- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 28 septembre 2014

La confiture, ça dégouline.





Une bonne femme parlant toujours de son jardin, de ses confitures, de ses tricots, de ses éternels tricots pour les pauvres. C'est drôle comme les pauvres ont éternellement besoin de tricots. On dirait qu'ils n'ont besoin que de tricots.

Jean Anouilh, in Antigone (1942)


Antigone, le début de la pièce dans sa première mise en scène
au théâtre de l'Atelier, en pleine occupation...

















Bonjour à toutes et tous!



… Et on continue!!

Eh oui, c’est toujours la racine proto-indo-européenne *dhē- (“mettre, placer, mettre en place, poser…”) qui occupe nos pensées.

Remarquable petite racine à qui, vous l’avez déjà constaté, nous devons tant de mots.
Et pas qu’en français, en plus.

Je ne vais évidemment pas refaire les deux articles précédents, tous deux dédiés à cette fameuse racine, mais sachez qu’ils se trouvent ici:



Et là-d’ssus, ben, on continue.


Sur une forme de *dhē- préfixée en *kom-
(oui, ce *kom- qui évoque l’idée d’ensemble, qui va donner le cum latin)
basée sur la forme au timbre zéro (= sans voyelle-pivot, pour ceux qui prennent le train en marche) *dhə-,
autrement dit sur une forme *kom-dhə-
s’est bâti le latin condō, condĕre: mettre ensemble, établir, ou même “mettre de côté”, et par extension mettre en réserve, ensevelir, cacher.


*kom-dhə- bituuuuuuuuuu de


Ab Urbe condita signifie ainsi “à partir de la fondation de la ville”.
Laquelle, de ville? Mais grands dieux, Rome bien entendu!

Selon Tite-Live (pour les plus jeunes d'entre vous, ça se prononce "tit-liv", pas "taïte laïve"), la fondation de Rome date du 21 avril 753 avant J.-C.

Et les historiens modernes font semblant de le croire.

Donc, nous sommes, Ab Urbe condita, en ... [2014+753=] ... 2767.

En latin? MMDCCLXVII AUC!


« She-wolf suckles Romulus and Remus » par Benutzer



Ce sens de “cacher”, nous le retrouvons dans le latin abscondo, ou le préfixe abs- marque l’idée d’éloignement.
C’est sur cet abscondo que l’espagnol a créé esconder: cacher.

Ou que le français a créé abscondre!
Oui, je l’avoue, le verbe est désuet, mais il signifie toujours bien … cacher.

Nous en utilisons toujours une forme adjectivale:

abscons.

Abscons? Obscur, inintelligible
Mais à l’origine: caché, mystérieux.
D’où incompréhensible, puis complexe au point de n’avoir plus aucun sens

Abscons est en fait basé sur le participe passé de abscondo: absconsus (il en a de la chance, Abs), ce qui nous permet de comprendre la présence de ce s final … euh … abscons.

Message d'erreur abscons



Mais poursuivons…

Toujours à partir de la forme au timbre zéro de notre *dhē-: *dhə-,
toujours préfixée en *kom-,
 mais cette fois - c'est énorme! - suffixée en *-yo- pour donner le sublime composé ...

*kom-dh(ə)-yo-, 

le latin a créé condiō, condīre. 

Il s’agit d’une forme collatérale de condō (« établir, conserver »).
Qui signifiait plutôt préserver, conserver, puis, par extension, assaisonner!
Probablement parce que pour conserver les aliments, on les assaisonnait, on les salait.

Et - vous voyez où je veux en venir - sur condiō le français a créé ce mot pour …

... ce que le Larousse décrit comme Substance (sel) ou préparation (moutarde, pickles) ajoutée aux aliments cuits ou crus pour en relever la saveur: le ...

condiment!


condiments



Et ce n’est pas fini: sur un verbe étymologiquement très proche de condiō: cōnficiōpréparer” (“faire avec”: < con-faciō), nous avons aussi créé…

confire!

Confiture, confisage, confiseur, confit, confiserie…!
Eh oui, tout ça, c'est encore des dérivés de cette formidable *dhē-!



Confiture

(Et vous aurez évidemment reconnu un extrait des paroles de La confiture des Frères Jacques comme titre du présent article)




Une petite devinette?

Je vous demande de trouver un mot masculin, familier, qui désigne une conversation, un discours, ou un écrit, où sont mêlées confusément toutes sortes de choses disparates.

Non, ça ne commence pas par un b.

Mais par un s


Un mot de quatre syllabes...

Qui sonne un peu arabisant, ou hispanisant...


Vous avez trouvé?

Mais allez!! Cherchez!

...


...


...


il commence par sal...

...


...


...


Un ... salmigondis!

A l’origine, un ragoût de diverses sortes de viandes réchauffées.

Eh bien, le curieux (ou abscons évidemment) salmigondis, mot du XVIème, serait un composé évoquant le sel (sal-) et l’assaisonnement (oui, on y retrouve condīre derrière gondis).

Et on explique la présence de ce mi là juste au milieu par le fait que le mot se serait enchevêtré avec salemine, un vieux mot pour un plat de poissons.


A présent, parlons d’une forme dupliquée de *dhē-: *dhi-dhə-.

*dhi-dhə-


C’est cette double construction qui est à la base du grec ancien θἐσις, thésisaction de poser, de placer, établissement, position»).

Et bien entendu, θἐσις, thésis - en passant toutefois par le latin thesis - est devenu notre thèse, “proposition qu’on avance avec l’intention de la défendre si elle est attaquée.

Oui, donc, forcément, nous en avons également dérivé prothèse, parenthèse, métathèse, synthèse… Ou même épithète

Ca en devient lassant.


Oh allez, soyons fou: sur une forme au timbre zéro de notre racine, mais ici suffixée en *-mn̥-:


*dhə-mn̥-

s’est construit le grec ancien θέμα, théma, issu de τίθημι, tithemi (« placer »).

θέμα, théma donnera le latin thema, qui à son tour donnera le vieux français tesme.
Bien sûr, en français moderne, tesme deviendra thème!


Pffff…
Bluffante, non, cette racine!?


En vieux slavon d’église - c’est pour toi Jean! -, *dhē- s’est dérivée en děti: mettre, placer, déposer.
Dělo, c’était le travail, l’action, l’acte

C’est ainsi qu’en tchèque moderne, nous retrouvons ději, děju pour “faire”, ou qu’en russe, faire se dit делать/cделать (“diélatj”, “sdiélatj”).



Oui, alors il y encore दधाति dadhāti en sanskrit: placer

En vieux persan, on trouve encore adadā: posé, placé.
(il n'est pas précisé s’il s’agissait d’être posé, placé sur le cheval de bon-papa)


Et pour finir en beauté, je vous dirai que *dhē- est devenue tes-, tās-, täs-, tätt- (placer, déposer…) en tocharien B, et tā(s)-, täs-, tas- (de même sens) en tocharien A…




Ouuuuuuufff!

Vous en rendez-vous compte!?

Elle est vraiment incroyable, cette petite *dhē-

Et, à mon avis, on va la retrouver encore, plus tard, associée à d’autres racines…




Je vous souhaite à toutes et tous un excellent dimanche, une très belle semaine, et espère vous retrouver dimanche prochain!




Frédéric


dimanche 21 septembre 2014

La bibliothécaire se livrait à la prostitution dans une bodega... - Une bodega ??





« L'entêtement pour l'astrologie est une orgueilleuse extravagance. Il n'y a pas jusqu'au plus misérable artisan qui ne croie que les corps immenses qui roulent sur sa tête ne sont faits que pour annoncer à l'Univers l'heure où il sortira de sa boutique. »

Charles Louis de Secondat (1689 - 1755), baron de La Brède et de Montesquieu,
in Mes pensées, 1899 (posthume, forcément)


Charles de Montesquieu
















Bonjour à toutes et tous.



Dimanche dernier, dans le cadre de notre grand thème Magie et magiciens, nous avions découvert que le mot “fétiche” descendait de la racine proto-indo-européenne *dhē-, qui signifiait mettre, placer, mettre en place, poser…

Si si !


Nous n’en avions pas vraiment fini avec cette formidable racine, qui nous a déjà permis de comprendre que le français “faire” et l’anglais “to do” sont en réalité de très proches cousins.

Dingue.


Continuons donc nos recherches sur les surprenants dérivés de *dhē-


Alors oui, nous savons que to do provenait d’une forme au timbre o de *dhē- : *dhō-.

Mais une forme suffixée de *dhē- : *dhē-ti-, 
qui devait désigner ce qui est posé, ou fait, ou encore l’acte, l’action, le fait
nous a donné l’anglais deed (acte, action), et ce via le germanique *dēdiz, puis le vieil anglais dǣd.

Indeed. 

En effet, l’anglais indeed, en effet, en provient également.





Mais ce n’est pas tout. (loin de là)


*dhē-, cette fois sous une forme suffixée *dhē-k-, est à l’origine du grec ancien θήκη, thếkê, que l’on pourrait traduire par “réceptacle”. "Là où l'on pose les choses"

En tant que tel, ce mot ne vous dit peut-être pas grand-chose, mais on le retrouve quand même dans le composé ἀποθήκη, apothếkê, le magasin.

Qui nous a donné, par son calque latin apotheca (entrepôt, magasin, cellier, cave), le français apothicaire désignant ce précurseur de notre moderne pharmacien.


Apothèque victorienne 


Et vous le savez probablement, c’est toujours par apotheek que l’on désigne les pharmacies en néerlandais.

Je pense même que certains Français débarquant à Bruxelles pour la première fois doivent se dire que toutes les pharmacies portent le même nom, qu’elles doivent faire partie d’une chaîne…



(...  et que - véridique - toutes les sorties d'autoroute mènent au même village : Uitrit)



Ce θήκη, thếkê, nous le retrouvons aussi dans le réceptacle de livres : la biblio-thèque.
Ou encore dans un mot qui évoque toujours le magasin, la … boutique.

Et c’est encore par le latin apotheca que le grec ἀποθήκη, apothếkê nous a donné l’espagnol bodega : la cave - ou le bar - à vin, ou même, en Amérique latine, l’épicerie, la boutique, le magasin.

Bodega



Mais revenons à notre *dhē- au timbre o : *dhō-
Cette forme, je le pense, va encore vous réserver quelques surprises…


Déjà, une forme suffixée de *dhō-: *dhō-men-, nous a donné le latin… … …

Abdomen.

Où le préfixe ab- évoque le retrait, l’éloignement, voire la séparation

Abdomen aurait ainsi signifié originellement “[partie du corps] placée en retrait”, “[partie du corps] cachée”.


abdomen latin (ou grec?)

C’est un sens identique que l’on retrouve dans le ourdou parda, désignant le voile, celui destiné à cacher les femmes des étrangers, mot basé sur le vieux persan dā- (placer), descendant de notre *dhē- sous sa forme de base. 

parda


Nos amis britanniques l’ont repris sous la forme purdah pour désigner ce laps de temps entre l’annonce d’élections et de leurs résultats, interrègne durant lequel les gouvernements locaux doivent s’abstenir de toutes déclarations politiques qui pourraient influencer les résultats du scrutin.

Ici donc, ce ne sont plus les femmes qui doivent être cachées, voilées, mais bien les déclarations politiques.


Mais reprenons notre *dhē- au timbre o : *dhō-.

Ce qui est établi”, que l’on peut comprendre au sens figuré comme ce qui est décidé, fixé…, cela correspond bien à la définition du jugement, de la décision de justice, ou carrément de la sentence.

C’est précisément ce que l’anglais doom nous raconte. 
Doom le malheur, la fatalité… Le jugement dernier !

Doom passé à l'anglais par le proto-germanique *-dōmaz.


Doom, c'était aussi un super jeu vidéo des années 90


Mais c’est aussi à *dhō- que nous devons, toujours par le proto-germanique *-dōmaz, ce suffixe -dom si caractéristique de l’anglais, comme dans kingdom (le royaume),  boredom l’ennui … 

(des mots anglais suffixés en -dom, il y en a des dizaines !)

PS: pour en savoir plus sur King, et découvrir que Queen N'EST PAS le féminin de King, c'est ici que ça se passe : The Queen, une femme comme les autres.

Ce -dom évoque l’état, la condition, mais aussi cette “chose établie” qu’est le pouvoir, l’autorité.

Et ici, je ne résiste pas au … plaisir de vous parler du vieux norois (aaaaaaah!) hōrdōmr-, mot composé dont la deuxième partie -dōmr- signifie bien la condition, l'état.

Quant à la première partie, elle provient de la racine proto-indo-européenne *kā-, liée à la notion d’amour, de désir…  (nous lui consacrerons bientôt un dimanche, car elle vaut le coup.)

Alors, que pouvait bien vouloir dire hōrdōmr- ??

L'état (la condition) de [ceux qui donnent libre cours à leur] désir, entendez qui se vautrent dans le stupre :

Hōrdōmr- désignait ... la prostitution.

Ce brave vieux norois hōrdōmr-, nous le retrouvons toujours dans l’anglais whoredom : prostitution.


Elevons quelque peu le débat :

Sachez que c’est également sur le germanique *-dōmaz que s’est construit le russe Дума ("douma").

La Douma d'État (Государственная Дума “gassoudarsvinnaye douma”), c’est la Chambre basse du Parlement de Russie...

Et encore un pavé dans la mare, un.
Douma n'a rien à voir avec le latin domus, la maison, sur lequel nous avons notamment créé domaine, dominer, domestique...

Et d'ailleurs, 'faudra aussi qu'on en parle un jour, de domus et de ses origines proto-indo-européennes...


Douma




Trop fort, *dhē- ! Tu dèchir' ta race !


Et on ne l’a pas encore épuisée, cette incroyable petite racine.

Mais bon, je vous propose d’en rester là, de - pourquoi pas - réfléchir à ces liens invisibles que l'étude du proto-indo-européen nous permet de faire apparaître entre ces mots de premier abord pourtant si différents : abdomen, apothicaire, bibliothèque, boutique, bodega, purdah, doom, Douma...


Je vous souhaite, à toutes et tous, un très agréable dimanche, une TRES belle semaine…!



A… dimanche prochain, pour la suite de notre petit tour de *dhē- ?





Frédéric


dimanche 14 septembre 2014

du facteur au préfet, tous des fétichistes, tous des fashion victims moi que j'dis







La meilleure façon de se venger d'un ennemi, c'est de ne pas lui ressembler.




Mais aussi...

Réfléchis souvent à l'enchaînement de toutes choses dans le monde et à leurs rapports réciproques, elles sont pourrait-on dire entrelacées les unes aux autres et, partant, ont les unes pour les autres une mutuelle amitié, et cela en vertu de la connexion qui l'entraîne et de l'unité de la matière.

Marc-Aurèle in Pensées pour moi-même (VI, 38).

«L'Image et le Pouvoir - Buste cuirassé de
Marc Aurèle agé - 3»
























Bonjour à tous !


DEUX citations en exergue, de Marc-Aurèle ! 
La première autour d'un mot dérivé de la racine que nous allons aborder ; la deuxième me semblant particulièrement appropriée à l'étymologie comparative, plus particulièrement en ce dimanche...


Nous sommes encore, en ce dimanche 14 septembre 2014, à rechercher les racines européennes à l’origine des mots du vocabulaire de la Magie et des magiciens.


Oh, nous arrivons tranquillement à la fin de ce grand sujet ; encore quelques dimanches, et nous passerons à autre chose…



Mais aujourd’hui, je vous propose de parler du … fétiche !

Un fétiche, comme vous le savez, est à l’origine un objet cultuel animiste auquel sont attribuées des propriétés surnaturelles bénéfiques pour son possesseur.

En ce sens, il est doué de pouvoirs magiques


Vous connaissez tous le fétiche arumbaya, dans L’Oreille cassée, le sixième album des aventures de Tintin

Pour éviter tout souci de copyright avec une certaine Fondation au nom évoquant un certain château, je vous propose ci-dessous la représentation d’une statue précolombienne très semblable à celle apparaissant dans l'album en question.

« Cultures précolombiennes
MRAH Chimu Hergé
02 10 2011 B » par Vassil



Le mot fétiche est en réalité un emprunt - par l'intermédiaire d'un texte néerlandais - au portugais feitiço (“fèyetchissou”), attesté depuis le XVème siècle.

Les Portugais, grand navigateurs, voyageurs et colonisateurs, nommèrent ainsi les ridicules objets de culte des populations d’Afrique qu’ils colonisaient gaiement.

Oui : “ridicules” : c’est ainsi qu’ils devaient voir ces amulettes, car pour eux elles n’étaient qu’artificielles, factices.
Forcément, puisque nous le savons tous, il n’y a qu’un seul vrai Dieu, une seule vraie foi.

Quoi qu’il en soit, le portugais feitiço dérivait clairement du latin factīcius : artificiel, factice.

Oui, j’en conviens, ça devait être difficile ne de pas pouffer devant ces absurdes objets dits de culte, quand on savait que la seule vraie foi, c’est nous-mêmes qui l’amenions chez ces sauvages !


Factīcius, le latin factīcius (“artificiel”), est tout simplement un dérivé du verbe faciō, facere : faire.


Et c’est là que l’on se sent inéluctablement aspiré, et que, pantois, on remonte d'au moins 5000 ans dans le temps, pour se retrouver nez à nez avec la racine proto-indo-européenne se cachant derrière ce faciō latin :


*dhē- (ou, pour les grands malades,*dʰeh-


Oh, ben *dhē-, ça ne devait probablement pas signifier “faire”, mais plutôt mettre, placer, mettre en place, poser…
Cette notion de “faire”, elle est en quelque sorte induite par l’action de mettre en place, d’agir pour préparer les choses.


Vous allez être surpris !

Ou même, comme moi, émerveillés des liens que l’on peut encore tisser entre langues, à partir d’une simple et brave racine proto-indo-européenne…

Pour le moment, sachez que c’est une forme de *dhē- au timbre zéro (sans voyelle pivot) et suffixée : *dhə-k-, qui un jour deviendrait ce faciō

Evidemment, avec faciō, facere comme descendant, vous pouvez imaginer les innombrables dérivés que nous pouvons retrouver de cette *dhē- si mimi.

En fait non.

Je pense que vous n’imaginez vraiment pas tous les dérivés qu’elle nous a donnés…

Bien sûr, il y a tous nos dérivés quasi directs de faciō ou de factor (auteur, fabricant), créé sur le supin de faciō : factum :

  • fait, factuel, facteur, faisable, 
  • factice, artifice - et artificiel, évidemment -,
  • affaire
  • bénéfique - ou maléfique
  • confectionner, confetti (qui ne sont littéralement que des confectionnés), 
  • contrefaçon, défectueux
  • façon et malfaçon, l’anglais fashion - la mode, basé sur notre façon
  • faire et défaire
  • efficace, efficient, 
  • facsimile ? manufacture !
  • modifier ? notifier !
  • faction ? putréfaction !
  • préfet ? perfectif !
  • réfectoire, sacrifice, satisfaire, suffire, déficience, surfait !
  • édifier, édifice, infect, justifier, forfait, vivifier … ... ...

Bon, on ne va pas tous les citer.

Maintenant, un autre mot latin se base lui-même sur faciō : faciēs : "ce qui apparaît": l’aspect, l’air, la forme, la figure, la face !

Oui, car faciēs devait désigner originellement la forme imposée à quelque chose
La forme mise à façon.

Et forcément, de faciēs nous avons tiré… faciès, face, facial, facette, mais aussi … façade, surface, ou même effacer. Se composant de ef- (variante de ex-) + face : littéralement faire disparaître.


Vous connaissez le latin opus : le travail, l’oeuvre.

En latin, celui qui exécute un travail, le travailleur, littéralement, c’est l’opifex : opus "travail" + fex "qui fait", de même racine que faciō.

Eh bien, on soupçonne le latin officium (tâche, devoir, service…) d’être la contraction de opificium (“le fait de travailler”), basé sur opifex.

Ce qui nous ouvre de nouvelles portes, de nouvelles perspectives...

Office, officieux, officiel, officine… sont donc encore des dérivés de *dhē-.


The Office, un sommet de l'humour glauque britannique



Nous en étions restés à *dhə-k- 

Une forme suffixée en *-li- de *dhə-k-: *dhə-k-li-, est, elle, à l’origine d’un autre mot latin, via une forme archaïque *facul : 

facilis. Faisable, facile.

Et oui, bien sûr, nous retrouvons facilis dans nos français facile, faciliter, difficulté, ou faculté.



J’ai encore plein de choses à dire sur cette adorable racine qui pourtant ne demande rien à personne…
Je vais garder la suite pour la semaine prochaine, mais je ne résiste pas à vous en présenter un autre dérivé, en anglais cette fois…

Et là, elle m’épate, notre *dhē- 

Car une forme au timbre o de *dhē- : *dhō-, s’est dérivée dans le proto-germanique *dōn.

Et OUI, c’est de ce *dōn germanique que nous arrive l’anglais ... to do : faire.

L’eussiez-vous cru, que faire et to do étaient si proches ??
Qu'ils provenaient d'une seule et même racine ?????

Moi : JAMAIS.

Alors, oui, nous retrouvons évidemment la racine dans l’allemand Tun, ou le néerlandais doen. 


Vous rappelez-vous de ce grand moment d’étymologie indo-européenne, où nous découvrîmes que le français temps et l’anglais time n’avaient RIEN A VOIR l’un avec l’autre ?? (mais alors RIEN)

Malgré tout ce qu'ils partageaient.
Malgré la forme, malgré le sens…

temps : Avez-vous le tempérament pour jouer du Bach?

time : le démagogue est en quelque sorte le démon de la démocratie

Eh bien ici, nous avons un cas diamétralement opposé !
Car qui, a priori, irait penser que “faire” et “do”, de même sens certes, mais de formes totalement différentes, ont quoi que ce soit en commun ?!



Là-dessus, je vous laisse méditer sur les apparences, les faux-amis, et parfois les amis qui le cachent bien…


La semaine prochaine, nous continuerons de creuser autour de *dhē-, avec encore quelques dérivés surprenants en français, mais aussi en anglais, et pour les grands malades qui sommeillent en certains d'entre nous, en vieux slavon d’église, en vieux norois ou carrément en tocharien A, ou B.






Bon dimanche à toutes et tous,
Passez une excellente semaine, et…


A la semaine prochaine !





Frédéric


dimanche 7 septembre 2014

vous pouvez m'épeler "Expelliarmus"?





When you taught me how to dance
Years ago, with misty eyes,
Every step and silent glance,
Every move, a sweet surprise.
Someone must have taught you well,
To beguile and to entrance,
For that night you cast your spell,
And you taught me how to dance.

Katie Melua - When You Taught Me How To Dance
chanson tirée de la bande originale de Miss Potter, 2006, 
film de Chris Noonan,
avec notamment Renée Zellweger, Ewan McGregor,
Peter Rabbit, Mrs Tiggy-Winkle & Mrs Tittlemouse




Peter Rabbit

Mrs Tiggy-Winkle

Mrs Tittlemouse














Ah, si vous ne connaissez pas l'oeuvre de Beatrix Potter, vous ne pouvez pas vraiment apprécier...!

(Idem si vous n'êtes jamais allés dans le Lake district!)







Bonjour à toutes et tous!


Nous en sommes toujours à retrouver l’étymologie des mots relatifs à la magie, aux magiciens!

L'univers magique de Beatrix Potter, et les paysages ensorcelants des Lakes devraient nous y aider...


Nous avions vu, dans les sorties du Prince consort, deuxième volet de notre thème actuel, que le français sort, tout comme d’ailleurs sorcier, ou sortilège, provenait de la racine proto-indo-européenne *ser-3:aligner, ordonner, insérer, relier, mettre ensemble”.



Peut-être le savez-vous? En anglais, sort se dit spell.

To cast a spell, c’est jeter un sort.


Je vous propose donc de nous intéresser à cet anglais spell.

Dans le sens qui nous intéresse ici, spell peut signifier le sort, mais aussi la formule magique, l’incantation, le sortilège, le charme…

Expelliarmus est ainsi le disarming spell: le Charme de Désarmement, dans Harry Potter...


Le mot descend du vieil anglais spel / spell: le discours, l’histoire.
Quant à ce vieil anglais spell, il provenait du proto-germanique *spellam, toujours dans le sens de raconter.

Et OUI, bien sûr - sinon je ne me serais pas amusé à en parler - ce *spellam germanique nous vient d’une racine proto-indo-européenne:

*spel-2 


Son champ sémantique? Oh, il correspondait à quelque chose comme dire à haute voix, réciter

Ici, c’est précisément une forme suffixée *spel-no- qui est à l’origine du *spellam proto-germanique.


Mais *spel-2, n’ayez crainte, se retrouve dans pas mal d’autres langues indo-européennes, dans des dérivés dont la signification est toujours liée à l’énoncé, la prise de parole

Des exemples? Oh, mais il y en a plein!

  • En vieux norois, spjall signifiait le discours, l’histoire, et le verbe spjalla correspondait à parler, narrer.
  • En gotique (oui, sans h, pour désigner cette langue morte parlée par les Goths au Moyen Âge), nous avions par exemple *spill pour le mythe.
  • En letton, pel̃t désigne le ragot, la calomnie.
  • En grec ancien, απειλή, apeilí désignait la menace.
  • En arménien, aṙa-spel, c’est la fable.

Il y en a encore...

  • En albanais, flas, descendant du proto-albanais (si si ça existe, ne riez pas) *spala, signifie toujours parler.
  • Quant à l’albanais fjalë, descendant lui du proto-albanais *spelā (ce qui nous permet de savoir qu’il y avait au moins deux mots en proto-albanais), il désignait le ...mot!


Pour les quelques perverts polyglottes qui me suivent, sachez encore qu’en tocharien A, faire l’éloge se disait päl-, et qu’en tocharien B - je sais que vous l'attendezc’était devenu pāl-.

Enfin, sachez que c’est encore *spel-2  que l’on retrouve - amis François et Pierre, vous apprécierez (private joke) - dans l’allemand Beispiel: l’exemple, comme dans zum Beispiel, par exemple.
On retrouve le mot en vieux haut-allemand sous la forme bīspel (“proverbe, exemple”).

- Eh oh, et Zum Beispiel, ça veut dire quoi?
- Eh ben je l'ai dit: par exemple.


Mais le germanique *spellam est également à l’origine d’un mot anglais dont on n’établirait pas nécessairement la parenté avec spell:

gospel!

Oui, pour nous francophones, il désigne plutôt un genre musical religieux noir-américain où on oblige les choristes à se balancer tous ensemble alternativement vers la gauche puis vers la droite en frappant dans les mains, mais surtout, à l’origine, il désigne …

l’évangile.


Le Mississippi Mass Choir


Evangile”, soit-dit en passant est un mot emprunté au lapin latin chrétien euangelium « bonne nouvelle » (entendez « bonne nouvelle de la parole du Christ ») basé sur le grec εὐαγγέλιον, euaggélion: « récompense, action de grâces, sacrifice offerts pour une bonne nouvelle », puis dans le sens chrétien: « bonne nouvelle, évangile », composé de εὐ « bien » et de αγγέλιον, aggélion « porter une nouvelle »).
[Notez que αγγέλιον provenait de ἄγγελος, ággelos, le messager, qui donnera notre ange...]

Et gospel, ben, c’est littéralement la bonne nouvelle, version germanique!

Good Spell

Vous y retrouvez good: bon, et spelll’histoire que l’on raconte, et ici, plus précisément ... la dernière histoire en date: la nouvelle!


= Évangile selon Jean

Pour l’anecdote, sachez que - c’est l’Oxford English Dictionary qui nous l’apprend - lorsque l’on adopta en vieil anglais l’expression gód spel comme traduction acceptée du latin evangelium, l’ambiguité de sa forme écrite fit qu’on l’interpréta comme le composé gŏd-spel, goddieu” et spelle discours, l’histoire”, donc: l’histoire de Dieu!

Ce qui, il faut le dire, pouvait parfaitement se comprendre…

Le souci, c’est que le mot en vieil anglais, par l’évangélisation des peuples germaniques depuis l'Angleterre, passa dans leurs langues, à ces peuples germaniques.

Sous cette forme-là!

C’est ainsi qu’en vieux saxon on retrouve godspell, en vieux haut-allemand gotspell, en vieux norois guð-, goðspiall
Et que dans chacun de ces cas, le premier élément du composé renvoie à Dieu, et non à la notion de “bon”.

En islandais moderne, c’est toujours cette vieille imposture qui a survécu jusqu’à nos jour, guðspjall - l’histoire de Dieu désignant toujours les évangiles.


évangile islandais



Quand, au début de ce dimanche, je vous précisais que l’anglais spell peut signifier le sort, la formule magique…, il s’agit effectivement d’une acception du mot.

Car il en existe une autre: 

To spell, c’est aussi épeler: donner l'orthographe d'un mot, lettre par lettre et grouper les lettres par syllabes.

Dans ce sens, l’anglais spell provient ... du français!
Ou plus précisément d’un verbe en vieux français: espeller.

Vous l’aurez compris, espeller est devenu notre épeler, évidemment.

Et ce bon vieux français espeller venait, lui … du francique!
*spellôn: « raconter, expliquer », dérivé du verbe dénominatif proto-germanique *spellōn.

Qui, OUI, provenait bien de notre racine *spel-2.

(ou Pari-eeeaan, selon une cocasse prononciation locale)



Donc, pour résumer, l'une des acceptions de l'anglais spell, bien que provenant du proto-indo-européen par le proto-germanique, a été teintée par le contact avec l'ancien français...




Bon dimanche à toutes et tous, passez une excellente semaine et…


A dimanche prochain!




Frédéric