- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 25 juin 2017

ne *bodo- pas notre plaisir: tous les moyens sont bons,même le gallois





 “Lorsque Jésus fut ressuscité d'entre les morts, il passa onze ans, parlant avec ses disciples et les enseignant jusques aux lieux non seulement des premiers préceptes et jusques aux lieux du premier mystère, de celui qui est dans l'intérieur des voiles, dans l'intérieur du premier précepte, qui est lui-même le vingt-quatrième mystère, mais aussi des choses qui sont au delà, qui sont dans la seconde place du second mystère, qui est avant tous les mystères ; le père de la similitude de la colombe, Jésus dit à ses disciples : « Je suis venu de ce premier mystère, qui est le même que le dernier mystère, qui est le vingt-quatrième. » Ses disciples ne connaissaient ni ne comprenaient ces choses, car aucun d'eux n'avait pénétré ce mystère, mais ils pensèrent que ce mystère était le sommet de l'univers et la tête de toutes les choses qui existent ; et ils pensèrent que c'était la fin de toutes les fins, car Jésus leur avait dit, au sujet de ce mystère, qu'il environne le premier précepte, et les cinq empreintes, et la grande lumière, et les cinq assistants, et également tout le trésor de la lumière.”



le début de Pistis Sophia, traduction française

(un des passages les plus compréhensibles)






Bonjour à toutes et tous !


Dimanche dernier, nous découvrions, ébahis, qu'à l'origine de l'anglais bid, de l'allemand verboten, et de nos bedeau et Bouddha, il n'y avait qu'une seule et même racine indo-européenne, *bheudh-, “être conscient, rendre conscient”, “s'éveiller, devenir attentif...”




le réveil. C'est un peu moi en ce moment...


Aujourd'hui, je vous propose tout simplement de quitter le germanique, pour nous lancer dans un tour du monde de ses dérivés dans les autres groupes linguistiques...


Rien que ça.



Around the world in 80 days, 1956


Avant toute chose, encore un petit mot sur les dérivés romans de notre racine...


Nous avions vu que le français bedeau dérivait de notre *bheudh- par le francique *budil puis le latin médiéval bedellus.



Mais oui, oooh !


*bheudh-“être conscient, rendre conscient”
germanique *beudan-, “offrir, faire une offre, commander...”
germanique *budilaz-, “héraut, messager...
francique *budil,  “héraut, officier représentant...
latin médiéval bedellus
vieux français bedel, “officier dans des affaires judiciaires mineures...
français bedeau



Ca y est, on se rappelle ? 
OK.


Le latin, langue académique et ecclésiastique par excellence dans le monde chrétien médiéval ne se parlait évidemment pas qu'en France.


A l'image du français, bien d'autres langues romanes ont ainsi récupéré et intégré le latin bedellus , comme c'est par exemple le cas... 
  • en portugais, espagnol et ancien occitan : bedel, ou
  • en italien : bidello.

Un fidèle lecteur du blog - que je remercie ici - me raconte d'ailleurs qu'à la prestigieuse université portugaise de Coimbra...

- l'une des plus anciennes en exercice en Europe et dans le monde ! -,
... bedel revêt deux significations: bedeau mais aussi archer, ce qui est évidemment intéressant, car correspond remarquablement bien à l'évolution sémantique du mot, telle que nous l'avions découverte la semaine dernière...

Notons aussi à ce propos qu'en allemand, le désormais vieilli Büttel, construit lui aussi sur le germanique *budilaz-, “héraut, messager...”, désignait l'huissier ou le bedeau, mais aussi le sergent de ville, ou... l'archer !

Et dans un emploi péjoratif toujours d'actualité, il correspond encore à notre français larbin. Toujours cette idée de rôle subalterne...


La sublime bibliothèque de l'université de Coimbra


Et en grec ? me direz-vous. 

Pas de dérivés grecs de cette racine que l'on retrouve un peu partout dans le monde indo-européen ??

Mais si, bien sûr !


Nous lui devons le verbe déponent...

(qui ne se conjugue qu'au passif, mais possédant bien un sens actif)
...πυνθάνομαι, punthánomai,  “demander, se renseigner, examiner, expérimenter apprendre”.
Ou encore son équivalent poétique πεύθομαι, peúthomai, de sens ... euh... équivalent. Mais, disons-le, plus, voyons ... - oui - poétique.  
(Poétique, car métriquement plus facile à placer dans un poème épique.)

Soit dit en passant, sur le degré zéro du radical de πυνθάνομαι, punthánomai, s'est créé le substantif πύστις, pústis, que l'on pourrait traduire par interrogation, question, enquête, demande (de renseignements), ou nouvelle (la bonne ou la mauvaise, dans le sens de  “ce qu'on apprend en demandant”).
Attention, surtout ne confondez pas πύστις, pústis, “interrogation...” et πίστις, pístis, “foi, fidélité”, que vous connaissez peut-être par ce monument de la gnose chrétienne qu'est Πίστις Σοφία, la Pistis Sophia, littéralement “Foi Sagesse 
- ce que l'on pourrait peut-être comprendre comme  “Sagesse dans la Foi, ou alors Foi dans la Sagesse”, ou pourquoi pas  La fidèle Sagesse” ? -
traité écrit en grec, vraisemblablement vers 330 par un Grec d'Égypte, et que nous ne connaissons que dans sa version copte écrite vers 350.
ici, dans une de ses traductions en français






Bon, passons à présent aux langues celtiques...

On y retrouve notre chère *bheudh- derrière la racine proto-celtique 
*bu-n-do-,  “proclamer, avertir”, que l'on discernera, par exemple, dans le vieil irlandais ad·boind, “prévenir, avertir”.

C'est peut-être encore le degré o de *bheudh-, par l'intermédiaire cette fois d'une racine celtique *fro-bowdo-, qui serait à l'origine des...
  • gallois rhybudd, “avertissement, avis...” et
  • vieil irlandais robud, de sens identique.

Remarquez donc ici, à nouveau, une évolution sémantique, depuis un sens original indo-européen (tel que reconstruit) être éveillé, vers la notion d'annoncer, d'avertir.

À nouveau, car oui, nous avons déjà vu une évolution sémantique identique dans le cas du germanique *budon-, notamment “annoncer...”, passé dans le vieil anglais bodian, “annoncer, prédire”, ou encore, là tout de suite, avec le grec πυνθάνομαι, punthánomai, dont le champ sémantique inclut, d'une façon ou d'une autre, l'idée de transmission d'information.

Cette évolution si particulière, je me l'explique - je vous en parlais déjà dans Swing tanzen verboten - par le fait que le sens premier attribué à notre racine: s'éveiller, prendre conscience, peut très facilement s'employer dans un contexte de transmission d'information: s'éveiller à ... l'idée de, à la notion de...  
Prendre conscience? de la situation, ... 

Je dois cependant à la vérité - et à l'intégrité dont je me revendique - de dire que pour Ranko Matasović 
- Oui, LE Ranko Matasović, linguiste croate spécialiste de l'indo-européen et des langues celtes, et auteur du Etymological Dictionary of Proto-Celtic (Leiden Indo-European Etymological Dictionary Series) -,


l'explication de ce remarquable changement de sens est plus subtile :
d'être réveillé”, on serait passé à  “se signaler (comme réveillé)”, puis de là, à “signaler, avertir...”

Selon ses propres mots, comme si vous y étiez : 
'be awake' > 'make oneself noticed' > 'give notice'


ZE Ranko Matasović

Bon, je n'ai pas vraiment l'intention de me disputer avec lui, donc, passons.
Et revenons à son formidable dictionnaire !
- lèche-botte ! 
- ça suffit, maintenant !
Dans l'excellent dictionnaire du grand Matasović, nous découvrons qu'il est encore possible, mais sans certitude aucune, que notre *bheudh- soit à l'origine d'une autre racine celtique, *bodo-, plaisir”.

De laquelle dérivent, par exemple, 
  • le vieil irlandais buide, satisfaction”,
  • le cornique both, “volonté”, ou encore 
  • le moyen gallois bodd, “plein gré, libre arbitre, consentement”.
Très honnêtement, je n'en crois rien. Mais Ranko
(oui, oh, on se tutoie, maintenant)
n'en est pas plus convaincu que ça non plus! 
Et toc.

Car si linguistiquement, tout permettrait de rapprocher cette *bodo- de notre *bheudh-, il faudrait alors aussi expliquer ce nouveau - et radical - changement de sens, qui plus est totalement unique au celtique (on ne le retrouve dans aucun autre groupe linguistique). 

Mais au moins, ça m'a permis de glisser un superbe moyen gallois

Ça le fait, non ? 'y en a plein qui vous donnent du gallois à la va comme je te pousse, ou alors - et c'est déjà nettement mieux ; l'effort est louable - qui vous servent du vieux gallois.

Mais ici, c'est carrément du moyen gallois - le gallois parlé du XIIème au XIVème.
Et ça, rien à faire, ça en jette. Or donc, en moyen gallois, vous comprendrez aisément, chers amis, ...



Bon, ça, c'était pour les langues celtiques.



Et si on passait au groupe balto-slave ? Hein, hein ?

Eh bien, c'est par lui que commencerons l'article de la semaine prochaine, qui clôturera aussi notre petite étude des dérivés de cette invraisemblable *bheudh-...

Encore sept fois dormir. 


- Mmmh ? Quoi, vous murmurez quelque chose ? Que c'est déjà fini ? 
Ben oui. Et j'en suis désolé.
Mais là, je suis complètement lessivé, travaillant sur plusieurs fronts à la fois. 
Alors je m'en tiens à des articles courts, mais qui, au moins, ont la qualité d'exister. 

Car OUI, le dimanche indo-européen est publié CHAQUE dimanche !



Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une très très belle semaine !




Et moi, j'aimerais tant retourner me coucher...



Frédéric, 

depuis Levallois-Perret...


















******************************************
Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
******************************************



Et pour nous quitter, 

un clip qui n'a strictement rien à voir avec le sujet du jour.
RIEN.

Mais j'adore cette chanson...

Frida Boccara,
Cent mille chansons



Michel Magne, qui l'a composée, s'est inspiré de Bach.


Et pas de n'importe quoi, de Bach...




Matthäus Passion, BWV 244,
"Mache dich, mein Herze rein"

article suivant : Je me lève et je te bouscule, Tu n’te réveilles pas, Comme d'habitude.

Aucun commentaire: