- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 8 janvier 2023

Quand tu manges, donne à manger aux chiens, dussent−ils te mordre.

     


Du temps du roi Moabdar il y avait à Babylone un jeune homme nommé Zadig, né avec un beau naturel fortifié par l'éducation. Quoique riche et jeune, il savait modérer ses passions ; il n'affectait rien ; il ne voulait point toujours avoir raison, et savait respecter la faiblesse des hommes. On était étonné de voir qu'avec beaucoup d'esprit il n'insultât jamais par des railleries à ces propos si vagues, si rompus, si tumultueux, à ces médisances téméraires, à ces décisions ignorantes, à ces turlupinades grossières, à ce vain bruit de paroles, qu'on appelait conversation dans Babylone.
Il avait appris, dans le premier livre de Zoroastre, que
l'amour−propre est un ballon gonflé de vent, dont il sort des tempêtes quand on lui a fait une piqûre. Zadig surtout ne se vantait pas de mépriser les femmes et de les subjuguer.
Il était généreux ; il ne craignait point
d'obliger des ingrats, suivant ce grand précepte de Zoroastre, Quand tu manges, donne à manger aux chiens, dussent−ils te mordre.
Il était aussi sage qu'on peut l'être ; car il cherchait à vivre avec des sages. Instruit dans
les sciences des anciens Chaldéens, il n'ignorait pas les principes physiques de la nature, tels qu'on les connaissait alors, et savait de la métaphysique ce qu'on en a su dans tous les âges, c'est−à−dire fort peu de chose.
Il était fermement persuadé que l'année était de trois cent soixante et cinq jours et un quart, malgré la nouvelle philosophie de son temps, et que le soleil était au centre du monde ; et quand les principaux mages lui disaient, avec une hauteur insultante, qu'il avait de mauvais sentiments, et que c'était être ennemi de l'état que de croire que le soleil tournait sur lui−même, et que l'année avait douze mois, il se taisait sans colère et
sans dédain.


Début du chapitre premier de Zadig ou la Destinée
Voltaire, 1747

(Eh ben, moi aussi, j'aimerais atteindre à la sagesse de Zadig.)
(Mais c'est pas gagné.)




C'est dur, ça, non ?

Autant que cette réclame des années 80 pour nous faire acheter du riz,
sur Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen
(Die Zauberflöte) du divin Mozart.


Décidément, non, je n'ai pas la sagesse de Zadig.



Chers lecteurs, bonjour.
Bon jour, et Bonne Année !


En ce dimanche 8 janvier 2023, nous allons nous intéresser aux dérivés iraniens de la remarquable racine proto-indo-européenne...

de courageuses Iraniennes luttant pour la liberté.
La liberté de penser, finalement


*men-« penser ».


Psss, tout à fait entre nous : pour retrouver le résumé des articles précédents de cette étude, voyez :


Amis lecteurs, 

Oui, nous allons aujourd'hui, pour nous conformer à notre agenda on ne peut moins caché, 


aborder les dérivés de notre racine du moment dans les langues... iraniennes.

Je ne devrais rien vous apprendre en vous précisant que les mots que nous allons débusquer en ce beau dimanche sont très proches de ceux que nous venons de mettre au jour au cours des dernières semaines, qui provenaient des langues indo-aryennes.

Mais oui, puisque les langues iraniennes, au même titre que les langues indo-aryennes, font partie d'un groupe plus vaste - un supergroupe -, celui des langues indo-iraniennes

Et ce n'est évidemment pas pour rien que la linguistique comparative s'amuse à regrouper les langues, vous pensez bien.


Car à chaque groupe de langues correspond une proto-langue,
par définition reconstruite théoriquement,
qui représente un état de langue commun à toutes les langues du groupe en question.

Et donc, les langues iraniennes sont liées, par un état de langue commun,

le proto-indo-iranien,

aux langues indo-aryennes.


proto-indo-européen

_proto-indo-iranien__
⇓                                         ⇓
proto-indo-aryen                     proto-iranien
 ⇓                                                       ⇓
langues indo-aryennes attestées       langues iraniennes attestées


Pensez encore à cet autre supergroupe que forment les langues baltes et slaves : il s'agit du même type de taxonomie.


Ah oui, pour les ergoteurs, les coupeurs de cheveux en quatre ou autres sodomites diptérophiles

- maisje ?

au sein du supergroupe indo-iranien, oui, il y a encore les langues nouristanies
On ' va pas en faire un plat.


Pour rappel, c'est dans ces trois sous-groupes indo-iraniens que vous trouverez, par exemple... 

  • langues indo-aryennes : le sanskrit, le prâkrit, le pali, le pendjabi...
  • langues iraniennes : le vieux perse, l'avestique, le pachto, le kurde, le sogdien...
  • langues nouristanies (parce que parlées, notamment, dans la province du Nouristan, en Afghanistan) : l'ashkun, le waigali, le kamviri, le kati, le prasun, le tregami... Oui, vous comprenez aisément, je pense, pourquoi je ne m'appesantirai pas sur ce troisième sous-groupe...


Or donc, quid des dérivés de notre proto-indo-européenne *men-« penser », dans les langues iraniennes ?

Je ne vous en proposerai que quelques-uns, tout en vous disant qu'il en existe une ch*** un nombre réellement impressionnant.

À commencer par...
  • l'avestique 𐬨𐬀𐬥, man« penser ».
l'avestique, qui servit à écrire l'Avesta,
le livre sacré des Zoroastriens


Et si le sanskrit se la pète un peu avec son un peu trop célèbre मन्त्र, mántra, l'avestique, modestement, peut nous proposer son...
  • 𐬨𐬄𐬚𐬭𐬀, mąθra, de même sens, remarquable cognat (tant formel que sémantique) de son illustre cousin.
Et toc.

Ashem Vahou, l'un des mantras les plus anciens connus du
zoroastrisme (retrouvé rédigé en sogdien)



Et puis, il y a encore le vieux perse man-, qui signifie tout simplement... « penser ».



Nous avions admiré le sanskrit मन्यते, mányate« observer, percevoir, méditer, réfléchir... » ?

Je ne veux certainement pas me quereller le moins du monde avec les nationalistes indiens,
ceux pour qui le sanskrit est la mère de toutes les langues indo-européennes, et qui réfutent par conséquent toute idée scientifique d'une langue proto-indo-européenne sur des bases nationalistes et religieuses - ah ça, vous qui me lisez depuis un certain temps, vous savez tout le bien que je pense du nationalisme et du fondamentalisme religieux -,
mais sachez que l'avestique avait, lui...
  • 𐬨𐬀𐬥𐬌𐬌𐬈𐬙𐬉, maniietē« penser... », dérivé, comme le sanskrit मन्यते, mányate, d'une forme indo-iranienne commune que l'on pourrait reconstruire en *mānáyati. 

Et le vieux perse, me direz-vous ?
Mais ouiiiiii !, le vieux perse possédait également sa propre version de cette même forme indo-iranienne d'origine, avec...
  • 𐎶𐎴𐎡𐎹𐎠𐎫𐎡𐎹, m-n-i-y-a-t-i-y /maniyātaiy/, toujours au sens de « penser... ».


Enfin
- et nous en resterons là -,
n'oublions pas...
  • l'avestique 𐬨𐬀𐬰𐬛𐬁‎, mazdā !

Ouiiiiii !! Je parle bien de 𐬀𐬰𐬛𐬁‎, mazdā, repris dans l'expression
- devenue nom propre, théonyme
𐬀𐬵𐬎𐬭𐬀 𐬨𐬀𐬰𐬛𐬁‎, ahura mazdā, tirée du zoroastrisme, désignant le Seigneur
𐬀𐬵𐬎𐬭𐬀‎, ahura
de la Sagesse (cette forme supérieure de la pensée),
𐬨𐬀𐬰𐬛𐬁, mazdā.

une superbe Mazda.

Rigolez, rigolez, mais le nom de la société
(Mazda, pour Fernand Ucon et Messieurs X et X')
trouverait certes son origine dans la prononciation japonaise
du patronyme de son fondateur, Jujirō Matsuda,
mais aussi dans Ahura Mazdā, que les fondateurs de la société
interprétaient comme le symbole du début
de la civilisation tant orientale qu'occidentale.
Rien que ça.






Non mais ?!

L'auriez-vous seulement imaginé, que l'avestique 𐬀𐬰𐬛𐬁‎, mazdā puisse être un parent du sanskrit मन्त्र, mántra ?

Ou encore du grec ancien μένος, ménos, « esprit, intention, volonté... » ?

Et ne parlons même pas de nos automate, Idoménée et Mélénas...

je sais, oui.




Portez-vous bien.




Frédéric






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on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

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Et pour nous quitter…

Une chanson de 1961 qui a fait le tour du monde,
 
The Lion Sleeps Tonight,

par

The Tokens.

Ici, toujours par les Tokens, mais cette fois... 40 ou 50 ans plus tard.
Et toujours parfaitement interprétée.



Mais le dimanche indo-européen,
c'est aussi de l'Histoire,
et des redécouvertes.

Ici, nous passons notre temps à remonter à l'origine...

Alors, voici pour vous, 
l'original de cette chanson,

un merveilleux chant composé
- ou, plus correctement dit, improvisé, lors d'une séance d'enregistrement !! -
par un artiste zoulou en 1939,

Solomon Linda,

sous le titre Mbube (lion, en zoulou)

Rendons à César...

https://youtu.be/KOoyDZSQbXw

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