article précédent: tu dois être méchamment pistonné, toi, pour qu'on t'autorise à faire du hors-piste ici...
“Mon jardin est plus petit que Rome,
mais mon pilum est plus solide que votre sternum!”
René Goscinny
*peis-, “moudre”.
Oui, c'est bien de cela qu'il s'agit ! De la racine indo-européenne à l'origine ...
(dans le doute, relisez les deux articles précédents, Ben là, on est pas dans l'pétrin. et tu dois être méchamment pistonné, toi, pour qu'on t'autorise à faire du hors-piste ici...)
- de nos pétrin, pétrir, piste et piston,
- (probablement) du belgicisme pistolet,
- de l'espagnol et portugais pisar, “marcher (sur), fouler”,
- du provençal pistou, ou encore
- de l'italien pesto.
Ça, c'était pour le rappel.
Et tous ces dérivés proviennent de notre gentille *peis-, “moudre” via l'étymon proto-italique *pins-, “moudre”, duquel descend le latin pīnsō, pīnsere, “battre, frapper, piler, broyer...”.
Autrement écrit:
racine indo-européenne *peis-, “moudre”
⇓
forme nasalisée et suffixée sur son timbre zéro *pi-n-s-
⇓
étymon proto-italique *pins-, “moudre”
⇓
latin pīnsō, pīnsere, “battre, frapper, piler, broyer...”
Terminons, mes amis, par un dernier
(forcément, si on termine avec lui)
dérivé de *peis par cette même voie, j'entends: via le proto-italique *pins- puis le latin pīnsō, pīnsere, “battre, frapper, piler, broyer...”
Et - comme la vie est bien faite - ce dérivé nous servira de charnière - ou de pont, c'est plus joli -, pour passer à d'autres dérivés de *peis , qui nous arrivent toujours du latin, mais cette fois, par cette autre forme proto-italique que nous avons déjà mentionnée: *pistlo-, “pilon, mortier”.
Allons-y donc.
Tiens, euh..., le fréquentatif de pīnsō, c'était quoi, encore ?
OUI ! pistō, “piler”.
Eh bien, sur pistō fut créé le neutre pistillus / pistillum.
Quant à son sens, sans surprise: “pilon”.
Le français a repris particulièrement tardivement ce pistillus / pistillum, pour en faire - fin du XVIIème ! - le savant pistille (attesté en 1685), qui deviendra bien vite pistil ((1690).
Pistil,
en botanique, organe femelle des plantes phanérogames (dont les organes de fructification sont apparents); l'organe reproducteur femelle situé au centre de la fleur.
Et pourquoi a-t-on ainsi nommé l'organe femelle de la fleur? Mais oui, parce qu'il ressemble à un pilon. Un petit pilon. C'est pas plus malin.
Mais rendez-vous compte: pétrin, piste et pistil sont étroitement liés. L'auriez-vous cru? Sans rire? pétrin, pistil, même origine ?
Continuons.
Ce pistillum latin a toutes les caractéristiques d'un diminutif, ne trouvez-vous pas?
Ben oui, il était le diminutif de pīlum, “pilon”
Et admirez la belle transition:
Comme le fait remarquer Michiel de Vaan
dans son formidable Etymological Dictionary of Latin and the other Italic Languages,
pīlum dérive probablement de... *pistlo-.
*pistlo-, cette forme proto-italique (reconstruite, non attestée), qui partage avec *pins- la parenté des mots latins descendant de *peis-.
(oui ?)
racine indo-européenne *peis-, “moudre”
⇓
forme nasalisée et suffixée sur son timbre zéro *pi-n-s-
⇓
étymons proto-italiques *pins-, “moudre” et *pistlo-, “pilon, mortier”
⇓
dérivés latins
Et de Vaan de poursuivre, en présentant comme argument en faveur de la parenté entre pīlum et l'italique *pistlo- la forme prise par son diminutif pistillum.
- Euh maisje?
Fernand Ucon |
- Allez, traduisons, rien que pour vous Monsieur Ucon: “Si pīlum ne ressemble pas formellement à *pistlo-, on retrouve parfaitement la forme italique originale dans son diminutif pistillum.”
Allez, on s'accroche:
racine indo-européenne *peis-, “moudre”
⇓
forme nasalisée et suffixée sur son timbre zéro *pi-n-s-
⇓
étymon proto-italique *pins-, “moudre”
⇓
latin pīnsō, pīnsere, “broyer...”
⇓
fréquentatif pistō, “piler”
⇓
pīlum, “pilon” (forme créée sur italique *pistlo-, “pilon, mortier”)
⇓
diminutif pistillus / pistillum, “(petit) pilon”
⇓
emprunt savant
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français pistille
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pistil
latin pīnsō, pīnsere, “broyer...”
⇓
fréquentatif pistō, “piler”
⇓
pīlum, “pilon” (forme créée sur italique *pistlo-, “pilon, mortier”)
⇓
diminutif pistillus / pistillum, “(petit) pilon”
⇓
emprunt savant
⇓
français pistille
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pistil
Psss: Pour ceux qui débarquent: le nom de famille de Monsieur Ucon, Fernand de son prénom, a subi une déglutination, le d- final de son prénom se confondant avec le -d initial que présentait son nom à l'origine.
Lisez ceci et vous comprendrez: Es war einmal mitten im Winter, und die Schneeflocken fielen wie Federn vom Himmel herab...
(Et de grâce, ne confondez pas la déglutination avec la fausse déglutination, qui affecte nombre de vieux linguistes historiques, et peut carrément leur être fatale.)
Et puis...
Je dois encore vous dire...
Vous qui, certainement, êtes - ou avez été - des lecteurs d'Astérix, vous savez bien sûr que le pīlum était une arme romaine redoutable. Un javelot, une lance.
pilum romain retrouvé |
rarissime photo COULEUR d'un légionnaire romain maniant un pilum |
Pfff, eh bien, on ne sait pas trop s'il s'agit du même mot (pīlum, hein, Monsieur Ucon), ou si l'on doit y voir deux mots distincts.
Allez savoir !
Même si, tout comme Michiel de Vaan, je dirais que rien n'est certain, mais qu'on peut tout à fait défendre l'idée que l'acception de javelot traduit simplement un développement secondaire du sens de pīlum à partir de la notion de pilon. Et que donc, il ne s'agirait que d'un seul mot...
Bon, je suppose que vous aurez déjà deviné que nous devons un autre mot français à pīlum, notre pilon.
Tout comme - tant qu'à faire - nos pile, piler, pilier...
Hein !?
Ben les zamis, désolé de vous décevoir, mais c'est pas si simple. Loin de là.
Que pilon descende de pīlum, franchement, je n'y verrais pas d'objection.
Ni sémantique, ni formelle. Mais voilà...
On n'en fait pas un emprunt direct, obligé, au latin pīlum, mais bien un dérivé du vieux verbe français piler, “réduire en petits fragments par un choc répété”, et par analogie, “fouler (quelque chose) aux pieds”.
Et notre vénérable verbe piler (1165, quand même !), construit sur le substantif pile, “pilier de maçonnerie”, dérive, lui, du latin... pila, “colonne, pilier”.
- Qui, par le latin, dérive de *peis- ! Quel est le problème?
- Le problème est là !
Mais oui ! On hésite à attribuer la parenté du latin pila à notre *peis-, justement.
Oui... Pour tout vous dire, on retrouve des acceptions à pila qui rendent particulièrement difficile le traçage de ses origines... Car pila pouvait certes signifier “colonne, pilier”, mais s'employait également pour “balle”, “mortier” et - soyons fous -, “digue, môle”.
Trois thèses sont en présence: ...
- on le fait descendre de *peis-, “moudre”,
- on le fait descendre de *pag-, “enfoncer, enficher...” (ouiii, relisez Guerre et Paix. Et saucisse), ou alors
- on le relie (en tant que cognat ou dérivé) à une forme verbale osque ehpeílatasset, “ériger”.
L'osque, qui, vous le savez, vient souvient à l'aide des étymologistes perdus, dont l'appel à l'aide est le fameux “osquour!”
Si vous voulez mon avis - que je vous donne de toute façon -, je pencherais - et ne suis pas le seul à le penser - pour une parenté multiple:
Certaines des acceptions de pila dérivant d'une source ou de l'autre, ou carrément, se mélangeant les unes aux autres, ou pire encore, se superposant...
Mais bon ! Quoi qu'il soit, prenons donc les choses avec circonspection, nous errons ici dans la plus parfaite incertitude.
Nous dirons, prudemment, que les français pilon, pile, piler, pilier, ou encore pilastre, pilori ou pilotis sont peut-être des dérivés de notre si gentille *peis-.
racine indo-européenne *peis-, “moudre”
⇓
forme nasalisée et suffixée sur son timbre zéro *pi-n-s-
⇓
étymon proto-italique *pistlo-, “pilon, mortier”
⇓
peut-être
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latin pila, “colonne, pilier”
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français pile
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piler
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pilon
peut-être
⇓
latin pila, “colonne, pilier”
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français pile
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piler
⇓
pilon
Tiens, deux mots - ou trois - sur pile...
Comment donc en avons-nous fait le côté d'une pièce de monnaie opposé à la face et portant l'écusson et le chiffre ??
côté pile |
Tout s'explique quand vous savez que pendant longtemps, le mot désignait un morceau de fer acéré qui permettait d'imprimer une devise.
Ou, plus précisément, permettait d'y frapper ledit écusson et ledit chiffre.
En ancien français, on en retrouve d'ailleurs une acception métonymique: “le coin inférieur du marteau qui frappe le revers d'une monnaie”.
Ce pile descendrait donc naturellement de piler, pilon.
coin à frapper la monnaie |
Quant à nos expressions “tomber pile”, “s'arrêter pile”... elles font simplement allusion à la pièce de monnaie qui tombe sur l'envers et sans vibrer...
Alors, oui: pour ce qui est du sens d'“arriver à point nommé” que l'on donne à tomber pile, on - Les Ucons ?? - a rapproché, sans trop réfléchir
- spontanément dirons-nous, pour ne pas vexer -
“tomber pile” de “tomber à pic”. Expressions qui n'ont en soit strictement rien à voir l'une avec l'autre.
Oui, clairement, les Ucons y sont pour quelque chose...
m'enfin... |
La pile - qui reçut son nom (1799) de son inventeur lui-même -
(OUIIIIII ! Volta, bravo Monsieur Ucon)
était à l'origine un dispositif composé de plaques de métal placées les unes sur les autres.
Empilées donc.
En pile.
Voilà voilà.
Et c'est ici que se clôt ce troisième dimanche consacré à notre charmante indo-européenne *peis-, “moudre”.
La semaine prochaine, nous quitterons le latin vers d'autres cieux tout aussi cléments...
Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une superbe semaine !
À dimanche prochain,
Frédéric
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