article précédent: Ben là, on est pas dans l'pétrin.
“Vivre, c’est un peu comme quand on danse : on a plaisir à commencer- un piston, une clarinette- on a plaisir à s’arrêter- le trombone est essoufflé- on a regret d’avoir fini, la tête tourne et il fait nuit.”
Charles Ferdinand Ramuz, Le Petit Village
Charles Ferdinand Ramuz, écrivain et poète suisse, né à Lausanne, le 24 sept. 1878, mort à Pully, le 23 mai 1947 |
Bonjour à toutes et tous !
Dimanche dernier, nous commencions un nouveau chapitre, entièrement consacré à la délicieuse racine indo-européenne ...
*peis-, “moudre”.
Mine de rien, nous savons déjà qu'elle a donné le latin pīnsō, pīnsere, “battre, frapper, piler, broyer...”, d'où nous arrivent...
- les français pétrin et pétrir,
- (probablement) le belgicisme pistolet, ou encore
- l'espagnol et portugais pisar, “marcher (sur), fouler”.
racine indo-européenne *peis-, “moudre”
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forme nasalisée et suffixée sur son timbre zéro *pi-n-s-
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étymons proto-italiques *pins-, “moudre” et *pistlo-, “pilon, mortier”
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latin pīnsō, pīnsere, “battre, frapper, piler, broyer...”
... latin. |
Car, toujours dérivé du verbe pīnsō, pīnsere, “battre, frapper, piler, broyer...”, il y a encore...
Mais avant ça, rappelez-moi le fréquentatif, en latin classique, de pīnsō, voulez-vous?
Oh oui, prenez votre temps, j'attends.
...
...
On verra vite ceux qui ont retenu leur dimanche indo-européen de la semaine dernière...
...
Oui ?
Allez, le fréquentatif de pīnsō s'est créé sur son supin.
Oui, pistum.
Et son fréquentatif est donc... pistō, “piler”.
OK, bien !
Alors, reprenons:
Toujours dérivé du verbe pīnsō, pīnsere, “battre, frapper, piler, broyer...”, il y a encore...
... créé sur le fréquentatif de pīnsō, pistō, l'italien pista / pesta.
(Seule cette dernière forme étant encore usuelle aujourd'hui.)
Ce pesta italien est tout simplement le déverbal de pestare, dont nous avions parlé la semaine dernière, “broyer, fouler aux pieds...”
Pendant la Renaissance
- Oh, ça sent à plein nez l'emprunt français à l'italien, ça... -
Pendant la Renaissance, donc
- le terme étant attesté en 1559 -,
nous avons emprunté l'italien pista pour - évidemment - en faire notre piste.
L'italien pista, dans le vocabulaire de l'équitation, s'employait pour désigner, dans un manège, les lignes déterminées au sol par les passages successifs des chevaux: le sol foulé.
Passé en français, il s'emploiera avec un sens légèrement élargi:
trace que laisse un être vivant (cheval, puis homme, puis bête sauvage) après son passage.
(source) |
Tous les autres sens du mot se sont développés par la suite.
Citons simplement une des dernières créations du français sur ce vieux piste: la substantivation “le hors-piste”, devenue usuelle dans les années 1990, qui, euh, comment dire?, désigne la pratique du ski ... hors des pistes.
(source) |
Sur piste se sont encore créés nos
pister, dépistage, dépister, ou pisteur.
La présence de pisteurs-secouristes étant parfois la suite logique d'un hors-piste.
(source) |
Mais il n'y a pas que piste que nous avons emprunté à l'italien de la Renaissance...
Oh que non.
Un autre mot italien, toujours dérivé du latin pistō, pistāre
-ouiiii, le fréquentatif de pīnsō, pīnsere, bravo ! -
a été emprunté dans la première moitié du XVIème...
Le mot italien désignait à l'époque le pilon.
Ce mot, c'était pistone.
Nous en avons fait, avec plein de créativité et de subtilité, le français... piston.
C'est en fait chez Rabelais qu'on le relève pour la première fois (1552), dans l'expression
“jouer du piston”.
Le sens précis du mot y est
incertain, mais on suppose qu'il désignait le pilon à mortier.
pilon à mortier |
Comme vous le savez, piston en viendra à désigner, en vocabulaire technique,
un organe mobile cylindrique agissant par pression ou percussion.
Et j'en profite pour remercier Alain Rey pour l'aide apportée à cet article !
piston |
Piston, le verbe pistonner, “appuyer, protéger un candidat à une place, un emploi”, 1857, ou son participe passé pistonné, -ée, 1904: voilà donc encore quelques beaux dérivés de notre *peis-, “moudre”.
Si l'italien doit au latin pistō, pistāre, l'ancien provençal lui est particulièrement reconnaissant pour son pistar / pestar, “broyer, piler”.
Dont provient le provençal... pistou, préparation culinaire pro... prov..., allez, un effort: prov- OUI, provençale, faite de légumes cuits...
- Mais mais, et quel est le rapport avec broyer, piler??
- Si vous m'aviez laissé terminer... “... préparation où le basilic est broyé”.
pistou |
Correspondant au provençal - et désormais français - pistou, nous épinglerons l'italien... pesto.
L'italien, ou plutôt - à l'origine tout au moins - le génois - pesto désigne une
préparation culinaire de Ligurie (nord-ouest de l'Italie) à base de basilic, de pignons de pin, d'huile d'olive, d'ail et de fromage râpé (pecorino romano et/ou parmigiano reggiano). Le basilic employé doit être du basilico genovese.
(Oh merci, Wikipedia!)
pasta al pesto |
Pas facile de suivre la ... euh... piste de pesto.
Il est attesté, en 1990, en français... canadien !
On suppose qu'il y est arrivé par les italo-américains des États-Unis.
Mais on le retrouve aussi
- et cette fois, on pense à un nouvel emprunt, cette fois en direct à partir d'Italie -
dès 1993, en français de France, de Suisse (par l'italien du Tessin
- “Tessin”, le pendant obligé de “Mesmains” dans certaines allusions plus que douteuses -),
et de Belgique !
Tessin |
Pour la semaine prochaine
- Oui, c'est fini pour aujourd'hui: il fait trop beau, je ne résiste pas à l'appel du jardin sous le soleil -,
nous terminerons par un bien joli dérivé - et, je le pense, surprenant - du
et nos regards se porteront ensuite vers cette autre forme proto-italique *pistlo-, “pilon, mortier”, que j'avais mentionnée la semaine dernière, et - évidemment, vers ses dérivés latins, mais aussi (notamment) français !
latin pīnsō, pīnsere,
Allez, chtite récap':
racine indo-européenne *peis-, “moudre”.
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forme nasalisée et suffixée sur son timbre zéro *pi-n-s-
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forme nasalisée et suffixée sur son timbre zéro *pi-n-s-
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étymon proto-italique *pins-, “moudre”
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latin pīnsō, pīnsere, “battre, frapper, piler, broyer...”
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fréquentatif pistō, “piler”
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fréquentatif de pīnsō, pistō, “piler”
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italien pestare, “broyer, fouler aux pieds...”⇓
déverbal pista / pesta, “piste”
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emprunt
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français piste
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fréquentatif de pīnsō, pistō, “piler”
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italien pistone, “pilon”
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emprunt
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français piston
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italien pistone, “pilon”
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emprunt
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français piston
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fréquentatif de pīnsō, pistō, “piler”
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ancien provençal pistar / pestar, “broyer, piler”
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provençal pistou⇓
emprunt (calque)
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français pistou
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fréquentatif de pīnsō, pistō, “piler”
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ancien provençal pistar / pestar, “broyer, piler”
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provençal pistou
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emprunt (calque)
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français pistou
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ancien provençal pistar / pestar, “broyer, piler”
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provençal pistou
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emprunt (calque)
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français pistou
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fréquentatif de pīnsō, pistō, “piler”
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1er emprunt (calque)
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français canadien pesto
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puis nouvel emprunt (calque) à l'italien
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français de France, Suisse et Belgique pesto
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italien (génois) pesto
⇓1er emprunt (calque)
⇓
français canadien pesto
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puis nouvel emprunt (calque) à l'italien
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français de France, Suisse et Belgique pesto
Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une superbe semaine !
À dimanche prochain,
Frédéric
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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
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Et pour nous quitter,
réalisé par Blake Edwards,
- étude de moeurs subtile car non moralisatrice, et finalement assez sombre -,
de
Truman Capote
Et Miss Hepburn, née en 1929 à Ixelles, Belgique,
aurait eu 89 ans vendredi dernier, le 4 mai.
Ah oui, et puis, il y a aussi la musique de Monsieur Henri Mancini.
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