article précédent : peut-on dire de l'armée espagnole qu'elle exerce des mesures coercitives ?
“L'autarcie culturelle et raciale est une marche à la mort. Elle est tout aussi irréalisable que son contraire, une culture mondiale uniforme.”
Jean-Claude Carrière
Jean-Claude Carrière
Bonjour à tous !
La racine *ark-, “contenir, garder...”.
Nous n'avons d'yeux que pour elle, depuis qu'elle est apparue dans nos vies, un beau dimanche de janvier...
“a man's home is his castle” - Sir Edward Coke, 21 janvier 2018
Et puis, tranquillement, le dimanche suivant, nous continuions à parcourir la liste de ses dérivés latins...
peut-on dire de l'armée espagnole qu'elle exerce des mesures coercitives ?, 28 janvier 2018
Aujourd'hui, je vous propose d'aller voir chez les Grecs, pas nécessairement si j'y suis, mais bien si y sont des dérivés de notre gentille *ark-.
De la jolie *ark-, l'ancien grec a retenu...
ᾰ̓ρκέω, arkéō, “parer, éviter”, ou “défendre” dans les deux sens : “empêcher”, mais aussi dans l'idée de protection, “assister, secourir...”.
Ces acceptions correspondent assez bien à la sémantique de garder que l'on a attribuée à notre *ark-.
Mais cette même notion se retrouve aussi, plus subtilement, dans une autre acception de ᾰ̓ρκέω, arkéō...
Suivez-moi...
Assister quelqu'un, le secourir, consiste en fait à lui fournir quelque chose.
Que ce soit un abri, des soins, de son temps, de la protection...
Non ?
Et si ce que l'on fournit est satisfaisant, on dira que cette assistance a été suffisante, qu'elle a suffi ...
Oui, de sens dérivé en sens dérivé, le grec ᾰ̓ρκέω, arkéō, a également signifié ... “suffire, être suffisant”.
Alors, pourquoi je m'amuse à vous raconter tout ça ?
Parce que de quelqu'un qui se suffisait à lui-même, les anciens Grecs disaient qu'il était, littéralement, et très logiquement, auto-suffisant : αὐτός-ἀρκες.
Composé réduit en... αὐτάρκης, autárkēs.
Ça y est, vous voyez où je veux en venir ?
Sur αὐτάρκης, autárkēs s'est créé le substantif αὐτάρκεια, autárkeia, littéralement auto-suffisance.
Oui, c'est à lui que nous devons notre ... autarcie !
Cet emprunt, ce calque de l'ancien grec est en réalité assez moderne; il fut introduit sous la Révolution, et attesté en 1793.
À l'époque, et dans les circonstances particulières de son introduction, il désignait le bien-être résultant de la sobriété (le fait de mener une vie sobre, pas nécessairement sans alcool, rassurez-vous) par laquelle une personne se suffit à elle-même.
Le sens du mot a ensuite quelque peu évolué, pour donner...
(Didactique) État d'un groupe, d'un pays qui se suffit à lui-même, n'a pas besoin de l'étranger pour satisfaire à ses besoins ; économie fermée.
Par extension, état de ce qui se suffit à soi-même, n'entretient pas d'échanges avec l'extérieur.
Merci ©Le Grand Robert de la langue française
Voilà pour le grec.
Oh oui, il y a quelques autres dérivés, mais je n'en ai pointé aucun qui nous soit arrivé en français ; j'en resterai là.
(il suffit) |
Du grec, je vous propose de faire un bond vers une langue anatolienne, le ... hittite ...
Les Hittites vécurent au IIème millénaire avant notre ère en Asie Mineure.
Les Hittites !
Autant les Shadoks pompaient...
... autant les Hittites écrivaient...
Et ils écrivaient, ils écrivaient...
À croire qu'ils n'avaient que ça à f.
Mais au moins, ils nous ont ainsi légué des milliers de tablettes d'argile ou autres
(des milliers, je vous dis ; on parle de plus de trente mille de ces pauvres tablettes !),disparaissant sous leur écriture cunéiforme, qu'ils avaient adaptée de celle des Sumériens.
Ce faisant, les Hittites ont fait de leur langue la plus ancienne des langues indo-européennes dont on a retrouvé l'écriture...
les (source) |
Et donc, en hittite, notre *ark-, “contenir, garder...” indo-européenne nous a donné...
le verbe hark-, “tenir, avoir, garder”.
Si vous me suivez depuis un certain temps, vous connaissez tous, et avez peut-être déjà expérimenté
- je m'adresse ici exclusivement aux lecteurs masculins de ce blog -le pouvoir d'attraction irrésistible - disons-le tout net : érotogène - qu'exercent le tokharien ou le moyen gallois sur la gent féminine.
Si non, lisez ça : Et du côté de Tbilissi, on élève des moutons, non ?
Avec le hittite, on s'en rapproche méchamment.
Je vous donne ici deux toutes petites phrases à mémoriser, et à sortir nonchalamment lors de soirées mondaines en galante compagnie...
Un exemple d'emploi ?
Introduisez-les (je parle des phrases, dans la conversation) par un subtil
“[prénom de la demoiselle: Bérénice , Sixtine, Alix, Orlane, Faustine, Clothilde, Marie-Sophie (...)], je ne puis résister plus longtemps à vous le dire, je le garde caché depuis si longtemps, mais... sachez que je vous tiens en haute estime.”Et là, vous lâchez la bombe,
avec un
“Comme disaient les Hittites :
munnanda hark (“garder caché”), et
āssu hark (“Tenir en estime”)”
Effet ga-ran-ti.
(Vous n'aurez plus qu'à l'aider à se relever, et voilà.)
Oh, si jamais vous aviez affaire à une coriace, alors, je vous donne encore une arme, mais de grâce, employez-la avec parcimonie, et en pleine connaissance de cause.
Car elle ne pardonne pas. Et vous n'aimeriez pas finir vos jours en prison.
Si le hittite n'a - pour une raison incompréhensible - pas fonctionné, alors, passez à l'arménien classique.
- Mais je vous aurai prévenu ! -
Parlez-lui de *ark-, “contenir, garder...”, la racine indo-européenne à l'origine du hark- hittite, et puis
- l'estocade -susurrez-lui à l'oreille qu'on la retrouve probablement aussi en vieil arménien, sous la forme
(laissez-la un peu souffler - faites attention, vous maniez du TNT)արգել, argel, “obstacle, prohibition, détention”.
La conclusion n'est plus très loin...
Bon, nous, on va en rester là.
Pour ce dimanche, bien sûr.
- Quoi, déjà ? Mais il est bien court, non, cet article ??
- Ben oui, et alors ? Je ne vais quand même pas inventer des dérivés grecs, hittites et arméniens à notre racine, rien que pour faire des lignes, non plus ? Allons !
Il est écrit Hittite, ici, peut-être ? (je montre mon front)
La semaine prochaine, nous verrons les dérivés slaves et germaniques de notre délicieuse *ark-...
Mais en attendant,
Récapitulons :
*ark-, “contenir, garder...”
⇓
ancien grec ᾰ̓ρκέω, arkéō, “éviter, défendre, assister, suffire”
⇓
composé αὐτός + ἀρκες = αὐτάρκης, autárkēs, “auto-suffisant”
⇓
substantif αὐτάρκεια, autárkeia, “auto-suffisance”
⇓
emprunt
⇓
français autarcie
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*ark-, “contenir, garder...”
⇓
hittite hark-, “tenir, avoir, garder”
-----
*ark-, “contenir, garder...”
⇓
vieil arménien արգել, argel, “obstacle...”
⇓
substantif αὐτάρκεια, autárkeia, “auto-suffisance”
⇓
emprunt
⇓
français autarcie
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*ark-, “contenir, garder...”
⇓
hittite hark-, “tenir, avoir, garder”
-----
*ark-, “contenir, garder...”
⇓
vieil arménien արգել, argel, “obstacle...”
Refaisons donc le point, en reprenant les cognats collectés dans ces trois derniers articles:
Notre français arche (de Noé / d'alliance) est étroitement lié à arcane, coercitif, exercice, l'espagnol ejército, et autarcie !
Sans évidemment oublier le hittite hark-, “tenir, avoir, garder”, et le vieil arménien արգել, argel, “obstacle...”
C'est fou, non ?
En trois articles, sur trois dimanches, vous réalisez que tous ces mots sont apparentés...
(et en plus, si vous êtes un mec qui vous lamentez d'être célibataire, vous avez maintenant de sérieuses chances de ne plus l'être bientôt)
C'est à qui qu'on dit merci ? Hein ?
Mais oui, à l'indo-européen !
Je vous souhaite, à toutes et tous, un EXCELLENT dimanche, et une TRÈS belle semaine....
Frédéric
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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
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Et pour nous quitter,
Tafelmusik (si si, encore),
qui nous interprète ici une superbe version du Rondeau que Purcell composa pour
Abdelazer or The Moor's Revenge (Abdelazor ou la Revanche du Maure),
dont la première eut lieu en 1677, au Dorset Garden Theatre de Londres,
C'est aussi ce Rondeau qui servit à Benjamin Britten comme point de départ pour les variations pour orchestre de son The Young Person's Guide to the Orchestra (1946),
et ce sont ces mêmes variations de Britten que vous avez entendues comme musique de générique pour Le club de la presse, sur Europe 1 !
Tafelmusik (si si, encore),
qui nous interprète ici une superbe version du Rondeau que Purcell composa pour
Abdelazer or The Moor's Revenge (Abdelazor ou la Revanche du Maure),
dont la première eut lieu en 1677, au Dorset Garden Theatre de Londres,
C'est aussi ce Rondeau qui servit à Benjamin Britten comme point de départ pour les variations pour orchestre de son The Young Person's Guide to the Orchestra (1946),
et ce sont ces mêmes variations de Britten que vous avez entendues comme musique de générique pour Le club de la presse, sur Europe 1 !
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