article précédent : Hwæt mǣnst þū mid þȳ?
« Ce n'est pas un grand avantage d'avoir l'esprit vif, si on ne l'a juste. La perfection d'une pendule n'est pas d'aller plus vite, mais d'être réglée.»
Luc De Clapiers, Marquis De Vauvenargues
Bonjour à tous !
En ce dimanche 30 avril 2023, nous nous intéresserons à un tout dernier étymon germanique issu de notre magnifique racine indo-européenne...
*men-, « penser ».
Cet étymon proto-germanique, non attesté, reconstruit
- selon les lois de mutation phonétique de la linguistique comparative -
à partir de ses dérivés, c'est... *mundra-, auquel Guus Kroonen attribue le sens (tout autant reconstruit) de « vif, animé... ».
Affirmer que le proto-germanique *mundra- descend de notre racine *men-, « penser », n'est certes pas un mensonge, mais ne reflète pas non plus la réalité dans toutes ses nuances...
En effet, à l'origine de *mundra-, nous trouvons plutôt une racine composite, fabriquée à partir de deux racines indo-européennes :
- notre *men-, « penser »,
- *dʰeh₁-, « mettre, placer, mettre en place, poser… ».
Oh, nous en avons parlé,
et à maintes reprises, encore,
de cette jolie et essentielle *dʰeh₁- ; lisez plutôt...
La linguistique comparative fait donc remonter le germanique*mundra- à une racine composite *men-*dʰeh₁-, à laquelle s'est rajouté le suffixe adjectival -ro-., ce qui nous donne la forme... *men-*dʰeh₁-ro-.
- Mais ?? Admettons ces assemblages, Blondieau, mais comment, grands dieux, expliques-tu le sens de *mundra- ?? Comment, à partir d'un adjectif créé sur (penser + placer), obtient-on « vif, animé... » ?? C'est du n'importe quoi, comm' d'hab', hein, pauvre tache !
- Ça alors, Monsieur Ucon ? Heureux de vous revoir, en si belle forme.
La question mérite assurément une réponse.
Kroonen nous explique que le composite *men-*dʰeh₁- renvoie au concept de « mettre en esprit... ».
Eh oui, être vif (d'esprit), c'est en quelque sorte avoir en tête une foule d'idée ; passer, en jonglant, d'une idée à l'autre...
Et nous devons à *men-*dʰeh₁-ro-,
via le germanique *mundra-,
quelques beaux adjectifs, comme...
- le vieux haut allemand muntar,
d'où le moyen haut allemand et l'allemand munter, « heureux, vif, éveillé... »,
allemand dont descendra à son tour le néerlandais monter, de même sens.
N'allez surtout pas croire que cette concaténation de racines soit une pure construction germanique.
Que nenni.
On peut retrouver des dérivés de *men-*dʰeh₁-...
- en lituanien : mañdras, « vif, intelligent... »,
- en letton (mais l'est-on vraiment ??) : muôdrs, « alerte, vigoureux, joyeux... »,
ou même...
- en russe : му́дрый, moúdryj, « sage... ».
De la sagesse, pourquoi pas
- et je vous le souhaite -,
mais surtout sur la voie... d'un cognat on ne peut plus éminent de notre proto-germanique du jour
(*mundra-, pour les moins vifs d'entre nous)
en... avestique...
Ferez-vous le lien entre l'allemand munter, le lithuanien mañdras... et ce mot avestique si caractéristique ?
Mmmmh ?
...
Oui, non ?
...
Et si je vous montre :
Ouiiiiiii !
Ce terme de l'Avesta, c'est... 𐬨𐬀𐬰𐬛𐬁, mazdā.
Eh oui. Nous en avions notamment parlé ici,
Nous l'avons déjà mentionné : un mot d'une langue A qui ressemble à un autre dans une langue B peut n'être qu'un vulgaire emprunt. Et ne permet pas de rapprocher étymologiquement ces langues A et B ; encore moins de les faire descendre toutes deux d'un parent plus ancien.
Oui, exactement : ça ressemble à une Mazda, mais non... |
Et sachons aussi nous méfier de l'étymologie populaire, qui est tout sauf de l'étymologie.
Mais ces constructions identiques,
comme ici ce *men-*dʰeh₁-, commun (notamment) à l'avestique, aux langues germaniques et aux langues balto-slaves,
sont de précieux indices d'une étroite parenté linguistique entre toutes ces langues.
Prendre un mot d'une langue pour le reproduire dans une autre est chose banale et courante.
Mais reprendre une construction grammaticale, ça, ça sort de l'ordinaire.
À vous tous, un excellent dimanche.
Portez-vous bien.
Frédéric
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Et pour nous quitter…
un peu de Liszt...
Aaaaah,
Voici, sous les doigts vifs de
Khatia Buniatishvili,
un rêve d'amour,
ou
50 nuances de Liszt :
Liebestraum No. 3 en la bémol majeur, S 541
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