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dimanche 24 mars 2019

nous connaissons tous au moins une enflure qui fait de la gonflette








Tu vas pas changer de gueule, un jour ? Et l'autre rombière, la guenon, l'enflure, la dignité en gélatine avec ses trois mentons de renfort et ses gros nichons en saindoux qui lui dévalent sur la brioche.

Marcel Aymé,
La traversée de Paris





Bonjour à toutes et tous !


Nous savons à présent
- dans le doute, relisez donc l'article de la semaine dernière -
que le proto-germanique *blōda-, “sang”, fut construit sur un autre étymon germanique, et qu'il fut possible qu'il se fût agi de *blēan-, “souffler”.
Ouais, on n'en est pas trop sûr...

Mais en revanche, ce qui est nettement plus sûr, c'est que la racine indo-européenne à l'origine de *blēan-, “souffler”, c'est ...

*bʰleh₁-, “souffler”



(source)


Oui, non ?? 
Pour rappel: 
racine indo-européenne *bʰleh-“souffler” 
proto-germanique *blēan-, “souffler”
peut-être,
par rapprochement sémantique entre souffler et jaillir,
ou entre souffle de la vie et sang
proto-germanique *blōda-, “sang”



En ce dimanche, je vous propose donc d'aborder la racine indo-européenne *bʰlehelle-même, 

et de parcourir ensemble les dérivés que nous lui devons...




Or donc, *bʰleh-, “souffler” .


Voyons, voyons...
Et si nous commencions son étude par son lointain dérivé latin, le verbe ... 
Á votre avis, de quel verbe pourrait-il s'agir?
En vous disant que selon les lois de transformation consonantiques, un *bʰ- indo-européen donnera en latin un, un ... 
- Un b ! 
- Oui, assurément, sauf s'il s'agit de la consonne initiale, auquel cas... Auquel cas, auquel cas... 
- Un ...un, un..., un f ! 
- Voilà, un f !

(vous aurez bien entendu fait le lien entre
ce petit dialogue et ce monument qu'est
Life of Brian)


Donc, nous cherchons un verbe latin qui commencerait par f et qui, certainement, évoquerait l'idée de “souffler”... 

Une petite idée ?

OUI !! Flō, flāre, “souffler, exhaler...”, tout simplement.
On n'y pense peut-être pas immédiatement, car flāre ne nous est arrivé qu'en tant que terme de mots composés...
Latin flō, flāre, à qui nous devons bien entendu nos ...
  • enfler (de in- et flāre)
  • renflement,
ou le succulent ...
  • enflure, 
État d'un organisme, d'une partie du corps qui subit une augmentation anormale de volume par suite d'une maladie, d'un coup, d'un accident musculaire, etc.
Mais aussi, au figuré, exagération ; expression redondante et excessive.
En littérature, vieilli: l'enflure du cœur : l'orgueil, la vanité, la prétention.
Enfin, dans son acception la plus populaire, en tant que terme d'injure. ➙ Enflé ; crétin.
© Le Grand Robert de la langue française


Proviennent toujours de flō, flāre, “souffler, exhaler...”, nos français...
  • souffler (sub + flāre), réfection de la fin du XIIème de sufler, sofler (début, milieu du XIIème), issu du latin classique sufflare“souffler, exhaler...”, et au figuré “se gonfler (d'orgueil)”, composé de sub- et de, de ... - un café serré, peut-être ? OUI, bien ! - flāre,
  • insuffler, non pas issu (entendez dérivé par évolution phonétique naturelle) du latin, comme les anciens français sofler, soufler, mais bien très vulgairement emprunté au composé bas latin in-sufflare, “souffler dans / souffler sur...”,

ou encore

essoufler, encore une belle réfection, ici de essofler (fin du XIIème), tiré du composé latin classique ex-sufflare

mais aussi...
  • boursoufléqui présente des gonflements disgracieuxréfection du XVème de borso(u)f(f)lé (du XIIIème). Cas intéressant, car ce curieux bour- provient du radical onomatopéique bou-/bod-/boud-, qui exprime le ... gonflement.
C'est sur ce même radical que sont construits nos boudin, boudiné ou bouder (ce dernier faisant référence à la lèvre enflée du boudeur (ou surtout de la boudeuse).
Bouche boudeuse !? Comment ne pas immanquablement, irrésistiblement, irrévocablement, songer à celle ...
... d'Isabelle (Adjani, évidemment, enfin!), ou ...
... de Zabou (Breitman, forcément)


Mais... euh ... ne nous perdons pas.


Il est encore un mot français qui pourrait provenir de flō, flāre, “souffler, exhaler...”...

Mais peut-être plus par imitation, ou mieux: inspiration...

flûte !

Oui, flûte, désignant l'instrument de musique.



Pour expliquer ce mot,
qui apparaît sous les formes flaüte et flehute au XIIème, puis fleuste au XIIIème, fluste au XIVème et enfin flûte au XVIIème,
Bloch et von Wartburg nous précisent que la suite vocalique a-u



(comme dans flaüte, mais aussi dans le provençal flaüt dont proviennent l'italien flauto et l'espagnol flauta)
est souvent employée pour rendre le bruit du vent qui passe par un tuyau vide
(je ne veux rien dire, mais essayez toujours de faire passer du vent dans un tuyau plein).


Quant aux initiales du mot
- et c'est bien ce qui nous intéresse le plus ici -,
Bloch et von Wartburg pensaient qu'elles sont probablement dues aux mots qui s'étaient groupés autour du latin flāre
(je vous donnerai un de ces mots en exemple dans pas longtemps).

Comme vous le constatez, Bloch et von Wartburg n'expliquent pas vraiment le chemin par lequel flāre eût pu donner flûte
Mais on peut cependant déduire qu'il y aurait eu imitation, que l'on s'est servi,
par analogie du sens de flāre,
du fl- initial de flāre pour créer flûte, désignant un instrument à vent dont le son est créé par un souffle d’air.

Le brillant Pierre Guiraud
- dont je ne partage pas toujours les raisonnements, le soupçonnant, dès qu'il s'agit d'expliquer l'étymologie d'un mot frrrançais, Monsieur, d'un infâme parti-pris en faveur du latin et des langues romanes au détriment des langues germaniques, mais bon ! -
nous signale quand même que flāre est représenté en ancien français par flaer, “souffler”.

Flaer, dont fla-huter pourrait être un composé au sens de “faire hu en soufflant”.
Et c'est vrai qu'en wallon, on retrouve le verbe ahuzler / ahuzer, véritable onomatopée, au sens de venter, souffler (vers celui qui parle), ou encore arriver par le vent.

Comme Alain Rey le dit si bien, même si cette hypothèse est discutée, au moins, elle rend compte de l'élément -hute, üte présent dans les états anciens du mot.




Flageolet ! 



Flageolet, la flûte à bec, est le diminutif (sous la forme flajolet, attestée en 1230) de l'ancien français flajol / flageol, “flûte” (deuxième moitié du XIIème).

Quant à  flajol / flageol
- on s'accroche -,
il est issu d'un latin populaire *flabeolum,
lui-même dérivé du bas latin flabrum, 
construit sur le latin classique flabra, pluriel neutre signifiant “souffles (du vent)”, de
flāre, flabellare,  “souffler”.
Et là, oui, on souffle.
(Merci, Alain Rey, tout seul, j'aurais pas pu !) 


Flatulent !

- Mais enfin, je ne vous permets pas !
- Oooh, mais c'est simplement le mot suivant !

Flatulent !

Il s'agit d'un dérivé savant,
peut-être sur le modèle de féculent,
du substantif latin flātus, “souffle, vent”, mais aussi euh, comment dire... “gaz accumulés dans l'intestin”, dérivé de, de, de... flāre, évidemment.



Eh ben... !


Là-dessus, on se fait une petite récap, et on cloture.



racine indo-européenne *bʰleh-“souffler” 
latin flō, flāre, “souffler, exhaler...”
composés
français enfler, renflement, enflure

----

racine indo-européenne *bʰleh-“souffler” 

latin flō, flāre, “souffler, exhaler...”


latin sub- + flāre ⇒ latin classique sufflare“souffler, exhaler...”
ancien français sufler, sofler (début, milieu du XIIème)
réfection (fin du XIIème)
français souffler

----

racine indo-européenne *bʰleh-“souffler” 
latin flō, flāre, “souffler, exhaler...”

latin 
sub + flāre ⇒ latin classique sufflare“souffler, exhaler...”

bas latin in- sufflare  ⇒  insufflare, “souffler dans / souffler sur...”
emprunt
français insuffler

----

racine indo-européenne *bʰleh-“souffler” 
latin flō, flāre, “souffler, exhaler...”

latin 
ex + flāre ⇒ latin classique ex-sufflare
emprunt
ancien français essofler

français essoufler

----

racine indo-européenne *bʰleh-“souffler” 
latin flō, flāre, “souffler, exhaler...”



latin sub- + flāre ⇒ latin classique sufflare“souffler, exhaler...”
ancien français sufler, sofler (début, milieu du XIIème)

radical bou-/bod-/boud- + sufler, sofler ⇒ borso(u)f(f)lé (XIIIème)
réfection (XVème)
français boursouflé

----

racine indo-européenne *bʰleh-“souffler” 
latin flō, flāre, “souffler, exhaler...”
ancien français flaer, “souffler”

peut-être composé 

ancien français fla-huter, “faire hu en soufflant 

peut-être 

flûte


ou


racine indo-européenne *bʰleh-“souffler” 
latin flō, flāre, “souffler, exhaler...”

peut-être imitation, inspiration, par analogie de sens 

fl- + suite vocalique a-u

ancien français flaüte et flehute (XIIème), puis fleuste (XIIIème) et fluste (XIVème)

flûte (XVIIème)

----


racine indo-européenne *bʰleh-“souffler” 
latin flāre, flabellare, “souffler...”
latin classique flabra, “souffles (du vent)
bas latin flabrum
latin populaire *flabeolum
ancien français flajol / flageol, “flûte” (deuxième moitié du XIIème)
diminutif
flajolet (1230)
flageolet
----
racine indo-européenne *bʰleh-“souffler” 
latin flāre“souffler...”
substantif latin flātus, “souffle, vent”, “gaz accumulés dans l'intestin”

dérivé savant

français flatulent




Pas d'inquiétude. 
La suite, ce sera pour la  semaine prochaine...




D'ici là, passez un EXCELLENT dimanche, et une TRES BELLE semaine !





Frédéric


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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,

du Bach !

C'est le 31 mars
(selon le calendrier grégorien, le 21 selon le calendrier julien)
que Johann Sebastian Bach est né, en 1685.

Jour faste. Pour l'Humanité tout entière.

Je vous propose une
délicate, douce, calme, apaisante, recueillie ... version au piano de l'aria

"Schafe können sicher weiden",

tirée de la cantate BWV 208,

par Khatia Buniatishvili,
morceau qu'elle joue... sur un souffle...



- Mais ?? Et pourquoi t'as pas pris un morceau à la flûte ??
- Parce que Khatia Buniatishvili ne joue pas de la flûte. D'autres questions ? 

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Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, Hein ? Vous pouvez par exemple...
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article suivant: (...) au vent crispé du matin / Qui va fleurant la menthe et le thym (...) - Verlaine

5 commentaires:

  1. Grand merci pour ce SUPERBE dimanche!
    Françoise Amourdedieu

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  2. Je vous rejoint la dessus , au sujet de Bach , quelle Génie ! Il me coupe le souffle , ou plus tôt l"étire de bonheur , a l'intérieur .

    Ce doit etre ce que l'on appelles l'exaltations , une autre forme de vent , celui du souffle de la vie . Celas dits portez vous biens mon amie , et bon vent printanier .

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  3. :-) Ce morceau, et surtout dans cette interprétation, est une pure merveille...
    Merci à vous, portez-vous bien !

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