Les enfants ont la mémoire courte, mais ils ont le souvenir rapide.
Victor Hugo,
in Nonante-trois
(pour certains, Quatre-vingt-treize, même si pour l'auteur lui-même, il s'agissait de Quatrevingt-treize).
Chers lecteurs, bonjour.
En ce dimanche de la mi-mars 2023, nous terminerons, dans cette looongue étude portant sur la descendance de la racine proto-indo-européenne…
*men-, « penser »,
le chapitre consacré à ses dérivés latins.
Plus précisément, nous traiterons encore aujourd'hui de quelques dérivés du latin meminī, « se souvenir ; avoir en tête, garder à l'esprit... », verbe que nous avons mis au jour
la semaine dernière.
Le premier de ces dérivés du jour, le voici :
- commemini.
Oui, vous aurez compris qu'il s'agit tout simplement de notre meminī précédé du préfixe con-, utilisé pour renforcer l'action.
Vous ne serez pas surpris d'apprendre que,
puisque meminī pouvait signifier « se souvenir... »,
commemini signifiait « bien se souvenir (de), bien se rappeler... ». Au point même de pouvoir « mentionner, citer... » ce que l'on a en mémoire.
Et qu'est-ce qu'on lui doit, à commemini ?
C'est encore plus simple : rien.
Rien.
Oui oui : [ ] (rien).
C'est bien dommage, mais non, je n'ai trouvé aucun dérivé, du moins dans mes langues de prédilection, au latin commemini.
Je vais cependant me rattraper, avec un autre dérivé de meminī, le composé re-minīscor, « se rappeler, se remémorer, se ressouvenir... ; imaginer par... - ben oui - réminiscence... ».
Très curieusement, nous lui devons... réminiscence !
Jamais vous n'auriez pu l'imaginer. Je sais, je sais.
Ce réminiscence sent l'emprunt savant à plein nez, ne trouvez-vous pas ?
Eh ! Nous l'avons emprunté, au XIIIème, au bas latin reminiscentia, « fait de se souvenir ».
Et puis, il y a encore toute une famille de mots qui en descend,
famille de marmots |
de notre meminī.
En toute honnêteté, je me dois de vous préciser que deux théories peuvent expliquer l'étymologie des mots dont je vais ici vous parler ; l'une d'elles,
qui prévalait encore il n'y pas si longtemps,
faisant appel à la racine indo-européenne *(s)mer-, « préoccupation, souvenir ». C'est la théorie qu'avançait le grand Pokorny, et qu'Alain Rey reprend toujours.
Mais... beaucoup d'eau a coulé sous les ponts
depuis que Julius Pokorny nous a légué son magnifique Indogermanisches Etymologisches Wörterbuch, en 1959.
Et à présent, on relie plus volontiers cette famille de mots à notre indo-européenne *men-, « penser », via son fameux participe actif statif à redoublement, *me-mon-, *me-mn-.
Mais oui, OH ! Allez, on relit - Memento mori, Mickey ! - Mais... Minnie ?.
C'est l'étymologie défendue notamment par Leumann et de Vaan.
Allons-y !
Tout commence avec l'adjectif latin mĕmŏr, -ŏris, « qui se souvient, se souvenant de ; qui a bonne mémoire ».
Si certains, donc, font encore descendre mĕmŏr de *(s)mer-, je choisirai pour ma part,
en me fiant à Leumann et de Vaan,
de le faire dériver de notre meminī.
(Si vous voulez tout savoir, Leumann raccroche mĕmŏr à *men-, « penser », par une dérivation à partir d'une forme à redoublement *me-mn-os-, qui se développera phonétiquement en *memnor-, pour donner finalement, par analogie, *memor-.)
Et à partir de là, mes amis !
En découlent les latins...
- commemoro, « commémorer », d'où notre français... commémorer,
- memorābilis, « mémorable, vraisemblable », d'où notre français... mémorable,
- rememoror, « se remémorer », d'où notre français...,
- memoria, « mémoire, souvenance », d'où...,
- memorandus, qui, au neutre et substantivé, donnera memorandum, d'où...
Et ainsi de suite.
Citons enfin, créé sur le latin memorāre, « rappeler, raconter, mentionner... », le bas latin (non attesté) *memrare, dont seront issus...
- l'ancien français membrer, « se souvenir »,
- l'espanol membrar,
- le portugais lembrar,
ou encore
- l'italien rimembrare, toujours de même sens.
Et en tant que carpette de la langue du maître, je me fais un plaisir de vous préciser que l'anglais to remember, « se souvenir », provient bien, par l'anglo-normand, de notre ancien français membrer, (re-)membrer...
On retrouve d'ailleurs, dans certains dialectes de l'anglais, l'ancienne forme member, pour remember, « se souvenir ».
À vous tous, un excellent week-end.
Portez-vous bien.
Frédéric
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Bonjour Alois, .... heu Frédéric,
RépondreSupprimerOn devine assez aisément la présence de notre racine dans le nom de la molécule (mémantine) ou de certains médicaments (Réminyl, Memox) destinés au traitement des symptômes cognitifs des personnes atteintes, hélas, de la maladie d'Alzheimer.
Très chouette dimanche !
Ah oui. Merci LeScrat, et bon dimanche !
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