article précédent: Pénélope était la dernière épreuve qu'Ulysse eut à subir à la fin de son voyage. - Jean Cocteau
La voie romaine Bavay-Tongres est une section d'un des axes majeurs de la Gaule septentrionale qui reliait deux points stratégiques, la Mer du Nord depuis Boulogne jusqu'au Rhin à Cologne.
Afin d'assurer la maîtrise du territoire après la conquête de la Gaule par César, les Romains entreprirent la création d'un réseau de chaussées s'articulant autour des villes, chef lieux de cités.
Les travaux débutèrent dans le Nord de la Gaule vers les années 20 avant Jésus Christ. Depuis Rome et Lyon, capitale de la Gaule, deux grands axes rejoignaient d'une part Reims et Boulogne et d'autre part Trèves et Cologne, frontières de l'Empire et des royaumes germaniques.
Une liaison transversale fût établie entre les deux points extrêmes des zones nouvellement administrées. Elle devait permettre la liaison entre le pouvoir central de Rome et les centres administratifs ou stratégiques des provinces. Elle assurait une circulation aisée et sécurisée des armées, de la poste impériale et du ravitaillement.
Pour cela, elle devait satisfaire aux exigences de son rôle et donc être praticable en toute saison, être rapide et sûre. La stabilité et le drainage sont deux préoccupations essentielles.
Les matériaux locaux sont utilisés et les itinéraires directs sont privilégiés.On constate donc que les constructeurs ont toujours cherché le sol vierge pour établir l'assise de la route; son épaisseur varie et comprend un nombre de couches variable.
La surface, empierrée ou faite de cailloutis, est aménagée pour adopter un profil bombé afin de faciliter l'écoulement des eaux.
La largeur varie mais avoisine généralement 6m à 6,5m Elle est parfois bordée de fossés de drainage. Elle appartient à la catégorie principale des voies romaines autour desquelles se développe un réseau secondaire.
De Boulogne par Thérouanne, par Arras, Cambrai, la chaussée arrive à Bavay.Elle traversait la Hesbaye et rejoignait Tongres où elle se poursuivait vers l'est, traversant la Meuse à Maestricht avant d'atteindre Cologne.
Elle figure sur l'Itinéraire d'Antonin et la Table de Peutinger, documents routiers antiques rédigés tardivement sur base d'originaux, renseignant un grand nombre d'itinéraires de l'Empire romain.
Extrait de la soumission par la Division du Patrimoine de la Région wallonne de Belgique du tronçon Bavay-Tongres de la chaussée romaine Boulogne-Cologne situé sur le territoire de la Région wallonne au Patrimoine mondial de l'Unesco.
https://whc.unesco.org/fr/listesindicatives/5359/
Chaussée Brunehaut à Villers-Perwin (Hainaut) |
Bonjour à toutes et tous !
The Jungle Book, Rudyard Kipling |
Après notre étude de la racine indo-européenne *lubʰ-, “peler, écorcer”, à l'origine de notre français livre, passons donc à l'exercice équivalent, mais cette fois à partir de l'anglais book.
Quelle pourrait bien être la racine indo-européenne qui se cache derrière ce book ; quelle en serait la signification, et puis quels autres dérivés pourrions-nous en trouver, au sein des langues indo-européennes...
Tout un programme.
Alors, book !
Book, “livre”, nous arrive, par le vieil anglais bōc, puis le moyen anglais booke, book, bok (...), d'un étymon proto-germanique que l'on reconstruit sous la forme*bōk-, littéralement euh... “livre”.
Jusque là...
Et c'est toujours ce proto-germanique *bōk- qui est à l'origine ...
- du - OUIIII ! - vieux norois bók, et dans son sillage,
mais aussi ...
- du féroïen bók, ou encore de l'elfdalien buok,
- du vieux frison bōk,
- du vieux haut-allemand Buch - d'où l'allemand Buch -, et
- du néerlandais boek.
Dans les langues germaniques, à côté de ces cognats au sens de livre, cependant, nous trouvons d'autres mots évoquant plutôt l'écriture, la lettre, ou un support à de l'écriture...
Ainsi,
- le gotique boka, “lettre”,
- le vieux haut-allemand buoh, “livre, lettre, écriture”, ou
- le vieux saxon bōk, “livre, tablette”.
le vieux ZAXXON, un jeu en vue isomorphique qui me fascinait, début des années 80... |
Et maintenant, je peux enfin vous le dire: le germanique *bōk- est lui-même un dérivé d'un autre étymon germanique, *bōk(j)ō-.
Et *bōk(j)ō-, Mesdames, Messieurs, désignait ... le hêtre.
le hêtre |
Oui, hêtre, livre, tablette, écriture : tout se tient, si l'on part du principe qu'à l'époque et en ces contrées, on utilisait des bâtonnets en bois de hêtre pour écrire ses runes.
Et d'où qu'i' venait, hein, *bōk(j)ō- ? Hein, hein ??
Eh oui ! D'une racine indo-européenne.
Que Watkins restranscrit sous la forme...
*bhāgo-.
Et qui, sans surprise, désignait... le hêtre.
le hêtre |
Notre *bhāgo-, “hêtre” - vous vous en doutez -, ne se retrouve pas que dans les langues germaniques...
Loin de là.
Alors oui, bien sûr, citons déjà les français bouquin, bouquiner, bouquiniste...
Mais bon
- je m'adresse ici à tous ceux qui vomissent les anglicismes, qui préféreraient se couper un bras plutôt que d'employer “mail” pour “courrier électronique”, ou “courriel” -,
notre bouquin, à l'origine de nos bouquiner et bouquiniste, mots qui évoquent irrésistiblement l'odeur de vieux cuir, de vieux papier, d'échoppes sur les quais de la Seine, d'érudition et d'heures de lecture le nez plongé dans un ouvrage nouvellement dépoussiéré, retrouvé on ne sait comment, notre bouquin, donc, n'est qu'un vulgaire emprunt (boucquain, en 1459) à une langue germanique...
En l'occurrence, à un diminutif du moyen néerlandais boec, “livre”, qui devait ressembler à *boeckijn.
Fernand Ucon |
- Et euh, bookmaker ?
- Ça alors, Monsieur Ucon, vous allez bien ?
Oui, “bookmaker”.
Vous avez raison
- ce qui, vu vos antécédents, mérite d'être signalé -,
il s'agit bien d'un composé de book.(Pss: pour celles et ceux qui ne connaissent pas encore Fernand Ucon, lisez ceci)
Pour répondre à votre question, revenons un court instant en anglais, pour préciser que bookmaker, book-maker signifiait au XVIème siècle, et en toute logique “éditeur, faiseur de livres”.
Mais que le mot se spécialisa, beaucoup plus tard, au tout début du XIXème, pour désigner celui qui, sur les champs de courses, prend les paris.
Ben oui, le bookmaker inscrivait les paris pris dans un calepin, en anglais, notebook...
bookmakers à Ascot (source) |
Mais bon, voyons à présent d'autres dérivés
- je veux dire “ailleurs que dans les langues germaniques” -de notre indo-européenne *bhāgo-, “hêtre” .
En un premier temps, nous n'irons pas trop loin...
Car, figurez-vous, on en retrouve dans une série de toponymes bien français !
Oui, de *bhāgo-, “hêtre” descend le gaulois ... *bāgos, “hêtre”.
le hêtre |
Je reprendrai ici des toponymes
- pas nécessairement de France, mais en tout cas bien issus du gaulois *bāgos, “hêtre” -cités par
- Ernest Nègre dans “Toponymie du hêtre en France”, un article qu'il écrivit pour la Nouvelle revue d'onomastique, 1987 9-10 pp. 19-25,
- Michel Tamine dans “Le hêtre dans la toponymie des Ardennes”, article qu'il écrivit pour cette même Nouvelle revue d'onomastique Année 2012 54 pp. 37-74, et enfin
- Xavier Delamarre, ce grand spécialiste du gaulois.
Voici donc quelques toponymes créés sur le gaulois *bāgos, “hêtre”:
- Bavay dans le Nord (Bagacum)
- Bavay, oui !!! D'où ce sybillin texte en exergue -,
le site gallo-romain de Bavay (source) |
- Beynes dans les Yvelines (pour une hêtraie),
- la forêt de Beiach en Suisse,
- la rivière Bavóna dans le Tessin, de silva bacenis (forêt de hêtres),
- Bayet, de Bāgeton, “le bois de hêtres”,
- la Beine, de *bag-ina (silva), “forêt de hêtres”, une forêt qui s'étendait autrefois de Guiscard, dans le coin nord-est du département de l'Oise, jusqu'à l'est de la Neuville en ... Beine, Aisne,
- Beine désigne aussi un affluent de la Somme à Ham, Somme qui a sa source à Beaumont en ...Beine, Aisne, et passe au village de ...Beine, commune de Villeselve, Oise, situé dans l'ancienne forêt de la Beine,
- Baynes, qui désigne un château dans la partie de la forêt de Cérisy, Calvados,
- d'autres Beine, tous dans une plaine dénudée, mais entourée de forêts encore importantes: Beine, dans la Marne, ou Beine dans l'Yonne,
- Beynes, une commune des Yvelines,
- quelques Bayne du Midi, en pays boisé, sont aussi vraisemblablement des *bagina silva, tels : Bayne, commune de Saint Thomé, Ardèche ; Bayne, commune de Viviers, Ardèche ; Bayne, commune de Valence d'Agen, Tarn-et-Garonne...
Bon ben, voilà !
Le décor est planté, et vous savez où nous allons.
Je peux à présent vous laisser sans remords.
'manque plus qu'une petite récap', non?
racine indo-européenne *bhāgo-, “hêtre”
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étymon proto-germanique *bōk(j)ō-, “hêtre”
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étymon proto-germanique *bōk-, “livre”
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plusieurs dérivés germaniques pouvant signifier hêtre, livre, tablette, écriture
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plusieurs dérivés germaniques pouvant signifier hêtre, livre, tablette, écriture
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racine indo-européenne *bhāgo-, “hêtre”
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étymon proto-germanique *bōk(j)ō-, “hêtre”
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étymon proto-germanique *bōk-, “livre”
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moyen néerlandais boec, “livre”
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moyen néerlandais boec, “livre”
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diminutif
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*boeckijn
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emprunt
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français bouquin
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diminutif
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*boeckijn
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emprunt
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français bouquin
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racine indo-européenne *bhāgo-, “hêtre”
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gaulois *bāgos, “hêtre”
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plusieurs toponymes, dont notamment Bavay
Retrouvons-nous, voyons... dimanche prochain ?
Nous reviendrons aux langues germaniques, pour encore y puiser quelques beaux dérivés, et après, ben, on verra !
Et d'ici là, je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une superbe semaine !
À dimanche prochain,
Frédéric
PS: dans ces articles, les passages de texte en bleu, vous l'aurez compris, traitent d'éléments de linguistique.
Merci à Monty Python pour cette mise en page, inspirée de leur sketch The Larch (le mélèze)
À dimanche prochain,
Frédéric
PS: dans ces articles, les passages de texte en bleu, vous l'aurez compris, traitent d'éléments de linguistique.
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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
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Et pour nous quitter,
de George Frideric Handel,
le 7ème mouvement de son Dixit Dominus HWV 232,
sur le texte du psaume 110,
“De torrente in via bibet (, propterea exaltabit caput)”
pour duo de sopranos et choeur.
Écoutez, il n'y a rien d'autre à en dire ...
Et si vous aimez,
ce pur chef-d'oeuvre, en entier,
ci-dessous,
par le Monteverdi Choir,
et les English Baroque Soloists,
dirigés par
Sir John Eliot Gardiner
de George Frideric Handel,
le 7ème mouvement de son Dixit Dominus HWV 232,
sur le texte du psaume 110,
“De torrente in via bibet (, propterea exaltabit caput)”
(“Il boit au torrent pendant la marche : C’est pourquoi il relève la tête”),
Écoutez, il n'y a rien d'autre à en dire ...
Et si vous aimez,
ce pur chef-d'oeuvre, en entier,
ci-dessous,
par le Monteverdi Choir,
et les English Baroque Soloists,
dirigés par
Sir John Eliot Gardiner
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article suivant: "hêtre ou ne pas hêtre", c'est la traduction française de "to beech or not to beech", non?
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