- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 25 octobre 2015

"The amount of sleep required by the average person is five minutes more." - Wilson Mizener





Des préjugés à demi-ruinés me poussaient vers l'avant
"Renversez toute haine", criais-je,
Des mensonges qui disaient que la vie est noire et blanche
Sortaient de mon cerveau. Je rêvais que
Les actions romantiques des mousquetaires
Reposaient sur des idées profondes.
Ah, mais j'étais tellement plus vieux alors,
Je suis plus jeune que ça maintenant.


Mais oui, il s’agit bien du deuxième couplet de My Back Pages,
de Bob Dylan, traduit ici en français par Pierre Mercy et François Guillez.

L’original ?

Half-wracked prejudice leaped forth
"Rip down all hate," I screamed
Lies that life is black and white
Spoke from my skull. I dreamed
Romantic facts of musketeers
Foundationed deep, somehow.
Ah, but I was so much older then,
I'm younger than that now.

Chanson que Dylan écrivit à 23 ans seulement,
et où il porte déjà un regard bien aiguisé, voir amer
sur son passé contestataire, quand il considérait, du haut de sa jeunesse, 
avec tellement d’assurance, de certitude, 
que le monde était blanc et noir. 

(Et que lui était du côté blanc, bien sûr.)

Dylan au début des années '60














On a tous été un peu comme ça non? 

Et pour certains, c’est toujours le cas, non?

(une petite pensée pour ces fachos qui récupèrent mon blog pour leur propagande nazie, 
et une autre pour ces bien-pensants pour qui, ironiquement, s'intéresser à la linguistique proto-indo-européenne, c'est faire montre de racisme). 

Allez tous vous faire voir chez les Proto-Grecs !

Les oeillères, on en a tous, vous savez...




Bonjour à toutes et tous !

Dimanche dernier, nous nous étions attardés sur la racine *swep-1, dormir”, notamment à l’origine de notre français sommeil.




Continuons donc cette série “rêve et sommeil” avec un mot anglais, cette fois.
Ben oui, l’équivalent français de sommeil: sleep, tout simplement.

Sleeping Beauty ("la Belle au bois dormant"),
version Once upon a Time

Car non, sleep ne vient pas de *swep-1, mais bien de


*slēb-.


Le sens précis de *slēb-, on a du mal à le cerner, au vu de ses dérivés.
Alors, on lui donne deux sens: “être faible”, et “dormir”.

Oui, on peut comprendre ce rapprochement sémantique entre ces deux notions dans la mesure où celui qui dort peut être considéré comme en état de faiblesse par rapport à ceux qui veillent.

Mais on retrouve encore d’autres mots dérivés de *slēb- qui eux signifient plutôt être inactif, mais aussi et surtout s’affaiser, pendre, tomber.

Ceci correspondrait plutôt au fait que quand on s’endort, on sent son corps s’affaiblir, on tombe de sommeil, on sombre dans le sommeil…  



Mais entrons de plain-pied dans notre sujet dominical :

Pour finalement se retrouver dans l’anglais sleep, sachez que notre *slēb- est passée, comme bien souvent, par le… par le…
(allez, je vous aide, ça commence par proto et ça se termine par germanique)
proto-germanique, bien !

Par une forme que l’on reconstruit en tant que *slēpan-.

En vieil anglais, *slēpan- s’est mué en slǣp (“dormir”).
Pour donner en moyen anglais sleep, sleepe, et donc en arriver à notre anglais sleep (sommeil).

Voilà.
Je pourrais en rester là !

Bon, bien sûr, la forme germanique *slēpan- n’a pas donné que de l’anglais.

On la retrouve dans le frison occidental sliep, ou dans le frison saterlandais ‎Släip, mais aussi dans le bas allemand ‎Slaap, dans le néerlandais ‎slaap, ou l’allemand ‎Schlaf.

Et dans tous les cas, le mot correspond bien à sommeil.

nager, ça fatigue

Mais, et cette notion de faiblesse, aucun mot germanique n’y ferait allusion ??

Ah mais si !

En vieux norois (je sais, je sais), si le jeune Brynjar traînait à évider le crâne de ses dernières victimes pour s’en servir comme coupe à sang, ou si son acolyte le peu fougueux Thorsen traînassait loin derrière alors que tout le monde était déjà descendu du drakkar et s’activait avec application au viol et au pillage, on les aurait qualifiés de *slēpa- : de bons à rien, de fainéants, du verbe slæpa : paresser, traînasser…

Ca, c'était probablement la dernière chose que vous verriez


L’islandais slapa se traduirait lui par pendre, s’affaisser


Et c’est bien avec ce sens de “faible” que nous retrouvons notre proto-indo-européenne *slēb- dans le groupe slave.

En commençant par le proto-slave *slabъ (“slabj”), dont dérivent les mots pour “faible” ...
  • en russe: сла́бый ‎(“slábuij”), 
  • en tchèque: slabý
  • en slovaque: slabý
  • en polonais: słaby

- Russe, tchèque, polonais ? T’es un peu lassant hein ?! C’est toujours les mêmes langues slaves que tu cites, et en plus, JAMAIS tu ne fais allusion aux langues slaves méridionales !
- Bonjour ! Oui, j'accepte la remarque.

Vous voulez du serbo-croate ? Eh bien, слаб ! ("slab")

Et du kaïkavien, peut-être, avec ça ? Hein, hein ? Toujours slab !

Bien sûr, vous savez que le kaïkavien est une variété du croate, et qu’il se parle du côté de Zagreb et du Hrvatsko Zagorje.
Hein??

- … Mais je...?
- Tiens, là on se dégonfle. Mais passons.

Et du slovène, aussi, pour Monsieur ?

slàb.

Avec une particularité pour toutes ces langues slaves méridionales : le mot dérivé signifie bien “faible”, mais s’emploie aussi dans le sens de “mauvais”.

superbe paysage du Hrvatsko Zagorje, avec en prime une insulte bien
sentie ("bajka na dlanu!", littéralement "un conte de fée dans la paume
de votre main", que les autochtones vous traduisent volontiers par "un
conte de fée à portée de la main", mais qui correspond plutôt à une
injonction avec notion de déplacement vers la Grèce - du moins dans
sa version la plus châtiée).


On retrouve dans les langues baltes des mots pour “faible” correspondant parfaitement, par le sens et la forme, à la racine proto-indo-européenne *slēb-, mais, sachez-le, on soupçonne qu’il ne s’agisse que d’emprunts aux langues slaves, et non de véritables dérivés de notre racine.

(Même explication pour le roumain slab, emprunté lui aussi au slave)

forcément, un emprunt russe


Citons donc le lituanien slãbnas (toujours faible), ou même le letton slãbs, slãbens : faible.
(Mais l’est-on vraiment ? - Oui, j’ai décidé que dorénavant, je ferais systématiquement cette bête blague. 
Ce sera mon “ours/lutte gréco-romaine” à moi - ceux qui lisent John Irwing me comprendront). 
Bon résumé d'un roman de John Irving

Et ce, même si letton change, comme le chantait si bien Robert Allen Zimmerman, alias Bob Dylan.

Ah ben tiens, ça me fait penser,
- comme quoi un jeu de mot foireux est toujours récompensé -,
à propos, en yiddish, on a encore, pour dormir, שלאָפֿן (şlʼáp̄n, prononcé "shlofn").

Car ne l’oublions pas, même si le yiddish a reçu pas mal d’apports hébreux et slaves, c’est bien une langue germanique, précisément dérivée du haut allemand.


My Back Pages
source

Dans cette vidéo, Bob Dylan entouré de plein de potes pour fêter ses 30 ans de chanson, en 1993. 
(1993 ! Oui, perso, j’étais tellement plus vieux alors ; je suis plus jeune que ça maintenant)

Au micro et/ou à la guitare et dans l’ordre : Roger McGuinn (des Byrds, le groupe qui commença par accompagner Dylan - je dis ça pour les gamines et les gamins qui n’ont pas connu les années 60/70), suivi de Tom Petty, Neil Young, Eric Clapton, Bob Dylan et George Harrison - je dis ça pour ceux qui ont aussi connu les années 40 et 50, et qui n'ont peut-être plus ni la vision ni l'audition d'autrefois.


Enfin, selon certains - mais pas tous, donc : prenez ce qui suit avec les précautions d’usage -, on pourrait retrouver notre *slēb- dans les latins labāre, "vaciller, chanceler, tomber en ruine", et lābor, "glisser, chanceler, faillir, tomber en décadence…"

Ce qui est certain, c'est qu'aux acceptions de ces deux verbes s'attache bien cette idée de faiblesse, de chute

Si l’hypothèse est avérée (et que donc lābor descend bien de *slēb- - on essaie de suivre), alors…

... nous pourrions encore compter à l’actif de notre jolie proto-indo-européenne …

lapsus ! 

En latin, c'était la glissade, le glissement, et au sens figuré le faux-pas, l'erreur
Lapsus n’étant que la forme substantivée du participe passé de lābor.



Et sur con-lābor, l’anglais a également fait, toujours via la forme du participe passé, collapse, "s’écrouler, s’affaisser" !




Nous voilà gentiment arrivés à la fin de ce dimanche.

En guise de conclusion, une réflexion : remarquons que pour notamment les langues germaniques, dormir, c’est d’une façon ou d’une autre s’affaiblir.

Et si nous poussons encore un peu plus loin, pour les langues slaves méridionales, être faible, c’est être mauvais !

Soyons toujours conscients que c'est par notre langue que nous structurons, que nous voyons et interprétons le monde qui nous entoure. Sachons dès lors nous méfier d'elle !

Et surtout, apprenons plusieurs langues, ce qui peut nous aider à d'appréhender le monde selon d'autres points de vue. 
Les voyages forment la jeunesse, mais la connaissance de plusieurs langues forme toute votre vie...

Enfin, comme vous venez de le voir, il se pourrait que notre français lapsus soit apparenté à l’anglais sleep.
Ce qui serait quand même très fort !

Notez encore que si c'est exact, alors on pourrait se permettre, soyons fou, le rapprochement entre l’anglais sleep, "dormir/sommeil", et l’anglais slip, "glisser", précisément !

Mais bon, ce ne sont là que conjectures...



Je vous souhaite en tout cas un excellent dimanche, une TRES BONNE semaine, et vous donne rendez-vous, voyons… dimanche prochain ?


PS: le saviez-vous ?
Ne vous laissez pas abuser par son nom: on peut lire le dimanche indo-européen CHAQUE JOUR de la semaine !

De toute façon - mais ça, vous le savez déjà -, avec le dimanche indo-européen, c’est tous les jours dimanche…



Frédéric


dimanche 18 octobre 2015

l'hypnose, j'y songe de plus en plus...






"Mieux vaut une conscience tranquille qu'une destinée prospère.
J'aime mieux un bon sommeil qu'un bon lit."


Victor Hugo, in Océan - Tas de pierres













Bonjour à toutes et tous !


Dimanche dernier, beaucoup d’efforts pour pas grand-chose, pour finalement ne pas arriver à vous donner l’étymologie proto-indo-européenne de ce mot tout simple : “rêve”.


Nous allons essayer de nous rattraper en ce jourd’hui.

Avec, dans la même veine, l’étymologie de … “sommeil



Sommeil, notre français sommeil, est issu du bas latin somniculus.

-culus” ? (rien de sexuel)
Mais oui, vous aurez compris que cette terminaison correspond à un diminutif, le mot original étant somnus.

Somnus, c’était le sommeil, tout simplement.





Au figuré, en poésie, il pouvait aussi signifier la nuit, ou carrément la très très très longue nuit : longus, frigidus somnus, entendez le long, froid sommeil de ... la mort


Aaargh, ça me fait irrésistiblement penser à la tirade du génie du froid, 
dans King Arthur, de Purcell...

Sublime !

Dans le troisième acte, ce pauvre, le génie, "Cold Genius"

- pas Purcell, qui était aussi un génie, mais soit -

est réveillé de son long sommeil par Cupid (Cupidon),
et rien qu'à l'entendre, on comprend que ça ne l'amuse pas trop...

What power art thou, who from below
Hast made me rise unwillingly and slow
From beds of everlasting snow?
See'st thou not how stiff and wondrous old
Far unfit to bear the bitter cold,
I can scarcely move or draw my breath?
Let me, let me freeze again to death.

(Quelle puissance es-tu, toi qui, du tréfonds, 
M'as fait lever à regret et lentement 
Du lit des neiges éternelles ? 
Ne vois-tu pas combien, raidi par les ans, 
Trop engourdi pour supporter le froid mordant, 
Je puis à peine bouger ou exhaler mon haleine ? 
Laisse-moi être transi, laisse-moi mourir à nouveau
de froid.)


(j'avais déjà cité cette oeuvre monumentale :



Somnus, c’était aussi un nom propre, celui d’un dieu, le dieu du sommeil, évidemment !

Somnus


Mais donc, le diminutif somniculus, c’était le petit sommeil : le sommeil léger.

De somnus, nous avons tiré en ancien français sumne, puis some, pour enfin donner le littéraire… somme.
Que nous employons à présent plutôt pour désigner le sommeil de courte durée, la sieste.


Alors, le latin somnus, d’où venait-il ???

Eh oui! D’une racine proto-indo-européenne :

*swep-1


Sémantiquement, elle correspond à l’idée de … dormir.




Pour nous léguer le latin somnus, et par la suite somme et sommeil, cette brave racine s’est suffixée : *swep-no-.


Oh, sur somnus, nous avons également bâti sommeiller, ensommeillé, ensommeillement.
Ou insomnie, et insomniaque !

L'insomnie, où être toujours éveillé à trois heures du matin


Sous l’Empire, on appelait somno (basé sur le datif de somnus : “pour le sommeil”) un petit meuble que l’on posait près du lit.

Somno Empire en acajou


Et puis, nous avons encore les très usités…
somnifère, somnolence, somnambule. 

Ou alors somniloquie, le fait de parler pendant son sommeil.

Somnanbulisme


Mais mais, ce n’est pas fini !
Car à côté du latin somnius - le sommeil, s’est créé le latin somnium - le rêve !
Nous l’avons également emprunté, ce somnium, et transformé en sunge, au XIIème.
Une petite réfection, et hop, on obtiendra songe, fin du XIIème.

le songe de Jacob, Petrus Comestor, Bible historiale,
Meermanno Koninklijke Bibliotheek, La Haye 


Tiens, et comment expliquer que songer signifie à présent penser, ou même “se préoccuper de / être préoccupé par”?

En fait, l’association entre rêver et penser s’est faite relativement vite : déjà en ancien français, au début du XIIIème, songer pouvait déjà s’employer dans le sens de pensée.

Quant au sens de “préoccupation” que l’on peut accorder à songe, là, il faut bien le reconnaître, nos ancêtres ont solidement m.rdé.

Oui, il n'y a pas de quoi être fier.

Ils ont simplement confondu songe et … soin.
On appelle ça une confusion paronymique, selon cette tendance que nous avons à attribuer le même sens à des mots phonétiquement voisins.

Oui, le sens d’un mot, ça tient parfois à peu de choses…



Maintenant, sous une autre forme suffixée : *swep-os-, notre bien vaillante *swep- nous a aussi légué le latin…

sopor !

Ici, il s’agit d’un profond sommeil. Proche de la léthargie.



Il désignera même une substance qui fait dormir, j’ai nommé… l’opium !

fumerie d'opium à Shanghai, 1907

De sopor, ben oui, nous avons tiré soporifique.
'Faut pas avoir un doctorat en linguistique historique pour le savoir.


Mais la gentille petite *swep-, sous une forme suffixée en -no *sup-no-, cette fois basée sur son timbre zéro
- où la voyelle-pivot e disparaît, et dans ce cas plus particulier ne subsiste que la composante /u/ de w: *sup- -, 
nous a laissé, cette fois en ancien grec… ὕπνος, húpnos, le sommeil.

Et sa personnification - ou plutôt déification - : Ὕπνος, Húpnos: Hypnos, le dieu du sommeil.
(Mais oui, Somnus n’est que la transposition dans le panthéon romain du Dieu grec Hypnos).



On va pas vous faire un schéma, de húpnos nous avons tiré hypnose, hypnotique, hypnotiseur…


- Quoi, et c’est tout ?? Du latin et du grec ? Et t’appelles ça du proto-indo-européen ??
- Oh mais bonjour ! Cela faisait si longtemps ! Vous allez bien ?

Si, effectivement, nous nous arrêtions ici, on pourrait difficilement qualifier cette racine de “proto-indo-européenne”.

Mais elle n’en est pas restée là, *swep- ! Oh non !

Car vous la retrouverez - vous savez, dormir, c’est assez commun… - dans BEAUCOUP de groupes linguistiques indo-européens.



Dans les langues germaniques ?
Mais oui !

Allez, dans la branche occidentale, on trouvera le vieux saxon sweban, pour rêver.

Dans la branche nordique, on retrouve encore le, le, le … OUI ! vieux norois sofa. “Dormir”.
Non, rien à voir avec ce canapé sur lequel, oui, je le conçois, on peut parfaitement dormir.
Ce “sofa”-là est en réalité d’origine araméenne צפא, ṣipā’, “le petit tapis” ; il nous a été transmis par l’arabe صُفَّة, ‎ṣuffa, “sofa, siège long fait de pierre ou de brique”.

dormir dans un sofa


En vieil islandais, le vieux norois sofa a donné sofna : tomber de sommeil, ou svefna, dormir, tout simplement.
D’où l’islandais moderne sofa, “dormir”, ou encore svefn/söfn, dormir, rêver

En danois, le vieux norois deviendra sove (“dormir”), ou søvn (“sommeil”)

"dormir", pour un danois


Et si ça peut vous faire plaisir, sachez qu’en suédois, dormir se dit toujours sova, et que le sommeil se dit sömn


Et dans les langues celtiques ?
Ben ouais !
En vieil irlandais, on avait súan pour sommeil.


Revenons un peu plus vers l’est ?
(Revenons parce que la racine vient de par là, hein)

Groupe balto-slavique ?
Bah, pourquoi pas !
Avec
  • le lituanien sãpnas, sommeil, mais aussi rêve, ou
  • le letton sapnis, sommeil
(mais l'est-on vraiment ? Oui, je sais, mais je ne peux pas m'en empêcher)

Alors, ouiiii, en vieux slavon d’église, nous avions sъnъ “seun”, sommeil.
Issu de la forme suffixée au timbre zéro de *swep-, *sup-no-.

D’où les russes сон (“sonn”), sommeil / rêve, et спать ‎(“spatʹ”), dormir, mais aussi, disons, euh, un peu l’équivalent de coucher en français ?

sommeil à la russe


Toujours dans les langues slaves, entre autres…
le bulgare спя ‎(spja), le slovène spáti, le tchèque spát

Ah oui, important !
Si vous devez exprimer l'idée de dormir en sorabe, veillez (songez) à bien savoir si vous avez affaire à du haut-sorabe ou du bas-sorabe, car en bas-sorabe, on dira spaś, alors qu’en haut-sorabe on parlera plutôt de spać.

Oh, si vous voulez vous ridiculiser, c’est votre problème.

Görlitz, en Lusace


Alors, en hittite ?
Oui : sup-zi, dormir.

En avestique ?
x˅afna-, pour sommeil.
Et en persan ? خواب ‎(xvâb, xâb).
En Kurde, xew ‎(“sommeil”), et xewn ‎(“rêve”).

En sanskrit ? स्वप्न, ‎svapna, “sommeil, indolence, rêve…”.
D'où...
le bengali ঘুম ‎(ghuma), ou
le népali (ou népalais) सुते ‎(sute).


Et puis, carrément de l’autre côté du continent, en tocharien A, on désignait le sommeil par le mot ṣpäṃ, l’équivalent de ṣpäne en tocharien B
Ces populations, que l'on connaît finalement assez mal, couci-couça, qui parlaient ce qu'on appelle le tocharien ou tokharien, c'était les Arśi-Kuči-Kuça, qui vivaient dans ce qui est à présent le Turkestan oriental. Oui oui, en Chine 
le bassin du Tarim, où vécurent les Arśi-Kuči
Ces tribus se sont rapidement retrouvées isolées du reste du groupe de base indo-européen, notamment parce qu'en ce temps-là, le cheval n'était pas encore domestiqué, et qu'il est particulièrement difficile d'arriver à pied par la Chine.


Quelle épopée !
Ah ça, quand je vous disais qu’elle était bien vaillante notre brave *swep- !


Et donc sommeil, songe et hypnose sont très étroitement apparentés par le sens, mais aussi par l’étymologie, ayant tous un ancêtre commun, datant d’il y a plusieurs millénaires.

L'auriez-vous cru ?
Ca laisse songeur, non ?

C’est-i pas beau, dites ?
Ah, quand même !
Merci, merci le proto-indo-européen !



Allez, passez un excellent dimanche, et une TRES bonne semaine !

D’ici dimanche prochain, portez-vous bien !




Frédéric







dimanche 11 octobre 2015

les vagabonds rêvent-ils qu'ils traversent des gués?





(...)
– Je vous disais donc que la Chouette me martyrisait pour me faire pleurer : moi, ça me butte ; pour  la faire endêver, je me mets à rire, et je m’en vas au pont avec mes sucres d’orge. La borgnesse était à sa poêle... De temps en temps, elle me montrait le poing. 

Alors, au lieu de pleurer, je chantais plus fort : avec tout ça, j’avais une faim, une faim ! 
Depuis six mois que je portais des sucres d’orge, je n’en avais jamais goûté un... 
Ma foi ! ce jour-là, je n’y tiens pas...
Autant par faim que pour faire enrager la Chouette, je prends un sucre d’orge et je le mange.
– Bravo, ma fille !
– J’en mange deux.
(...)


Eugène Sue,
Les Mystères de Paris, 1843

(un extrait où Fleur-de-Marie raconte à Rodolphe et Chourineur
sa vie tragique sous le joug de cette grosse truie violette de Madame Bérangère, dite la Chouette)

Fleur-de-Marie

et l'horrible
Madame Bérangère


Bonjour à tous.


Après avoir étudié, dimanche dernier, l'étymologie proto-germanique et proto-indo-européenne de l'anglais dream, le rêve, qui je vous le rappelle, provient de la racine proto-indo-européenne *dhreugh-, "tromper", passons donc à l'étude de notre français rêve.

Comme je vous le disais, son étymologie est - selon l'expression consacrée - d'origine incertaine.

Mais essayons quand même...


Ce que nous savons pour sûr (c'est déjà ça) :

Le verbe rêver est attesté d'abord, au XIIème siècle sous la forme resver, puis rever - l'accent circonflexe n'apparaissant seulement qu'au XVIIème siècle.

Le verbe a d'abord eu le sens de "délirer", puis celui de "dire des choses extravagantes, déraisonnables" (on est là, oh, au début du XIIème).

Au XVIème, le verbe a pris le sens de "laisser aller sa pensée au hasard, sur des choses vagues", "Inventer de toute pièce, s'absorber dans..."

Ce n'est finalement qu'au XVIIème siècle que le sens moderne se dégage...



Examinons maintenant deux très belles hypothèses quant à son étymologie.


La première

Resver/rever peut être vu comme un composé.

En première partie, le préfixe bien connu re-, qui pourrait ici indiquer la répétition, l'approche ou l'éloignement...

Facile.

Pour ce qui est de la vedette américaine 
(ben oui, celle qui se produit en seconde partie, ahaha, je suis si drôle aujourd'hui) 

Programme de l'Olympia, 1964 :
les premières parties,
et les vedettes américaines,
en plus grands caractères
(le grand Trini Lopez,
l'immense Sylvie Vartan
et un groupe anglais)

- je parle donc de esver -, Oscar Bloch et Walther von Wartburg nous racontent, dans leur Dictionnaire étymologique de la langue française qu'il pourrait simplement s'agir d'un verbe *esver, non attesté 
(sinon je ne me serais pas amusé à le précéder d'un astérisque - vous pensez vraiment que je n'ai que ça à faire ??), 
mais dont on pourrait supposer l'existence par l'ancien français desver : "perdre le sens, devenir fou".

Desver qui s'est transmis jusqu'à nous sous la forme en-desver. 

Le moderne 
(certes vieilli, mais encore utilisé par Eugène Sue dans ses Mystères de Paris, quand même) 
endêver se comprend comme être dépité de quelque chose, enrager.


Cette forme *esver, donc, proviendrait d'un gallo-roman *esvo, "vagabond", qui ne serait que la réduction phonétique d'un latin populaire - et tout aussi peu attesté - *exvagus, de même sens.

*exagus -> *exvagu -> *exvo -> *esvo


Ce *exvagus, lui, serait composé du préfixe ex- marquant l'intensité, et de ... vagus (ça j'aurais pu le dire tout seul) : qui erre ça et là, en d'autres termes, vagabond.

On pourrait même alors imaginer une forme gallo-romane vagare, à l'origine d'autres composés modernes comme divaguer, ou extravagant.

C'est joli !!

Et si l'on en croit cette étymologie, rêver serait plutôt divaguer, laisser son imagination aller ça et là.


La deuxième hypothèse, à présent :

Celle-ci émane de Pierre Guiraud et figure dans son très prenant Dictionnaire des étymologies obscures.

Pierre Guiraud (1912-1983) chez Pivot


Guiraud n'est pas vraiment convaincu par cette réduction de *exvagus en *exvo.
Mais comme il est très poli, il dit simplement qu'elle est peu normale.

En revanche, pour lui, resver proviendrait du latin... ēvādēre. "Sortir, s'échapper". 
Oui, celui-là même à l'origine de notre moderne évader.

Il y aurait eu, pour passer de ēvādēre à resver, une forme intermédiaire *re-ēxvādēre.

Rêver, en ce sens, serait plutôt "s'échapper de la réalité en imagination"



Ahah !

Qui a raison?
Comme Alain Rey le dit si bien, "les deux hypothèses, vraisemblables et ingénieuses, reposent sur des reconstitutions invérifiables".

Eh oui.
Alors, comm' d'hab', c'est vous qui choisissez.


Mais dans l'un ou l'autre cas, étymologiquement, rêver, c'est finalement un peu toujours la même chose : aller ça et là, sortir, s'échapper.

Nous y trouvons toujours cette même notion d'"aller".


Bon.
Maintenant, considérons, comme Guiraud, que rêver est le digne descendant du latin ēvādēre.
Qu'est-ce que ça implique ? 

Eh bien, que par transitivité, rêver provient de la racine proto-indo-européenne *wadh-2, "aller.
("aller"? Ça, si vous suivez le blog depuis un certain temps, vous le savez déjà, ça ne veut pas dire grand'chose. Disons que "aller" est le plus petit commun dénominateur à tous les sens retrouvés dans les mots dérivés de la racine. Pour rétrécir le champ sémantique de *wadh-2, soyons fou, disons qu'elle devait plutôt signifier avancer, aller plus avant, avancer pas-à-pas... )
Ah là là, je vous gâte, quand même...

Quelque chose à dire au sujet de *wadh-2? 
Mais c'est déjà fait, enfin !


Mais oui, oh !! 
Prenez votre temps, relisez calmement, tranquillement, sereinement des fjords à l'Euphrate.

Vous y verrez qu'hormis évader, *wadh-2 nous a aussi légué - justement - le gué, ou "invasion", ou encore l'anglais wade : patauger, passer à gué. 


Passage de gué, Pays de Galles



Et si maintenant, en accord avec Bloch et Wartburg, nous admettions que rêve provient du latin vagus, "errant, vagabond..." ?

Ouais bon. Là, si on l'admettait, les choses seraient un peu plus complexes...
Vous voulez vraiment qu'on l'admette ?

Vraiment vraiment ?

Allons bon.
L'étymologie du latin vagus (errant, vagagond, mais aussi, vague, inconsistant...) est bien difficile à cerner. À cette étymologie, la notion de vague irait assez bien, il faut en convenir.

Michiel de Vaan reconstruit bien une forme parente proto-italique : *wago-, continuation d'une possible racine proto-indo-européenne...

*huog-o- ou *huog-ó-

que l'on retrouverait par exemple dans le vieux haut-allemand wankon, "chanceler, tituber".
Et c'est à peu près tout.
À part quelques rares formes germaniques particulièrement obscures, cette racine n'aurait pas donné de descendance.
Non, pas même en hittite ou en tocharien B. Et ne parlons pas du vieux slavon d'église.

Pfff.


Dur dur.


Ah, allons jeter un coup d'oeil du côté du Wiktionary (ne jamais le considérer comme une référence absolue, surtout pas - oh que non -, mais bon, parfois il donne de bonnes idées...) :
Uncertain, but possibly from Proto-Italic *wāðō, from Proto-Indo-European *weh₂dʰ- in the sense of "breaking away with straightforward motion."

Ici donc, on irait plutôt dans le sens d'une racine proto-italique *wāðō- (toujours "avancer pas-à-pas, progresser"), dérivée d'une racine proto-indo-européenne retranscrite sous la forme... 

*wehdʰ-...


Et vous savez quoi ? 

Cette forme *weh est en réalité précisément la forme wadh-2 selon Watkins.

OUI, celle du gué, et tout et tout. (Ah ça, je vous l'avais dit, qu'il fallait lire des fjords à l'Euphrate)

C'est LA  M Ê M E !!!

Ca vous plait, ça ? Moi non !
Pas du tout, même.

Ou alors, on devrait admettre que les latins vagus ("vagabond") et vadum ("gué") sont parents proches (mais alors, proches proches), et qu'ils dérivent tous deux de la même racine proto-indo-européenne.

Boooof. 



Et puis, aucune de mes sources les plus récentes n'ose faire ce rapprochement.

Ouiinnnnn.



Retour à la case départ, piste creuse.

retour à la case départ


Alors quoi ?

Ben, ch'ais pas, moi.
Si vous voulez vraiment mon avis, j'opterais plutôt pour l'idée de l'imagination vagabonde, selon Bloch et Wartburg.
Et peut-être pour une racine proto-indo-européenne *huog-o-, probablement "errer...", que l'on retrouve aussi sous quelques emplois dans le groupe germanique (et aussi celtique, pour tout vous dire, mais avec tellement d'inconnues que je préfère carrément ne pas en parler).


Allez, faisons une p'tite récap, et puis on conclut :

Rêve vient soit ...
  • du latin vagus, "vagabond" <= peut-être? *huog-o- ou 
  • du latin ēvādēre, "sortir, s'échapper" <=*wadh-2
  • ou on n'en sait RIEN !
Je continuerai à chercher, sait-on jamais...


En guise de conclusion, 
  • c'est pas toujours les mots d'apparence les plus simples, les plus courants, qui sont les plus faciles à traiter. 
  • Et souvent, quand on creuse l'étymologie d'un mot, et que l'on veut surtout retrouver sa racine la plus ancienne, on cale. Lamentablement. (Dites-vous aussi qu'à ce jour, on n'a réussi à reconstruire que moins de 2000 racines proto-indo-européennes.) (Oui, à raison d'environ une par dimanche, vous comprendrez vite que vous m'aurez encore longtemps sur le dos.)
  • On ne peut que le constater : l'étymologie proto-indo-européenne des mots français est le parent pauvre des études de linguistique historique. 
  • Souvent, je dois bien vous l'avouer, je m'en sors, je retombe sur mes pattes grâce aux liens que je peux établir avec des mots germaniques, qui eux, ont fait l'objet de recherches poussées. Heureusement pour moi, le français a énormément donné à l'anglais, et une partie non négligeable de notre vocabulaire provient du vieux francique.

Mais surtout, surtout, que ceci ne vous empêche pas de rêver !


Les rêves sont en nous, de mon compatriote
feu Pierre Rapsat 



Bon dimanche à tous !

Je vous souhaite une excellente semaine, et rêve de vous retrouver...
dimanche prochain.




Frédéric

PS: Françoise Nore a publié sur son site un excellent article sur les surprenants rapports entre le rêver français et le rave anglais. 
C'est ici : http://www.francoisenore.com/articles/rave-rever.
Et puis, allez voir son site, au contenu soigné et surtout recherché, fouillé, précis...!

dimanche 4 octobre 2015

dreeeeam, dream dream dreeam, dreeeeam, dream dream dream





Dream, dream, dream, dream
Dream, dream, dream, dream

When I want you in my arms
When I want you and all your charms
Whenever I want you, all I have to do is
Dream, dream, dream, dream

When I feel blue in the night
And I need you to hold me tight
Whenever I want you, all I have to do is
Dream

I can make you mine, taste your lips of wine
Anytime night or day
Only trouble is, gee whiz
I'm dreamin' my life away
(...)

The Everly Brothers - All I Have To Do Is Dream

(mais le saviez-vous, 
la chanson n'est pas des frères Everly, 
mais de Felice et Boudleaux Bryant)




Bonjour à toutes et tous !

En ce dimanche, un article assez dense, et qui ne va pas nécessairement combler de bonheur / rendre fous de joie les amateurs de langues italiques et/ou romanes.

En revanche, les germanistes en auront pour leur compte.
(Eh oui, c’est pas moi qui décide des dérivés des racines proto-indo-européennes, je fais avec ce que le filet me remonte…)



Dimanche dernier, nous découvrions la racine proto-indo-européenne *drem-, “dormir”.

Et comme parfois en linguistique historique, ce qui semble évident, ce qui vous saute aux yeux, en l’occurence que *drem- doit forcément être à l’origine de l’anglais dream (“rêve”), "ce qu’on fait en dormant" … est totalement … faux.



Car l’anglais dream vient d’une autre racine, qui n’a vraiment aucun (mais aucun) rapport avec *drem- 

*dhreugh-


A votre avis, qu’est-ce que cette brave racine pouvait donc bien signifier ?

(Ou plutôt, et dit avec prudence, "quel serait le champ sémantique auquel on pourrait rattacher cette racine ?")

Ah, bonne question!
A la proto-indo-européenne *dhreugh- correspondait la notion de… tromper !

Oui, le rêve, en ce sens, c’est un mirage, une illusion.

illusion d'optique: Eischer en Lego


En proto-germanique, *dhreugh- est devenu le verbe *dreugan-, avec sensiblement le même sens: tromper, induire en erreur, fourvoyer…

Ainsi, basé sur *dreugan-, le moyen haut-allemand a créé triegen, “tromper, trahir”.

C’est d’ailleurs bien sous le même sens que nous retrouvons notre racine *dhreugh- dans les langues langues indo-iraniennes.

Ainsi, dans les langues indiques (qu'on appelle encore parfois indo-aryennes), où on retrouvera...
  • le pachto' (ou pashto, pachtou ou pachtoune, c'est vous qui voyez) دروغ , droğ, "mentir", 
  • le sanskrit द्रुह्यति, druhyati, "blesser, tricher, tromper", ou encore
  • le sanskrit द्रोह, droha: notamment "insulte, trahison".
Et en avestique, appartenant lui au groupe des langues iraniennes, on a encore druzaiti, "mentir".
Le vieil arménien en héritera, avec դրժեմ, držem, de même sens.
En fait, je me rends compte que je pourrais vraiment vous raconter n'importe quoi, non ?
Quant au persan, on y trouve encore et toujours le verbe دروغ گفتن, dorugh goftan : "mentir, faire semblant pour tromper", ou son synonyme دروغ بافتن, dorugh bāftan : "fabriquer des mensonges, mentir".

On est tous bien d'accord, je crois, *dhreugh- mérite amplement son nom de racine proto-indo-européenne ; c'en est même une de premier choix. Elle a vraiment beaucoup voyagé, la petite...


Mais revenons, si vous le voulez bien, au proto-germanique.

Oui, *dhreugh- y a donné *dreugan-, certes, mais ce dernier, pas en reste, a servi de base pour d’autres formes proto-germaniques, comme …

*drauga-, le ... fantôme.



En vieux norois (mais oui, je sais), *drauga- est devenu draugr, toujours "le fantôme", et si vous êtes féru de sagas des îles Féroé (bon d’accord, mais pourquoi pas, hein ? Ayez l’esprit ouvert, enfin !), sachez qu’on y mentionne dreygur dans le sens de cadavre, fantôme, apparition
(Juste un conseil: si jamais vous allez sur les îles Féroé, évitez de vous déguiser en dauphin ou en tout autre mammifère marin. Evitez aussi de ramper sur la plage en combinaison de plongée, ce genre de choses. Tout ce qui pourrait prêter à confusion et vous faire passer pour un phoque, ou un orque échoué... C'est pour vous que je dis ça)

Sinon, c'est vraiment très beau, les îles Féroé


Mais, quel est le rapport entre le mensonge et le fantôme / l’apparition ?

On pourrait supposer que comme le mirage, le fantôme n’est qu’un leurre, ou du moins une illusion.

Mais je ne suis pas certain que ce soit ainsi qu’il faille comprendre le sens de draugr/dreygur.

Oui, surtout, n’allez pas imaginer le draugr/dreygur comme une figure éthérée, translucide, évoluant à quelques centimètres du sol…

SURTOUT PAS ! On parle bien ici de légendes nordiques
Je ne sais pas si je me fais bien comprendre ?

Bon, si c’est pas clair: le draugr/dreygur, c’est une brute épaisse, qui s’apparente plus à un cadavre ambulant, à un mort vivant à la force décuplée qu'à une diaphane, fugace apparition.

En fait, c’est une sorte de mort-vivant, mais quand même bien mort.
Une espèce de super zombie, quoi (d’où cette acception de cadavre pour dreygur).
Il est là pour vous faire du mal.

voilà! C'est plus clair, comme ça ?


Et donc, en ce sens, on pourrait concevoir que c’est LUI qui vous leurre, qui triche, qui fait illusion, en vous faisant croire que puisqu’il est mort et enterré, il restera bien couché dans sa tombe.

Notez, on attribuait aussi à ces undeads des pouvoirs magiques, comme celui de pouvoir changer de forme. 
Voilà peut-être encore une piste, qui tendrait elle aussi à prouver que le dreygur est bien celui qui vous trompe (sur ce qu’il est).

Pour étayer cette idée selon laquelle dreygur = tricheur, une série de cognats germaniques de *drauga-, comme le vieil anglais drēag (“spectre, apparition”), mais aussi et surtout le néerlandais bedrog ‎(“tromperie, escroquerie”), ou l’allemand Trug ‎(“tromperie, illusion”)…

Mais ce n'est qu'une hypothèse…
Peut-être en savez-vous plus? Alors dites-le moi !!

Mais soyons TRÈS clair, le draugr/dreygur ne reviendra pas vous hanter, ou vous faire peur.
Ça c’est le propre de ces lopettes de revenants gnangnan, plaintifs et geignards que l’on trouve plus au sud.

Non non. Le dreygur, lui il sort de la tombe pour se ruer sur vous, vous déchiqueter, vous étriper, vous réduire en pièces.

Littéralement.


Quoi qu’il en soit, la décidément prolifique racine proto-germanique *dreugan- a également donné naissance au germanique *drauma-. “Rêve”.

En vieux norois ? Draumr.
Ou en féroïen - en fait nettement plus proche de l'islandais que du danois - dreymur.

De cette forme *drauma- découleront encore… (liste non exhaustive!)
  • le moyen néerlandais drōmen (d’où le néerlandais dromen)
  • le moyen bas allemand drȫmen,
  • le vieux haut-allemand troumen (d’où l’allemand träumen), 
  • le vieil islandais dreyma,
  • le vieux suédois dröma (d’où le suédois dröm), ou encore
  • le vieux danois drømme - ainsi que le danois actuel drøm, drømme,
  • le scots dreme
  • le frison septentrional drom, ou, soyons fou, le frison occidental‎ dream‎
  • le bas allemand Droom,
  • le néerlandais droom‎, ou enfin
  • l’allemand Traum...

TOUS, absolument TOUS, dans le sens de “rêver”.


Pour ce qui est précisément de notre dream anglais,
en vieil anglais, *drauma- se mua en drēam, pour devenir, en moyen anglais, dreem.
Pour évidemment déboucher plus tard sur l’anglais dream.

A Midsummer Night's Dream

C'est une impression ? Il me semble que j'ai perdu quelques-uns de mes lecteurs en route ??
Récapitulons donc :


*dhreugh- -> *dreugan- -> *drauma- -> drēam -> dreem -> dream


Ce qu’on peut conclure de tout cela, c’est qu’étymologiquement, pour l’âme germanique, le rêve n’est qu’une illusion, une duperie, une tromperie de l’esprit.


Carl Jung
Je vous avoue que pour moi, grand admirateur de Jung, cette définition ne me satisfait guère, moi pour qui les rêves, issus de notre inconscient, sont tout le contraire de mensonges, qu'ils sont au contraire à même de nous apprendre plein de choses, de nous éclairer sur nous, essentiellement.

Encore faut-il pouvoir les interpréter.

J’ai eu la chance d’avoir un père hors du commun, capable d’interpréter les rêves, alors, voilà !






‎Bon, et le français rêve, alors ?

Pour tout vous dire, j'ai déjà bien sué sur cet article-ci (c'est pas la matière la plus limpide, le proto-germanique), mais ce simple mot rêve est franchement difficile à “tracer”.

Il se pourrait cependant qu’il provienne, par des chemins bien tortueux, de la racine proto-indo-européenne *huog-o-, aller.

Tiens tiens...
Tiendrions-nous le sujet de dimanche prochain ?




Je vous souhaite, à toutes et tous, un EXCELLENT dimanche !
Et puis aussi une superbe semaine !

On se retrouve… dimanche prochain ?




Frédéric