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Une mise élégante nous coûte plus cher à l'auberge que chez le tailleur.
Bluettes et boutades (1846)
Jean Antoine Petit-Senn (1792–1870)
Bonjour à toutes et tous!
Après nous être intéressé à la très jolie racine *bhergh-2,
à l’origine de bourg, beffroi, iceberg, Bourgogne, confort, Brigitte, ou encore de l’anglais burglar,il me semblait opportun de nous pencher sur le cas de son homonyme, la racine proto-indo-européenne...
*bhergh-1.
Oui, pour celles et ceux qui découvrent - avidement - le dimanche indo-européen, sachez qu’une fois reconstruite, il peut s’avérer qu’une racine proto-européenne ressemble furieusement à une autre.
C’est alors le sens retrouvé qui permet de discerner l’une de l’autre.
Mais tout n’est qu’hypothèse, et théorie!
L’étymologie comparée des langues indo-européennes ne cesse de progresser, et certaines racines retrouvées par Julius Pokorny, par exemple, regroupant selon lui plusieurs sens, sont à présent scindées en plusieurs racines distinctes.
Et on peut toujours se poser la question du bienfondé de certaines scissions.
On remonte par le jeu de la comparaison à une racine *x- à partir d’une série de mots de sens proche ou identique dans diverses langues indo-européennes.
Mais parfois, en partant de mots n'évoquant nullement ce sens, on reconstruit une racine semblable à la première, *x-
A première vue rigoureusement identique.
Est-ce la même? Ou pas?
Peut-être que oui, peut-être que non.
Peut-être même que les champs sémantiques de ces deux racines se confondent, en partie du moins...
Quand on soupçonne qu'une seule et même forme reconstruite correspond en réalité à plusieurs racines (donc à des sens différents), alors, pour les séparer et les reconnaître, ces racines homonymes, on leur donne un numéro: *x-1, *x-2 ...
---------- Mode séquence coup de gueule ON ----------
Il y a des sites d’extrême droite voire carrément néo-nazis qui reprennent le dimanche indo-européen dans leurs liens.
Oh tout le monde est libre d’utiliser les liens repris sur l’Internet ; je dirais même que c’est le principe même du Web.
En revanche, là où c’est choquant, c’est que sur l'un de ces sites, le dimanche indo-européen apparaît dans une catégorie dite “sites coalisés”!
(Entendez: sites prônant le nazisme, la supériorité de la race blanche et ce genre de conneries)
Mais enfin??
Je me suis plaint au pignouf derrière ce site pour lui signaler que je n’étais coalisé avec personne, pour m’entendre gentiment répondre d’aller me faire voir.
Mais voilà, c’est un bel exemple de trois choses: de la bêtise humaine, évidemment, du mensonge dont vivent ces idéologies de merde (oui, en français dans le texte), et surtout, du mélange classique des genres entre les thèses d’extrême droite et l’”indo-européanisme”.
Ces enfoirés (non, je ne suis pas malpoli, je ne vois simplement pas d’autres mots pour les qualifier, ou alors je deviens grossier) confondent étymologie et linguistique comparée d’une part, et race supérieure, aryanisme et autres puanteurs d’autre part.
Ce qui est amusant, c’est que - le croirez-vous? - le dimanche indo-européen s’est vu dernièrement (gentiment) agressé non pas par un facho, mais par un gentil, un pas méchant, mais à mon sens peu au fait de la linguistique, qui claironnait - avec raison! - que le mythe immonde de la race supérieure était hélas toujours vivace.
Pour preuve? Mais voyons: mon site!!
Mais enfin??
Frères humains, parfois, c’est dur.
Je vous aime bien. Pas tous, d’accord, mais quand même. Beaucoup.
Arrêtez d’être cons. Ce serait si bien!
Accuser les amateurs de linguistique indo-européenne comparée d’être des fachos, c’est comme traiter tous les amateurs de Wagner de nazis, sous prétexte que Hitler l’adorait.
Mais enfin??
Faut arrêter.
Je constate aussi que bien souvent, quand on attaque la théorie linguistique proto-indo-européenne, on le fait par idéologie.
Ainsi, vous trouverez certains extrémistes fondamentalistes musulmans qui vous diront que le proto-indo-européen, c’est du n’importe quoi, puisque la langue originelle, c’est l’arabe, évidemment, qui émane en droite ligne de Dieu.
On a beau leur dire qu’on parle de familles de langues différentes, rien n’y fait: il y avait UNE langue, et c’était l’arabe. Et donc, le français, comme le reste, descend de lui. Infaillible.
Rigoureusement le même discours - c’est ça qui est amusant - de la part de certains extrémistes fondamentalistes juifs, pour qui LA langue qui descend de Dieu, c’est l’Hébreu.
En toute logique, toutes les langues en proviennent. C'est mathématique.
(Oui, les extrêmes, c’est bien connu, se rejoignent)
Encore une fois, même type de discours, mais cette fois dans la bouche de certains extrémistes fondamentalistes … hindous!
C'est ceux que je préfère!
Ce sont les moins dangereux, mais aussi, il faut bien le dire, les plus comiques. Mes chouchous quoi!
Pour eux, le sanskrit n’est pas une langue parmi les langues indo-européennes, mais bien LA langue à l’origine des autres langues indo-européennes.
Elle serait en quelque sorte le proto-indo-européen tant recherché.
Je suis abonné à un remarquable blog “Languages of the World” tenu par le professeur Asya Pereltsvaig, qui enseigne la linguistique à l’Université de Stanford.
Récemment, je me suis pâmé devant les commentaires que certains internautes lui avaient laissé à propos d’un de ses articles: “Which language is the oldest?”
L’article était évidemment un pied-de-nez à toutes les théories fumeuses sur l’ancienneté des langues.
Déjà, quels sont les critères qui permettent de définir une langue dans le temps?
L’ancien français est-il déjà du français? Même si nous ne comprendrions pratiquement RIEN d’un discours en ancien français?
Bref.
Cet article se voulait une réflexion sous forme de pirouette.
Et voilà que parmi les commentateurs, débarquent - c’est nouveau, ça vient de sortir - les … Tamouls!
Pour eux, aucun doute n’est permis, le tamoul est la plus ancienne langue du monde. Point.
Pourquoi? Oh, parce que.
Ah oui, et idem pour certains Albanais, pour qui la langue la plus ancienne c'est ...
Allez, devinez...
NON, pas le tamoul,
Oui! L’albanais. Je sais, c'est surprenant.
Frères humains!
Parfois, si si je vous assure, c’est vraiment dur.
---------- Mode séquence coup de gueule OFF ----------
… Et donc, *bhergh-1 (1) signifiait non pas “haut, élevé” - ça c'est le sens de *bhergh-2 (2) -, mais plutôt “protéger, cacher”.
Peut-être même, en ce sens, “enterrer”.
Nous l’avons déjà rencontrée, il n’y a pas si longtemps, notre *bhergh-1, mais de loin…
Dans c'est pour se faire un torticolis, une accolade en hauberc, pour tout vous dire.
Car elle se retrouve dans le germanique *bergan: protéger.
Et c’est précisément *bergan qui se … cache … derrière le composé germanique *h(w)als-berg-, qui a donné notre français hauberc, littéralement “protection de cou”.
Par une forme au timbre zéro (sans voyelle-pivot): *bhr̥gh-, *bhergh-1 s’est dérivée dans le germanique *burjan: enterrer.
Que nous retrouvons dans l’anglais bury: enterrer, ensevelir, ou cacher.
Par un dérivé germanique de *burjan: *burgisli-, notre racine est devenue l’anglais burial: enterrement, funérailles.
A burial place, c’est un lieu de sépulture.
Sépulture de Hochdorf |
Nous retrouvons la racine ...
- en vieux norois, où byrgja signifie “fermer”,
- en frison occidental, où bergje signifie garder,
- en allemand où bergen signifie sauver quelqu’un ou quelque chose …
Le lituanien oriental (oui, c’est assez pointu) bir̃ginti signifie lui épargner, être parcimonieux (oui: protéger en mettant de côté).
En russe, *bhergh-1 se cache derrière беречь (“birietch”): garder, prendre soin.
Et бережный (“biriejneuil”) signifie attentionné, économe…
L'infâme Picsou, plus savoureusement dénommé Scrooge McDuck en VO |
En ossète - langue appartenant au groupe iranien, et bien à propos parlée par les ... Ossètes (on est ici dans le Caucase, ou en Géorgie) -, æмбæрзын (“amberzeun”), c’est “couvrir”.
Une ossète bien couverte |
Mais revenons en germanique, où le verbe dérivé *borgēn signifiait gage, prêt…
Le rapport?
Eh bien, l’idée de protéger: de protéger, de sécuriser une transaction par une mise en gage par exemple.
Nous retrouvons le germanique *borgēn passé à l’anglais, dans le verbe to borrow: emprunter.
- MAIS?? On ne parle plus ici de prêt, mais d’emprunt!
- Bonjour! Heureux de vous revoir! Oui, très bonne remarque!
On peut supposer que le verbe a fini par désigner la transaction prêt/emprunt comme un tout, puisque l’un ne peut aller sans l’autre?
Quoi qu’il en soit, en anglais moderne, to lay to borrow, c’est mettre en gage.
Humour de grammairien |
Nous retrouvons la racine sous des acceptions proches dans ...
- le néerlandais borgen (“emprunter”, ”faire confiance”),
- l’allemand borgen (“prêter, emprunter”), ou
- le danois borge (“se porter garant”).
Bargain!
To bargain, en anglais, c’est marchander, négocier…
Le verbe nous arrive encore une fois d’un dérivé germanique: *borganjan: marchander.
- Oh, ça suffit oui? Rien que de l’anglais, ou du russe, ou de l’ossète! Et en français?? T’appelles ça de l’indo-européen, et RIEN en français??
- Ouui. Voyons, comment dire…
Vous auriez attendu deux ou trois lignes de plus, et vous auriez découvert que l’anglais to bargain provient bien du germanique, mais … par le français barguigner (bargaignier, barguaignier, barguignier), attesté au XIIème siècle.
Le mot proviendrait du latin médiéval barcaniare “faire du commerce”, emprunté lui-même au verbe francique *borganjan…
Barguigner, et ses dérivés barguigneur, barguignage, barguignade sont à présent archaïques, ou ont carrément disparu.
MAIS barguiner se retrouve, en français du canada, pour “marchander”…
- et j'en profite pour faire un petit coucou à mon ex-collègue Philippe qui est à présent là-bas... -
Tim Wonnacott, le présentateur de l'émission-jeu de la BBC Bargain Hunt |
- Ouais bon, et t’as rien de mieux que du français du XIIème??
- Eh bien oui, j’ai! Merci de m’aider à faire la transition!
Car en francique existait un verbe composé de *heri, *hari “armée” ….
- Petit aparté! *heri, *hari «armée», nous le retrouvons certes dans l’allemand Heer "armée", mais aussi dans notre héraut, attesté chez Chrétien de Troyes (1176-1181) sous la forme hyraut.
Le mot provient du francique *heriwald: chef d’armée, composé de *hari et de *wald: “qui règne”.
De héraut, héraut d’armes, nous avons tiré héraldique, ou le très récent héraldiste. -
… et de *bergôn, basé sur le germanique *bergan: “protéger”: heribergôn.
Ce verbe se traduirait par loger, camper, en parlant d’une armée…
Ce mot, ce mot!!!
On le rencontre en 811 dans le latin médiéval heribergare « procurer le gîte aux guerriers ».
Il deviendra plus tard, au XIème siècle, herberger.
Oui!! Il s’agit, sous sa forme moderne, d’héberger.
Qui, étymologiquement donc, signifie bien offrir le gîte, mais ... à une armée…
Quant à notre français auberge, ben c’est pareil!
Il y avait, en ancien français, le verbe arberger, habergier, emprunt au germanique de l'Ouest *haribergôn, qui n’est qu’une variante méridionale de ce même heribergôn, importé en Gaule par les mercenaires germaniques au sens de « loger une armée ».
C’est de ce verbe pour le sens, et du provençal moderne aubergo pour la forme, que nous arrive le vieux français aulberge, qui donnera notre moderne auberge.
Auberge du Trésor, Québec Phiphi, tu connais? |
Oh, vous retrouverez ce germanique heribergôn dans bien d'autres langues romanes, comme dans l’espagnol albergar…
Et vous le retrouvez encore en anglais - eh oui - où harbour est un lieu où ce sont les bateaux qui sont à l’abri: le port.
Oui bon, dans ce cas-là, les bateaux n'étaient pas vraiment à l'abri: le tristement célèbre Pearl Harbor, 1941 |
Bon dimanche à toutes et tous, passez une très bonne semaine!
A dimanche prochain?
Frédéric
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