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dimanche 12 mars 2023

- Memento mori, Mickey ! - Mais... Minnie ?

 article précédent : Elle s'employait à démentir les bruits de sorcellerie et de magie qui couraient sur le compte de Zacharius







Là, c'est clair, Mickey sera bientôt mort,
et Minnie en prison.







Chers lecteurs, bonjour.


Nous sommes - déjà - le 12 mars 2023, et nous poursuivons l'étude des dérivés latins de l'impressionnante racine proto-indo-européenne…

*men-, « penser ».




Mais... dites-moi, vous rappelez-vous cet article du 20 novembre de l'année dernière, τοὺς δὲ ἰδὼν ἐλέησε Κρόνου πάϊς ἀγκυλομήτεω, dans lequel nous avions parlé de μέμονα, mémona, ce grec ancien archaïque parfait au sens d' « avoir en tête, penser fortement à », d'où « avoir l'intention de, vouloir, désirer… », ainsi qu' « être plein d'ardeur, de courage… » ? Mmmh ?

Si oui, parfait ! Si non, ben... ce serait peut-être bien que vous le relisiez...

Qu'en pensez-vous ?





Car le mot latin de ce jour est un superbe cognat du grec ancien μέμονα, mémona.

Et ce mot
-  oui oui, on y arrive ! -,
c'est
  • le verbe latin… Mais Minnie meminī« se souvenir ; avoir en tête, garder à l'esprit… ».


L'excellent Michiel de Vaan fait remonter ces deux mots
(μέμονα et meminī ; on suit ; et si vous repreniez une tasse de café, fort, cette fois ?)
à une forme proto-indo-européenne à redoublement,
*me-mon-, *me-mn-,
qui n'est autre que le participe actif statif de notre chère *men-, « penser ».


Un mot (ou deux, évidemment ?) sur le redoublement ?

Si le redoublement est mieux connu à présent comme le propre des cancres et autres élèves à discriminer positivement et surtout non HP (même si, à en croire les parents, il n'y en a plus),


en proto-indo-européen et dans les langues indo-européennes anciennes, il était fréquemment utilisé dans le système verbal. Ce qui, vous l'admettrez, nous arrange bien. 

Et il permettait d'exprimer, par répétition d'un mot ou d'une de ses pièces constituantes
- l'un de ses morphèmes -,
un trait grammatical.


Et si participe actif statif, terme usité en linguistique indo-européenne, ne vous dit rien,


sachez qu'on l'appelle
- pardonnez-moi - 

communément...
- je me rince la bouche et je suis à vous -
« parfait ». 


Car oui, le parfait (ou perfectif),
qui indique que l'action est accomplie,
tel que vous pouvez le rencontrer notamment en grec ancien, en sanskrit ou en... latin, descend du participe actif statif proto-indo-européen.



Que ce soit en grec ancien, en sanskrit ou en latin, redoublement et parfait font bon ménage.

Pensons...

  • au grec ancien, où le présent φεύγ-ω, pheúg-ô, « je fuis », donnera au parfait πέ-φευγ-α, pé-pheu-ga, « je suis hors d'atteinte » (la consonne aspirée φ, ph se redoublant en π, p),

  • au sanskrit, où le présent स्तौति, stau-ti, « il loue », donnera au parfait तुष्टाव, tu-ṣṭāv-a, « il a loué » (pour les adeptes de la tétrapilectomie : seul le t du radical est redoublé),

ou

  • au latin, où le présent dat, « il donne », euh... donnera le parfait de-dit, « il donna ».


Quant au verbe latin dont me-min-ī, est le parfait à redoublement, il s'agit d'un verbe archaïque disparu, qui n'est plus attesté que dans des gloses : minisci.
Cette désaffection pour le présent minisci explique par ailleurs que le parfait meminī a pris valeur de présent.

C'est bon pour tout le monde ?

Meminī (à l'infinitif présent, mĕmĭnisse), « se souvenir ; avoir en tête, garder à l'espit... », nous a donné quelques dérivés. 

Mais pas sous cette forme ; ce serait un peu trop facile.

En revanche, la seconde personne au singulier de l'impératif de l'archaïque minisci, nous la connaissons tous :

  • memento, au sens de « garde à l'esprit ; souviens-toi ! ».

Notre français mémento n'en est qu'un emprunt savant, de la fin du XIVème.
Il a tout d'abord désigné la mémoire, et ce n'est qu'à partir du milieu du XVIIème qu'il prendra le sens de « note destinée à rappeler quelque chose », d'où également, par extension, son acception d'« agenda », attestée presque un siècle plus tard, en 1836. 




Mais il va de soi que le latin memento est connu pour bien autre chose…

Oui, utilisé dans la locution memento mori, que l'on traduit généralement par « souviens-toi que tu vas mourir ».

Nous pourrions cependant la traduire légèrement différemment, considérant que l'infinitif mori est au présent : « souviens-toi / garde à l'esprit… que tu dois mourir ».
Ou même, nettement mieux : « Garde à l'esprit que tu es mortel ».

Ici, un memento mori gravé sur une stèle funéraire,
dans le cimetière de l’église Saint-Cuthbert,
à Dalmeny (près d'Édimbourg)



L'une des plus impressionnantes et énigmatiques représentations picturales de ce memento mori que je connaisse figure dans une toile qu'a peinte Hans Holbein le Jeune en 1533, Les Ambassadeurs. Ici, pas question de la locution latine, mais bien de son sens profond, représenté visuellement

Hans Holbein le Jeune nous dresse ici un double portrait : celui de Jean de Dinteville (1504–1555), bailli de Troyes, seigneur de Polisy, comte de Montmirail, d'Apremont et de Papincourt et ambassadeur français, et celui de Georges de Selve (1509-1541), ecclésiastique, érudit et diplomate français.



Au sol, à l'avant-plan, entre ces deux éminents diplomates, une anamorphose qui vous glace le sang...
Une image qui à première vue, ne ressemble à rien
ou alors, selon certains, à un os de seiche ?? (non mais allô quoi ?) -
mais qui, vue sous un autre angle
- quand vous regardez l'œuvre à partir de la droite, vers le bas, en oblique, en rasant la toile de votre regard -


 

vous apparaît comme la déformation d'un… crâne humain.




Vanitas vanitatum et omnia vanitas,
Vanité des vanités et tout est vanité.

Sic transit gloria mundi,
Ainsi passe la gloire du monde.



La semaine prochaine, nous en terminerons avec les dérivés de meminī.

D'ici là, portez-vous bien !




Frédéric






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Et pour nous quitter…

peut-être un autre memento mori

Voici
 
l'adagio de la sonate No. 1 pour violon en sol mineur,
BWV 1001,

que mon Kapellmeister préféré composa en 1720,

interprété avec inspiration, introspection
et sobre rigueur par la grande…

Hilary Hahn.


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