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dimanche 21 avril 2013

... hypothéquer son mariage ?


article précédent : épouser une hypothèse, ou ...



Bonjour à tous !


Nous venons, dimanche dernier,  de parler du mari.
C'est bon pour tout le monde ? Tout le monde est là ?

Alors, go go go : Qu'en est-il du mariage proprement dit ?

Oui, comme je vous l'avais annoncé, plusieurs versions s'affrontent... Deux, en fait.


La première :
Pour certains linguistes et non des moindres, comme J.P. Mallory & D.Q. Adams, la racine proto-indo-européenne qui reprenait l'idée de mariage n'était autre que
*h2wed(h2)-.

*h2wed(h2)- (ou presque)

Cette même racine est retranscrite par Calvert Watkins sous la forme
*wedh-.

Et  *h2wed(h2)- *wedh- évoque les notions de conduire, de mener.

Dans son acception particulière de mariage, cette racine serait à comprendre comme l'action - exécutée par le jeune marié - d'emmener sa promise loin de chez elle, de la conduire vers sa maison à lui.

L'obscure *wedh- n'a pas vraiment  - à ma connaissance du moins - de descendance en français.

En revanche, Taoiseach vient de là.
- ??
- Mais oui, le Taoiseach, enfin ! - ça devrait se prononcer plus ou moins "tiisseuch" avec le ch final de l'écossais "loch" (voir Tu quoque, Brutis, belli-fili mi) - est désigné par le Président après nomination par le Dáil Éireann, au Oireachtas. (S'il veut rester en poste, il doit - évidemment - conserver la majorité au Dáil)

--- OFFICIEL --- OFFICIEL --- OFFICIEL ---

Cette fois, il a pété un câble.

--- OFFICIEL --- OFFICIEL --- OFFICIEL ---

Pfff, mais non euh !

Le Taoiseach, c'est le chef du gouvernement, le premier ministre irlandais !

Il est nommé par le Dáil Éireann, la chambre basse du parlement (l'équivalent de notre "Chambre des Députés"), le parlement étant le Oireachtas


Enda Kenny, Taoiseach of Ireland

- OK, admettons. Mais comment peux-tu passer de *wedh- à Taoiseach ????
- Oui, j'en conviens, c'est un chemin assez escarpé…

Allons-y…
La racine proto-indo-européenne *wedh- (mener, diriger ...) est à la base d'une expression composée *to-wedh-tu-, qui désignait une position dominante, "devant", "en avant".

L'expression a évolué en proto-celtique pour devenir *to-wessus, puis *to-wessākos.

En vieil irlandais, *to-wessākos est devenu toisech, d'où nous arrive l'irlandais moderne taoiseach.

Pour l'anecdote, en gaélique écossais, toisech désignait un officier ou dignitaire sous les ordres du mormaer.

Toisech et mormaer sont mentionnés dans le "Book of Deer" (Leabhar Dhèir en gaélique), l'un des documents les plus importants de l'histoire écossaise, à présent conservé dans la bibliothèque universitaire de Cambridge.

The Book of Deer

The Deer Hunter

The Book of Deer Hunter


La fonction de toisech était héréditaire et accordée à un cadet de la famille du mormaer.
Le mormaer étant lui carrément sous les ordres directs du King of Scots !

- Dis mon gars, tu te crois sur la Terre du Milieu ? Tu vas nous bassiner encore longtemps avec tes Tolkieneries ? Et le Hobbit, hein, le Hobbit il est où?? Mais c'est pas possible ça, ce mec se fout d'ma g. !!
- Nan! Chtijire, comme on dit communément dans mon quartier.

D'ailleurs, vous pouvez consulter vous-même le Book of Deer, sur le - somptueux - site interactif de l'Université de Cambridge, Cambridge Digital Library.
Et quand le site n'est pas en maintenance, vous en avez ici le texte intégral.

le Book of Deer

En gallois, on trouve encore, issu de la même racine proto-indo-européenne *wedh- : tywysog, le prince...

Pour en revenir au Book of Deer, il s'agit d'un petit évangéliaire sur vélin du Xème siècle, en latin; on suppose qu'il a été rédigé quelque part dans les Lowlands écossais, puis qu'il s'est retrouvé à l'Abbaye de Deer, près d'Aberdeen, là-même où aurait vécu une ancienne communauté religieuse fondée par Saint Colomba (celui de l'île d'Iona, dans les Hébrides intérieures - Iona étant un jeu de mots sur Colomba : la colombe se disant yonâh, yownah en hébreu) et Saint Drostan, connu lui pour ses pastilles.

Colomba et Iona
Drostan et les pastilles

On le pense du moins (qu'il s'est retrouvé à l'Abbaye de Deer, hein, vous suivez toujours ?), car dans les marges du manuscrit figurent des annotations en latin, en vieil irlandais et en gaélique écossais datant du XIIème siècle qui portent à croire qu'elles ont été rédigées à... Deer. Merci de suivre.
Ces annotations en gaélique écossais seraient les plus anciennes conservées à ce jour...

Bon, ça, c'est une chose.

Et puis, il y a l'autre version, défendue par Pokorny et après lui Watkins, où ce n'est pas la racine proto-indo-européenne *wedh-, dans une acception spécifique, qui désignait le mariage, mais plutôt une autre racine, phonétiquement très proche, mais au signifié ô combien différent :
*wadh1-.

Car *wadh1- véhiculait les notions de promesse, d'engagement.
Référence directe à la cérémonie du mariage, cette fois. A l'engagement entre les époux, à la promesse au centre de cette cérémonie.

Le vieux français gage (comme dans "le gage de bonne foi") en est un parfait dérivé, tout comme les gages le salaire promis - que l'on retrouve dans l'anglais wage, au sens équivalent.

Le verbe français engager s'engager en dérive.

Comme encore l'anglais mortgage : l'hypothèque (un droit accordé à un créancier, comme une banque, sur un bien - bien souvent immobilier, en garantie d'une dette).

Mortgage  - je n'ai jamais aimé ce mot - provient en fait du vieux français mort gaige, remplacé aujourd'hui par hypothèque.
Et signifie bien un "gage mort", car l'engagement des deux parties meurt (s'éteint) quand la dette est totalement payée ou, au contraire, s'il y a faute de paiement.

Et puis, il faut quand même bien le dire, c'est aussi sur cette racine *wadh1- que s'est bâti l'anglais...
wedding : le mariage.


Bon, moi j'aime bien la deuxième version...




Bon dimanche, bon semaine à tous, et...
... à dimanche prochain.




Frédéric

PS: vous prenez le train en marche ?
Vous tombez sur cet article, êtes stupéfait, ébahi devant tant d'audace et d'ingéniosité, et trouvez surtout son titre bien abscons ?
Voire simplement pas du tout abs ?

Tout comme il faut être deux pour faire un couple, il te faudra accoupler les titres de ce dimanche et du précédent pour en découvrir la nature profonde, Petit Scarabée...


1 commentaire:

  1. T'as bien fait de le .."deer"
    On nage en plein délire
    ces racines qui s'emmêlent
    c'est la tour de Babel
    de bab-el-..."*wehd"

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