- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 26 octobre 2014

Dylan fumait de la belladone??





Centurion: 
What's this, then? 'Romanes Eunt Domus'? 'People called Romanes they go the house'?

Brian: 
It-- it says, 'Romans, go home'.

Centurion: 
No, it doesn't. What's Latin for 'Roman'? Come on!

Brian:
 Aah!

Centurion:
 Come on!

Brian:
 'R-- Romanus'?

Centurion:
Goes like...?

Brian:
 'Annus'?

Centurion:
Vocative plural of 'annus' is...?

Brian:
Eh. 'Anni'?

Centurion:
'Romani'. 'Eunt'? What is 'eunt'?

Brian:
'Go'. Let--

Centurion:
Conjugate the verb 'to go'.

Brian:
Uh. 'Ire'. Uh, 'eo'. 'Is'. 'It'. 'Imus'. 'Itis'. 'Eunt'.

Centurion:
So 'eunt' is...?

Brian:
Ah, huh, third person plural, uh, present indicative. Uh, 'they go'.

Centurion:
But 'Romans, go home' is an order, so you must use the...?

Brian:
The... imperative!

Centurion:
Which is...?

Brian:
Umm! Oh. Oh. Um, 'i'. 'I'!

Centurion:
How many Romans?

Brian:
Ah! 'I'-- Plural. Plural. 'Ite'. 'Ite'.

Centurion:
'Ite'.

Brian:
Ah. Eh.

Centurion:
'Domus'?

Brian:
Eh.

Centurion:
Nominative?

Brian:
Oh.

Centurion:
'Go home'? This is motion towards. Isn't it, boy?

Brian:
Ah. Ah, dative, sir! Ahh! No, not dative! Not the dative, sir! No! Ah! Oh, the... accusative! Accusative! Ah! 'Domum', sir! 'Ad domum'! Ah! Oooh! Ah!

Centurion:
Except that 'domus' takes the...?

Brian:
The locative, sir!

Centurion:
Which is...?!

Brian:
'Domum'.

Centurion:
'Domum'.

Brian:
Aaah! Ah.

Centurion:
'Um'. Understand?

Brian:
Yes, sir.

Centurion:
Now, write it out a hundred times.

Brian:
Yes, sir. Thank you, sir. Hail Caesar, sir.

Centurion:
Hail Caesar. If it's not done by sunrise, I'll cut your balls off.

Brian:
Oh, thank you, sir. Thank you, sir. Hail Caesar and everything, sir!

Une superbe leçon de latin par le centurion (John Cleese)
au révolutionnaire Brian (feu Graham Chapman), 
dans Life of Brian
indispensable, salutaire film des Monty Python
réalisé par Terry Jones en...
1979. 
Eh oui, déjà… - et pourtant toujours affreusement d'actualité...






Bonjour à toutes et tous!


Il n’y a pas si longtemps, dans [voyons, quel était encore cet article??? - AH OUI!] La bibliothécaire se livrait à la prostitution dans une bodega... - Une bodega??, alors que je mentionnais la Douma, la Chambre basse du Parlement de Russie, j’avais précisé que le mot n’avait RIEN à voir avec le domus latin, la maison
Je m’étais dit qu’il serait d’ailleurs bon d’en parler, de ce domus latin.


Ben voilà, en ce dimanche, ce s'ra fait.


Le latin domus pouvait en fait désigner plusieurs choses, dont notamment une construction, ou la maison, le logis, là où on habite, ou encore une école philosophique (on - Horace en tout cas - parlait ainsi de domus Socratica: l’école de Socrate).

Et domus (en réalité dŏmŭs), à votre avis, qu’est-ce que je vais en dire???

Bon, d’accord, il vient du grec: δῶμα, dỗma: construction, maison, chambre principale, ou même temple (oui: la demeure d’un dieu), synonyme de - et apparenté étymologiquement à - δόμος, domos.

Mais ce δόμος, domos grec, hein, i’ vient d’où, mmmh??


Aussi surprenant que cela puisse paraître, d’une racine proto-indo-européenne! 

*dem-

(oui, je sais, j'aime surprendre)


Oh, *dem- c’était, sémantiquement, la maison, la maisonnée


C’est précisément une forme de notre racine au timbre o (où la voyelle-pivot se meut en o), et suffixée en *-o-: *dom-o- (ou même *dom-u-), qui désignait la maison, qui se cache derrière domus.


La domus romaine devait ressembler à ça. Confortable, non?
Il fallait juste éviter de se prendre la tête ou les pieds dans les
pancartes chiffrées (mais on s'habitue à tout).


Du latin domus nous avons tiré quelques mots que vous connaissez bien, et qui sont toujours liés à la notion large de maison

Dôme!
Oui, souvent nous utilisons cette métonymiele toit représente la maison (“avoir un toit” pour “avoir une maison”).

En bas latin, doma, d’où nous vient le français dôme, c’était tout simplement le toit de la maison, du moins, apparement quand il était en terrasse.

Nous retrouvons bien sûr domus dans domicile, le lieu où quelqu’un habite en permanence, ou de façon habituelle.


L’adjectif latin domesticus désignait lui ceux qui étaient familiers de la maison: les membres de la proche famille, les deux générations vivant sous le même - métonymique - toit, ou, bien entendu, les domestiques.

Difficile d’imaginer vivre avec un minimum de standing dans une villa romaine sans domesticité…

(Oui, domus c’était la maison des Romains aisés, les autres vivaient ou survivaient dans des insulae, les immeubles à appartements, séparées des autres bâtiments par des rues, comme des îles le sont par l'eau, ce qui explique le terme insula, désignant avant tout l'île.)

Celui qui, parmi les domestiques, gérait la maison en l’absence ou au nom du maître de maison, c’était le maior domus, littéralement le chef de la maison, ou du domaine.

Vous l’avez deviné, maior domus est devenu notre majordome, emprunté à l’italien maggiordomo.

Un butler britannique, ou la quintessence
du majordome


Oui, dans les dérivés de domus, n'oublions pas non plus le très récent domotique.




Bon.
Ca, c’est ce que nous devons au latin domus, dérivé de *dom-o- / *dom-u-.

Maintenant, *dem-, par sa forme *dom-o- / *dom-u- ne se retrouve pas que dans le latin domus ou le grec δόμος, domos, loin de là…

C’est elle, toujours, présente dans le proto-slave *domъ, qui donnera notamment le tchèque dům, le polonais dom, ou le russe дом (“dom”): maison.

Encore et toujours *dom- à l’origine de l’albanais dhomë (“chambre, pièce”), ou du sanskrit दम (dáma). 

Mais une forme suffixée de *dem-, toujours au timbre o: *dom-o-no-, s’est quant à elle dérivée dans le latin dominus (domina au féminin), désignant le résident, le propriétaire de ladite maison.
Par définition, le maître de maison.

Evidemment, dominus qui évoque la propriété, la puissance, est à l’origine des français domaine, dominer, prédominer, dominateur, ou dominical.

Dominical qualifie à présent ce qui est relatif au dimanche, mais uniquement parce que le dimanche est considéré comme le jour du maître en chef, le seigneur

Oui, nous avons encore l’anglais dominion, qui provient, ne l'oublions pas, de l’ancien français dominion: la souveraineté, ou par extension un territoire ou un pays sous une souveraineté.

Un dominion est un État indépendant, membre de l'Empire britannique, mais pas totalement souverain, sa diplomatie étant sous la souveraineté de la couronne britannique.

Le saviez-vous, à l’heure actuelle, seul le Canada est encore un dominion.


Domino!
Le mot « domino » proviendrait de la similitude entre les pièces du jeu (recto blanc, verso noir) et l'habit des dominicains (lequel est blanc, mais peut être recouvert d'une cape noire servant de manteau). 

Pour ce qui est des dominicains, il s’agit, je ne vous l’apprends pas, de religieux ou religieuses de l’ordre des Frères prêcheurs fondé par saint Dominique au XIIIème siècle.

Et le prénom Dominique nous vient bien de l’adjectif latin dominicus: relatif au maître, au seigneur: magistral, seigneurial

CQFD 

"Dominique nique, nique, à toute heure et en
tout lieu" (
dixit Soeur Sourire)


Don (non, pas celui du don de soi, plutôt celui de don Corleone):

Le don (notamment) espagnol nous arrive également du latin, avec toujours ce sens de maître de la maison, du domaine.

L'invité de pierre, dans Don Giovanni

Don Diego de la Vega, dans Zorro

En italien, la dame de la maison, c’était la donna, équivalent féminin du don pour les hommes.

Originellement, le terme Prima donna, la première dame, qualifiait, à l’opéra ou dans la Commedia dell'arte, la chanteuse principale, souvent une soprano

S'il n'y en avait qu'une...


Quant à la belladone (Atropa belladonna), on la nommerait ainsi, la belle dame, parce qu’à Renaissance, les élégantes italiennes instillaient dans leurs yeux du jus de cette plante pour dilater leurs pupilles sous action de l'atropine et donner ainsi plus d'attirance à leur regard.

belladone


De l’italien donna provient inévitablement madonne, ou madonna.


Mais du latin domina, « maîtresse de maison », nous avons aussi gardé… dame, ou madame.

Mademoiselle, demoiselle? Oui!

Demoiselle, XVIIIème siècle, est une variante de damoiselle, issu du latin populaire *domnicella, lui-même diminutif de notre domina.


Bon, me direz-vous, jusqu’ici, rien de bien transcendant
Certes, mais savez-vous également que du latin dominus (et donc, par la force des choses, de *dom-o-no-) nous vient…

danger?


Austin Powers - Danger is my middle name


Oui!!

En ancien français, on l’utilisait dans l’expression estre en dangier d’aucun - que l’on traduirait par « être à la merci de quelqu’un » - qui originellement signifiait « être sous la domination de quelqu’un ».

Il existait en ancien français le mot dongier (avec un o): autorité, puissance, domination, provenant en droite ligne du bas latin *domniārium de même sens, calqué sur le latin dominus

Le mot évolua en dangier (avec un a), probablement par association avec le dammum latin: dommage, préjudicedétriment, qui donnera le fameux dam de “à mon grand dam”.

L’anglais a repris le mot danger au français. 
Dans un sens désormais obsolète, il signifiait la domination exercée par quelqu’un, son pouvoir de blesser, de nuire, de pénaliser autrui.

C’est ainsi que dans le quatrième acte du (controversé) Marchand de Venise, lors de la première scène - la scène du tribunal - Shakespeare fait dire à Portia s’adressant à Antonio:
 "You stand within his danger, do you not?"  
que j’ai trouvé traduit par:
“Vous courez risque d’être sa victime, n’est-il pas vrai?”
la scène du tribunal



Un autre dérivé surprenant de notre *dem- proto-indo-européenne?

Donjon!

Le mot nous vient du vieux français donjon, qui désignait la grande tour d’un chateau (nous sommes quand même au XIIème siècle), du gallo-romain *dominionem, basé sur le latin tardif dominium, provenant, vous l’aurez compris, du latin dominusmaître, seigneur" (du château, évidemment).

Le plus haut donjon d'Europe, celui du château de Vincennes


Despote!!
Je ne parle plus ici de ma prof de math d’un dimanche sans rime ni raison?, je veux simplement dire que despote nous vient de *dem-!

Et ce via le composé proto-indo-européen *dems-pot-,*pot- (*poti-) évoque le pouvoir, le maître.

Le grec ancien l’a repris sous la forme δεμς-πότης, dhems-potês, qui a évolué ultérieurement en δεσπότης, dhespotês
A l’origine donc, δεσπότης, dhespotês ne désignait que le maître de maison.

C’est rigoureusement ce même composé *dems-pot- que nous retrouvons en sanskrit, où दम्पति, dampati signifiait également et littéralement maître de maison.


Enfin, une forme racine *dem- signifiait construire
Difficile de savoir s’il s’agissait de la même racine *dem- que celle dont nous venons de parler, ou pas (“pour Pokorny c'est oui, pour Watkins c'est p'têt bien mais pas sûr”, si vous voyez ce que je veux dire), donc je suis prudent. 

Mais en tout cas, cette étrange et pénétrante racine *dem-, qui n’est jamais tout à fait la même ni tout à fait une autre (*), a donné, par le proto-germanique *timram, l’anglais timber: le bois de construction, le bois de charpente.

timber

C’est aussi sur cette base germanique que le vieux haut-allemand a créé zimbar, qui a donné l’allemand Zimmer - la chambre, ou que le vieux norois (Aaaah...) a construit timbr.


Zimmermann, c’est toujours l’allemand pour charpentier, menuisier


Robert Zimmermann, dit Bob Dylan (source)


Allez, pour terminer, quelques autres expressions de *dem- dans diverses langues indo-européennes:

En kurde: bindav (“cave, sous-sol”), dérivé de binsol, fondation” + dav (< *dem-).

Maison, c’est encore… 
  • en arménien: տուն, tun,
  • en avestique: dam,
  • en lituanien: nãmas (comme dans le dicton lituanien pįėrkiroūl nãmas pąmouž)



Ce dimanche, pour moi, salon de la miniature à Appeldoorn, Pays-Bas… 
Où il est aussi question - comme quoi tout se tient - de maisons
Mais ici, il s’agit de maisons ... de poupées: poppenhuizen

le stand de ma compagne...





Je vous souhaite à toutes et tous un excellent dimanche!

Passez une bonne semaine ; je vous donne rendez-vous, voyons … 

Dimanche prochain?

D'ici-là, portez-vous bien!





Frédéric


dimanche 19 octobre 2014

ne confondons pas guerre intestine et gastro-entérite


article précédent: un dimanche sans rime ni raison?



Aujourd'hui encore, quand on fait l'inventaire des ustensiles de cuisine que les balaises du Jésus'fan Club n'hésitaient pas à enfoncer sous les ongles des hérétiques, ce n'est pas sans une légitime appréhension qu'on va chez sa manucure.

Pierre Desproges in Dictionnaire superflu à l'usage de l'élite et des bien nantis





Bonjour à toutes et tous !


Ce dimanche sera - sauf surprise - le dernier que nous consacrerons à l’étymologie des termes axés sur la magie et les magiciens.

Le grand principe :
On prend un mot du vocabulaire de la magie, on en retrouve sa racine proto-indo-européenne, et on se pâme, on s’esbaudit devant les liens insoupçonnés que l’on peut retrouver entre le mot du jour et d’autres, également dérivés de cette même racine.


Mine de rien, on a passé pas mal de dimanches sur ce thème…





Aujourd’hui, un mot que l’on associe souvent à la magie, à la divination, la chiromancie, la voyance, à l’occultisme…

Esotérisme.


En fait, on l’associe souvent, mais parfaitement à tort à ces pratiques.

L’ésotérisme, c’est bien autre chose.

Le Larousse nous en dit:
Partie de certaines philosophies dont la pratique devait rester inconnue des profanes. (L'ésotérisme est surtout la caractéristique des philosophies pythagoricienne, kabbaliste et, de façon générale, des doctrines qui visent à créer une initiation et une hiérarchie sociale.)

J’irais personnellement un peu plus loin…

Mais bon ! On en reparlera tout à l’heure.
Pour le moment, intéressons-nous à l’étymologie du mot.


Esotérisme : tout ce que ce n'est pas


Esotérisme est créé sur ésotérique.
Et ésotérique nous vient du grec ancien ἐσωτερικός, esôterikós (« de l'intérieur »).

ἐσωτερικός, esôterikós se compose de ἐσώτερος, esôteros : notamment intime, et du suffixe adjectival ικός, ikos.

ἐσώτερος, esôteros était en réalité le comparatif de l’adverbe ἔσω, ésô :à l’intérieur”, “en dedans”.

Etymologiquement, donc, l’ésotérisme est la doctrine des choses « intérieures ».


Quant à notre grec ancien ἔσω, ésô, il provenait de quoi ??? Hein, hein ???

De la racine proto-indo-européenne…

*en-


Son champ sémantique? Ben, “en”, “dedans”, “à l’intérieur”.

C’est précisément à partir d’une forme allongée *ens-, et suffixée en *-ō-: *ens-ō-, que *en- s’est dérivée dans le grec ἔσω, ésô.


Bon, c’est clair, notre racine *en- on la retrouve un peu partout…

Déjà dans notre français en, évidemment, que le latin in (dans, en, sur … … …), lointain descendant de *en-, nous a passé.

Inventaire!
Du latin post-classique inventarium qui donne aussi, en ancien français, inventoire.
Inventarium provenait de invenio : trouver, rencontrer, construit sur veniō (venir) avec le préfixe in-.


inventaire


En dedans ? A l’intérieur ? Mais c’est… à la maison !
L’anglais inn, l’auberge, provient du vieil anglais inn, l’habitation !


Notre *en- proto-indo-européen se cache dans le composé germanique *be innan,*be correspond à “chez” (un peu comme le ad latin), et innan provient du germanique *in (< *en-).

C’est ce *be innan que nous retrouvons derrière le néerlandais binnen, par exemple…


Une forme suffixée de *en- : *en-t(e)ro- est quant à elle l’ancêtre du latin intrā, à l’interieur.

Sur intrā nous avons créé notamment tous ces mots en intra-, évidemment: intramuros, intra-utérin, intranet, intrados

Intrados?
En aviation, ça peut être la surface inférieure d’une aile ; en architecture c’est encore la face inférieure d'une voûte ou d'un arc




Mais sur intrā, le latin a également bâti le verbe intrō : entrer.
Dont nous avons tiré entrer, bien entendu, mais aussi ces mots en intro-, comme introduire, introspection


Interim provient également de cette forme *en-t(e)ro- dérivée en latin ; l’interim latin ("pendant ce temps, en attendant") reprenant la terminaison -im de l’ablatif.

Mais le composé latin int(e)rim - secus (“suivant”, “le long de”) nous a aussi donné…
intrinsèque !


Par une forme suffixée en *-ter-, cette fois, *en- devenue *en-ter- nous a légué…
...tous ces mots en inter-, oui, mais aussi la préposition entre, intérieur, entrailles, interne…

Ils proviennent tous du latin inter, inter-: entre, parmi …

Le superlatif du latin interior (en dedans), donc “le plus en dedans, au plus profond”, c’était intimus.
Eh oui! intime, intimité nous viennent de lui.

confession intime


Passons à présent à une forme allongée de *en-: *en-do-.
Nous lui devons, hormis cette kyrielle de mots en endo- (endocrinien, endoscopie, endogène … … …), industrie, industrieux !

L’industrie, à l’origine, désigne la dextérité, l’adresse à faire quelque chose.
Le mot nous vient du latin industria, féminin substantivé de industrius (actif, laborieux), composé de indu (< *en-do-) et de struofaire, construire »).
Nous pourrions ainsi le traduire littéralement par: « qui "en" fait »

Nous retrouvons notre préfixe indu- dans le latin indigens, de indigeremanquer de »), lui même venant de egereavoir besoin de »). C’est bien entendu sur indigens que nous avons créé indigent, littéralement "qui est dans le besoin, dans le manque".


A présent, parlons un peu d’une forme suffixée de notre *en-: *en-tos-...

C’est sur elle que le latin a créé intestinumentrailles »), formé sur intus, « à l’intérieur ».
Nous retrouvons dans intus indans ») avec la désinence ablative -tus. 

Pas de surprise, intestinum nous a servi de base pour notre français intestin.

C’est aussi à intus que nous devons notre dans !
Qui provient du latin de intusdu dedans »).
Idem pour dedans, d'ailleurs.


Allez, encore une forme suffixée de notre petite racine *en- : *en-tero-:

Nous lui devons les mots en entero- qui ont rapport aux intestins (entérite, entérologue …), via le grec ancien cette fois: ἔντερον, enteronintestin »).

J'ai souffert il y a quelques mois d'une gastro-entérite...
Je me demandais toutefois à l'époque, vu l'amplitude et la localisation des symptômes, s'il n'eût pas mieux valu parler de gastro-postérite...

La dysenterie, étymologiquement, est un dysfonctionnement des intestins (dys- enteron).



En russe, "en", "dans" se traduirait par в ("v").
Il va au théâtre se dirait Он идёт в театр ("onn idyót v teátr")

Curieux, ce в pour "en", non?
Comment en est-on arrivé là, pour ainsi passer de *en- à "v"??

En fait, le в russe provient du vieux slave oriental въ (""), lui-même issu du proto-slave *vъ(n).
Le n final de *vъ(n) ("ven") disparaissait quand le mot suivant commençait par une consonne.
Il a fini par vraiment disparaître...

Quand au v initial, il s'est ajouté uniquement pour des raisons d'euphonie, ou d'articulation ; c'est ce qu'on appelle en linguistique une prothèse ("fait d’ajouter un son au début d’un mot sans en changer le sens, pour des motifs articulatoires ou stylistiques").
C'est d'ailleurs le même phénomène que l'on retrouve dans le huit russeвосемь ("vociem") ; relisez C'est alors que Jack Ryan proposa quelques After Eights au capitaine de l'Octobre Rouge.

L’ancien grec εἰς, eis (“dans”) provient lui d’une forme allongée *ens- de notre *en-.

Un mot français basé sur εἰς, eis?

Episode!

Réduction du terme « épisodie », lui-même issu du néolatin *episodium, créé sur l’ancient grec ἐπεισόδιον, epeisódion,  (“insertion parenthétique”, “épisode”), neutre de ἐπεισόδιος, epeisódios, “venant à côté … ”), de ἐπί, epí, “sur” + εἰς, eis, “dans” + ὀδός, odós, “voie”.

Insertion parenthétique ???
Oui, il s'agit d'une figure que j'utilise par ailleurs très (trop?) souvent, d'un ajout dans un texte, comme dans...
"nous avons attendu je crois sept ou huit heures dans la gare parce que tous les officiers allemands tout l’état major allemand rentrait à Paris"

On suppose aussi qu’une forme au timbre zéro de *en-: *n̥-dha- aurait donné, via le germanique *anda, *unda, l’anglais… and! (et).

Oui, car and inclut un élément dans une énumération.


Enfin, on n’en est vraiment pas sûr,  mais le mot atoll, désignant une île en forme d'anneau constituée de récifs coralliens (atolu en divehi, langue indo-aryenne des îles Maldives) pourrait dériver du sanskrit अन्तर, ántara, “intérieur”, bien entendu basé sur *en-.

atoll


Bon alors, pour en revenir à l’ésotérisme:

L’idée qui préside à cette doctrine des choses « intérieures », c’est que, justement, c’est à l’intérieur qu’il faut chercher.

Entendez: “en soi”.

En spiritualité, il y a peut-être UNE seule, grande, vérité.
Ou il y en a plusieurs.
Peu importe.
Mais dans tous les cas, la vérité, c’est en vous que vous pouvez la trouver.

Ça, c’est le fondement de l’ésotérisme.
Interrogez-vous, travaillez sur vous-même. Et peut-être trouverez-vous la - ou votre - vérité.

Avec un corollaire indispensable: personne ne peut vous imposer une quelconque vérité.

Personnellement, je pense que la base de toute religion est ésotérique.
Que tout texte sacré est avant tout ésotérique, et n’est pas à prendre à la lettre.

Hélas - le monde est ainsi fait - nous vivons dans la superficialité, et non dans l’intériorité. L’apparence a supplanté le message ; la lettre s’est imposée, au détriment de la Parole.

Et c’est au nom de textes éminemment spirituels, mais lus littéralement, qu’on s’entretue; c’est au nom d’un Dieu qui finalement n’est qu’Amour, que l’on torture, que l’on soumet à la question, que l’on décapite, que l’on lance une croisade ou un djihad.

C’est triste non?

Allez, pour ne pas rester sur une note amère, je vous propose de faire un peu d’ésotérisme.
De l’ésotérisme chrétien. Et je ne blague pas.
Et ça me permettra ainsi de revenir à mon autre dada, la musique…

Vous connaissez toutes et tous l’histoire du nom des notes, je suppose ?

Au XIème siècle, le moine Guido d'Arezzo reprend des syllabes d'une (oui, une) Hymne à Saint Jean-Baptiste écrite fin du VIIIème siècle par le poète carolingien Paul Diacre pour en faire les noms des notes de la gamme :

UT RE MI FA SOL LA


Hymne à Saint Jean-Baptiste
(texte latin du poète Paul Diacre)

Ut queant laxis REsonare fibris
Mira gestorum FAmuli tuorum
SOLve polluti LAbii reatum
Sancte Iohannes


Alors oui, pas de SI.

Eh oui, le si n’est arrivé que bien plus tard! Oh, du côté du XVIème siècle.
Pour le nommer, on a alors repris le vieux texte de Diacre, et utilisé les S et I de Sancte Iohannes.
Et avant ça, ben, ‘y avait pas de si.

En d’autres termes, et pour les puristes: il n'y avait pas de sensible - le si étant la note sensible dans une gamme en do, où do donne le ton, et où le si se situe un demi-ton (diatonique) au-dessous.

Il y a d’ailleurs une façon - très approximative j’en conviens - de dater les airs et les chansons: on peut supposer d’un air sans sensible, qu’il remonte à très, très, très longtemps.

Forcément, on peut trouver des airs sans sensible récents.
Dans la production musicale actuelle, je ne serais pas étonné de trouver ce genre de morceaux, composés avec deux doigts.
Disons, pour tenter de les récupérer, qu’ils sont plutôt basés sur la rythmique que sur la mélodie ou l’harmonie

Quelques exemples d’airs, de morceaux sans si ?

Les comptines des cours de récréation !
Ou les berceuses, ou encore certaines vieilles chansons françaises …
Ces airs qui se transmettent en fait de génération en génération, parfois sur des centaines d’années…

Dans un bocage couvert de feuillage, Meunier tu dors, Frère Jacques, J’ai du bon tabac, Le bon roi Dagobert, J’ai perdu mon mouchoir, Un deux trois nous irons au bois, Sur l’pont de Nantes, Ah vous dirai-je maman, Alouette, gentille alouette, La complainte de Mandrin (dont la musique serait plus ancienne?), Il était une bergère, Il était un petit navire,  

Ou encore Auld Lang Syne (Ce n’est qu’un au revoir), même si on a tendance, dans la version française, à mettre un si sur “qu’un”, totalement inexistant dans la version originale en anglais.
Ou même Amazing Grace !
Pour Henri Vincenot, ce morceau était carrément d’origine préhistorique



Parfois, le si naturel n’est pas présent, mais est remplacé par un si bémol.
D’où l’importance du si bémol dans la notation germanique, où il a sa propre lettre, le H, le B correspondant lui au si naturel.

Oui, et le UT a été remplacé par un DO, plus facile à prononcer.

Mais voilà !
Paul Diacre a codé son hymne à Saint-Jean Baptiste, et Guido d’Arezzo devait plus que vraisemblablement le savoir…

Guido d'Arezzo


La musique était un art sacré. En fait, l’art en tant que tel n’était que sacré.
On ne signait pas son oeuvre, mais on la dédiait au Tout Puissant.
Oui, on n’est plus vraiment dans le même monde.
Et donc, Dieu était au centre de tout, et la musique écrite et surtout chantée à la Gloire de Dieu.

Paul Diacre, dans son poème ésotérique, avait masqué sa compréhension de l’Univers selon sa foi chrétienne derrière quelques rimes anodines…
En jouant sur les syllabes de l’hymne, Guido d’Arezzo transcendait son message, en l'incluant dans toute musique !

Et voilà ce que l’on pouvait comprendre de l’hymne, sous forme de cryptogramme :

RE

LA SOL FA

UT

IO


Une superbe croix latine…

Resolutio: la décomposition, la séparation: la mort symbolique que doit subir le chrétien pour se révéler Christ (oui, ésotériquement parlant, le Christ n’est pas extérieur, évidemment, mais en vous : le but du chrétien est de devenir lui-même Christ, en d’autres termes de se parfaire.
C’est le même principe pour le bouddhisme ou l’Islam, par exemple…)

Au centre de la croix, le sol (soleil), et plus encore, le O, l’Oméga.
Tiens, qui a dit “je suis l’alpha et l’oméga” ?

Vous pouvez ainsi, sur la barre horizontale de la croix, lire, mais en partant du centre vers les extrémités, AL FA (alpha tel qu’on l’écrivait à l’époque)

Et le MI dans tout ça? Il confirme en fait la même idée : M représente dans la numération latine le plus grand nombre possible, et I le plus petitMicrocosme et Macrocosme, Alpha et Oméga

Si vous voulez en savoir plus, allez sur http://www.jstor.org et recherchez
"Ut queant laxis" et les Origines de la Gamme
Jacques Chailley, chez Acta Musicologica
Vol. 56, Fasc. 1 (Jan. - Jun., 1984), pp. 48-69
Published by: International Musicological Society

Le lien direct?
http://www.jstor.org/stable/932616


Bon, là, j’ai assez parlé !



Je vous souhaite un EXCELLENT dimanche, une TRES bonne semaine, et espère vous retrouver dimanche prochain, pour un article sur…

oh, ‘sais pas; on verra bien !




Frédéric


dimanche 12 octobre 2014

un dimanche sans rime ni raison ?





La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l'allons montrer tout à l'heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure.
Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
- Sire, répond l'Agneau, que votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d'Elle,
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
- Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
- Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ?
Reprit l'Agneau, je tette encor ma mère.
- Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
- Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens :
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge.
Là-dessus, au fond des forêts
Le Loup l'emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

Le Loup et l'Agneau, Jean de La Fontaine (1621-1695)














Bonjour à toutes et tous !


Difficile de parler de Magie et magiciens (je vous rappelle quand même qu’il s'agit de notre grand thème du moment, qui arrive tranquillement à sa fin) sans parler de ce qui constitue l’armature, parfois éminemment théâtrale, voire grandiloquente, de toute cérémonie magique qui se respecte :

le rituel


mise en place pour un rituel


Le rituel, cet ensemble réglé, fixé, codifié, de gestes, de symboles, d’invocations qui constituent - du moins c’est comme cela qu’on l’imagine - une cérémonie magique


Maintenant, pour être précis, ce que je viens de décrire, c’est plutôt un rite.
Le rituel n’étant que la codification par écrit d’un rite, le document dans lequel le rite est décrit.
Mais, à ma décharge, la confusion est fréquente.

Quoi qu’il en soit, rite, comme rituel, proviennent du latin, le premier de rītus: rite sacré, usage, le second de rituālis: rituel, basé lui-même sur rītus.


Et notre rītus latin, vous l’imaginez bien, nous arrive d’une racine proto-indo-européenne: 

*rē(i)-


Son champ sémantique englobait les notions de raisonner, compter, calculer, peut-être même aussi: ordonner


Et pour tout vous dire, c’est une forme particulière au timbre zéro de *rē(i)-, suffixée en *-tu-: *ri-tu-, qui est précisément à l’origine du latin rītus.


Encore une fois, vous risquez d’être surpris devant les autres dérivés de *rē(i)- que je vais ici vous présenter, et surtout devant les liens que l’on peut tisser entre tous ces mots, du fait de leur lointaine parenté proto-indo-européenne.


C’est ainsi que, d’une forme suffixée de la racine *rē(i)- au timbre zéro : *ərəi-dhmo-, nous avons tiré le grec ἀριθμός, arithmós : (notamment) le nombre, le montant.

Bien entendu, sur ἀριθμός, arithmós nous avons créé … arithmétique !



Quant à logarithme, ce mot fut créé par le mathématicien écossais John Napier, baron de Markinston, au début du XVIIème siècle, en associant λόγος, lógosrapport ») et ἀριθμός, arithmós (« nombre »).


Napier ?

John Napier

Son nom se francisa en Jean Neper, ou Néper.
Ca ne vous dit toujours rien ?

Et le logarithme népérien, alors ??

On appelle logarithme népérien, noté ln, la primitive de la fonction f(x) = 1/x (x>o) s’annulant pour x=1.

Et moi qui avais oublié pourquoi je préférais les langues aux maths…

Mais admettons malgré tout que certains mathématiciens ont de l’humour - si mes profs de math en avaient eu un peu plus, peut-être aurais-je aimé la matière qu’ils enseignaient?…

Voici un exemple d’humour de mathématicien, j’en pleure encore de rire :

C’est Logarithme et Exponentiel qui sont dans un bar. Ils commandent une bière chacun. Lequel paie? Exponentiel, parce que Logarithme népérien.

Ln, je m'appelle Ln



En tout cas, je ne me rappelle pas qu’un de mes profs de maths m’ait jamais raconté que les mots logarithme et népérien venaient en fait d’une seule et même personne…
Le savaient-ils eux-mêmes?

- J'ai ici une pensée émue pour une prof de math, Mme V., toujours outrageusement fardée et qui manifestement me détestait, et que je peux enfin qualifier 
- maintenant que je suis plus âgé qu'elle ne l'était à l'époque, que j'ai grandi en sagesse et vieilli d'expériences multiples, et que moi-même j'exerce un métier - 
de sale conne déboussolée, véritable honte à sa profession, qui devait très probablement se venger sur ses élèves masculins de son manque de discernement dans sa vie sexuelle et affective. -
Chère Mme V., j'espère sincèrement que vous vous êtes fait soigner, et que vous êtes enfin heureuse. Vraiment. Je ne vous ai pas oubliée (il ne faut pas trop demander), mais je vous ai  presque pardonnée.


- Bon, OK, rite et arithmétique… Et le rapport ? Le rapport entre le fait de compter et un rite ?? N'importe quoi, ouais...
- Ah bonjour, ça faisait longtemps, non? Excellente question !

Eh bien, compter, c’est aussi dénombrer, énumérer.
Et la particularité d’un rite, c’est qu’il se répète.
C'est simple: un rite qui ne s’exécute qu’une seule fois, par définition, ce n’est pas un rite.
C’est précisément parce qu’il se reproduit, de la même façon, encore et encore, qu’on peut le qualifier de rite
Comprenons donc que le rite possède en lui-même cette répétition, cette suite logique que l’on retrouve par ailleurs dans le logarithme !


Cette notion de répétition, de retour, nous la retrouvons par ailleurs dans un mot qui n’a rien à voir avec les mathématiques…

Si je vous dis que ce mot désigne… 

le retour de la même syllabe dans la terminaison de deux ou plusieurs mots; et spécialement pour les mots qui se trouvent à la fin des vers. 
    
Vous l’avez trouvé ?

Oui ! rime.
D'où ce superbe texte de La Fontaine en exergue...

Ah, pour bon nombre de linguistes francophones, l’étymologie du mot est incertaine
Certains vont même jusqu'à le rapprocher du latin rythmus (rythme), sans trop y croire.

Et pourtant, s’ils creusaient un peu plus, s’ils ne s’arrêtaient pas à la sempiternelle rengaine du “le français vient du latin et du grec”, il pourraient réaliser qu’il y eut une forme proto-germanique *rīmą (“calcul, nombre”), dérivée de notre *rē(i)- proto-indo-européenne.

Et que ce germanique *rīmą a donné l’anglais rhyme, la rime.


C’est aussi de lui que dérivent ...
  • le vieux frison rīm (“nombre, montant, compte”), 
  • le vieux haut-allemand rīm (“série, rangée, nombre”), 
  • le vieux norois rím (“calcul, calendrier”), ou 
  • les mots pour “rime” en néerlandais: rijm, en allemand : Reim ou encore en suédois: rim
Pour ce qui est du français, *rīmą nous est tout simplement arrivé par le Vieux-francique.


Nous retrouvons encore *rē(i)- en vieil irlandais, avec āram: nombre, et rīm: nombre, calcul
Allez, encore un cognat : en gallois, nombre c’est rhif.



Ah oui! J'allais oublier...

Pour ce qui est du h de l’anglais rhyme, il y a été déposé là par de braves gens qui pensaient qu’il était lié au latin rythme
Comme quoi la confusion entre rime et rythme n’existe pas qu’en français, et n’est pas récente…


Mais revenons à notre *rē(i)- sous sa forme de base *(ə)rē-.
Nous la retrouvons quelques millénaires plus tard, enfouie sous le latin reor, rērī (et au participe passé ratus): penser, supposer, estimer.

Ben oui! Nous en avons hérité raison (de ratiō, le radical de ratus), ratio signifiant tant le calcul, le compte, que le raisonnement, la raison

Le ratio?
Oui, ce mot pas bien élégant, très récent (XXème siècle), nous l’avons repris de l’anglais ratio (“proportion”), lui-même dérivé du latin ratiō, rationis : calcul, compte.


Nous devons également - bien évidemment - au latin ratio: ration, rationnement, rationnel, rationaliser, ou raison, raisonnement, raisonner, raisonnable …

Inscription sur un mur de l'église Saint-Martin d'Ivry-la-Bataille
(source Wikipedia)


Mais aussi prorata, race, ou ratifier !

Oui, le latin ratiō désignait avant tout un calcul, une mesure.
De là, il en est passé à désigner la faculté de compter, de raisonner. 
Puis il est devenu ce que l’on déduisait par son raisonnement : une explication.

Race ?
Oui, il y a à la base l’idée d’un classement obtenu par raisonnement.
La rasse (orthographe première) désignait ainsi toute espèce d’animaux et de fruits

Ratifier ? 
Oui, car en ratifiant, vous validez par votre raison.



Une forme suffixée en *-dh- de notre racine : *rē-dh-, est elle à l’origine de l’anglais… read ! Lire.

A l’origine, le vieil anglais rǣdan signifiait plutôt … conseiller !
Ce rǣdan était issu du proto-germanique *rēdaną (“avis, conseil”).

Nous retrouvons d’ailleurs globalement la même signification dans le frison saterlandais - excusez du peu - räide, le néerlandais raden, l’allemand Rat / raten, le danois råde, le suédois råda… 


Oui, je devine votre question : “mais comment est-on passé de conseiller à lire, si l’on parle de l’anglais ?”.
Eh bien, c’est une bonne question ! 
Ce qui est sûr, c’est que ce développement ne se retrouve qu’en anglais (ou en scots, où le verbe rede, red signifie encore “aviser, conseiller, déchiffrer, lire”).

On peut imaginer - et là, je pense à mes amis traducteurs et interprètes - que conseiller, c’est d’une certaine façon traduire une idée pour la rendre compréhensible par quelqu’un. 
Conseiller, c’est aussi interpréter des faits, et, basé sur cette interprétation, faire des recommandations. 
A un moment, cette notion  de déchiffrement, d’interprétation a dû s’étendre à l’interprétation de lettres… 
De discerner - ce qui était encore une acception du vieil anglais rǣdan -, le mot en est venu à signifier discerner le sens de caractères écrits


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Quelques prénoms ?

Littéralement, les prénoms d’origine germanique Conrad et Ralph se traduiraient respectivement par …
le conseil, ou le conseiller courageux (Kuonrāt en vieux haut-allemand, kuon signifiant hardi, intrépide …), et
le conseil, ou le conseiller loup (Rādhulfr en vieux norois, où rādh = conseil et ulfr = loup)



Et puis, et puis…
...sur une forme au timbre zéro de notre racine *rē(i)-, mais cette fois suffixée en *-t- : *rə-t-, s’est construit le proto-germanique *radą, qui désignait le nombre.

Nous en avons déjà parlé !!

C’est ce *radą qui est devenu le -red de l’anglais hundred ! (cent)

Nous avions découvert dans cet article que le français cent et l’anglais hundred provenaient bien de la même racine : *ḱm̥-tom !!

Hundred provenant du vieil anglais hundred, basé sur le proto-germanique *hundaradą,
mot composé de ...

*hundą (c'est ici que vous voyez poindre le proto-indo-européen *ḱm̥-tom, le *ḱ proto-indo-européen pouvant devenir un h dans les langues germaniques), suivi de...
*radą.

Hundred, c’est, étymologiquement et littéralement, “le nombre cent”.



Joli, non ?

Partir de rite et découvrir que raison, rime, arithmétique, ou même le -red de hundred en sont des cousins très très proches…


Merci qui ??
Merci le proto-indo-européen, évidemment !




Je vous souhaite, à toutes et tous, un très bon dimanche, et une très très bonne semaine !!



A dimanche prochain !





Frédéric