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dimanche 21 mai 2017

“L'idée de Dieu est, je l'avoue, le seul tort que je ne puisse pardonner à l'homme.” - Sade







“Les passions de l’homme ne sont que des moyens que la nature emploie pour parvenir à ses desseins.”

Donatien Alphonse François de Sade, marquis de Sade

Le Marquis de Sade,
2 juin 1740 – 2 décembre 1814


















Bonjour à tous !


Dimanche dernier, nous découvrions la racine indo-européenne *merg-, “frontière, limite”, qui se cachait derrière l’anglais Mercia.
(Mercia? Mais oui, l’ancien royaume de Mercie, aux frontières du Pays de Galles).

Nous avions vu que de *merg-, par l’entremise des germaniques *markō- “frontière, limite” et *marka-, “signe”, nous avait donné les français marque, marche, marcher, et même marqueterie.
Ou carrément marc (celui de marc de champagne).


Évidemment, vous pouvez aisément le supposer, si de *merg- via *markō nous avons reçu marque, il en est de même de nos remarque, et démarque.
Inutile, je pense, de nous épancher sur ces deux mots bien connus. 

Bah, allez oui, peut-être une chose, pour remarque, déverbal de remarquer: le préfixe re- qui y est utilisé a ici une valeur intensive.

Et pour ce qui est de démarque, il est le déverbal de dé-marquer, - exprime la privation, la séparation…, et a dû signifier en un premier temps, littéralement et tout simplement, “enlever la marque de”.

En revanche, démarcher ne signifie pas, mais pas du tout, enlever la marche, ou arrêter de marcher.
Ben non, ici, le préfixe- est employé ici avec sa valeur de renforcement, tel qu’on le trouve par ailleurs dans découper, dédoubler, détenir, dénier…
Amusant, non, cet emploi de notre dé-!  
Pour la petite histoire, il s’explique par le fait que la particule latine de- pouvait donner à un verbe une valeur perfective (où l’accent est mis sur le résultat de l’action), d’où cette valeur d’intensification, de renforcement dont il teintait le verbe… 
Le composé démarcher signifiait donc, à l’origine (au début du XIIème),
tout comme le verbe simple sur lequel il avait été formé (marcher, pour les moins vifs d’entre nous),
fouler aux pieds. Ou aussi “commencer à marcher, marcher”.

Son déverbal actuel, démarche, a pris au XVIème le sens de “manière de marcher”.

De là, figurativement, “manière d’agir”, et puis - surtout au pluriel -, “tentative auprès de quelqu’un pour en obtenir quelque chose”. 

D’où aussi nos démarchage, démarcheur… et l’emploi transitif de démarcher (“démarcher un client”).



Ici, une façon hilarante de répondre à du démarchage par téléphone.
Désolé, c'est en anglais (enfin, en américain)




Nous parlions d’intensitifs…

L’équivalent espagnol de marquer, c’est marcar.
Au début du XVIIème, on rencontre son intensif: demarcar, dans le sens de “marquer les limites d’un pays, d’un terrain”.

D’où l’espagnol demarcación.

Que nous avons emprunté, dans l’expression “ligne de démarcation”, au tout début du XVIIIème.


À l’origine, cette fameuse ligne de démarcation s’appliquait exclusivement, précisément et spécialement à cette ligne tracée par le pape Alexandre VI sur la mappemonde, pour séparer les possessions espagnoles des possessions portugaises.

Ce bon Alexandre VI, pape de 1492 à 1503 (oui oui, c'est lui qui servit
d'inspiration à Machiavel pour son personnage du Prince)


et la mappemonde, telle que proposée par Alexis (comme l'appelaient
affectueusement ses amis proches)

Ce n’est qu’au XVIIIème qu’elle s’étend à toute ligne marquant la séparation de deux territoires, voire - au figuré - de deux pouvoirs.

Nous connaissons évidemment surtout l’expression pour son emploi entre 1940 et 1942, où elle délimitait, en France, la zone occupée et la zone libre.





Mais… revenons à notre point de départ, à Mercia.

Un ami à moi, qui se reconnaîtra vite, a voulu faire très intelligemment, très sainement et avec une présence d'esprit qui l'honore le lien entre Mercia et Murcia...
(ce que je peux particulièrement bien comprendre, dans la mesure où moi-même, c’est précisément la première chose qui m’est passée par la tête quand je réalisai l'origine de l'anglais Mercia. J'adore le raisonnement de mon ami. Cultivé, fin... - moi, en plus, je suis modeste.)
Car oui, on peut voir la Murcie comme à la frontière. Avec quoi ? L’Andalousie, par exemple.



Hélas, non, il semblerait qu’il n’y ait strictement aucun rapport entre Mercia et Murcia.
Murcia, la région, tiendrait son nom de la ville, Murcia, qui, très subtilement, en est aussi la capitale.

L’étymologie de Murcia n’est vraiment pas très claire, et plusieurs théories existent.
Ce que l’on sait : Murcia a reçu son nom de l’émir de Cordoue Abd ar-Rahman II en 825, qui la baptisa - enfin, si on peut dire - Mursiyah, en arabe: مرسية.

Abd ar-Rahman II (à ne pas confondre ni avec Abd ar-Rahman I, ni avec
Abd ar-Rahman III)

Parmi toutes les théories sur l’étymologie de son nom, je m’en vais vous donner les deux plus communément admises : ce nom dériverait du latin Myrta ou Murtea, “le pays du myrte”. 
Myrte ? De la famille des myrtacées, il est répandu dans les régions méditerranéennes où il sert à la confection de diverses liqueurs
myrte


Ou alors, le nom dériverait tout simplement du latin Murtia, basé sur le nom propre Murtius.
Ce qui est entre nous assez facile : personne ne pourra jamais contester ce genre d'étymologie... Je sais pas d'où ça vient? Et hop là, ça vient d'un nom propre...

Donc, avec Murcia/Murcie, on est dans l’impasse.



Mais qu’à cela ne tienne ! Car notre vaillante indo-européenne *merg-, “limite, frontière”, toujours par le proto-germanique *markō-, a donné le francique … *marka.

Et qu’est-ce qu’il nous a donné, le francique *marka, hein ?

Eh bien, par le latin médiéval marca / marcha, “borne-frontière, limite, frontière, ou encore “région limitrophe”, notre français … marche.


*merg-, “limite, frontière”
germanique  *markō
francique *marka, “limite, frontière”
latin médiéval marca, “borne-frontière, limite, frontière, “région limitrophe
français marche


Dans cette acception, marche désignait la province frontalière d’un État, que l’on appelait d’ailleurs souvent marche-frontière.

Par extension, il se rapportera à toute région frontalière.
Et puis, s’appliquera finalement à toute région, ou pays (1212).


Ces marches, sous des noms divers, mais toujours bien basés sur le germanique *markō-, on les trouvait pratiquement partout dans l’Europe du Moyen Âge…

en rose, les marches et états indépendants en 814, sous Charlemagne
(source)

Ben oui, vu le nombre d’états ou de régions qui, à l’époque, ne demandaient qu’à envahir le ou les voisins, le mot et concept germanique fut très rapidement adopté par tout le monde.
C'est d'ailleurs probablement la seule chose sur laquelle tout le monde était d'accord.

Si dans les territoires francs, on avait des marches, en Allemagne, on avait des Marks, en Italie le Marche, en Angleterre the marches

Le Marche


S'il y avait un nom pour ce type de régions, il y en avait également un pour celui qui en était le gouverneur...

Le nôtre
- je veux dire le mot français qui désignait cette fonction importante -
n’est pas à proprement parler français, du moins à l'origine, car nous l’avons emprunté à l’italien marchese, “gouverneur d’une marche”.

Notez quand même que le -ese final de marchese, les Italiens eux-mêmes nous l’avaient précédemment emprunté, en le calquant sur le -is final du mot ancien français que nous employions jusque là: marchis (attesté entre 1080 et 1524, si vous voulez vraiment tout savoir).

Ce nom, donc, que nous avons emprunté à l'italien, oui c’était… marquis !

Il devint plus tard, au XVIIème, un simple titre seigneurial, lié à la possession d’une terre, un... marquisat (1474), puis un titre situé entre duc et comte dans la hiérarchie nobiliaire.



Si donc en Italie on parlait de marchese et en France de marquis,
dans les provinces du Saint-Empire romain germanique, on parlait d’un…

margrave, du moyen néerlandais marcgrāve, que l’on pourrait décomposer, en reprenant les deux racines germaniques sur lesquelles il se base, en

  • *markō, (“frontière, limite”, pour ceux qui n’ont pas pris la peine de se réveiller avant de se lever), et
  • *grafa, “rang militaire”, d’où “comte, duc” (mais oui, pensez au Graf allemand)


Charles-Guillaume-Frédéric de Brandebourg-Ansbach,
12 mai 1712, Ansbach – 3 août 1757, Gunzenhausen,
margrave de Brandebourg-Ansbach de 1723 à sa mort.
(source)

En Angleterre, le Roi désignait, pour garder la frontière entre l’Angleterre et le Pays de Galles
- région que l’on appelait avec bon sens les Welsh Marches -,
un Marcher Lord.

Oui, il s’agissait plus ou moins de la région où s’étendait précédemment la Mercie.

source: https://en.wikipedia.org/wiki/Welsh_Marches


Et toujours en Angleterre, pour garder cette fois les régions frontalières avec l’Écosse, mais aussi en Écosse, pour garder les régions frontalières avec ... l’Angleterre...
- régions ce que l’on appelait des deux côtés de la frontière les Scottish Marches -,
...on nommait des Warden of the Marches (Gardiens des Marches).

Il y avait six de ces Marches en tout, trois en Angleterre (West, Middle et East), et … et … trois (bien!) en Écosse, West, Middle et… East.






Ah là là, mon emploi du temps plus que chargé m'empêche de vous en dire plus cette semaine...

Nous terminerons donc notre tour de *merg- dimanche prochain !




Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, une très belle semaine !



Frédéric



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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
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Et pour nous quitter, 

- c'est la ligne de démarcation, dont on a totalement oublié l'origine espagnole,
qui m'y a fait penser -

l'original, espagnol, de La Foule
(qu'adaptera Michel Rivgauche et chantera Edith Piaf, évidemment)

Amor de mis amores, 

interprété ici par la chanteuse colombienne Margarita Vargas
(dite Margarita La Diosa de la Cumbia)

Il s'agissait à l'origine d'une valse, intitulée Que nadie sepa mi sufrir,
écrite par deux Argentins,
Ángel Cabral pour la musique, et
Enrique Dizeo pour les paroles.



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