“Le bonheur n'est pas une plante sauvage, qui vient spontanément, comme les mauvaises herbes des jardins:
c'est un fruit délicieux, qu'on ne rend tel, qu'à force de culture.”
Nicolas Restif, dit Restif de La Bretonne
c'est un fruit délicieux, qu'on ne rend tel, qu'à force de culture.”
Nicolas Restif, dit Restif de La Bretonne
Nicolas Edme Restif 23 octobre 1734 -3 février 1806 (source) |
Bonjour à toutes et tous !
Dimanche dernier, nous avions découvert que notre français “livre” nous venait, par le latin liber, “écorce, livre”, d'une racine indo-européenne, *lubʰ-, “peler, écorcer”.
Nous constations derechef que ce liber latin avait aussi été emprunté dans d'autres langues romanes, en basque, et dans quelques langues celtiques.
Ben aujourd'hui, poursuivons notre étude de la jolie *lubʰ-, “peler, écorcer” avec les cognats celtiques du latin liber !
- Mais ???! Tu VIENS de nous dire que les langues celtiques avaient emprunté leurs formes au latin liber !? Tu débloques, mon gars ?
- Oh bonjour, vous allez bien, Monsieur Ucon ?
Je ne me suis peut-être pas bien exprimé. Peut-être n'étais-je pas suffisamment clair...
Dimanche dernier, nous avions effectivement fait une petite liste d'emprunts celtiques au latin liber.
Ce que je me propose de faire en ce dimanche, c'est de vous montrer cette fois les cognats celtiques de notre latin liber.
- Maisje ??
- Oui, alors
Le terme dérivé est finalement très vague, et les mécanismes de dérivation lexicale sont vraiment multiples...
En ces pages consacrées aux racines indo-européennes, je privilégie les dérivés que je qualifierais de naturels, ceux qui se sont créés par une lente évolution, une percolation depuis le proto-indo-européen, en ligne directe, jusqu'à nous.
À côté des dérivés par filiation directe, “naturels” (c'est moi qui les nomme ainsi), il y a cet autre type de dérivé qu'est l'emprunt (emprunt lexical, pour être précis), un mot qu'une langue incorpore dans son lexique à partir d'une autre langue, sans vraiment qu'il soit traduit dans la langue d'arrivée.
En revanche, des cognats,
Ils sont apparentés les uns aux autres car ont évolué depuis cet ancêtre commun chacun de leur côté sans qu'il y ait eu emprunt
Oui, non ?
Le latin liber descend de la racine indo-européenne *lubʰ-.
Mais ce même latin a été lâchement emprunté en français, pour donner livre, ou dans les langues celtiques, comme dans le cas du breton levr.
Vous retrouverez notre français café en anglais: emprunt.
Comme vous trouverez l'anglais parking en français. Emprunt !
Notre bazar nous vient du perse bāzār, “marché”: emprunt!
Mais le féroïen fergja, “presser, pousser, comprimer...” et le français arche sont des cognats, car dérivent tous deux d'une lointaine forme commune, l'adorable indo-européenne *ark-.
Bon, c'est pas tout ça. Passons aux cognats celtiques de notre latin liber !
⇓
irlandais luibh, “herbe, plante”, gaélique écossais luibh, “herbe, plante, mauvaise herbe”
proto-celtique *lubī/ā-, “herbe, plante”
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moyen gallois lluarth
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gallois lluarth, “jardin potager”
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proto-celtique *lubī/ā-, “herbe, plante”
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moyen breton lou, “plantes...”
⇓
collectif breton louzoù, “plantes, herbes, légumes”, “plantes médicinales”, “remède”
Et que le latin liber et le breton louzoù étaient cognats ?
C'est fou, non ?
Dimanche dernier, nous avions découvert que notre français “livre” nous venait, par le latin liber, “écorce, livre”, d'une racine indo-européenne, *lubʰ-, “peler, écorcer”.
racine indo-européenne *lubʰ-, “peler (écorcer)” suffixée en -*ro-
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*lubʰ-ro-, “feuille, écorce”
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radical proto-italique *lufro-
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latin liber, “écorce, livre”
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emprunt
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français livre (fin XIème)
Nous constations derechef que ce liber latin avait aussi été emprunté dans d'autres langues romanes, en basque, et dans quelques langues celtiques.
Ben aujourd'hui, poursuivons notre étude de la jolie *lubʰ-, “peler, écorcer” avec les cognats celtiques du latin liber !
- Mais ???! Tu VIENS de nous dire que les langues celtiques avaient emprunté leurs formes au latin liber !? Tu débloques, mon gars ?
- Oh bonjour, vous allez bien, Monsieur Ucon ?
Le célèbre Fernand Ucon |
Je ne me suis peut-être pas bien exprimé. Peut-être n'étais-je pas suffisamment clair...
Dimanche dernier, nous avions effectivement fait une petite liste d'emprunts celtiques au latin liber.
Ce que je me propose de faire en ce dimanche, c'est de vous montrer cette fois les cognats celtiques de notre latin liber.
- Maisje ??
- Oui, alors
- je pense qu'on a déjà dû en parler un jour, non ? Mais soit -,pour faire simple:
Le terme dérivé est finalement très vague, et les mécanismes de dérivation lexicale sont vraiment multiples...
En ces pages consacrées aux racines indo-européennes, je privilégie les dérivés que je qualifierais de naturels, ceux qui se sont créés par une lente évolution, une percolation depuis le proto-indo-européen, en ligne directe, jusqu'à nous.
À côté des dérivés par filiation directe, “naturels” (c'est moi qui les nomme ainsi), il y a cet autre type de dérivé qu'est l'emprunt (emprunt lexical, pour être précis), un mot qu'une langue incorpore dans son lexique à partir d'une autre langue, sans vraiment qu'il soit traduit dans la langue d'arrivée.
En revanche, des cognats,
du latin cognatus, “parent par les liens du sang”,sont des mots qui ont réellement un ancêtre commun.
Ils sont apparentés les uns aux autres car ont évolué depuis cet ancêtre commun chacun de leur côté sans qu'il y ait eu emprunt
(ou éventuellement calque, quand il y a eu traduction littérale, comme le québecois “tomber en amour”, calque de l'anglais “to fall in love”)entre eux.
Oui, non ?
Le latin liber descend de la racine indo-européenne *lubʰ-.
Mais ce même latin a été lâchement emprunté en français, pour donner livre, ou dans les langues celtiques, comme dans le cas du breton levr.
Vous retrouverez notre français café en anglais: emprunt.
Comme vous trouverez l'anglais parking en français. Emprunt !
Notre bazar nous vient du perse bāzār, “marché”: emprunt!
Mais le féroïen fergja, “presser, pousser, comprimer...” et le français arche sont des cognats, car dérivent tous deux d'une lointaine forme commune, l'adorable indo-européenne *ark-.
Si ça coince, relisez donc Les Féroé ? Le tombeau des baleines...
la création des cognats dans une langue L1 et une langue L2,
chacune d'un groupe linguistique différent ?
(“percolation naturelle”)
racine indo-européenne
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proto-langue P1 proto-langue P2
⇓ ⇓
ancienne langue L1 ancienne langue L2
⇓ ⇓
moyenne langue L1 moyenne langue L2
⇓ ⇓
cognat langue L1 cognat langue L2
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un exemple de création d'emprunts ?
racine indo-européenne
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proto-langue P1
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ancienne langue L1
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moyenne langue L1
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langue L1 ⇒ emprunt ⇒ langue L2
Bon, c'est pas tout ça. Passons aux cognats celtiques de notre latin liber !
Notre ravissante *lubʰ-, “peler (écorcer)” se retrouve dans le proto-celtique (reconstruit, non attesté) *lubī/ā-, “herbe, plante”.
D'où le vieil irlandais ... luib, sans surprise, “herbe, plante”.
Qui donnera à son tour l'irlandais luibh, et le gaélique écossais luibh, ce dernier reprenant les mêmes sens, plus un troisième, très (très) légèrement dérivé, celui de “mauvaise herbe”.
Si je vous dis que le gaélique écossais eòlaiche désigne l'expert, le scientifique, vous en déduirez tout naturellement que luibh-eòlaiche désigne ... le botaniste !
Et si je vous dis que Jean le Baptiste se dit Eoin Baiste en irlandais, “luibh Eoin Baiste“ signifiera... Allons, allons ... OUI, “herbe de la Saint-Jean”, autrement dit Hypericum perforatum, notre millepertuis, dit encore millepertuis perforé.
(source) |
En vieux gallois, cette fois, nous apprécierons le métonymique luird, le jardin potager.
D'où le
- YESSS YESSS YESSS -
moyen gallois lluarth, resté tel quel en gallois, et désignant invariablement le jardin potager.
(source) |
En vieux breton, enfin, l'étymon celtique *lubī/ā- s'est mué en -lub, -lob, d'où le moyen breton lou, et le collectif breton louzoù, “plantes, herbes, légumes”, ou même “plantes médicinales”, d'où aussi “remède, médicament, médecine ...”
Nous parlions de lluarth, le jardin potager en gallois ?
Eh bien, l'équivalent breton en sera louzaoueg.
(source) |
Et vous n'imaginez même pas la ch. euh le nombre de composés bretons créés sur le singulier de louzoù, louzaouenn...
Bon, allez, puisque vous insistez. Mais quelques-uns, seulement :
- louzaouenn-al-laou, la dauphinelle, ou pied-d'alouette,
dauphinelle (source) |
- louzaouenn-an-daroued, “petite chélidoine”,
petite chélidoine (source) |
ou alors, tant qu'à faire,
- louzaouenn-an-daoulagad, “grande chélidoine”...
grande chélidoine (source) |
Louazaouenn-an-deñved ? le serpolet.
serpolet |
Et
louzaouenn-an-draen, l'armoise...
armoise (source) |
Et ainsi de suite...
(et pardonnez-moi pour ce ô combien subtil rappel de la notion de jardin en breton, avec cette citation de Restif de La Bretonne en exergue...)
À côté donc du breton levr, “livre”, simple emprunt au latin liber, nous trouvons un louzaouenn, “plante”, descendant direct de notre *lubʰ-, “peler (écorcer)”, et donc parfait cognat de liber...
Et voilà pour les dérivés celtiques de notre petite *lubʰ-...
racine indo-européenne *lubʰ-, “peler (écorcer)”
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proto-celtique *lubī/ā-, “herbe, plante”
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vieil irlandais luib, “herbe, plante”⇓
irlandais luibh, “herbe, plante”, gaélique écossais luibh, “herbe, plante, mauvaise herbe”
---
⇓
vieux gallois luird, “jardin potager”⇓
moyen gallois lluarth
⇓
gallois lluarth, “jardin potager”
---
proto-celtique *lubī/ā-, “herbe, plante”
⇓
vieux breton -lub, -lob, “plantes...”⇓
moyen breton lou, “plantes...”
⇓
collectif breton louzoù, “plantes, herbes, légumes”, “plantes médicinales”, “remède”
On en restera là pour ce dimanche !
Mais dimanche prochain, on attaque les dérivés germaniques de *lubʰ-, je ne vous dis que ça...
Ceci dit, et tout à fait entre nous, vous auriez pensé, vous, que notre français livre avait une famille si riche, qu'il était à ce point proche du gallois lluarth, “jardin potager”, ou du breton louzoù, “plantes, remède...” ?Et que le latin liber et le breton louzoù étaient cognats ?
C'est fou, non ?
Merci QUI ?
Ben oui, le proto-indo-européen, pardi !
Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une superbe semaine !
À dimanche prochain,
Frédéric
PS: dans ces articles, les passages de texte en bleu, vous l'aurez compris, traitent d'éléments de linguistique.
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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
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Et pour nous quitter,
la belle voix de la belle Nolwenn Leroy,
dans cette célèbre chanson traditionnelle bretonne (une ronde à trois pas),
“Tri Martolod” (“Trois matelots”)
la belle voix de la belle Nolwenn Leroy,
dans cette célèbre chanson traditionnelle bretonne (une ronde à trois pas),
“Tri Martolod” (“Trois matelots”)
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