végétal est la première manifestation de “vie animée” sur la planète…

Végétation


Pour en rester à ceux qui végètent, que nous qualifions parfois tendrement de légumes, l’anglais vegetable vient également de là, de vegeō, désignant les légumes, mais aussi, d’une façon plus générale, toutes les plantes.





Soit dit en passant, on a donc bien une seule et même racine, unique, derrière des mots comme witch, bivouac et végétation
Et ce n’est pas fini…


Car une autre forme suffixée de *weg-2, *weg-ē-, allait quant à elle se dériver dans le latin vigeō, vigēre (avec un i cette fois).
Qui signifiait “être en force, en vigueur, être bien vivant, en activité, épanoui, prospère, ou même estimé, honoré…” Enfin, ce genre de choses.

Vous voyez ce que je veux dire.
Et vous voyez probablement je veux en venir…

Eh oui: nos français vigueur, vigoureux, ou revigorer en dérivent!

Ravigoter?
OUI! On suppose qu’il s’agit là d’une altération de notre ancien ravigorer (redonner vigueur), remplacé par (ou dérivé en) notre actuel revigorer.


Mais bon, c’est pas fini, on n’a pas encore épuisé le sujet.

Car notre bonne *weg-2, par l’intermédiaire d’une forme suffixée *weg-(e)li-, figure à nouveau à la source d’un autre mot latin: … vĭgĭl!
Ben oui, vĭgĭl: vigilant, qui veille, qui ne dort pas.

Et forcément, du latin vĭgĭl nous avons tiré…
vigile, vigilant, vigilance…

Admirez comme nous retrouvons ici les sens déjà évoqués de veille, ou d’attente, propres aux dérivés anglais de *weg-2 que sont watch et wait… (relisez éventuellement l’article précédent!)

Tout en vous disant qu’on y retrouve tout autant le sens de “être vif, animé”…

- Comment ça??
- Mais oui, être vigilant, n’est-ce pas aussi ... être sur le qui-vive!?


Office du vigile


Les vigiles désignent également l’office catholique destiné à sanctifier le temps de la nuit ; initialement il était chanté à la fin de la nuit, et sans Rottweiler.


Office des vigiles


Mais de vĭgĭl, et plus précisément du substantif vigiliaveille, insomnie ; garde de nuit ») qui en est issu, nous avons encore hérité de …

Veille!

Un mot simple et pourtant très riche, qui reprend l’idée de ne pas dormir, de garder, de surveiller
Dans son sillage, nous avons aussi tous ces dérivés: réveil, réveillé, ou surveiller, surveillant, surveillance...


Le célébrissime radio-réveil dans "A Groundhog day",
("Un jour sans fin"),  extraordinaire film de Harold Ramis,
avec Bill Murray que j'adore, 1993

Et - évidemment - I Got You Babe, par
Sony & Cher, ici dans un clip très décontracté
où les Stones themselves s'en donnent à coeur joie...
(peut-être un peu stones d'ailleurs)

(Comment ça, le rapport avec A Groundhod day?? 
Mais alors vous DEVEZ voir ce film!)



Vraiment un très très très chouette film...


Mais revenons-en à vĭgĭl. A qui nous devons aussi...

Vedette!

Oui, vedette serait lui aussi un lointain descendant de *weg-2!
Serait, car deux étymologies sont en lice:

  • Selon la première, le français vedette, désignant à l’origine une sentinelle à cheval, placée en avant-poste - on est fin du XVIIème - provient du florentin vedettatour de garde” qui dériverait probablement de vedere: voir, donc du latin videre, de même sens.
  • Mais selon la seconde, pour laquelle je pencherais plus volontiers, notre vedette est une altération de l’italien méridional veletta, qui lui serait probablement basé sur l’espagnol velar: veiller.


Bon, comm’ d’hab, vous choisissez!


Ford Vedette berline


Allez, encore une petite famille de mots dérivés de *weg-2:

C’est toujours ici une forme suffixée de *weg-2 qui en est à l’origine: *weg-slo-.

Devinez-vous le mot latin qui allait en découler?
Honnêtement ce n’est pas si facile…

Ce mot latin, le voici:

Vēlōx: prompt, rapide, véloce évidemment, “animé

Alors, OUI, l’étymologie classique nous fait associer vēlōx à volō, “je vole”.

Ouuuuuuais

Mais bon, pour moi et surtout pour de très nombreux linguistes spécialisés en proto-indo-européen, ça ne fait pas de doute, le latin vēlōx vient bien de *weg-2.

De vēlōx, hormis véloce, nous avons hérité de vélocité, et vélocipède, dont vélo est l’apocope.

Le composé vélocipède (vēlōx et -pède, de pes le pied) date de 1804, et se comprendrait comme: « aux pieds rapides ».
Au départ, le vélo ne possédait pas de pédales; on se déplaçait par la pression des pieds sur le sol.


Draisine, vélocipède des années 1820


Le vélocifère ("qui transporte rapidement") était lui une ancienne voiture publique légère et rapide, attelée à des chevaux.

Quant au vélociraptor, "le voleur rapide", avant de manger de l'humain dans le Jurassik Park de Michael Crichton, 1990, il vivait à la fin du Crétacé, entre 80 et 70 millions d'années avant notre ère.


Squelette de vélociraptor



Pas mal non, pour une si petite, si gentille racine, de nous avoir ainsi donné witch, wait, watch, bivouac, guetter, mais aussi végétal, vigueur, veiller, vedette, vélo, et j’en passe!


Ah! Et en plus, j’allais oublier!

Au cas où vous imagineriez que seul le latin a permis à notre *weg-2 toute minouche de subsister jusqu’à nous, sachez quand même que nous la retrouvons dans…

  • l’allemand Wecker: le réveil (entendez l’alarme)
  • le vieux norois vaka: regarder, surveiller, être/resté éveillé
  • le danois vågne: se réveiller

ou encore, soyons fou,

  • le sanscrit वाज, vājavigueur »)




À toutes et tous, je vous souhaite un excellent dimanche, et une TRÈS bonne semaine!

À dimanche prochain!



Frédéric

dimanche 22 juin 2014

three witches watch three Swatch watches





  • Sir Bedevere: There are ways of telling whether she is a witch.
  • Peasant 1: Are there? Oh well, tell us.
  • Sir Bedevere: Tell me. What do you do with witches?
  • Peasant 1: Burn them.
  • Sir Bedevere: And what do you burn, apart from witches?
  • Peasant 1: More witches.
  • Peasant 2: Wood.
  • Sir Bedevere: Good. Now, why do witches burn?
  • Peasant 3: ...because they're made of... wood?
  • Sir Bedevere: Good. So how do you tell whether she is made of wood?
  • Peasant 1: Build a bridge out of her.
  • Sir Bedevere: But can you not also build bridges out of stone?
  • Peasant 1: Oh yeah.
  • Sir Bedevere: Does wood sink in water?
  • Peasant 1: No, no, it floats!... It floats! Throw her into the pond!
  • Sir Bedevere: No, no. What else floats in water?
  • Peasant 1: Bread.
  • Peasant 2: Apples.
  • Peasant 3: Very small rocks.
  • Peasant 1: Cider.
  • Peasant 2: Gravy.
  • Peasant 3: Cherries.
  • Peasant 1: Mud.
  • Peasant 2: Churches.
  • Peasant 3: Lead! Lead!
  • King Arthur: A Duck.
  • Sir Bedevere: ...Exactly. So, logically...
  • Peasant 1: If she weighed the same as a duck... she's made of wood.
  • Sir Bedevere: And therefore...
  • Peasant 2: ...A witch!
Extrait de Monty Python and the Holy Grail (1975)



Bonjour à toutes et tous!


Oui, on attaque maintenant le quatrième dimanche de notre série Magie et magiciens.


Nous avons déjà abordé les mots

mage (magique, magie …)

et

sort (sorcier, sortilège …).


Passons à présent à un mot anglais que je ne peux m’empêcher de traiter, au vu de mon inconditionnel attachement à l’oeuvre de Monty Python ; j'ai nommé: witch!


 - les articles précédents de cette série? Mais les voici: -
le mage qui roulait des mécaniquesles sorties du Prince consort et Saint Augustin et Lawrence d'Arabie étaient tous deux très assertifs


A witch!



Witch, vous le savez certainement, c’est la sorcière.

- Quoi, un mot anglais???
- Oui!
Et comme d’habitude, vous allez découvrir des liens insoupçonnés entre l’anglais witch et quelques autres mots anglais, mais aussi bien français!

Esbaudis que vous serez!


Mais bon, commençons par witch et son étymologie.



Witch” provient du vieil anglais wicce - la sorcière / wicca - le sorcier.

Jusque là, tout le monde est d’accord!

Et puis, ça se complique

Pour certains - qui ne se mouillent pas trop - l’origine du mot est incertaine, voire inconnue.
D’autres parlent encore d’une origine proto-indo-européenne - c’est déjà ça - basée sur des racines signifiant “savoir”, ou “sage”, “séparer, diviser”, ou “consacré, saint”.

Mooooouais.
Mais bon, pourquoi pas!

Mais bof.

Moi, de mon côté, je me baserai, comme souvent, sur les recherches de Pokorny, qu'en l'occurrence Watkins n’hésite pas à valider.
(Sans Watkins, sachez-le, il n'y aurait probablement pas de dimanche indo-européen...)

Pour Pokorny et Watkins, le mot provient d’une racine proto-indo-européenne dont le champ sémantique serait “être fort, être vif, animé”.

Et pour Watkins, la retranscription de la racine en question, ça donne …

*weg-2


C’est une forme suffixée de cette racine, *weg-yo- qui serait à l’origine de wicce / wicca, via le germanique *wikkjaz: nécromancier! 
Celui qui rend vif, qui ré-anime ; en d’autres termes, qui réveille les morts!

(La nécromancie désignant l’interrogation, dans un but de divination, des personnes décédées qui sont censées survivre et communiquer avec les vivants.)

D'ailleurs, dans la Bible hébraïque (premier livre de Samuel, chapitre 28:3–25), la Sorcière d'Endor est une femme qui possède un talisman avec lequel elle appelle le fantôme du prophète Samuel récemment décédé, à la demande de Saül, roi d'Israël.

Le pauvre roi Saül voulait demander un dernier conseil à Samuel, ne supportant plus tous ces "Saül, qui rit quand on l'enc*" et autres sobriquets infamants dont l'affublaient ces abrutis de Philistins.

La légende raconte que le prophète Samuel, depuis l'Au-delà, lui aurait alors recommandé de systématiquement appeler les Philistins des Syphilistins, et d'ordonner à tous les courtisans et notables de faire de même.
Outre le fait que désormais Saül devait se tenir les côtes chaque fois qu'il croisait un de ces malpolis, et que le palais entier riait à se pisser dessus de la déconvenue des Philistins - qui l'avaient bien cherché - ces derniers comprirent enfin qu'il ne fallait pas trop se jouer d'un roi d'Israël.

(Ca aurait été franchement plus marrant comme ça, mais non: Samuel va selon la Bible refuser de donner un conseil, mais annoncera à Saül sa chute imminente, entraînant celle de sa dynastie).

Saul and the Witch of Endor, par
Washington Allston (1779–1843)




Comme je vous le disais, cette racine *weg-2 s’est dérivée dans bien d’autres mots anglais.
Comme par exemple le vieil anglais wiċċa le sorcier, à l’origine de la dénomination de cette religion néo-païenne qu’est la Wicca, ou Wica.

Wicca


Toujours basé sur le vieil anglais wiċċa, nous avons encore wicked.
A l’origine une forme adjectivale du substantif wiċċa.

A présent, wicked signifie toujours malfaisant, maléfique, mais c’est surtout dans son acception argotique de “génial”, “super”, “cool”, “trop fort” qu’il est employé ; les gosses en usent et abusent.

Bewitch? Ensorceler!
Jeter un sort à quelqu’un, ou plus simplement - et communément - envoûter!

Ma Sorcière Bien-Aimée!
Tout le monde ou presque connaît cette série télé américaine des années 60 - début 70.

Dans sa version originale elle s'intitule Bewitched, qualifiant bien le mari de Samantha la sorcière: fasciné, envoûté, clairement sous le charme de sa … charmante … épouse.


Agnes Moorehead, Dick York et
Elizabeth Montgomery, Bewitched, 1964

Le générique de la troisième saison, 1966
(et non de la première comme indiqué, 
qui était lui en noir et blanc)


PS: Et maintenant, vous savez pourquoi la mère de Samantha, jouée par Agnes Moorehead, s'appelle Endora...

- euh? Mais je?
- Le lever fut difficile? La soirée d'hier trop arrosée? Endor! La sorcière d'Endor!



Mais bon, tous ces mots, witch, Wikka, wicked, bewitch... globalement, parlent de la même chose, de la sorcellerie.

Vous pensez bien qu’une racine dont le champ sémantique couvrait les notions de “être fort, vif, animé” doit nous avoir laissé autre chose


Et OUI, nous retrouvons *weg-2, via une forme au timbre o (où donc la voyelle pivot e se transforme en o) et suffixée: *wog-ē-, dans l’anglais wake: réveiller, ou, en tant que substantif, la veillée.


La veillée, (superbe) photographie de Constant Puyo, 1895


Mais c’est aussi *weg-2, cette fois par l’intermédiaire d’une autre forme suffixée au timbre o: *wog-no-, qui par le germanique *wakjan, a donné le vieil anglais wæccan: être éveillé.
Wæccan dont provient l’anglais moderne… … … watch!

Watch, dans une de ses acceptions désigne l’homme de garde, la sentinelle, l’homme de quart.
Ben oui, car c’est celui qui étymologiquement du moins doit rester éveillé.


le watchman, l'homme de garde, qui veille pendant
que vous dormez


Restons encore en anglais:
Vous connaissez certainement le verbe to wait: attendre.
Il provient de *weg-2 par le germanique *waht-.

OK. Mais figurez-vous que cette filiation n’est pas directe.

Oh non, car wait dérive du moyen anglais waiten, wayten, calqué sur le … vieux français du nord waiter, waitier.

L'eussiez-vous cru?

Et waiter / waitier provient du vieux-francique *wahtōn, *wahtjan: “surveiller, garder”. 
C’est lui, le dérivé direct du germanique *waht-!

Alors, le rapport sémantique entre to wait et notre racine *weg-2?
Oh, nous retrouvons toujours dans quelques emplois de wait cette notion de veille.
Wait up”, c’est attendre… avant d’aller se coucher, donc: veiller.

Notez aussi que “in wait” pourrait se traduire par “à l’affût”, où nous retrouvons le sens de watch: garder, surveiller


- Bon, c’est sympa, on sait bien qu’t’aimes bien l’anglais, mais bon, t’as rien en français??
- Ah là là! Mais enfin, notre français guetter (avec un g), il provient aussi du vieux-francique *wahtōn, *wahtjan (“surveiller, garder”)!


Emma notre labrador faisant le guet dans le jardin


Et puis, il y encore un dérivé proto-germanique de notre racine proto-indo-européenne *weg-2: *wahtwō, qui est devenu en vieux haut-allemand: wahta, qui a donné à son tour l’allemand Wacht: la garde.

Wacht à l’origine d’un mot tout ce qu’il y a de plus français, et bien connu des scouts, louveteaux, campeurs, alpinistes, trappeurs et j’en passe…

Je vous laisse chercher?











Ce mot provient d’un mot allemand du Moyen Age: biwacht.

Vous l’avez trouvé?


OUI! Bivouac! Campement provisoire pour passer la nuit en plein air.

L’allemand biwacht se décomposait en bie- (aujourd'hui bei-), « secondaire » et wacht, « surveillant ».

Le mot faisait référence à la surveillance externe des villes fortifiées, par opposition à la surveillance interne de ces mêmes villes, en d'autres mots la fonction de police.

Eh oui: les soldats chargés de cette mission de surveillance externe bivouaquaient hors de l'enceinte, en utilisant des abris temporaires.

Bivouac


Je n’arrête pas de vous le dire, le français a donné bien plus de mots à l’anglais que l’inverse!
Nous venons de le voir avec wait.
Eh bien c’est encore le cas avec bivouac!

Figurez-vous que notre français « bivouac » est passé à l’anglais, tel quel … par les guerres napoléoniennes!
Les Anglais ont probablement dû être impressionnés par les bivouacs de l'armée impériale sur les champs de bataille… Et il y en a eu quelques-uns, de ces champs de bataille, il faut bien le dire.

bivouac de l'empereur


Alors, c’est-y pas une belle petite racine que cette *weg-2, qui a donné les anglais witch, wicca, betwitch, mais aussi watch, wait, et puis aussi les français guetter et bivouac!?


Mais soyons clair, ce n’est pas tout.


Nous devons encore à *weg-2 une série de mots - bien français - et qui, j’en suis sûr, vous surprendront.
Mais bon, je préfère les mettre de côté pour l'instant et vous les présenter la semaine prochaine, en un article rien que pour eux!

Je vous le dis, vous ne pourriez jamais soupçonner le lien entre tous ces mots sans remonter à notre brave et proto-indo-européenne *weg-2...




Je vous souhaite à toutes et tous un excellent dimanche, et une TRES bonne semaine!


Moi, en ce dimanche, je suis à ... Paris!
Où j'assiste ma compagne (que j'accompagne), qui expose au SIMP - Salon International de la Maison de Poupée, à l'Espace Champerret,
Porte de - voyez comme les choses sont bien faites - Champerret, à Paris, donc (en fait, et précisément, dans la très agréable commune de Levallois-Perret).
Son stand, mais c'est le 93, celui de Blondie Creations!
Je dis ça, je n'dis rien...

Et si vous venez avec votre PC et un marqueur pour écran, je suis même prêt à vous dédicacer votre exemplaire du dimanche indo-européen!


Quelques-unes des réalisations d'Evelyne, de Blondie Creations?









A ... dimanche prochain?



Frédéric



dimanche 15 juin 2014

Saint Augustin et Lawrence d'Arabie étaient tous deux très assertifs


article précédent : les sorties du Prince consort



« La vie est un désert dont la femme est le chameau. »

Proverbe arabe



Bonjour à toutes et tous.

Oui, aujourd’hui, troisième volet de notre thème Magie et magiciens.


Comme je vous le disais la dernière fois, on n’en a pas encore fini avec *ser-3.


Avant de poursuivre, restons quelques instants encore sur consort :

Je me devais de préciser que le terme consortqui partage le sort” est toujours abondamment utilisé en anglais, par les baroqueux, pour désigner un ensemble d’instruments.

Oh, vous connaissez peut-être le célèbre King's Consort, ou même le belge et néanmoins excellent Ricercar Consort.


The King's Consort


Alors, quoi, des instruments qui partagent le même sort ?
Ben, oui, quoi ! Des instruments qui jouent ensemble.

En fait, l'expression “a consort of instruments” s’employait dans l’Angleterre des XVIème et XVIIème pour désigner simplement un ensemble instrumental.

A l’époque baroque, le terme “musique de chambre” finira par intégrer, englober, absorber cette notion de consort.

On parlait d’un consort “complet” (“a whole consort”) quand il s’agissait d’un ensemble d’instruments de la même famille (des violes par exemple), alors qu'un “broken consort”, un consort brisé, désignait lui un ensemble d’instruments issus de familles différentes (violes et luths …)


Violes


Luth (Détail du tableau les Ambassadeurs
de Hans Holbein le Jeune)






Maintenant, continuons sur notre lancée avec la racine proto-indo-européenne *ser-3, qui - je vous l’avais promis - risque encore de vous surprendre...

Et pas qu'un peu.


Pour rappel, *ser-3 véhiculait comme sens aligner, ordonner, insérer, voire relier, mettre ensemble

Sous sa forme de base, nous lui devons encore, par le latin serō, serere, qui donnait sertum au supin, et qui signifiait mêler, nouer ensemble, lier, entrelacer, entremêler, enchaîner…, le français… série.

Série est repris du déverbal de serō : series « file, enchaînement, suite ininterrompue » (au sens physique et moral).
On suppose qu’à l’origine, series désignait plus précisément la lignée, la descendance.


Une des toutes grandes séries télé: The Avengers,
Chapeau melon et bottes de cuir, avec
Patrick MacNee (John Steed) et ici la délicieuse Linda
Thorson (Tara King)


Bon, maintenant vous rajoutez le préfixe in- à serō, et vous obtenez… īnsero.
Insérer, introduire, intercaler.

Vous l’avez compris, notre français insérer vient de là.
Tout comme insertion, ou insert.

Insert, qui nous vient en réalité de l’anglais, désigne notamment un plan de cinéma inséré au montage, mettant en valeur un détail utile pour l’intrigue: un nom de rue, une carte de visite…





Et si cette fois vous rajoutez à serō le préfixe ad- (“vers, à”), vous avez adserō (connu aussi sous la forme assĕro).

A l’origine, adserō / assĕro, c’était “lier à [soi]”, entendez : revendiquer, s’arroger, s’attribuer.

L’une de ses acceptations les plus fortes se retrouvait en droit romain, où adserō / assĕro désignait l’action de revendiquer pour quelqu’un la condition de personne libre, ou alors, à l'inverse, la condition d'esclave.

Pour Pline, en tout cas, au premier siècle après J.-C., il s’agit bien de cela.

Puis, le sens du mot s’est élargi, pour devenir, plus généralement, affirmer.
Au IVème siècle, Saint Augustin (forcément après J.-C., le siècle, sinon il ne serait pas Saint, Saint Augustin) utilise le déverbal assertio comme signifiant choses affirmées, affirmation, proposition que l'on avance comme vraie.

Notre français assertion est en donc le parfait descendant.

Assertif ? Celui qui sait défendre ses points de vue et respecter ceux des autres.

Notez que notre assertivité est un calque de l’anglais assertiveness, qui désigne une forte confiance en soi, la qualité d’exprimer ses droits, ses opinions


—   Mode Séquence coup de gueule ON    

Pour revenir à Saint Augustin : ben oui, les saints hommes ne peuvent exister qu’après Jésus Christ.

Avant, dans le meilleur des cas, le plus saint des hommes était un honnête homme, ou même, soyons miséricordieux, un brave homme. Et on en restera là.
Et mince, en plus, on ne pouvait pas encore être miséricordieux. Pas avant Lui.

Avant, il y avait peut-être plein de braves gens, propres sur eux, qui aidaient les petites vieilles à traverser, qui faisaient le bien - et pour l'amour du bien lui-même en plus, sans penser à aller au paradis en retour - mais qui ne pouvaient pas prétendre à la qualité de Saint, car, simplement J.-C. n’était pas né ; ils n’avaient pas pu Le connaître.
Ni a fortiori croire en Lui.

Et ça, ça fait une méchante différence.

C’est fantastique, non ?

Et c’est sur des raisonnements pareils que les Pères blancs ont évangélisé à tire-larigot : ces pauvres bougres d’indigènes qui ne demandaient rien à personne et qui s'en sortaient très bien sans l'homme blanc ne connaissaient pas leur Sauveur. Déjà, il faut bien le dire, ils n'étaient pas au courant qu'ils avaient péché.
"Ces pauvres âmes en état de péché permanent, il nous faut les secourir, et donc les convertir à la seule vraie foi."

Quelle honte, quelle perversion d’un message pourtant originellement empreint de tant d'humanité. Quelle condescendance, et surtout quelle effrayante certitude de détenir LA vérité...

C’est ainsi que dans l’Enfer décrit par Dante dans sa Divine Comédie, ceux qui ont vécu AVANT J. - C. ne peuvent pas séjourner au Paradis. 'manquerait plus que ça, tiens !
(Bon, perso, j'y crois pas trop, hein, au paradis, mais bon, c'est l' principe.)
Alors, certaines zones des Enfers sont réservées aux grands hommes, à ces immenses philosophes grecs qui nous ont tous fait évoluer, à qui nous devons tellement, mais qui, antérieurs au Christ, n’ont évidemment pas droit au Paradis.

'i' sont pas dans les étages les plus sombres, non non, loin de là, mais 'i 'sont quand même bien là, hors du paradis.
Ils occupent le premier - le meilleur - des neuf cercles concentriques de l'enfer, les limbes, réservé à ceux qui, n'ayant pas reçu le baptême et se trouvant privés de la foi, ne peuvent jouir de la vision de Dieu, sans pour autant être punis pour un quelconque péché.

(A noter, cependant, que selon la doctrine catholique, quelques âmes pourront malgré tout sortir des Limbes et accéder au Paradis : les grands patriarches, et quelques autres encore. La compassion du Christ est décidément sans limite...)

C’est grandiose, non ?

Enfin, vous me direz, la notion de “Sainteté”, on peut en débattre longtemps, surtout quand on voit à quoi cela tient.

- Bonjour, c'est pour être sanctifié.
- OK, vous pouvez m'en dire plus ?
- Oh ben je suis polonais.
- Ouuui, oui, c'est pas mal ça...
- Et je suis Pape.
- Ah, OK, parfait ! Ligne de gauche, une seule auréole par personne.

—   Mode Séquence coup de gueule OFF —   



Si jamais... La carte de l'enfer, par Botticelli


Augustin d'Hippone (Aurelius Augustinus),
dit saint Augustin.
'l'avait une bonne tête, Augustin, on lui aurait
donné le Bon dieu sans confession. Mais il était
quand même fort manichéen.


- Monsieur Augustin d'Hippone a une fille, quel est son prénom ?

- La fille d'Hippone...? Emma !





Et serō avec le préfixe dis-, hein hein ?

Yep! Dissero nous a donné disert : “qui noue, lie (serō) [ses mots ou ses idées], et les sépare (ce qui est le sens de dis-) [clairement]”.

Quelqu’un de disert est donc clair, expressif

Le négatif existe, le saviez-vous ? Indisert.

Dissero, disserĕre nous a donné également - vous l’aurez compris - disserter, ou dissertation.



Il y a encore un mot dérivé de *ser-3 sous sa forme de base dont on n’imagine pas qu’il vienne de là.

Il nous arrive toujours par ce décidément prolifique latin serō, mais cette fois précédé du préfixe de-, qui marque ici le sens contraire, le manque.

Si dēserō, dēserere ne vous dit rien, sachez qu’au supin, ça donnait dēsertum
Vous voyez où je veux en venir?


Yess !
Si serō c’est je lie, j’assemble, dēserō signifiera … je dé-lie
En d’autres termes, je sépare, je ME sépare, je quitte.
J’abandonne, je laisse tomber,

je … déserte.

Et le désert, oui, c’est un espace... abandonné.
Désert (circa 1100) nous arrive du latin vulgaire desertum, calque du latin desertus.


Lawrence of Arabia, David Lean, 1962
La fantastique scène du puit d'Ali: la rencontre avec
Sherif Ali Ben El Kharish (Omar Sharif)


Admettez que la descendance de *ser-3 est incroyable.


Oui, je n’ai parlé ici, dans ces deux derniers articles, que de dérivés français et anglais.
Mon but n’est pas d’être exhaustif. Certes non.

Vous aurez compris que le latin serō se retrouve dans PLEIN de langues romanes.

Mais la racine *ser-3 est aussi toujours bien présente ailleurs.

En ancien grec, par exemple, où εἴρω, eírô signifiait nouer, attacher, entrelacer (à ne pas confondre avec l’autre εἴρω, eírô : dire, parler, annoncer …).

ὅρμος, hórmos, dérivé de εἴρω, c’était encore la corde, le collier, et par extension, pour ce peuple de navigateurs, l’ancrage, le mouillage, le port, là où l’on attache les bateaux.

En vieux lituanien - pour les quelques pervers que ça intéresse - sėris désignait le fil, le lacet.

En sanskrit, सरत् (sarat), c’est aussi le fil.


En prâkrit, langue indo-aryenne dérivée du sanskrit classique et d'autres dialectes indo-aryens, sirā, c’est la veine, ou le nerf (oui, pensez au fil qui s'étire à travers le corps).

Tout comme en tocharien A, où sar- désignait également la veine.




MAIS ! Ce n’est pas tout…


Enfin (enfin) - sėris sur le gâteau, comme disaient les vieux Lituaniens - c’est une forme suffixée de *ser-3 qui est à l’origine d’un mot qui, étymologiquement, devrait se comprendre comme “un assemblage de mots, un discours où les mots sont alignés, les uns à la suite des autres”… …


C’est un mot bien connu, employé souvent, dans un cadre religieux ou social ou familial.

Je vous laisse chercher ?










Top.

C’est la forme suffixée *ser-mon- qui est à l’origine de ce mot.
Oui, il s’agit de ... sermon.

Il nous arrive du latin sermonem, au nominatif sermo : conversation, discours continu (pensez à des mots assemblés, enfilés les uns à la suite des autres, qui défilent dans un flux ininterrompu).

Ce n’est que bien plus tard qu’il signifiera “ce qui est prêché”.




Et donc, de *ser-3 nous avons hérité de sort, sorcier, sorte, assortir, sortilège, sortie, consort (voir l’article précédent), mais aussi de série, assertion, dissertation, insérer, assertif, déserter, ou même … sermon.

TOUT CA d'une seule et même gentille petite racine proto-indo-européenne.

- Mais c’est complètement diiiingue !!
- Calmez-vous, Marie-Sophie.


- Merci qui, mmmh ?
- Euh... Merci le proto-indo-européen ?
- Voilàààà.




Je vous souhaite à toutes et tous un excellent dimanche, et une TRES bonne semaine.

A dimanche prochain, avec un nouveau volet de notre thème Magie et magiciens...





Frédéric


dimanche 8 juin 2014

les sorties du Prince consort





BERGERS: Tous sorciers. Ont la spécialité de causer avec la Sainte Vierge. 

Gustave Flaubert, 
in Dictionnaire des idées reçues 




Bonjour à toutes et tous!



Deuxième volet de notre thème Magie et magiciens!

En ce dimanche, après avoir découvert mage, magie, magique comme descendant de la racine proto-indo-européenne *magh-1, intéressons-nous à … … … sorcier!

Pour reprendre la définition de sorcier donnée par l’excellent CNRTL (“Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales”) - une vraie mine d'or en matière d'étymologie des mots français - le sorcier est une personne à laquelle on attribue des pouvoirs surnaturels et en particulier la faculté d'opérer des maléfices avec l'aide du diable ou de forces malfaisantes.


Tous les livres de Harry Potter.
Harry Potter, ça se lit, et de préférence, en anglais.


Le mot français sorcier apparaît sous la forme sorcerus au VIIIème siècle, dans les gloses de Reichenau.

Le professeur Eugeen Roegiest, dans son “Vers les sources des langues romanes”, nous précise que cette compilation de gloses de la Vulgate de Saint Jérôme est appelée ainsi car, même si ces commentaires ont été vraisemblablement rédigés au milieu du VIIIème siècle dans le nord de la France - peut-être même à l’abbaye bénédictine de Corbie, ils ont été découverts à l’abbaye de Reichenau, sur une île du lac de Constance, en Allemagne.

(Soit dit en passant, l'île monastique de Reichenau, qui conserve les vestiges d'un monastère bénédictin fondé en 724, est quand même classée au patrimoine mondial de l'UNESCO...)

Reichenau


- Euh... Vulgate?
- Mais oui, enfin!!!
La Vulgate, c'est la version latine de la Bible, traduite par saint Jérôme, qu'il a traduite directement depuis le texte hébreu, du moins pour l'Ancien Testament.
Alors que la Vetus Latinavieille latine », la vieille Bible latine), utilisée à l'époque, était traduite du grec de la Septante (la Soixante-Dix pour mes amis d'outre Quiévrain), une version de la Bible hébraïque en langue ... grecque (ben oui, 'faut suivre).


Saint Jérôme, par Le Caravage (1606) (Saint Jérôme, bien
que reconnu comme traducteur remarquable, n'a jamais été
vraiment réputé pour son sens de la décoration et pour le
caractère cosy de son intérieur)

Vieille latine


Ce proto-français sorcerus (ou sorcerius) provient vraisemblablement du latin tardif *sortiarius, littéralement « diseur de sort », ou « jeteur de sort », lui-même dérivé du latin classique sŏrtem, accusatif de sŏrs, qui désignait un tirage au sort par lequel on consultait les dieux.

Par extension, le mot désignait aussi le sort tel que nous l’entendons, le destin

Vous l’aurez compris, notre français sort est bien un descendant du latin sŏrs, ce qui explique son “t” final, nous rappelant avec émotion ce très très lointain accusatif sŏrtem


Mais bon, le hic, c’est que le verbe latin serō, serere, dont provient sŏrs, ne signifiait d’aucune façon tirer au sort, ou consulter les dieux!!!

Eh non! Il signifiait tout simplement trier, aligner.

Alors, comment peut-on expliquer ce curieux glissement de sens?

Rien n’est hélas vraiment clair.

Mais on suppose qu’il y a un lien avec le tirage au sort, où les lots étaient alignés avant que le tirage ait lieu ; qu’on alignait entre eux les objets destinés à prédire l’avenir en utilisant un fil pour les réunir (Bréal & Bailly, Watkins)

Pour Lewis & Short, c’est encore plus simple: il n’y a aucun rapport! Il y aurait eu en fait contamination du sens de sŏrs par celui de fors: « hasard, fortune, sort » …

Quoi qu’il en soit, le latin serō - alors oui: il y avait deux verbes latins serō: serō aligner, et serō: semer ; ici on parle bien de serō aligner - provient d’une racine proto-indo-européenne!!

Aaaaaaaah...


Et en l’occurrence:

*ser-3.


Qui signifiait aligner, ordonner, insérer, voire relier, mettre ensemble…


Pour être un peu plus précis, c’est une forme suffixée au timbre zéro (sans voyelle pivot) de notre racine *ser-3: *sr̥-ti-, qui est à l’origine du latin serō.


Ah, on lui connaît une solide descendance, à *ser-3!

Evidemment, outre sorcier, il y a sorcière!

La salle d'audience, lors du procès des sorcières de Salem


Mais aussi, pour rester dans la même veine: ensorceler, ou … sortilège.

Le latin sortilegus, qui désignait à l’origine le sorcier, le devin, est un composé de sŏrsprédiction, oracle ») et de legochoisir »).
En latin médiéval, il est devenu sortilegiumtirage au sort, divination, sortilège »).

Nous ne l’utilisons plus à présent, sous sa forme sortilège, que pour désigner l’action de jeter un sort , un maléfice, ou encore un artifice de sorcier.

Le sortilège est encore pour nous, mais au figuré, ce qui envoûte l'âme ou l'esprit.


L'enfant et les sortilèges, oeuvre lyrique fruit de la
collaboration de Ravel et de Colette!


Toujours à partir du latin sŏrs, et tiré du latin sortiritirer au sort, fixer par le sort, obtenir par le sort » puis, par extension « choisir »), nous avons … sortir!

Oui, je sais, c'est très surprenant!
De tirer au sort, le mot en est venu à signifier passer du dedans au dehors.
Très curieux.
En plus, nous avions bien le verbe issir (sortir), que cet étrange sortir a évincé à partir du XVIème siècle...

Alors quoi??

Me risquerai-je à une tentative d’explication? Allez, allons-y (mais c'est juste pour vous faire plaisir):
Tirer au sort” se faisait en extrayant, en SORTANT quelque chose d’une urne, d’un sac.
Les deux notions se seraient à la longue mélangées…

Notez, nous utilisons toujours bien le terme sortir pour parler des cartes à jouer, ou des boules numérotées tirées au sort lors d’un jeu de hasard, d'une tombola ou d'un loto…




Toujours basé sur la forme proto-indo-européenne *sr̥-ti-, toujours dérivé du latin sŏrs, il y a encore assortir, ou assortiment
Nous retrouvons bien ici le sens de base de la racine *ser-3: ordonner, mettre ensemble des choses qui se conviennent….

Ou encore consort: qui, littéralement, partage le même sort.  (sŏrs, avec le préfixe -con: avec)


Philip, Duc d'Edimbourg, Prince consort (à droite)

Philip, qu'au vu de ses invraisemblables gaffes on aurait effectivement parfois envie de sortir... 
http://www.telegraph.co.uk/news/uknews/prince-philip/9883276/Duke-of-Edinburghs-best-gaffes.html 
http://www.mirror.co.uk/news/uk-news/prince-philip-quotes-relive-65-1445185

En justice, on parle, au pluriel, des consorts: ceux qui ont un intérêt avec quelqu’un dans un procès, dans une affaire civile.
En d’autres termes, qui vont partager le même sort que le justiciable, qui vont morfler comme lui…

- Consortium?
- Bingo!

Tout comme consort, consortium évoque l’idée de partager le même sort.
En latin, consortium signifiait association ; nous le comprenons à présent plus restrictivement comme l’association d’entreprises pour des opérations en commun.


Et puis, vous aurez déjà fait le lien entre *ser-3 et l’anglais to sort: trier.


Mais un autre dérivé du latin sŏrs - et pas un petit - c’est notre français … sorte!

Oh ben oui! Sorte désignant l'espèce, ou la façon, amplement utilisé dans ces expressions comme "de sorte que", "de la sorte" ...

Il faut vous dire que sŏrs, et ce déjà à l'époque impériale, avait pris le sens de «catégorie, sorte» - c’est dans cette acception que Lucrèce l’utilise, dans son De rerum natura (De la nature des choses).
Rien de choquant, puisque - nous l'avons vu - le verbe serō signifiait bien trier, donc portait déjà en lui cette notion de catégorisation.

Oui, on retrouve encore une fois cette notion de trid’ordonnancement appartenant au champ sémantique de *ser-3

C'est par la suite, que de la catégoriesŏrs en est venu à désigner la manière, la façon.


De rerum natura


Bon, il est aussi possible que *ser-3, par une forme suffixée *ser-ā-, fût à l’origine du latin sera: le verrou, la serrure
D'où nous vient le français serrure!
Ouuuais… L’explication pourrait en être que dans le verrou, les différents composants doivent ... s’aligner
Bah! Vous en faites ce que vous voulez, c'est vous qui voyez!


Et puis, *ser-3, sous sa forme de base, nous a également donné quelques mots que vous ne pourriez JAMAIS (JA-MAIS) associer à sort, sorcier, ou même sorte, ou sortir!!!

JAMAIS!

Mais ça... ... ...
Ce sera pour la prochaine fois!

Mwouuui. Rythme vacances. Il faudra vous y faire.

Patience, je vous promets quelques surprises pour dimanche prochain, dont une magistrale ; je n'en dirai pas plus...

Mais clairement, on n’en a pas encore fini avec *ser-3!


- Mais donc, sort / sorcier, assortir, consort et sortie descendent de la MEME racine proto-indo-européenne??
- Eh ouais! On ne croirait pas, hein!?





Je vous souhaite un excellent dimanche, et une très bonne semaine!

A dimanche prochain!





Frédéric


dimanche 1 juin 2014

le mage qui roulait des mécaniques





- Mandy: (...) So, you're astrologers, are you? Well, what is he then?
- Wise Man #2: Hmm?
- Mandy: What star sign is he?
- Wise Man #2: Uh, Capricorn.
- Mandy: Uhh, Capricorn, eh? What are they like?
- Wise Man #2: Ooh, but... he is the son of God, our Messiah.
- Wise Man #1: King of the Jews.
- Mandy: And that's Capricorn, is it?
- Wise Man #2: Uh, no, no, no. That's just him.

Extrait de Life of Brian, Monty Python, 1979


Bonjour à toutes et tous!


Ce dimanche marquera le départ d’un nouveau thème: Magie et magiciens, thème soufflé par quelqu’un qui se reconnaîtra!

Commençons donc sans plus tarder, et en toute logique, par l’étude de la parenté proto-indo-européenne du mot… mage.



Le mage est à l'origine un prêtre officiel perse.

Ce terme de mage désignait - en tout cas depuis au moins le VIème siècle avant notre ère - des prêtres disciples de Zarathoustra (encore appelé Zoroastre, ou Zarathushtra), en persan زرتشت, en avestique Zaraϑuštra, ou encore en grec Ζωροάστρης.

Ce qui est certain, c’est qu’aux yeux des Grecs, ces mages étaient considérés comme des … magiciens!

Zarathoustra


Selon le formidable Xénophon, c'est Cyrus II le Grand qui, vers 550 av. J.-C., installa officiellement les mages de Perse.
Il ne précise pas si c’est lui aussi qui mit les fûts en Perse…


Xénophon

Cyrus II le Grand


Ah, Xénophon!
Il avait un pote: Xylophon. Et ils décidèrent que chacun d'eux inventerait un instrument de musique.
On ne saura jamais ce que Xénophon avait pu imaginer...

Xylophone

En revanche, son cousin Téléphon, qui n'était certes pas musicien, fit encore plus fort...
(Notez - et c'est le mot - que la tonalité des lignes téléphoniques, notamment en France et en Belgique, est fixée au la 440, le la de référence des diapasons mécaniques...)
(Ouais d'accord, sauf pour la musique baroque, où on descend souvent le la d'un demi-ton, à 415 Hz.)


Alors, le français mage nous arrive du latin magus, emprunt au grec ancien μάγος, mágos, qui désignait ces fameux mages persans.

Et mage, en persan, c’était مُغ‎, maguš ("magouch").

Et le persan maguš, i’ vient d’où, hein, hein??

Eh bien, probablement - car on n’en est pas sûr sûr, même si tout le laisse à penser - d’une forme suffixée en *u- de la racine proto-indo-européenne *magh-1: *magh-u-.


Cette racine *magh-1 n’évoquait nullement la notion de magie!
*magh-1, c’était “être capable, avoir du pouvoir…

Eh oui, le maguš, c’était un membre de cette caste (ou tribu) de prêtres dotés de pouvoirs, donc puissants.
Comprenez donc que les pouvoirs dont ils disposaient étaient peut-être magiques, mais en tout cas très certainement politiques!
On sait tous le pouvoir d’une religion d’état

- Bon, et magie, alors, et magique, et magicien??
- Oui oui, on y arrive! Oh, on est dimanche, aussi...

La « magie », c'était tout simplement la religion des mages!
C'est ainsi, par μαγεία, mageia que les Grecs l'appelaient.
Le mot français magie nous arrive du latin magia, calqué sur le grec.

Magique trouve également son origine en grec: il nous vient du grec "magike", féminin de "magikos", créé sur le persan "maguš". Il nous arrive par le latin magicus.
Comme je vous le disais, pour les Grecs, ce que ces maguš faisaient était visiblement considéré comme magique!

Quant à magicien (qui pratique la magie), il s'agirait d'un mot nettement plus récent (de la fin du XIVème siècle, tout est relatif), dérivé de magique.




Mais la racine *magh-1 n'a pas essaimé qu'en grec!
Elle s’est également transformée dans le germanique *magan: être capable, être puissant.

C’est d’elle que descend le verbe anglais “may”: pouvoir, mais aussi cet autre verbe anglais dismay: consterner, épouvanter

Dismay provient du vieux français esmaier: effrayer, ou alors, sur un mode mineur, inquiéter, troubler.
Le rapport avec la notion de pouvoir?
Eh bien, effrayer, c’est faire perdre ses forces à quelqu’un, le priver de ses pouvoirs

Vous le comprenez nettement mieux quand vous savez que le désuet esmaier provenait du bas-latin *exmagāre, qui signifiait littéralement “priver quelqu’un de ses forces”…

Le vieux français esmaier pouvait signifier “troubler, inquiéter”, mais aussi, sous une forme pronominale "SE troubler, S’inquiéter, S’étonner”.
Et au participe passé, il signifiait tout simplement “inquiet, troublé”.


Pourquoi je passe mon temps à vous bassiner avec les définitions du vieux français esmaier?

Mais parce qu’en moyen français, il a subsisté sous la forme esmai, esmoi: l’inquiétude, le trouble.

Qui est devenu en français…

émoi, évidemment!





Mais revenons à l’anglais…

Si may est bien un héritier de *magh-1, might l’est tout autant.
Might, le pouvoir.
Il dérive de *magh-1 par le germanique *mah-ti-, le pouvoir.


Bruce Almighty: Bruce le Tout-Puissant


Et puis, il y a encore l’anglais main, qui signifie notamment “principal”, provenant du vieil anglais mægen "pouvoir, force corporelle, puissance, efficacité”.

Lui, c’est de la forme suffixée germanique *mag-inam (toujours évoquant le pouvoir) qu’il nous arrive…



Mais ce n’est pas tout!

Notre brave racine proto-indo-européenne *magh-1, par une forme allongée et suffixée *māgh-anā-, que l'on traduirait par quelque chose comme “qui permet, qui donne le pouvoir de”, s’est dérivée ...

  • dans l’ancien grec - en dorien pour être précis - μαχανά, mākhanā
ou encore ...
  • dans l’attique (autre dialecte de l'ancien grec, parlé lui dans ... l’Attique, la région qui entoure Athènes) μηχανή, mēkhanē.




Et ces μαχανά, mākhanā / μηχανή, mēkhanē désignaient un dispositif.

- Un dispositif??
- Oui, entendez "quelque chose, un mécanisme, qui permet de faire quelque chose, qui vous donne le pouvoir de faire quelque chose..."

Et OUI, bien sûr, via le latin classique māchina, nous leur sommes redevables de machine, ou de mécanique!!






Ah oui, j'oubliais!
Méchanique a perdu son h lors de la réforme orthographique française de 1762…



Et donc: magie, machine, émoi, ou encore les anglais may et might...
TOUS proviennent d'une seule et même jolie petite racine proto-indo-européenne, *magh-1...!




Là-dessus, je vais un peu profiter de cette superbe journée calme et ensoleillée…

Ah la campagne...


Philippe Noiret dans Alexandre le bienheureux,
Yves Robert, 1968

Oui, ce n'est pas la première fois que j'évoque ce délicieux film. Et alors??

La première fois, c'était le dimanche 8 juillet 2012, figurez-vous.
Il y a presque deux ans... Oui, ça ne nous rajeunit pas, ma bonne dame.



Allez, bon dimanche à toutes et tous,
Passez une très bonne semaine, et…

A dimanche prochain?




Frédéric

PS: OUI, j'ai réussi mes examens! Merci à vous qui m'avez envoyé de bonnes ondes...!