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dimanche 26 août 2018

Hier encore, j'avais vingt ans, je caressais le temps - Charles Aznavour






“(…) le jour d'hier meurt en celui de jourd'hui,
et le jourd'hui mourra en celui de demain ;
et (il) n'y a rien qui demeure ni qui soit toujours un.


Montaigne,
Essais, II, XII.

Michel Eyquem de Montaigne,
seigneur de Montaigne, 28 février 1533 - 13 septembre 1592 















Bonjour à toutes et tous !


Bon jour, bonne journée d'aujourd'hui...
C'est ce que je vous souhaite, alors qu'en fait, je ne pense qu'à mes vacances qui viennent de se terminer. À la semaine dernière. 

Hier encore.

C'était hier

Hier !




(dessins provenant d'ici)


J'éprouve de plus en plus de difficulté à trouver des sujets intéressants pour ce blog. 
Des racines indo-européennes, ça ne manque pas vraiment, mais faut-il encore qu'elles aient enfanté en français, et qu'elles soient suffisamment prolixes pour que j'aie quelque chose à en dire...

J'en profite donc pour réitérer ma demande: n'hésitez pas à me proposer des sujets. Si je peux les traiter, je le ferai !

Figurez-vous que j'ai passé des JOURS à chercher de quoi écrire. 
Et finalement - le sujet tant cherché était là, devant mes yeux -, j'ai choisi de traiter du mot hier

Qui m'est décidément,
en ces jours désastreux voire effroyables de reprise du travail, où mes vacances se meurent, mes vacances sont mortes,
source de consolation.



(Grand merci, par ailleurs, à Jacques-Bénigne Bossuet, source, lui, d'inspiration)


















Hier !
Le jour qui précède immédiatement celui où l'on est.
Si du moins l'on en croit ©Le Grand Robert de la langue française


Le français hier nous arrive de l'adverbe latin herī, qui signifiait - ne vous offusquez pas - ... hier”.


Enfin... en un premier temps, herī nous avait donné les formes ier, ou er,
qui ne datent pas d'hier, 

car attestées en 1080, excusez du peu.

Et c'était très logiquement comme un adverbe que l'on entendait ce ier / er.
Il faudra attendre la moitié du XIVème pour le voir employé comme un nom commun.

Et jusque là, ma foi, tout tourne rond.


(source)


Au moyen âge, cependant - du côté du XIIème, par là -, par crainte qu'à la lecture, on ne confondît le i initial de ier avec un j
- le j partageant la graphie du i jusqu'au XVIème -
on y adjoignit un h, affirmant haut et fort la qualité de voyelle de ce i


ier ⇒ hier

Solution élégante, car par là même, qui plus est, on revenait à l'étymon de départ. 
Oui, on a ici affaire à une réfection


Réfection ? Oh, j'en parle souvent, la réfection consistant à - littéralement - reformer un mot à partir d’un modèle préexistant. Il y a réfection quand on modifie la forme populaire d’un mot, celle due à son évolution on ne peut plus normale, en la transformant pour la rapprocher de sa forme d’origine, de son étymon.

Bon, hormis cette jolie réfection, on est toujours dans le bon

La trajectoire, dirait Houston, est toujours nominale, et tous les voyants au vert.


comme ici
(source)

Tiens, à propos de Houston, vous connaissez celle de la première femme astronaute? 
 
De l'espace, elle appelle le centre de contrôle: 
- Houston, nous avons un problème.  
(source)
- Bien reçu, expliquez-nous de quoi il s'agit.
- Non non, rien. Il n'y a rien. Rien du tout.

Là où ça a commencé à merd. ne plus tourner rond, c'est quand on s'est mis, au XVIIème siècle, à prononcer ce hier
- issu, rappelons-le quand même, du latin her-(i), joli monosyllabe -,
comme un disyllabe: hi-er. 

Absurde. D'autant que l'on prononce encore correctement hier
(en une seule syllabe, j'entends)
dans son composé... avant-hier, où vous entendez un /e/ mouillé, et pas un i plein suivi d'un /è/.

Vous l'aurez compris, un ancêtre de Fernand Ucon sera sans nul doute passé par là...


Fernand Ucon

Je ne peux m'empêcher de vous donner à lire en ce moment précis ce petit bijou d'emportement outré d'Émile Littré, qui, déjà en 1880, s'étendait sur la surprenante prononciation du mot hier, ridiculement incohérente au vu de son étymologie...
La prononciation fait de ce mot un disyllabe ; et pourtant il représente une seule syllabe latine, her-i ; c'est donc une faute considérable contre l'étymologie. L'ancienne langue ne la commettait pas ; elle écrivait suivant les dialectes et suivant les siècles her ou hier, mais toujours monosyllabique. Cela a duré jusqu'au dix-septième siècle ; et encore plusieurs écrivains de ce temps suivent l'ancien usage. Toutefois c'est alors que commence la résolution de l'unique syllabe archaïque en deux ; résolution qui a prévalu. Notez pourtant que la conséquence n'est pas allée jusqu'au bout et que, dans avant-hier, hier est monosyllabe. La faute qui a dédoublé l'unique syllabe latine heri est toute gratuite ; car elle n'a pas l'excuse de la difficulté de prononciation, comme pour grief ou groin. Hier se prononce monosyllabe aussi facilement que disyllabe ; et les Vaugelas n'ont pas été des puristes assez vigilants pour faire justice d'une prévarication qui s'impatronisait de leur temps.
Pathologie verbale, ou Lésions de certains mots dans le cours de l'usage


Bon, cela dit, et bien dit, revenons sur nos pas.

Le latin herī découle, lui, d'une forme proto-italique que l'on reconstruit en *χes-i-.

Quoi ? Mais comment passer d'un -es- à un -er- ? Ben, par rhotacisme, évidemment ! 
Relisez donc rhotacisme? Moi je n'aime pas ce garçon, si vous avez encore le moindre doute...
On retrouve d'ailleurs ce s original dans le composé latin hesternus, adjectif construit sur la forme latine archaïque *hes- suivie, Madame, non pas d'un mais je dis bien de deux suffixes, 
  • l'un, adverbial, -ter, et
  • l'autre adjectival -nus

Hesternus,  *hesī + -ter + -nus, signifait ainsi “d’hier, de la veille”.


Bon, et l'italique χes-i-
- dois-je vraiment vous l'expliquer -,
provenait, lui, d'une racine indo-européenne.

Surprenant, hein ? Oui, je sais.




En l'occurrence, de...


*gʰ-di-es-“hier”.


Cette curieuse forme *gʰ-di-es- pourrait n'être simplement qu'un thème 


Thème?? En morphologie, partie d'un mot composée de la racine - et éventuellement d'une voyelle thématique -, à laquelle s'ajoutent les désinences.

élaboré sur la racine *di-“jour”, que j'avais par ailleurs traitée en juillet 2012 - déjà ! -, et retranscrite à l'époque sous la forme proposée par Watkins,*dyeu-.
Relisez à ce propos By Jove, Olrik

*-di-es ne serait ainsi que le génitif singulier de *di-, précédé du radical pronominal *gʰ- ; la chaîne complète - le mot, osons-le - pouvant se comprendre comme “en ce jour-là”.

Et c'est pourvu de sa désinence*-i car décliné au locatif
- donc sous la forme *gʰ-di-es-i- -
que notre *gʰ-di-es- aurait engendré le proto-italique χes-i-.


Allez, une p'tite récap', et on en restera là.

Du moins pour aujourd'hui, bien sûr, car nous allons, dans les semaines qui viennent, suivre la trace de notre racine *gʰ-di-es-“hier dans les langues germaniques, celtiques, mais aussi en grec, en albanais, et jusqu'en sanskrit...



pronom *gʰ- et racine indo-européenne *di-“jour” ⇒ indo-européen *gʰ-di- 

décliné au génitif singulier *gʰ-di-es-, litt. “en ce jour-là”, d'où “hier

forme déclinée au locatif *gʰ-di-es-i-

proto-italique *χes-i-, “hier
latin archaique *hesī, “hier

rhotacisme

latin herī, “hier

ancien français ier / er

réfection

hier




Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une superbe semaine...!



Frédéric




PS: dans ces articles, les passages de texte en bleu, vous l'aurez compris, traitent d'éléments de linguistique.

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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
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Et pour nous quitter, 

forcément,

Hier encore,

superbe chanson écrite par Charles Aznavour, qu'il sortit en 1964



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Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, Hein ? Vous pouvez par exemple...
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article suivant: Épenthèseuh, épenthèseuh, est-ce que j'ai une gueule d'épenthèseuh?

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