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dimanche 14 janvier 2018

Es war einmal mitten im Winter, und die Schneeflocken fielen wie Federn vom Himmel herab...








Es war einmal mitten im Winter, und die Schneeflocken fielen wie Federn vom Himmel herab. Da saß eine Königin an einem Fenster, das einen Rahmen von schwarzem Ebenholz hatte, und nähte. Und wie sie so nähte und nach dem Schnee aufblickte, stach sie sich mit der Nadel in den Finger, und es fielen drei Tropfen Blut in den Schnee. Und weil das Rote im weißen Schnee so schön aussah, dachte sie bei sich: Hätt' ich ein Kind, so weiß wie Schnee, so rot wie Blut und so schwarz wie das Holz an dem Rahmen!

Schneewittchen 

Jacob & Wilhelm Grimm


(C’était au milieu de l’hiver, et les flocons de neige tombaient comme des plumes ; une reine était assise près de sa fenêtre au cadre d’ébène et cousait. Et comme elle cousait et regardait la neige, elle se piqua les doigts avec son épingle et trois gouttes de sang en tombèrent. Et voyant ce rouge si beau sur la neige blanche, elle se dit :


« Oh ! si j’avais un enfant blanc comme la neige, rouge comme le sang et noir comme l’ébène ! »)

Traduction par Félix Frank - E. Alsleben, 1869



Little Snow-White, illustré par Walter Crane, 1899





















Wilhelm & Jacob Grimm

Vous aurez reconnu le début de Blanche-Neige, ce conte recueilli par les frères Grimm, et probablement multimillénaire, si pas carrément indo-européen...



Jacob Grimm est évidemment parfaitement à sa place ici, lui qui a décrit les lois phonétiques réglant l'évolution des consonnes dans les langues germaniques, que nous connaissons désormais sous le nom de Loi de Grimm, dont nous parlions ici : il pleut, ou encore ici : Sainte Mildred de Thanet? Du mouton la douceur, de Thanet le cuir.






C'est un peu rébarbatif, cette Loi de Grimm... Laissez-moi donc vous l'expliquer par un tout petit exemple: 

Si, en tant que francophone, vous prononcez ce gros machin rouge “dix” ; pour un anglophone, ce sera “ten”.

À l'origine, l'indo-européen *déḱm̥t-“dix”.
Dont nous parlions ici: Dix petits Proto-Indo-Européens, d'ailleurs, il y a plus de cinq ans...

Si le *d- initial est resté en latin, ce même *d- est devenu t en germanique (d'où le proto-germanique *tehun, qui donnera donc l'anglais ten).

La Loi de Grimm nous apprenait qu'en germanique, les occlusives sonores (ici ce d-) deviennent des occlusives sourdes, comme ici ce t.

*d > t [t]





Mais je m'emporte ...

Bonjour à toutes et tous !




Nous arrivons en ce dimanche au terme de notre étude sur la racine indo-européenne *sneigʷʰ-, “neiger” et ses dérivés....
(pour éviter tout quiproquo, toute confusion, non, quand je parle de Neiger, je ne fais pas référence à...



... Al Neiger, joueur de Baseball, ni à ...



Reto Neiger

... Reto Neiger, docteur et professeur en médecine vétérinaire (à droite sur la photo),

mais bien à ça :


“Neiger” Tomber, en parlant de la neige (© Le Grand Robert de la langue française)

Allez, c'est le moment de faire une petite rétrospective...


(je n'ai pas trouvé de belle illustration pour “rétrospective”, alors je me suis rabattu sur des représentations de rétroviseurs.)



Nous avons commencé cette étude avec
"je préfère la neige au foie gras" - F. Blondieau.
Nous en découvrions les descendants français neige, névé, nival, nivéal, nivéo-, nivo-, et nivôse.


Ensuite, nous avons poursuivi avec ...
"La neige ne brise jamais la branche du saule.” - Proverbes de la Chine et des Nippons
belle occasion pour nous de mentionner ses descendants en grec et sanskrit, νείφει, neíphei et स्निह्यति, snihyati.


Puis, nous plongions tour à tour dans la Baltique et dans la neige des steppes russes, avec ...
La place Rouge était blanche, La neige faisait un tapis, Et je suivais par ce froid dimanche, Nathalie - Gilbert Bécaud.
Nous en retiendrons certainement le russe снег, snjeg, mais aussi le lituanien sniēgė et le letton (mais ... l'est-on VRAIMENT ?) sniēdzebruant des neiges”.


il est encore temps, avant que ça ne dégèle

Enfin, avec ...
Nyf Nyf le corgi aimait jouer dans la neige,
nous traitions des dérivés celtiques de notre vaillante *sneigʷʰ-, “neiger, comme le vieil irlandais snigid, “pleuvoir”, “s'écouler goutte à goutte”, ou encore l'irlandais sneachta, le mannois sniaghtey et l'écossais sneachda, “neige”

Et tant qu'à faire, le gallois nyf, “neige”.




Vous aurez compris également que cette délicieuse racine *sneigʷʰ-, “neiger tombe sous le joug du s-mobile, ce phénomène par lequel certains des dérivés d'une racine indo-européenne commençant par un *s- suivi d'une consonne perdront ce *s- initial.





Voilà pourquoi nous parlons - via le latin nix - de neige, tout comme les anciens Grecs de νείφει, neíphei, alors que les langues balto-slaves et indo-iraniennes ont conservé ce s, comme dans снег, snjeg ou स्निह्यतिsnihyati.

Tiens, pour ceux d'entre vous qui s'interrogeraient sur le pourquoi de ce curieux phénomène, on suppose (mais sans plus) qu'il serait lié au fait que le substantif précédant le verbe indo-européen (en l'occurrence, sneigʷʰ-) était souvent, par le jeu des inflexions, suivi d'un suffixe se terminant en*-s (c'est le cas des suffixes qui marquaient le nominatif singulier et l'accusatif pluriel des substantifs). 

Ainsi, il y aurait eu interférence entre le *-s final de la terminaison du mot précédent et ce *s- initial.

C'est ce qu'on appelle, en linguistique, une déglutination une segmentation erronée (non étymologique) de la chaîne parlée au début d'un mot dont le ou les premiers phonèmes sont pris pour la fin du morphème précédent. (merci Wikipedia)

Oh, ne faites pas les choqués. C'est un phénomène tellement courant qu'il en devient lassant... 
(et entre nous, je soupçonne ceux qui sont responsables de cette césure particulièrement inepte et malvenue d'être de la même engeance que ceux grâce à qui on parle à présent de fromage pour désigner ce qui était du formaticus caseus, ou de foie pour désigner l'ancien iecur fīcātum.)
Si ce que je vous raconte vous passe par-dessus la tête, relisez donc Quand Luis Ocaña voyait Merckx partir en danseuse, il avait les foies.

Vous en voulez des exemples, peut-être ? 

Notre griotte. 
De sombres abrutis Des personnes au crible cognitif vraisemblablement trop sélectif n'ont pas saisi qu'en moyen français, pour parler d'une cerise aigre, on disait l'agriotte
La griotte, j'vous jure !





Orange
Qui provient, par le persan puis l'arabe رنج, nāranǧ, du sanskrit नारङ्ग, nāraṅga
On parlait d'une narang. “On” - je ne vise personne - a confondu le son n de l'article indéfini avec le début du substantif...  (et en plus, le a s'est mué en o, vraisemblablement par l'influence de Orange, le nom de la ville). 
Dur dur.






Rassurez-vous, il n'y a pas qu'en français que ces andouilles ont frappé. 
Certains membres de cette illustre famille de faibles d'esprit ont clairement dû émigrer outre-Manche.


Fernand Ucon, un membre éminent de cette grande
famille à mobilité neuronale réduite.

Oui, à l'origine, son patronyme commençait par un D,
il n'en a pas compris le sens, et avec l'influence du d
final de son prénom, l'a transformé en Ucon


C'est la seule explication à l'anglais daffodil, pour “jonquille”. 
À l'origine, l'ancient grec ἀσφόδελος, asphódelos.
Ce d initial, complètement loufoque, proviendrait du passage par le néerlandais de affodil, de n'est qu'un article défini. 
Bravo les gars.



jonquilles


Allez, encore un dernier exemple édifiant : l'anglais apron, “tablier”.
An apron, du vieux français un napperon. 
Consternant.





Aujourd'hui, notre dernière étape sur le tour des dérivés de l'indo-européenne *sneigʷʰ-, “neiger”: les langues ... germaniques.






Notre si délicate *sneigʷʰ-,
via une forme *sneigʷʰ-e- (ce *e- servant de voyelle thématique pour former le présent),
y a laissé le verbe fort proto-germanique (non attesté) *snīwan-, “neiger”.

Ici au moins, les Ucon n'ont pas frappé ; le s initial est toujours bien présent, pas mobile pour un sou.

Je ne peux m'empêcher de mentionner, au premier rang des dérivés du germanique *snīwan-, “neiger”, cette forme verbale du présent à la troisième personne du singulier, utilisée en langage poétique, le
OUI !!!!!
vieux norois snýr, “il neige”.



Vous vous en doutez, on en a des tonnes, de dérivés germaniques de 
*snīwan-...

Je vous en propose quelques-uns, choisis rien que pour vous, avec amour...

Ainsi (avec toujours le sens de “neiger”)
  • le vieux frison *snīa, d'où le frysk (frison occidental) snije, 
  • le vieux néerlandais *snīwan, d'où le moyen néerlandais sniwen, snien, snuwen, et enfin le néerlandais archaïque snuwen et sa forme dialectale snouwen,
  • le vieux saxon (aaah, j'aime bien aussi) *snīwan, 
  • le vieux haut-allemand snīwan, d'où l'allemand schneien, 
  • le vieux norois - Aaaah -, mais plus du tout poétique snjófa, snjáfa, d'où l'islandais snjóa, ou encore...
  • le vieux norois (eh oui !!) snǽr, snjár, snjór, d'où ...
  • l'islandais snjór,
  • le norvégien snjo, snjø, snø,
  • le moyen danois snø, sne, d'où le danois sne..., ou encore
  • le moyen suédois snyo, snyö, d'où le suédois snö.

Mentionnons encore le délicat sniǿg’, sniǿð’, que vous entendrez environ pendant douze mois sur l'année dans les prévisions météo en Botnie occidentale.





- Botnie ?? Maisje ?










- Oui, la Botnie ! On en parlait encore ici, tiens, dans un article où l'on décrivait en quelques mots cette région du nord de la Suède, article où vous pouviez même apercevoir votre serviteur mettant “son whisky en bouteille, au sortir du fût, chez Old Pulteney (producteurs d'un magnifique Malt que je vous recommande chaudement) :

Oui, il était passé chez Pivot pour son "apologie de l'apothicaire"...




Enfin, ben oui, le verbe fort *snīwan-, “neigernous a donné
(oui, il est vraiment fort, *snīwan-),
par le vieil anglais *snīwan-, le verbe anglais to snow ...



Mais ce n'est pas fini...

Sur le verbe *snīwan-, “neiger, enfin, s'est également construit le substantif germanique *snaiwa- (neige”, bien sûr !).

c'est de la neige, pour ceux qui n'auraient pas compris




Citons donc, parmi ses dérivés (tous signifiant invariablement “neige”)

  • le gotique snaiws
  • le 

-YESS YESS YESS -

vieux norois snær, d'où par exemple ...

  • le féroïen snjógvur, ou
  • l'elfdalien
(une très ancienne langue suédoise, qui s'écrivait encore, il y a peu, en ... runes !)

sniųo.




Le substantif anglais snow en descend, par le vieil anglais snāw, puis le moyen anglais snaw, snow.

English snow



Idem pour 
  • le scots snaw,
  • le vieux frison snē, d'où le frysk snie, 
  • le - eh oui ! - vieux saxon snēo, snēu,
  • le vieux neerlandais *snēo, *snēu, d'où le néerlandais sneeuw (et souché dessus, le néerlandais sneeuwen, neiger : ici c'est le verbe qui provient du substantif),
  • le vieux haut-allemand snēo, snē, d'où le moyen haut-allemand snē et finalement l'allemand Schnee.
Neige à vendre.
Un grand moment d'humour teutonique



Nous terminerons en beauté, avec ...
  • le jamtlandais snǿ, et 
  • le gutnique snåi.
(quand vous connaissez le jamtlandais, le gutnique est assez simple, et vice versa. Par exemple, un ǿ jamtlandais s'écrira åi en gutnique.)


Je ne vous ferai évidemment pas l'affront de vous dire que le jamtlandais, langue nordique occidentale, se parle en Suède, mais est franchement plus proche du norvégien ...

le Jämtland
(source)


... Ni de vous préciser que le gutnique, qui se parle (ou plutôt s'éructe) dans l'est de la Suède, est, au même titre que le suédois et le norvégien, un descendant continental du ...
- OUIIII !!! - vieux norois.






Ch'tite récap ?

*sneigʷʰ-“neiger”

forme *sneigʷʰ-e-“il neige”
racine proto-germanique *snīwan-, “neiger

nombreux dérivés germaniques, comme l'anglais to snow, neiger


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*sneigʷʰ-“neiger”

forme *sneigʷʰ-e-“il neige”
verbe germanique *snīwan-, “neiger

substantif germanique *snaiwa-, neige

nombreux dérivés germaniques, comme l'anglais snowneige







Eh ben voilà, nous sommes arrivés au bout de notre chemin en compagnie de la si jolie 
*sneigʷʰ-“neiger”...

La prochaine fois que vous contemplerez la neige, que vous prononcerez son nom, rappelez-vous que ce tout petit mot, insignifiant, a traversé les millénaires, parcouru des milliers de kilomètres, pour que vous puissiez l'utiliser. 

Qu'il descend fièrement d'une racine multimillénaire, que vous pouvez toujours reconnaître sous ses formes dérivées en grec ancien, en sanskrit, en russe, en letton (mais - je vous pose la question - l'est-on vraiment ?), en gaélique irlandais, en norvégien ou en anglais...

Oui d'accord, et aussi en jamtlandais et en gutnique.



Elle est pas belle, la vie ?

Merci qui ?
Mais, l'indo-européen, pardi !




Je vous souhaite, à toutes et tous, un EXCELLENT dimanche, et une TRÈS belle semaine....


Pour ce qui est du menu de dimanche prochain, euh... je vous avoue que je n'en sais encore rien.

Surprise !





Frédéric



PS: dans ces articles, les passages de texte en bleu, vous l'aurez compris, traitent d'éléments de linguistique.





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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
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Et pour nous quitter,



la valse des flocons de neige, 

du deuxième tableau du premier acte de

Casse-noisette, Щелкунчик (Chtchelkountchik), 

ballet-féerie de Piotr Ilitch Tchaïkovski, 
d'après la version d'Alexandre Dumas de
Casse-Noisette et le Roi des souris,
conte d'Ernst Theodor Amadeus Hoffmann

(Et ces violons ont un petit air de Ravel, non ?)


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Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, Hein ? Vous pouvez par exemple...
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