- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 28 décembre 2014

Bien légers, les reliefs du repas de carême...






Tel mot est un sourire, et tel autre un regard ; De quelque mot profond tout homme est le disciple ; Toute force ici-bas a le mot pour multiple ; Moulé sur le cerveau, vif ou lent, grave ou bref, Le creux du crâne humain lui donne son relief.

Victor Hugo, in Les contemplations 

Victor Hugo pointant son
crâne
















Bonjour à toutes et tous!

Avez-vous passé un bon Noël?
Je l’espère, du moins!

A Noël, on se retrouve souvent en famille, et on fête.
Souvent, il faut bien le dire, en mangeant!


Eh bien, en ce dimanche 28 décembre 2014, je vous propose une racine de circonstance.

Oh non, plus question de l’ésotérisme de la Saint-Jean ou de celui de la Naissance de la Lumière


Voyez-vous, dans la Flûte Enchantée de Mozart, il y a deux personnages, Tamino et Pagageno, que l’on peut parfaitement comprendre comme les deux facettes d’un même homme.

Le sage, avide de Connaissance, l’homme en recherche, qui n'est que gravité: 
Tamino.

Tamino

Et puis euh, disons, l’homme ordinaire, quelconque, l’homme de la rue, celui qui n'est que légèreté, qui se contente des plaisirs de la vie, sans trop se poser de questions (si ce n'est quelle équipe remportera la coupe du Monde, ou si Stéphanie restera en lice après le duel de ce soir dans The Voice):
Papageno


Papageno


(on raconte d’ailleurs que Mozart avait traité quelqu’un qu’il n’aimait pas trop de Papageno, ça veut tout dire…)

Chez moi, ce côté Papageno se manifeste notamment par les plaisirs de la table, ou du salon à Whiskies. Quoiqu’un bon rhum, ma foi…

Vous pouvez résister à ça??? Moi: NON.


Et donc voilà, en ce dimanche je laisse parler mon Papageno, et regarde avec amertume les restes du repas (avec amertume parce qu’il n’en reste plus vraiment beaucoup, de restes).

Et là, inspiration!


On parle des reliefs d’un repas

Quel est donc le rapport entre les reliefs d’un repas et le relief géographique, ou même l’anglais to relieve: soulager?

Y a-t-il au moins un rapport entre tous ces mots??

(Je vous spoile la fin de l’article: OUI, il y a bien un rapport!!)


Relief”, attesté pour la première fois en 1050, est le déverbal de … relever!
D’ailleurs, relever, à la première personne du singulier de l’indicatif, se disait il y a bien longtemps “je relief”.

Le mot va désigner, d’abord au singulier, puis au pluriel, les restes de nourriture que l’on ... enlève de la table après le repas.
Qu’on enlève ou “relève”.


Prenons notre DeLorean et remontons le temps un peu plus…



A l’origine du français relever, deux possibilités:

  • le mot est créé sur lever précédé du préfixe (forcément si c’est un préfixe) re-, ou 
  • il s’agit d’un emprunt au latin relevō, relevāre: “soulever”, et au figuré “soulager”, construit sur “re-“ (ici avec une valeur intensive) et levare: alléger, soulager, soulever.


Mais donc, si vous me suivez bien, quelle que soit l’option choisie, notre français relever provient, d’une façon ou d’une autre, du latin lĕvo, lĕvāre, puisque tant le français lever que le latin relevāre en descendent.

Oui? Continuons donc…

Le latin lĕvo, il est construit sur lĕvis « léger ».

Et lĕvis...
- qui nous a donné en passant l’adjectif français levis: “qu’on lève”, que nous ne retrouvons plus que dans … pont-levis -


...lĕvis, donc, provient d’une racine proto-indo-européenne!

Eh oui! C'est fou, non?

*legʷh-


léger”, qui ne pèse pas grand-chose.
Pour Pokorny, elle pouvait même signifier “se déplacer facilement” (grâce à sa légèreté).


Alors, on s’en doute, on va retrouver notre *legʷh- dans l’anglais light - léger.
Via le vieil anglais léoht, lῑht, basé sur le germanique *lῑht(j)az, léger.


Nous retrouvons la racine dans pas mal d’autres langues germaniques, comme dans le néerlandais licht, l’allemand leicht
Par le vieux norois léttr, elle apparaît encore dans le danois let ou le suédois lätt

Mais elle est aussi visible dans d’autres groupes: en lituanien, où léger se dit (ou s’écrit du moins) leŋgvas

En russe, elle est devenue лёгкий ("liogkii") ; en tchèque: lehký.
En sanskrit? Mais oui: लघु (laghu), léger.
En grec? ἐλαϕρός, léger, ἐλαχύς, petit


C’est par une forme suffixée *legʷh-wi- que *legʷh- a donné le lĕvis latin.
Lĕvis qui a une bien belle descendance…

Lever, levier, élever, léviter, levant, alevin, relever, levain, ou … relief

Mué en *leviarius en bas-latin, lĕvis nous a également donné le français léger.
Et donc aussi alléger, légèreté, allègement ...


Relief compte pas mal d’acceptions, dont par exemple:
qui fait saillie sur une surface”, avec par extension, “l’élévation de la surface de la terre”, et bien évidemment, au pluriel “restes des mets qu’on a servis”…

Vous l’aurez compris, l’anglais to relieve “soulager” en provient bien, en passant par le vieux français relever.

Et c’est toujours du latin lĕvis que nous arrive cet autre anglais alleviate: soulager, atténuer, réduire

Quant à l’anglais relevantpertinent”, il en est encore un parfait descendant…


Mais JAMAIS vous ne penseriez que cette idée de “(re-)lever les mets” se retrouve dans un autre mot bien français, où il est question de lever, d’ôter la ... viande.

Je vous laisse un peu chercher?

Un mot qui, étymologiquement, signifie ôter la viande, la chair


Oui??

Carnaval!

Association des latins carne et levare!
Le mot est un emprunt à l’italien carnevalo, altération du latin médiéval carnelevare


- Mais, mais??? Enfin, le carnaval, ça se fête AVANT le carême, qui lui est bien le jeûne sans viande!
- Bonjour!! Certes, vous avez parfaitement raison. Et c’est d’ailleurs pour cela que l’on soupçonne que le premier sens du mot carneval / carnaval était “entrée en carême”.

Ce n’est que par la suite que le sens a évolué, pour désigner la veille dudit carême, où on fait bombance une dernière fois avant le si redouté carême

D'après le calendrier religieux, le carnaval débute à l'Épiphanie (le 6 janvier), date qui marque la fin des fêtes de Noël, et s'arrête le mardi gras, veille du début de la période de carême.
Les Laetare sont ainsi des carnavals de mi-carême, histoire de survivre.


Le combat de Carnaval et de Carême, Pieter Brueghel l'Ancien
(1559)
(source)



Cette bonne *legʷh-, par une forme variante *lagʷh-, s’est également dérivée dans le vieil irlandais lú- "petit".

Nous en avions parlé il y a un peu plus de deux ans, dans corsé, le corset du leipreachán!, car lú-, associé à corp "corps”, a donné le vieil irlandais luchorpán.
Devenu l’irlandais moderne leipreachán ou luprachán, désignant ce fameux petit lutin vert …

Leipreachán


Dans les surprises, il y a encore l’anglais lung: poumon.
Il provient lui d’une forme nasalisée *l(e)ngʷh-, via le germanique *lung-, puis le vieil anglais lungen.

Le rapport? Mais tout simplement la légèreté des poumons…



Allez, on récapitule:

OUI, le relief de la carte, les reliefs du repas et l’anglais to relieve sont bien les descendants d’une seule et même racine.

Et, cerise sur le gâteau, le français carnaval ou l’anglais lung le poumon sont bien étymologiquement apparentés à nos relief, pont-levis et consorts




Ah, le dernier dimanche de l’année!
Bientôt 2015…

Je vous avoue que je serai content, soulagé, de quitter cette année 2014 de laquelle je retiendrai de bons moments, mais aussi des moments nettement moins amusants…


Je profite de ce dernier dimanche de l'année pour vous remercier de votre fidélité au dimanche indo-européen.

Vous savez, si vous n’étiez pas là, à me lire, je ne suis pas sûr que je continuerais...
Alors MERCI! Du fond du coeur.


Je vous souhaite à toutes et tous, une TRES belle année 2015, qui vous comble, qui vous apporte tout ce dont vous avez besoin.

Je vous soupçonne, par vos si saines lectures dominicales, d’être plus Tamino que Papageno
Alors je vous souhaite de ne pas oublier de bien vous amuser, de bien fêter, de bien VIVRE tout simplement.

Car jusqu’à preuve du contraire, nous ne vivons qu’une seule vie. Alors, ne la gâchons pas…
(Et puis même, pourquoi gâcherions-nous ne fût-ce qu'une de nos vies??)




Bon dimanche, bonne semaine, bon réveillon, bonne année!

Et n’oubliez pas que les abus et les excès, ce n’est pas interdit.
Seul l’abus d’excès peut, à la longue, devenir dangereux pour la santé…




Frédéric



dimanche 21 décembre 2014

Moi, effrayé par un flibustier ?? Allons allons...







Il faut qu'il croisse, et que je diminue.

Saint-Jean le Baptiste





Bonjour à toutes et tous !


Nous sommes le 21 décembre !
Si près du solstice d’hiver

Cette année, il se déroulera très précisément - du moins là où j’habite - le 22 décembre, 3 minutes après minuit.

Ce moment de l’année où les journées sont les plus courtes, où les ténèbres de la nuit l’emportent sur la lumière du jour.



Le solstice, nous en avions parlé dans du passage des ans.

C’était également à cette occasion que nous avions découvert la racine proto-indo-européenne *ei-aller, sortir”, qui nous a donné, par une forme allongée *ya-, le Janus romain, Iānus le dieu du passage, représenté par un homme à deux visages, l’un regardant vers le passé, l’autre vers l’avenir.

Janus


En faisant naître les deux Saint-Jean (le Baptiste et l’Evangéliste) aux solstices, en lieu et place de Janus, les Anciens avaient conscience de graver dans le christianisme cette magnifique représentation du passage : de la vie, de la mort, et surtout de l’un qui ne peut aller sans l’autre.
Qu'on le veuille ou non...

En faisant cela, ils inscrivaient le christianisme dans la longue procession des religions humaines, ils lui donnaient un ancrage terrestre voire cosmique, en l’inscrivant dans les grands cycles de notre vieille planète.

Evidemment, le symbole des deux Saint-Jean, comme celui du Christ nouveau-né : l’enfant-lumière, ne fonctionne que dans l’hémisphère nord, le berceau du christianisme.
Et qui plus est à une époque définie.
Car dans 12000 ans, le solstice d’hiver ne tombera plus vraiment fin décembre

J’oserais même ajouter qu'à mon sens, ce serait une sainte ineptie de fêter le jour de naissance du Christ - enfant-Lumière, le jour de Noël dans l’hémisphère austral...

Ben oui, c’est quand même pas pour rien non plus qu'on fait naître le Christ juste après le solstice d’hiver : il est symboliquement cette grande lumière d’espérance qui commence à croître, lentement, comme croissent les jours à partir de ce moment de l'année...

En suivant cette logique, vous découvrez naturellement comment on a réussi, en les convertissant au christianisme, à transformer en abominables hérétiques adorateurs de l’Antéchrist ces peuples de l’hémisphère austral qui fêteront dans quelques jours la naissance du Christ, alors qu’il célèbreront cosmiquement - et sans vraiment s’en rendre compte, c’est ça qui les sauve - l’avènement des ténèbres, leur victoire sur la lumière
(puisqu'ils célèbrent la naissance du Christ Lumière juste après le solstice ... d'été, pour eux, hein ?
Oui, non ??
Là où les jours se raccourcissent, là où se sont les ténèbres qui l'emportent sur la lumière. Non ? Pas grave, laissez tomber).

Notez, heureusement, les solstices ne sont pas nécessairement aussi visibles, tangibles ailleurs, sous d'autres latitudes. Ça doit, dans le cas présent, aider.
Mais en attendant, on a dépouillé des braves gens qui ne demandaient rien à personne de leurs religions ancestrales, parfaitement adaptées à leur zone d'occupation du globe terrestre, pour leur fourguer un produit d'importation moins bien adapté...
Enfin, c'est mon opinion, hein.

De même, vous vous demandez si l'islam est une religion universelle ?
Proposez donc à des Inuits de se faire un jeûne de ramadan de six mois au Pôle nord.
Je crois que vous aurez votre réponse assez rapidement...
Et je vous conseillerai d'apprendre à courir très vite et en zigzag sur la banquise.


En exergue, là, en haut de la page, quelques mots tirés de la Bible, précisément de l'évangile de Jean. L'évangéliste forcément. Mais qui cite ici Jean le Baptiste. Oui, je sais, c'est un peu compliqué...
Et qui lui fait dire que, pour que le Christ croisse, il doit, notre brave Baptiste, décroitre.

Obtus ? Mais non, c'est pas sorcier : il faut bien que les jours raccourcissent à compter du solstice d'été pour arriver au solstice d'hiver, pour qu'enfin, nous soyons à Noël.

Dans l'hémisphère nord, hein ! Sinon, ça veut plus rien dire !!!


- “À présent” - comme le dirait le gentil Nicolas Hulot dans une profonde respiration et aux commandes de son aile Delta - “séquence réflexion à deux balles” -
Eh oui, la vérité universelle, il est bien difficile de la trouver…
Et même si l’on a raison,  rien ne permet d’affirmer que les autres, ceux qui ne pensent pas la même chose que vous, n’ont pas, eux aussi, raison. 
Car tout est relatif, demandez à Einstein. 
Oui, c'est lui ! (non, pas Einstein ! Pas vraiment. )

Bon, de là à admettre des néo-nazis au pouvoir dans un pays démocratique, non, je n’irais pas jusque là.
Mais personne, de toute façon, n’irait jusque là.
Hein ? 
Pas dans un pays démocratique, évidemment!

Voyons ?!!

#BelgianGov #NotInMyName


Mais donc, admirez comme les choses sont bien faites : le Christ est né à Noël !

Ah, Noël ! Oui, on en a déjà parlé dans C'est Noël !

Noël, c’est le natalis dies, le jour de naissance.

De quoi de qui ?

Eh bien du Christ pour les chrétiens, et du nouveau soleil - le Neos Helios grec, le Sol Invictus romain - pour le reste du monde occupant l'hémisphère... l'hémisphère...? Nord ! Ouiii !



D’où la monstrueuse bêtise de ne plus fêter Noël, ou même de ne plus appeler cette grande fête de son nom, “pour respecter les croyances de chacun”.

Faut arrêter, les gars, hein !

Car alors, nous ne faisons que nous écarter encore un peu plus de la réalité des cycles terrestres…
Nous oublierions encore un peu plus que nous ne sommes que de vulgaires poussières embarquées sur un globe céleste, qui a ses lois, qu'il serait peut-être sage de comprendre et respecter un tant soit peu…

Carl Jung, dans L’homme et ses symboles, ne disait pas autrement (mais il le disait mieux) :
A mesure que la connaissance scientifique progressait, le monde s'est déshumanisé. L'homme se sent isolé dans le cosmos, car il n'est plus engagé dans la nature et a perdu sa participation affective inconsciente, avec ses phénomènes. Et les phénomènes naturels ont lentement perdu leurs implications symboliques. Le tonnerre n’est plus la voix irritée d’un dieu, ni l’éclair de son projectile vengeur. La rivière n’abrite plus d’esprits, l’arbre n’est plus le principe de vie d’un homme, et les cavernes ne sont plus habitées par des démons. Les pierres, les plantes, les animaux ne parlent plus à l’homme et l’homme ne s’adresse plus à eux en croyant qu’ils peuvent l’entendre. Son contact avec la nature a été rompu, et avec lui a disparu l’énergie affective profonde qu’engendraient ses relations symboliques. 

Enfin…

Mais revenons à nos moutons…

En cette veille de solstice, en ce jour si proche de l’avènement de la grande lumière, je vous propose une racine de circonstance :

*prī-

Aimer.

Oui oui, c’est son sens, tout simplement.


Ah, l'amour...


Et vous allez (comm’ d’hab’) être bluffés par ce qu’elle nous a laissé, et réaliser le poids des mots


Car avant tout, par une forme suffixée *priy-o-, la proto-indo-européenne *prī- nous a légué l’anglais...

free !

Oui, l’adjectif free : libre !





N’est-ce pas remarquable ?

Aimer, c’est libérer, rendre libre

Encore une bonne réflexion à la Nicolas Hulot, non ?
(Oh mais non, je l’aime bien, Nicolas, il a fait de si beaux documentaires !
J’aimerais simplement qu’il ne les remplisse pas de ses commentaires d'une platitude galactique, voire intersidérale
Mon Dieu, oui, je le confesse, j'ai du mal à croire en vous, quand j'entends les commentaires de Nicolas Hulot. 
En fait, sans le son, ses films sont tout bonnement fantastiques ! Un peu comme les chansons de Stromae, vous voyez ?)

Ah, John Irving !


Alors, l’anglais free !

Il provient du vieil anglais frēo (libre).
Le vieil anglais frēon signifiait littéralement aimer, ou rendre libre.

Ah, c’est tellement beau...

Sauf que…

Le mot germanique dont proviennent ces mots en vieil anglais, c’est *frija-.

Qui signifiait aimé, bien-aimé ; il désignait ce qui était relatif à ceux que l’on aime, ou encore … “qui n’est pas en esclavage, ou en servage”, donc “libre”.

Eh oui !!
On suppose que le mot s’appliquait à ceux que l’on aimait, ceux de son sang, de sa famille, de son clan, “les siens”.
Les gens libres quoi, pas ces esclaves qu’on utilisait quotidiennement.
Et qu'on ne pouvait pas décemment, humainement, aimer.
Enfin!?

Ouais, j'en conviens, ça remet vachement les pendules à l’heure (“séquence - [souffle long] - émotion”).

Ne JAMAIS prendre les anciennes tribus germaniques pour des Bisounours.
JAMAIS



Notez, on retrouve un phénomène similaire en latin, ou liberi signifiait tant “libres” qu’“enfants”.
Mes propres enfants, ce sont évidemment des hommes libres, puisque ce sont mes enfants.
Ne confondons pas avec l’engeance de ces ... euh domestiques. (pardonnez-moi, je dois me laver la bouche)


On retrouve encore notre germanique *frija- dans le vieux frison fri, le vieux saxon ou le vieux haut-allemand vri, l’allemand frei, le néerlandais vrij, ou le gotique freis, TOUS signifiant “libre”.


Ouais, ok, je sais déjà : “‘y en toujours que pour l’anglais, gnagnagna, rien en français…
Eh bien, spécialement pour vous, je vous donne…

flibustier”!

Qui nous arrive du néerlandais vrijbuiter, “pillard”: celui qui fait du butin (buiter)… selon sa loi : librement !, via l’anglais flibutor (XVIème siècle).

Le mot débarque dans les Antilles, pour désigner originellement les pirates qui écumaient (ça écume, un pirate) les côtes d’Amérique.




En ancien liégeois, on trouvait par ailleurs vribute, vributeur pour “voleur de grand chemin”.
(à prononcer comme si vous aviez un rhube, et en remplaçant "eur" par le "eur" de heureux, pour être le plus fidèle à ce parler si pittoresque)

Par une forme suffixée (un participe présent) *priy-ont-, *prī- s’est dérivée dans le germanique *frijand-: littéralement “aimant” : amoureux, ami.
En vieil anglais, c’est devenu frīond / frēond : ami.

Oui, vous l’avez trouvé, en anglais moderne, *priy-ont- s’est transformé en … friend.




A présent, passons à une forme réduite et suffixée de notre chère *prī- : *pri-tu-.
En vieux haut-allemand, elle s’est muée en fridu.
Et fridu s’utilisait pour désigner la paix, dans les noms propres.

La paix ???
Oui, vraisemblablement parce que c’est l’état dans lequel on vit, entre amis.
Ce qui caractérise un ami, c’est qu’il est en paix avec vous, et que vous êtes en paix avec lui

De ces noms propres construits sur fridu, il y a déjà…

Oh, je vous laisse un peu chercher ? Car vous les connaissez bien, sous forme de prénoms...










Commençons par…

Siegfried.

La paix victorieuse”, du composé germanique sigifrith, dont la première partie, sigu, signifie “victoire”, < *segh-garder, maintenir”.


Siegfried et Brünnhilde


Allez, un autre.

Godefroid.

Du vieux haut-allemand Godafrid : la paix de dieu.
Excusez du peu.

Godefroy Amaury de Malefète, comte de Montmirail,
d'Apremont et de Papincourt, dit « le Hardi »



Toujours de cette forme *pri-tu-, mais cette fois en passant par le francique *fridu, nous avons gardé…

... le vieux français esfreder, puis esfreer, dérivé du latin populaire *exfredāre ou *exfridāre, que l’on pourrait traduire littéralement par “faire sortir de la paix, de la tranquilité”.

Oui, esfreer est devenu notre … effrayer !

The Shining


Et notre vieux français esfreer est passé à l’anglais !
Où il subsiste toujours sous la forme affraybagarre”, “échauffourée”…
Ou bien encore sous la forme… afraid !

To be afraid c’est avoir peur, craindre, mais aussi être effrayé.


(les français affres, affreux, ont eux une autre origine, et ne sont donc pas apparentés à *prī-)



Encore un prénom basé sur *prī- ?

Ben oui, Frédéric.

A l’origine un composé germanique: *frithu-rīk, le chef pacifique, ...
(on retrouve ici la racine *reg-1, déjà rencontrée PLEIN de fois ; relisez par exemple The Queen, une femme comme les autres)
... devenu Fridurīh en vieux haut-allemand.

Frédéric Barberousse


Le germanique *gawjam désignait la région.

Le nom propre *Gawja-frithu signifiait littéralement “région en paix”.
Celui qui portait ce nom vivait donc dans une contrée en paix.
Peut-être même qu’il incarnait cette région, qu'il en était le souverain.

*Gawja-frithu est devenu, en passant par le latin médiéval Galfridus (ou Gaufridus), notre moderne... Geoffroy.


Nous avons vu, il n’y a pas si longtemps, que c’est *frithu qui est encore cachée dans notre beffroi.
(elle attendait, debout sur la berge)


C’est une forme féminine suffixée de notre *prī- : *priy-ā-, “aimée”, que nous retrouverons dans le vieux norois Frigg, le nom de la femme d'Odin, la déesse des Cieux, tant aimée par son divin mari. (notez que Frigg aurait pu peut-être signifier “aimante”)

Frigg (source)



L’anglais Friday, vendredi, est littéralement le jour de Frigg, et n’est en réalité qu’une pâle copie du latin Veneris diēs, le jour de Vénus, devenu notre si cher vendredi.


Si près de Noël, je ne peux m’empêcher de vous faire un petit cadeau, et après le vieux norois, vous parler du vieux slavon d’église !

Car *prī- est encore bien là dans le vieux slavon d’église prijateljiami”, devenu le russe приятель (“priyatielj”), “ami”, “pote”…


Toujours *prī- derrière le gallois rhydd "libre".


Je vous passe, vous m'en saurez gré - enfin... j'ose l'espérer -  tous les dérivés en suédois, moyen néerlandais, danois, vieux islandais et autres…

Mais sachez quand même que le sanskrit रिया (“priyA”) signifie chérie, aimée, épouse.
Ou que l’avestique frīnāiti correspond à “aimer, louer” (comme dans louanges, pas comme dans location, hein).

Louanges mécaniques.
Oui, je sais, mais j'avais envie



- Et donc, free, friend, effrayer, afraid, Friday, flibustier, Siegfried, Godefroid...?
- OUI, tous proviennent d'une seule et même racine proto-indo-européenne: *prī- !




Eh bien voilà, pour un beau dimanche d’avant le solstice d’hiver (ou d’été, c’est selon), et d’avant Noël, que vous soyez chrétiens ou non.


Je vous souhaite, à vous toutes et tous, femmes et hommes de bonne volonté,
de passer le solstice,
et Noël,
en paix, entre amis, et libre dans votre tête !



Passez bien la porte, renaissez bien, à l’image du Christ.
(Peu importe que vous croyiez au Christ historique ou pas, c'est vraiment pas ça qui compte)

Et surtout...


Aimez !



*prī-reg-1


dimanche 14 décembre 2014

Emprunter pour ouvrir une auberge à Pearl Harbour?? Bof bof...






Une mise élégante nous coûte plus cher à l'auberge que chez le tailleur.

Bluettes et boutades (1846)

Jean Antoine Petit-Senn (1792–1870)



Bonjour à toutes et tous!


Après nous être intéressé à la très jolie racine *bhergh-2,
à l’origine de bourg, beffroi, iceberg, Bourgogne, confort, Brigitte, ou encore de l’anglais burglar,
il me semblait opportun de nous pencher sur le cas de son homonyme, la racine proto-indo-européenne...

*bhergh-1.


Oui, pour celles et ceux qui découvrent - avidement - le dimanche indo-européen, sachez qu’une fois reconstruite, il peut s’avérer qu’une racine proto-européenne ressemble furieusement à une autre.

C’est alors le sens retrouvé qui permet de discerner l’une de l’autre.
Mais tout n’est qu’hypothèse, et théorie!

L’étymologie comparée des langues indo-européennes ne cesse de progresser, et certaines racines retrouvées par Julius Pokorny, par exemple, regroupant selon lui plusieurs sens, sont à présent scindées en plusieurs racines distinctes.
Et on peut toujours se poser la question du bienfondé de certaines scissions.

On remonte par le jeu de la comparaison à une racine *x- à partir d’une série de mots de sens proche ou identique dans diverses langues indo-européennes.
Mais parfois, en partant de mots n'évoquant nullement ce sens, on reconstruit une racine semblable à la première, *x-

A première vue rigoureusement identique.
Est-ce la même? Ou pas?
Peut-être que oui, peut-être que non.
Peut-être même que les champs sémantiques de ces deux racines se confondent, en partie du moins...

Quand on soupçonne qu'une seule et même forme reconstruite correspond en réalité à plusieurs racines (donc à des sens différents), alors, pour les séparer et les reconnaître, ces racines homonymes, on leur donne un numéro: *x-1*x-2 ...


 ---------- Mode séquence coup de gueule ON ----------

Il y a des sites d’extrême droite voire carrément néo-nazis qui reprennent le dimanche indo-européen dans leurs liens.
Oh tout le monde est libre d’utiliser les liens repris sur l’Internet ; je dirais même que c’est le principe même du Web.
En revanche, là où c’est choquant, c’est que sur l'un de ces sites, le dimanche indo-européen apparaît dans une catégorie dite “sites coalisés
(Entendez: sites prônant le nazisme, la supériorité de la race blanche et ce genre de conneries)

Mais enfin??

Je me suis plaint au pignouf derrière ce site pour lui signaler que je n’étais coalisé avec personne, pour m’entendre gentiment répondre d’aller me faire voir.

Mais voilà, c’est un bel exemple de trois choses: de la bêtise humaine, évidemment, du mensonge dont vivent ces idéologies de merde (oui, en français dans le texte), et surtout, du mélange classique des genres entre les thèses d’extrême droite et l’”indo-européanisme”.

Ces enfoirés (non, je ne suis pas malpoli, je ne vois simplement pas d’autres mots pour les qualifier, ou alors je deviens grossier) confondent étymologie et linguistique comparée d’une part, et race supérieure, aryanisme et autres puanteurs d’autre part.


Ce qui est amusant, c’est que - le croirez-vous? - le dimanche indo-européen s’est vu dernièrement (gentiment) agressé non pas par un facho, mais par un gentil, un pas méchant, mais à mon sens peu au fait de la linguistique, qui claironnait - avec raison! - que le mythe immonde de la race supérieure était hélas toujours vivace. 

Pour preuve? Mais voyons: mon site!!

Mais enfin??

Frères humains, parfois, c’est dur.
Je vous aime bien. Pas tous, d’accord, mais quand même. Beaucoup.
Arrêtez d’être cons. Ce serait si bien!

Accuser les amateurs de linguistique indo-européenne comparée d’être des fachos, c’est comme traiter tous les amateurs de Wagner de nazis, sous prétexte que Hitler l’adorait.

Mais enfin??
Faut arrêter.


Je constate aussi que bien souvent, quand on attaque la théorie linguistique proto-indo-européenne, on le fait par idéologie.

Ainsi, vous trouverez certains extrémistes fondamentalistes musulmans qui vous diront que le proto-indo-européen, c’est du n’importe quoi, puisque la langue originelle, c’est l’arabe, évidemment, qui émane en droite ligne de Dieu.
On a beau leur dire qu’on parle de familles de langues différentes, rien n’y fait: il y avait UNE langue, et c’était l’arabe. Et donc, le français, comme le reste, descend de lui. Infaillible.

Rigoureusement le même discours - c’est ça qui est amusant - de la part de certains extrémistes fondamentalistes juifs, pour qui LA langue qui descend de Dieu, c’est l’Hébreu. 
En toute logique, toutes les langues en proviennent. C'est mathématique.

(Oui, les extrêmes, c’est bien connu, se rejoignent)

Encore une fois, même type de discours, mais cette fois dans la bouche de certains extrémistes fondamentalistes … hindous!
C'est ceux que je préfère!
Ce sont les moins dangereux, mais aussi, il faut bien le dire, les plus comiques. Mes chouchous quoi!

Pour eux, le sanskrit n’est pas une langue parmi les langues indo-européennes, mais bien LA langue à l’origine des autres langues indo-européennes. 
Elle serait en quelque sorte le proto-indo-européen tant recherché.


Je suis abonné à un remarquable blog “Languages of the World” tenu par le professeur Asya Pereltsvaig, qui enseigne la linguistique à l’Université de Stanford.
Récemment, je me suis pâmé devant les commentaires que certains internautes lui avaient laissé à propos d’un de ses articles: “Which language is the oldest?

L’article était évidemment un pied-de-nez à toutes les théories fumeuses sur l’ancienneté des langues.
Déjà, quels sont les critères qui permettent de définir une langue dans le temps?
L’ancien français est-il déjà du français? Même si nous ne comprendrions pratiquement RIEN d’un discours en ancien français?
Bref.
Cet article se voulait une réflexion sous forme de pirouette.

Et voilà que parmi les commentateurs, débarquent - c’est nouveau, ça vient de sortir - les … Tamouls!
Pour eux, aucun doute n’est permis, le tamoul est la plus ancienne langue du monde. Point.
Pourquoi? Oh, parce que.

Ah oui, et idem pour certains Albanais, pour qui la langue la plus ancienne c'est ... 
Allez, devinez... 
NON, pas le tamoul, 
Oui! L’albanais. Je sais, c'est surprenant.


Frères humains!
Parfois, si si je vous assure, c’est vraiment dur.

 ---------- Mode séquence coup de gueule OFF ----------



… Et donc, *bhergh-1 (1) signifiait non pas “haut, élevé” - ça c'est le sens de *bhergh-2 (2) -, mais plutôt “protéger, cacher”.
Peut-être même, en ce sens, “enterrer”.


Nous l’avons déjà rencontrée, il n’y a pas si longtemps, notre *bhergh-1, mais de loin
Dans c'est pour se faire un torticolis, une accolade en hauberc, pour tout vous dire.

Car elle se retrouve dans le germanique *bergan: protéger.
Et c’est précisément *bergan qui se … cache … derrière le composé germanique *h(w)als-berg-, qui a donné notre français hauberc, littéralement “protection de cou”.


Par une forme au timbre zéro (sans voyelle-pivot): *bhr̥gh-, *bhergh-1 s’est dérivée dans le germanique *burjan: enterrer.
Que nous retrouvons dans l’anglais bury: enterrer, ensevelir, ou cacher.

Par un dérivé germanique de *burjan: *burgisli-, notre racine est devenue l’anglais burial: enterrement, funérailles.

A burial place, c’est un lieu de sépulture.

Sépulture de Hochdorf


Nous retrouvons la racine ...
  • en vieux norois,byrgja signifie “fermer”, 
  • en frison occidental, où bergje signifie garder
  • en allemand où bergen signifie sauver quelqu’un ou quelque chose
En albanais, mburojë désigne le bouclier.

Le lituanien oriental (oui, c’est assez pointu) bir̃ginti signifie lui épargner, être parcimonieux (oui: protéger en mettant de côté).

En russe, *bhergh-1 se cache derrière беречь (“birietch”): garder, prendre soin.
Et бережный (“biriejneuil”) signifie attentionné, économe…


L'infâme Picsou, plus savoureusement dénommé
Scrooge McDuck en VO

En ossète - langue appartenant au groupe iranien, et bien à propos parlée par les ... Ossètes (on est ici dans le Caucase, ou en Géorgie) -, æмбæрзын (“amberzeun”), c’est “couvrir”.

Une ossète bien couverte


Mais revenons en germanique, où le verbe dérivé *borgēn signifiait gage, prêt

Le rapport?
Eh bien, l’idée de protéger: de protéger, de sécuriser une transaction par une mise en gage par exemple.

Nous retrouvons le germanique *borgēn passé à l’anglais, dans le verbe to borrow: emprunter.

- MAIS?? On ne parle plus ici de prêt, mais d’emprunt!
- Bonjour! Heureux de vous revoir! Oui, très bonne remarque!
On peut supposer que le verbe a fini par désigner la transaction prêt/emprunt comme un tout, puisque l’un ne peut aller sans l’autre?

Quoi qu’il en soit, en anglais moderne, to lay to borrow, c’est mettre en gage.

Humour de grammairien


Nous retrouvons la racine sous des acceptions proches dans ...

  • le néerlandais borgen (“emprunter”, ”faire confiance”), 
  • l’allemand borgen (“prêter, emprunter”), ou 
  • le danois borge (“se porter garant”).


Bargain!
To bargain, en anglais, c’est marchandernégocier
Le verbe nous arrive encore une fois d’un dérivé germanique: *borganjan: marchander.

- Oh, ça suffit oui? Rien que de l’anglais, ou du russe, ou de l’ossète! Et en français?? T’appelles ça de l’indo-européen, et RIEN en français??
- Ouui. Voyons, comment dire…

Vous auriez attendu deux ou trois lignes de plus, et vous auriez découvert que l’anglais to bargain provient bien du germanique, mais … par le français barguigner (bargaignier, barguaignier, barguignier), attesté au XIIème siècle.

Le mot proviendrait du latin médiéval barcaniarefaire du commerce”, emprunté lui-même au verbe francique *borganjan

Barguigner, et ses dérivés barguigneur, barguignage, barguignade sont à présent archaïques, ou ont carrément disparu.

MAIS barguiner se retrouve, en français du canada, pour “marchander”…
- et j'en profite pour faire un petit coucou à mon ex-collègue Philippe qui est à présent là-bas... -

Tim Wonnacott, le présentateur de l'émission-jeu de la BBC
Bargain Hunt


- Ouais bon, et t’as rien de mieux que du français du XIIème??
- Eh bien oui, j’ai! Merci de m’aider à faire la transition!

Car en francique existait un verbe composé de *heri, *hari “armée” ….
- Petit aparté! *heri, *hari «armée», nous le retrouvons certes dans l’allemand Heer "armée", mais aussi dans notre héraut, attesté chez Chrétien de Troyes (1176-1181) sous la forme hyraut
Le mot provient du francique *heriwald: chef d’armée, composé de *hari et de *wald: “qui règne”
De héraut, héraut d’armes, nous avons tiré héraldique, ou le très récent héraldiste. -

… et de *bergôn, basé sur le germanique *bergan: “protéger”: heribergôn.

Ce verbe se traduirait par loger, camper, en parlant d’une armée

Ce mot, ce mot!!!
On le rencontre en 811 dans le latin médiéval heribergare « procurer le gîte aux guerriers ».

Il deviendra plus tard, au XIème siècle, herberger.

Oui!! Il s’agit, sous sa forme moderne, d’héberger.

Qui, étymologiquement donc, signifie bien offrir le gîte, mais ... à une armée


Quant à notre français auberge, ben c’est pareil!

Il y avait, en ancien français, le verbe arberger, habergier, emprunt au germanique de l'Ouest *haribergôn, qui n’est qu’une variante méridionale de ce même heribergôn, importé en Gaule par les mercenaires germaniques au sens de « loger une armée ».

C’est de ce verbe pour le sens, et du provençal moderne aubergo pour la forme, que nous arrive le vieux français aulberge, qui donnera notre moderne auberge.

Auberge du Trésor, Québec
Phiphi, tu connais?


Oh, vous retrouverez ce germanique heribergôn dans bien d'autres langues romanes, comme dans l’espagnol albergar


Et vous le retrouvez encore en anglais - eh oui - où harbour est un lieu où ce sont les bateaux qui sont à l’abri: le port.

Oui bon, dans ce cas-là, les bateaux n'étaient pas vraiment à
l'abri: le tristement célèbre Pearl Harbor, 1941



Bon dimanche à toutes et tous, passez une très bonne semaine!

A dimanche prochain?




Frédéric


dimanche 7 décembre 2014

Le fort de Briançon serait-il un plénoasme?





J'ai déjà dit, en racontant ma rencontre avec lui,
que le crâne de Freud ressemblait à un escargot de Bourgogne. 
La conséquence est évidente:
si on veut manger sa pensée il faut la sortir avec une aiguille. 
Alors elle sort tout entière.

Les moustaches radar (1955-1960)
Salvador Dali




Bonjour à toutes et tous!


Dimanche dernier, nous avions découvert cette très jolie racine *bhergh-2, à qui nous devons bourg, beffroi, iceberg, ou les anglais burglar ou barrow…

Vous vous souvenez? Elle désignait un lieu élevé.

Nous n’en avions pas fini avec elle, oh que non!

Car je ne vous ai pas encore parlé de cette forme particulière de *bhergh-2 au timbre zéro et suffixée: *bhr̥gh-n̥t-, qui devait également signifier haut, élevé, mais aussi dans un sens figuré, marquant la déférence: "le très haut", "le très élevé".

Nous pourrions ainsi, dans cette acception, la traduire par éminent


Eh bien, *bhr̥gh-n̥t-, est passée au germanique *burgund-.

Ca commence à faire tilt?

OUI, il s’agissait du nom d’une tribu - germanique, évidemment -, ceux des hautes terres.
Les Highlanders de l’époque, les … Burgondes.

Repris en latin classique, *burgund- devint Burgundiōnēs.
En latin médiéval, le mot se dérivera en Burgundī.

Et la terre des Burgundī, on l’appelait comment??

Mmmh?

Ben oui: Burgundia.


Oui, alors, un petit mot sur l’histoire de cette glorieuse tribu:

Ces Burgondes étaient vraisemblablement originaires de Scandinavie continentale.
Disons que là, on ne peut pas leur en vouloir.

De là ils émigrèrent sur l’île de Bornholm, au beau milieu de la Baltique.


La borgmester actuelle de l'île, c'est elle, Mme Winni Grosbøll.
Je n'invente rien.


Après avoir réalisé leur erreur (rendez-vous compte, quitter la Scandinavie continentale, OK, mais pour émigrer sur l’île de Bornholm!?)...


(en fait, c'est très beau, Bornholm, 'faut juste aimer les églises rondes et blanches, et les rangées de maisons en couleurs pétantes.)


















... ils décidèrent de descendre cette fois du côté du bassin de la Vistule, en plein milieu - ou presque - de ce qui deviendra la Pologne actuelle.

C'est par là, la Vistule (source)

C’était déjà un peu mieux.

Mais pas plus marrant que ça.
La Vistule c’est bien un jour,
c’est bien pour une pause-pipi en descendant vers le sud,
mais bon, se réveiller tous les matins en voyant la Vistule…

Vous voyez ce que je veux dire


Alors, pour tuer le temps, certains d’entre eux décidèrent de participer aux invasions de la fin de l'Antiquité et du début du Moyen Âge.

Bah, pourquoi pas? C’est toujours mieux que de contempler le bassin de la Vistule à longueur d’années.

A l’issue de ces invasions, ils s'établiront dans le sud-est de la Gaule, comme peuple fédéré de l'Empire romain.

Là z’est pon, on z’v’ra blus ch*er” se disaient ces rudes Germains, pas méchants mais… Bon.

Sauf qu’à la fin du Vème siècle, bardaf, l’Empire romain d'Occident s’effondre.

Jamais à court d’idées, ces truculents Germains se mettent alors en tête de fonder un royaume, qu'ils étendent - tant qu’à faire - vers la Suisse romande actuelle et le quart sud-est de la Gaule.

Evidemment, ces gros malins se font intégrer dès 534 au royaume des Francs mérovingiens, au sein duquel, à la fin du VIème siècle, leur royaume prendra le subtil nom de regnum Burgundiæroyaume de Burgondie » ou « royaume de Bourgogne »).





2 Francs mérovingiens





500 francs CFA (source)










C’est de ce regnum Burgundiæ qu’est issu le nom actuel de la Bourgogne, fallait-il vous le dire?

Et donc, oui, Bourgogne nous vient de *bhergh-2 par l’entremise de sa forme *bhr̥gh-n̥t-.



La très haute”, “La plus élevée”, “la plus grande”, c’était ainsi qu’en proto-celtique on l’appelait, cette déesse éminemment importante dans le panthéon celtique, incarnation du principe féminin: *Briganti.

*Briganti


Oui, *Briganti, toujours basé sur la forme *bhr̥gh-n̥t- de notre racine proto-indo-européenne *bhergh-2.

Oh, cette grande déesse est connue sous plein de noms, tous variantes de *Briganti: en Bretagne armoricaine elle sera Brigantis, en Ecosse Brid ou Bride, en Gaule Berecyntia, Brig, Brigandu ou encore Brigantia, en Irlande Brig, Brigid, Brigh ou bien Brighit, au Pays de Galles Brigid ou encore, en Suisse Brigindo.

L’anglais Bridget, ou le français Brigitte, oui, ne sont que des lointains dérivés de l’éminente *Briganti.

Notez qu’on retrouve toujours *Briganti dans le nom Brigantes, désignant une tribu celte installée dans le nord de ce que nous appelons à présent l’Angleterre, avant la période romaine.

On trouvait également un peuple de Brigantii près du lac de Constance, dont la capitale était Brigantion (Bregenz).

Il en va de même pour Briançon.


Bridget Jones (Bridget Jones's Diary), Renée Zellweger



Mais c’est pas fini!

Car on soupçonne une AUTRE forme au timbre zéro de notre racine, *bhr̥gh-to-, de s’être dérivée dans le latin fortis: fort, robuste, solide…!
(Oui, on le soupçonne, on n’en est pas sûr sûr, car il se pourrait fort bien que fortis provienne d’une autre racine: *dher-2tenir fermement, supporter”… Tiens, ça fera peut-être l’objet d’un dimanche, ça…)

Mais bon! Partons du principe que le fortis latin vient bien de *bhr̥gh-to-, sinon je ne sais plus quoi trop vous dire.

Si c’est bien le cas, alors nous devons encore à *bhergh-2 les français fort, force, effort, fortifier, fortification, forteresse...

Réconforter, au XVIIème, signifiait littéralement redonner des forces, tant sur un plan moral que strictement physique.
Le verbe a fini par pratiquement évincer son collègue conforter, emprunté vers la fin du Xème siècle au latin chrétien confortare: renforcer et consoler.

Son déverbal, à conforter, c’était l’ancien français confort.

Mais ne confondons surtout pas!
Notre moderne confort, lui, n’est plus le même mot!

Oui, c’est dingue!

Car notre confort moderne n’est qu’un emprunt bien récent (1815) à l’anglais ... comfort.
Lui-même précédemment emprunté à l’ancien français confort.

confort moderne


Le mot anglais, tout en conservant le sens moral, désignait aussi un état de bien-être physique et matériel.
Et par métonymie, les conditions objectives nécessaires à cet état…





Et moi qui vous écris, très confortablement installé dans mon antre sous les toits - je me suis même servi un verre de Single Malt, c’est tout vous dire (oh, un Dalwhinnie de 15 ans, très rond, très doux) -, je vous souhaite, à toutes et tous, un trrrrèèèès bon dimanche, et une fantastique semaine!



On se retrouve, voyons… dimanche prochain?

Je vous proposerai alors de nous intéresser à la racine *bhergh-1. Oui, 1.
Qui signifiait…. Oh, vous le verrez bien!





Frédéric