article précédent : I dannae if she can take any more, Captain!
(...)
Seuls, l'allumeur de l'unique réverbère du pôle Nord, et son confrère de l'unique réverbère du pôle Sud, menaient des vies d'oisiveté et de nonchalance : ils travaillaient deux fois par an.
Le Petit Prince (1943),
Chapitre XVI (la septième planète : la Terre !)
Antoine de Saint-Exupéry
l'Allumeur de réverbères, mais ici de la cinquième planète (source) |
Bonjour à tous.
Nous avions découvert, dimanche dernier, la gentille petite racine proto-indo-européenne *werb(h)-, dérivée de notre prolifique *wer3- (tourner…).
Nous lui avions déjà trouvé, à *werb(h)-, deux très beaux dérivés, l’anglais warp et le français déguerpir.
Sans surprise, nous continuons aujourd’hui à faire le tour cette charmante racine.
En latin, c’est elle qui se cache derrière le substantif verbera, verberum.
Verge, baguette, bâton, fouet, lanière…
(En gros, tout instrument bon à frapper les condamnés, les esclaves…)
Aaargh, la crème fouettée de Nigella ! |
De là, le mot en est même venu à désigner les coups de fouet en tant que tels.
Déjà, c’est pas très gai, mais … quel est le rapport avec la notion de tourner, courber, ployer portée par la si gentille *werb(h)- ?
Je crois que le lien est à chercher dans la nature de l’instrument en question…
A l’origine, une baguette.
Ici, l’étymologie comparative peut venir à notre rescousse…
(notez, c'est un peu le but de ce blog, mais bon)Car dans les langues balto-slaves, on retrouve aussi notre *werb(h)-, comme dans le tchèque vrba ou le russe верба (“vierba”) pour “saule”, le lituanien virbas (“jeune branche, verge”), le serbe vrba (“osier”)…
En vieux slavon d’église - mais non, je ne vous avais pas oubliés, enfin !! -, on parlait de врьба (“vrĭba”).
Oui.
Vous voyez où je veux en venir ? L’important, c’est le matériau de départ ! Une jeune branche, de l’osier… flexible.
La souplesse, la flexibilité : c’est là que nous retrouvons le sens de notre *werb(h)- : plier, courber..
On pourrait donc supposer que le mot latin devait originellement désigner la jeune branche, la baguette flexible, et que par la suite, par extension, il servit à nommer tous les instruments, qui comme la baguette, permettaient de battre quelqu’un.
(Enfin, “quelqu’un”, n'exagérons rien. Un esclave en tout cas.
Ne mélangeons pas les torchons et les serviettes…)
Mais ce qui va surtout vous surprendre, c’est que de ce verbera descend notre français … réverbérer.
Eh oui. Réverbérer nous arrive du latin reverberō, reverberāre : “repousser, rebondir”, le préfixe re- exprimant ici le mouvement en arrière.
Rien de plus imagé : vous imaginez le coup qui s’abat, et l’objet par lequel le coup a été porté qui rebondit sur la cible.
Action - réaction !
Alain Rey nous explique qu'en français, son déverbal, à réverbérer (ben oui : réverbère bien entendu), fut tout d’abord synonyme d’écho.
Puis, au XVIIème, dans la locution feu de réverbère, il indiquera le “feu dont on fait rabattre la flamme sur les matières qu’on expose à son action”.
On parlera plus tard de fourneau de réverbère, ou à réverbère, ou encore de four à réverbère, pour désigner des fours à métaux où on utilise la chaleur réfléchie par une voûte.
Encore plus tard, réverbère désignera un dispositif en miroir que l’on adaptait à une lampe, pour mieux en diriger le faisceau lumineux.
Enfin, par métonymie, fin du XVIIIème, il désignera ce fameux appareil destiné à éclairer la voie publique, sans qui Paris ne serait pas Paris…
Baguettes dans un panier en osier |
On pourrait donc supposer que le mot latin devait originellement désigner la jeune branche, la baguette flexible, et que par la suite, par extension, il servit à nommer tous les instruments, qui comme la baguette, permettaient de battre quelqu’un.
(Enfin, “quelqu’un”, n'exagérons rien. Un esclave en tout cas.
Ne mélangeons pas les torchons et les serviettes…)
Mais ce qui va surtout vous surprendre, c’est que de ce verbera descend notre français … réverbérer.
Eh oui. Réverbérer nous arrive du latin reverberō, reverberāre : “repousser, rebondir”, le préfixe re- exprimant ici le mouvement en arrière.
Rien de plus imagé : vous imaginez le coup qui s’abat, et l’objet par lequel le coup a été porté qui rebondit sur la cible.
Action - réaction !
Alain Rey nous explique qu'en français, son déverbal, à réverbérer (ben oui : réverbère bien entendu), fut tout d’abord synonyme d’écho.
Puis, au XVIIème, dans la locution feu de réverbère, il indiquera le “feu dont on fait rabattre la flamme sur les matières qu’on expose à son action”.
On parlera plus tard de fourneau de réverbère, ou à réverbère, ou encore de four à réverbère, pour désigner des fours à métaux où on utilise la chaleur réfléchie par une voûte.
Encore plus tard, réverbère désignera un dispositif en miroir que l’on adaptait à une lampe, pour mieux en diriger le faisceau lumineux.
Enfin, par métonymie, fin du XVIIIème, il désignera ce fameux appareil destiné à éclairer la voie publique, sans qui Paris ne serait pas Paris…
De superbes photos en argentique ici |
Mais refaisons un saut de quelques siècles en arrière, et revenons au latin.
Car verbera n’est pas le seul descendant latin de notre *werb(h)-…
Non non non.
Pour rester dans le monde végétal, il semble bien (c’est du moins la thèse de Pokorny, quand même confirmée par Watkins) que le latin verbenă (surtout employé au pluriel : verbenae) en dérive.
Verbenă, le feuillage sacré, le rameau d'un arbre consacré, comme le laurier, l’olivier ou le myrte.
Les prêtres portaient notamment en couronnes ces rameaux durant les sacrifices.
Et si verbenă en est issu, alors en découlera naturellement notre français … verveine.
Le mot nous vient du latin populaire *vervena, altération du latin classique verbenă.
- Mais ???
- OUI, le mot en viendra à désigner d’autres plantes médicinales que le laurier ou le myrte.
Au nombre desquelles... la verveine...
En ancien grec, enfin, notre si gentille racine *werb(h)-, par une forme au degré zéro *wr̥b‑, (donc, sans quoi? SANS ... voyelle-pivot, bravo) nous aurait donné ῥαβδος, rhábdos, le bâton, la baguette.
En anatomie, on parlait de suture rhabdoïde pour qualifier la suture du crâne (en forme de petites baguettes) qui sépare les deux pariétaux ; ce qu’on appelle aujourd'hui la suture sagittale.
Et il existe encore le mot rhabdomancie, pour désigner l’art du sourcier, qui, en tenant par les deux bouts une baguette de coudrier, retrouve l’eau souterraine.
Car verbera n’est pas le seul descendant latin de notre *werb(h)-…
Non non non.
Pour rester dans le monde végétal, il semble bien (c’est du moins la thèse de Pokorny, quand même confirmée par Watkins) que le latin verbenă (surtout employé au pluriel : verbenae) en dérive.
Verbenă, le feuillage sacré, le rameau d'un arbre consacré, comme le laurier, l’olivier ou le myrte.
Les prêtres portaient notamment en couronnes ces rameaux durant les sacrifices.
Et si verbenă en est issu, alors en découlera naturellement notre français … verveine.
Le mot nous vient du latin populaire *vervena, altération du latin classique verbenă.
- Mais ???
- OUI, le mot en viendra à désigner d’autres plantes médicinales que le laurier ou le myrte.
Au nombre desquelles... la verveine...
verveine |
En ancien grec, enfin, notre si gentille racine *werb(h)-, par une forme au degré zéro *wr̥b‑, (donc, sans quoi? SANS ... voyelle-pivot, bravo) nous aurait donné ῥαβδος, rhábdos, le bâton, la baguette.
En anatomie, on parlait de suture rhabdoïde pour qualifier la suture du crâne (en forme de petites baguettes) qui sépare les deux pariétaux ; ce qu’on appelle aujourd'hui la suture sagittale.
Et il existe encore le mot rhabdomancie, pour désigner l’art du sourcier, qui, en tenant par les deux bouts une baguette de coudrier, retrouve l’eau souterraine.
sourcier à l'oeuvre |
Oui, la médecine a pas mal utilisé le mot grec, que l’on retrouve dans, par exemple, rhabdovirus : un virus en forme de... bâton…
Une forme variante nasalisée de notre *werb(h)-, *wrembh‑, serait quant à elle à l’origine de rhombe, du grec ῥόμβος, rhombos via le latin rhombus.
Le rhombe, c’est cet instrument de musique primitif, de forme ovale, attaché à un fil, qui produit un son lorsqu'on le fait tournoyer au dessus de sa tête.
Tout en restant poli, il faut bien le dire, c'est quand même assez primitif...
"Rhombe", c'est également le nom que l'on donnait au... losange.
(Ben oui, avant de l'appeler losange)
Rhombifolié ? Dont les feuilles sont en forme de rhombe.
Rhombiforme ? Qui a la forme d’un rhombe, et ainsi de suite…
Bon, pour ces deux dérivés grecs ῥαβδος et ῥόμβος, sachez que les avis sont plus que partagés, et que pour Robert Beekes, l’ascendance proto-indo-européenne est loin d’être établie ; pour lui, nous avons ici affaire au, au … - Allez, on va reconnaître les habitués - au… fameux … substrat pré-grec.
Passez donc un excellent dimanche, et une très très belle semaine.
A dimanche prochain…
Frédéric, en vacances...
le rhabdo de la Méduse Même moi, je n'aurais pas osé la faire, celle-là. |
Une forme variante nasalisée de notre *werb(h)-, *wrembh‑, serait quant à elle à l’origine de rhombe, du grec ῥόμβος, rhombos via le latin rhombus.
Le rhombe, c’est cet instrument de musique primitif, de forme ovale, attaché à un fil, qui produit un son lorsqu'on le fait tournoyer au dessus de sa tête.
Tout en restant poli, il faut bien le dire, c'est quand même assez primitif...
rhombe |
"Rhombe", c'est également le nom que l'on donnait au... losange.
(Ben oui, avant de l'appeler losange)
Rhombifolié ? Dont les feuilles sont en forme de rhombe.
Rhombiforme ? Qui a la forme d’un rhombe, et ainsi de suite…
Arisaema rhombiforme |
Bon, pour ces deux dérivés grecs ῥαβδος et ῥόμβος, sachez que les avis sont plus que partagés, et que pour Robert Beekes, l’ascendance proto-indo-européenne est loin d’être établie ; pour lui, nous avons ici affaire au, au … - Allez, on va reconnaître les habitués - au… fameux … substrat pré-grec.
Passez donc un excellent dimanche, et une très très belle semaine.
A dimanche prochain…
Frédéric, en vacances...
Pas d'Alexandre le bienheureux sans les taches de rousseur d'Agathe Bordeaux (Marlène Jobert, évidemment) |
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