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dimanche 11 février 2018

Les Féroé ? Le tombeau des baleines...





Better to sleep with a sober cannibal than a drunk Christian.”

(Plutôt dormir avec un cannibale sobre qu'avec un chrétien ivre.”)

Moby-Dick or, The Whale, 

Herman Melville

Herman Melville
1er août 1819 – 28 septembre 1891





Bonjour à tous !


Nous arrivons au bout du voyage...

À la fin de notre périple en compagnie de la racine *ark-, “contenir, garder...”.


la fin du voyage...

Les articles que nous lui avons consacrés ? Certainement :
“a man's home is his castle” - Sir Edward Coke21 janvier 2018,
peut-on dire de l'armée espagnole qu'elle exerce des mesures coercitives ?28 janvier 2018, et 
l'Arche devait être vraiment autosuffisante, pour permettre la survie de Noé et de cette cargaison chamarrée..., 4 février 2018.

Nous avons ainsi découvert qu'elle nous avait donné le français arche, dans son acception de coffre, mais aussi nos arcane, exercice, coercitif, autarcie, l'espagnol ejército, “armée”, le hittite hark-, 
“tenir, avoir, garder”, et le vieil arménien արգել, argel, “obstacle, prohibition, détention”.


Oui, rien que ça.



Allons donc jeter un coup d'oeil dans ses dérivés germaniques, à présent...


Le groupe germanique est impressionnant... Tant par le nombre des langues qui y sont répertoriées, que par sa structure...

Le nombre ?
Vous en aurez une idée ici :
(on clique sur l'image pour l'agrandir, hein)

(source)
(oui, je n'ai pas réinventé la roue, j'ai tiré cette liste de Wikipedia.)
Quant à sa structure, il n'y a qu'à la contempler, ici :

le groupe germanique
(source)

Eh bien, dans ce kolossal groupe des langues germaniques, nous ne retrouvons notre gentille *ark-, “contenir, garder...” que dans le sous-groupe des langues scandinaves occidentales... (c'est précis).

Mais bon, si la quantité de ses dérivés n'y est pas, nous en apprécierons la qualité...


*ark- se retrouve en proto-germanique sous la forme... *fargjan-.
C'est du moins ainsi que l'on reconstruit ce verbe, non attesté.

*fargjan- devait signifier quelque chose comme “pousser”, ou peut-être mieux, appuyer”.


Fernand Ucon



- Mais ?? Mais enfin, quel est le rapport avec “contenir, garder...”? 

N'IMPORTE QUOI.






- Oh, mais bonjour Monsieur Ucon, vous allez bien ?
La réflexion est intéressante, et mérite réponse. 

Bon, je ne vous dirai pas - ce serait vous prendre pour un idiot - que dans la sémantique originale de contenir” que l'on prête à la délicieuse *ark-, on pourrait déjà retrouver la notion de pousser, qui n'est pas si éloignée de celle de re-pousser. 
Oui, repousser, comme dans l'expression contenir une foule, par exemple.

Mais je me dois de vous en dire un peu plus.

Car, voyez-vous,  j'avais sciemment omis, quand nous évoquions les dérivés latins de *ark-, de mentionner certains de ses dérivés qui n'ont rien donné en français. 
peut-on dire de l'armée espagnole qu'elle exerce des mesures coercitives ?

Au nombre des susnommés dérivés, le composé latin (archaïque) porceō, porcēre, que l'on pourrait traduire par “repousser, restreindre...”.

Porceō, de po- + arceō. 
Vous y reconnaissez le préfixe po-, qui indiquait la séparation, l'éloignement.

En germanique, nous avons tout simplement affaire à une construction similaire , ou *far- n'est qu'un suffixe créé sur l'adverbe *ferrai-, “loin”, devenu plus tard le néerlandais ver, ou l'anglais far...




Mais donc - reprenons -, nous retrouvons la trace de *ark- dans le proto-germanique *fargjan-.

Et qu'est-ce qu'il a (notamment) donné, le germanique *fargjan-, hein ?

Fergja !

L'islandais fergja, “presser, faire pression sur...”.

Le norvégien fergja, presser, appuyer, enfoncer...”.

Ou même le féroïen fergja, presser, pousser, comprimer...”.


Le féroïen est une langue rude, aride, mais simple et directe, comme ceux qui la parlent.

Dans l'univers très clos des Îles Féroé, 




il y a moyen de donner l'impression de parler couramment la langue locale, de la maîtriser, même, et d'avoir de l'à-propos, de la conversation, en utilisant simplement deux expressions, toutes deux reprenant le verbe fergja :

báturin fergdi sjóvin frá (ou fyri, pour les puristes) sær, 
le bateau repoussait l'eau de son étrave”,
et
fergja blóðið úr tvøsti, 
littéralement “presser le sang hors de la (viande de) baleine”, entendez “comprimer la (viande de) baleine pour en retirer le sang”.
(et vous aurez par la même occasion compris ce que faisait ici ce passage de Moby Dick, en exergue)


Et voilà pour la descendance germanique de notre adorable *ark-.


Allez, un dernier groupe linguistique où nous pourrions retrouver notre *ark-.

Mais ... dans ce groupe, point de dérivé véritable, mais plus que vraisemblablement, un emprunt


oui, je sais...


Et pour tout vous dire... au germanique.

Mais attention, le mot germanique à l'origine de cet emprunt est lui-même un emprunt... au latin ! 

Au latin Arca, “coffre...”.

Mais que voilà une manière élégante de terminer notre périple, en revenant à notre point de départ...
le tour du monde réalisé par Philéas Fogg


Alors, 
- et c'est Saskia Pronk-Tiethoff qui nous le révèle,
Saskia Pronk-Tiethoff

dans son pointu, très pointu, mais alors pointu de chez pointu...
The Germanic loanwords in Proto-Slavic -,...










... notre latin arca est passé,
par une forme proto-germanique *arkō-, boîte, coffre, caisse...et un léger glissement de sens,
au gotique arka, “sac, tirelire”

(*arkō- n'a pas donné que le gotique arka, bien sûr ; on lui doit par exemple l'allemand Arche, le vieil anglais earc(e), le vieux frison erke, le néerlandais ark ou le ... vieux norois!!! ǫrk)

Le slave a alors emprunté le gotique arka, sous la forme du proto-slave (non attesté) *orka-, “tombe, reliquaire...”

De là, enfin,
- et par une métathèse dont vous me direz des nouvelles, ainsi qu'un nouveau glissement de sens -
il est arrivé en (OUIII !!!) vieux slavon d'église, en tant que raka, tombe, en ukrainien, ráka, reliquaire”, en russe, ра́ка (ráka), tombeau, reliquaire...”, ...


De gauche à droite,
les tombeaux de l'impératrice Elisabeth 1ère (fille de Pierre le Grand),
de l'impératrice Catherine 1ère, et celui de Pierre 1er, le Grand,
cathédrale des Saints-Pierre-et-Paul, Saint-Petersbourg
(source)

... ou encore en tchèque, avec rakev, “cercueil”.

D'où cette expression tchèque, équivalant à nos "point barre !", ou un point c'est tout !”:
poslední hřebík do rakve, littéralementdernier clou sur le cercueil.


Une dernière p'tite récap'aaan, ma bonne dame ?



*ark-
“contenir, garder...


proto-germanique *fargjan-“pousser, appuyer

islandais, norvégien et féroïen fergja, “presser...”


---



*ark-“contenir, garder...

radical proto-italique *ark-
proto-italique *ark-eje/o-, “contenir, tenir à l'écart”
latin arceō, arcēre, “enfermer, retenir...”
latin arca, “coffre, caisse
emprunt
proto-germanique *arkō-, boîte, coffre, caisse...” 
gotique arka, “sac, tirelire”, allemand Arche, néerlandais ark, vieux norois ǫrk...

---

gotique arka, “sac, tirelire”
emprunt
proto-slave *orka-, “tombe, reliquaire...”
métathèse

vieux slavon d'église raka, “tombe”, russe, ра́ка (ráka), “tombeau, reliquaire...”, tchèque rakev, “cercueil”





Et voilààà !!

Là, on en a fini avec la délicieuse *ark-.


Non mais, vous réalisez, oui ?

Ces mots qu'on lui doit, que vous n'auriez pas imaginés si proches les uns des autres...
Et tous ces liens que vous venez de tisser entre le latin, le français, les langues scandinaves, le hittite ou l'arménien ?

C'est quand même fantastique, non ?




Merci QUI ?
Mais, l'indo-européen, pardi !

Je vous souhaite, à toutes et tous, un EXCELLENT dimanche, et une TRÈS belle semaine....




Ah oui, encore une chose ... Si d'aventure un Auvergnat vous parlait d'autarcie 
(voir l'article précédent: l'Arche devait être vraiment autosuffisante, pour permettre la survie de Noé et de cette cargaison chamarrée...),
vous ne pourriez peut-être pas déceler aisément s'il parle d'autonomie - d'autarcie - ou de pouvoir absolu, d'autarchie... 
Quoi qu'il en soit, autarchie n'a STRICTEMENT aucun rapport avec notre autarcie, car - allons à l'essentiel - il provient du grec ancien ἄρχω, árkhō, “être le premier” (d'où “commencer” et “diriger”), d'origine très discutée, et plus qu'incertaine (indo-européen, substrat pré-grec ?).
Mais qui donnera quand même le neutre ἀρχεῖον, arkheîon“bâtiment public, bâtiment administratif” et, au pluriel, surtout, documents administratifs, à l'origine de notre français ... archives.




Frédéric





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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
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Et pour nous quitter, 
en nous remémorant les emprunts slaves de arca

Tombeau pour M. de Sainte-Colombe, 
dernier mouvement de la suite en mi mineur du Deuxième livre de pièces de violes,
de Marin Marais.






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Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, Hein ? Vous pouvez par exemple...
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