article précédent: nous connaissons tous au moins une enflure qui fait de la gonflette
“Maintenant il sentait qu'elle était un être humain, il sentait la sueur de ses aisselles, le gras de ses cheveux, l'odeur de poisson de son sexe, et il les sentait avec délectation. Sa sueur fleurait aussi frais que le vent de mer, le sébum de sa chevelure aussi sucré que l'huile de noix, son sexe comme un bouquet de lis d'eau, sa peau comme les fleurs de l'abricotier... et l'alliance de toutes ces composantes donnait un parfum tellement riche, tellement équilibré, tellement enchanteur, que tout ce que Grenouille avait jusque-là senti en fait de parfums, toutes les constructions olfactives qu'il avait échafaudées par jeu en lui-même, tout cela se trouvait ravalé d'un coup à la pure insignifiance.”
Pour résumer tout l'article de la semaine dernière en quelques mots, je dirais tout simplement...
racine indo-européenne *bʰleh₁-, “souffler”
⇓
latin flō, flāre, “souffler, exhaler...”
latin flō, flāre, “souffler, exhaler...”
Bon, allez
- mais je suis décidément vraiment trop bon -,
voici quelques dérivés français que nous avions épinglés, que nous pouvons faire remonter jusqu'au latin flō, flāre, “souffler, exhaler...”:
boursouflé, enfler, enflure, essouffler, flageolet, flatulent, flûte, gonfler, insuffler, et souffler.
Continuons donc, en ce beau dimanche de post-Brexit(*)
- euh non... euh, d'avant-Brexit ? Mwouais peut-être. Ou peut-être pas... pas tout de suite -,
*Brexit, ou “Ils voudraient tant que le Royaume de Grande-Bretagne redevînt un Empire”.
avec un joli mot anglais...
Flavour.
Oui, flavour, substantif que l'on traduirait, selon le contexte, par “goût, saveur, parfum, arôme...”.(source) |
L'anglais flavour descend du moyen anglais... flavour, “odeur, parfum”.
Eh ben oui, du français.
Il s'agit d'un emprunt à l'ancien français flaör, “odeur”,
Eh oui !
Encore un mot que l'anglais a emprunté au français, et qui l'a peu à peu déforcé.
Mais revenons un instant à cet ancien français flaör, “odeur”.
Il est attesté sous cette forme vers 1175.
Puis, il évoluera pour donner, milieu du XIIIème, fleur.
Fleur, l'odeur, sans relation avec fleur, euh... la fleur.
L'ancien français fleur, “odeur, effluve” a disparu, hélas.
Jusque là.Et d'où qu'i' vient, le moyen anglais flavour ?
Eh ben oui, du français.
Il s'agit d'un emprunt à l'ancien français flaör, “odeur”,
issu du latin populaire (non attesté) *flātor, dont le sens reconstruit pourrait être “odeur, ce qui arrive par le vent, par le souffle”,
lui-même altération du latin classique flātus “souffle, vent” (ou, par extension, “pet”),
dérivé du latin ... - allons, courage ! OUI ! - du latin ... flō, flāre, “souffler, exhaler...”.
Eh oui !
Encore un mot que l'anglais a emprunté au français, et qui l'a peu à peu déforcé.
Que voilà à nouveau un magnifique exemple à retenir pour la défense de notre belle langue:
C'est à cause de ces centaines d'emprunts que la langue anglaise est à présent en danger.
Non ? Ah tiens ?
Mais revenons un instant à cet ancien français flaör, “odeur”.
Il est attesté sous cette forme vers 1175.
Puis, il évoluera pour donner, milieu du XIIIème, fleur.
Fleur, l'odeur, sans relation avec fleur, euh... la fleur.
Enfin... On suppose quand même que son sens d'odeur agréable a été influencé par fleur, la fleur.
L'ancien français fleur, “odeur, effluve” a disparu, hélas.
Mais, ô miracle des mots, il survit encore dans notre verbe fleurer.
Fleurer ?
Et donc:
latin populaire *flātor, “odeur, ce qui qui arrive par le vent, par le souffle”
⇓
ancien français flaör, “odeur”
***
ancien français flaör, “odeur”, 1175
⇓
ancien français fleur, milieu du XIIIème, disparu
⇓
Fleurer ?
Répandre une odeur agréable de…
Merci, ô TOI, ©Le Grand Robert de la langue française
Et donc:
racine indo-européenne *bʰleh₁-, “souffler”
⇓
latin flō, flāre, “souffler, exhaler...”
⇓
latin classique flātus “souffle, vent, pet”
⇓
altération
⇓⇓
altération
latin populaire *flātor, “odeur, ce qui qui arrive par le vent, par le souffle”
⇓
ancien français flaör, “odeur”
***
ancien français flaör, “odeur”, 1175
⇓
ancien français fleur, milieu du XIIIème, disparu
⇓
français fleurer
***
***
ancien français flaör, “odeur”, 1175
⇓
emprunt
⇓
moyen anglais flavour, “odeur, parfum”
⇓
⇓
emprunt
⇓
moyen anglais flavour, “odeur, parfum”
⇓
anglais flavour, “goût, saveur, parfum, arôme...”
⇓
le germanique *blēan-, “souffler”,
C'est *blēsan- que l'on retrouvera plus tard dans ...
*bʰleh₁-s-,
Allez, un p'tit dernier...
*blēstu-, “coup de vent, rafale”,
Mais dites-moi, vous rappelez-vous notre point de départ pour cette étude?
Nous avions vu
- c'est ici que ça se passait: álfrek ganga: vieux norois pour "aller faire déguerpir de l'Elfe"
que le proto-germanique *blōda-, “sang”, provenait vraisemblablement de l'une de ces deux sources:
- de la racine indo-européenne bʰleh₁-, “souffler” ,
ou alors
- de la racine indo-européenne *bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”.
En d'autres termes...
racine indo-européenne *bʰleh₁-, “souffler”
⇓
proto-germanique *blēan-, “souffler”
⇓
peut-être,
par rapprochement sémantique entre souffler et jaillir,
ou entre souffle de la vie et sang⇓
proto-germanique *blōda-, “sang”
OU
racine indo-européenne *bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”
⇓
proto-germanique *blōan-, “fleurir, s'épanouir, croître...”
⇓
proto-germanique *blōan-, “fleurir, s'épanouir, croître...”
⇓
rapprochement sémantique entre la couleur rouge du sang et l'épanouissement
⇓
proto-germanique *blōda-, “sang”
Oui ??
Et nous en sommes donc à explorer cette première piste,
*bʰleh₁-, “souffler” ⇒ proto-germanique *blōda-, “sang”,
en retrouvant les lointains dérivés de la formidable *bʰleh₁-.
Après ce joli passage par le latin, je vous propose de retourner aux langues germaniques, et de revenir plus particulièrement à cet étymon issu de *bʰleh₁-, “souffler”,
dont je ne vous avais pas dit grand-chose, finalement, si ce n'est qu'il avait (peut-être) donné le germanique *blōda-, et qu'on lui devait aussi...
- le vieux haut-allemand blāt, “souffle, brise...”, ou encore
- le vieil anglais blǣd, “souffle, esprit, ... vie”.
Mais le germanique *blēan-, “souffler”, est aussi
- ' faudrait voir à ne pas l'ignorer -
à l'origine,
par le vieil anglais blāwan, “souffler, gonfler, respirer...”
puis le moyen anglais blowen,
de l'anglais moderne ... blow, “souffler”.
Et c'est aussi de lui que descendent...
- le vieux frison bliān, “souffler”,
- le moyen néerlandais blaeyen, “souffler”, ou
- le vieux haut-allemand blāen, d'où le moyen haut-allemand blæjen, d'où l'allemand blähen, “enfler...” ou même, euh... “émettre des flatulences”.
racine indo-européenne *bʰleh₁-, “souffler”
⇓
proto-germanique *blēan-, “souffler”
proto-germanique *blēan-, “souffler”
⇓
(notamment) vieil anglais blāwan, “souffler, gonfler, respirer...”
⇓
moyen anglais blowen
⇓
anglais blow, “souffler”
Mais...
De notre jolie indo-européenne *bʰleh₁-, “souffler”, provient également un autre étymon germanique, à qui l'on prête le même sens reconstruit que celui de *blēan-:
*blēsan-, “souffler”.
racine indo-européenne *bʰleh₁-, “souffler”
⇓
proto-germaniques *blēan-, “souffler”, *blēsan-, “souffler”.
proto-germaniques *blēan-, “souffler”, *blēsan-, “souffler”.
C'est *blēsan- que l'on retrouvera plus tard dans ...
- le gotique uf-blesan, “se lever, se préparer” (du vent, d'une tempête),
- le - OUI OUI OUI - vieux norois blása, “souffler”, d'où le féroïen blása et l'elfdalien blåsa, de même sens,
- le moyen néerlandais blasen, d'où le néerlandais blazen, toujours “souffler”, ou encore
- le vieil haut-allemand blāsen, d'où l'allemand moderne blasen, encore et toujours... “souffler”.
Et pour tout vous dire, c'est sur l'aoriste sigmatique (forme reprenant la racine flanquée d'un s) de notre valeureuse *bʰleh₁-,
que s'est créé ce verbe fort germanique*blēsan-.
racine indo-européenne *bʰleh₁-, “souffler”
⇓
aoriste sigmatique *bʰleh₁-s-
⇓
proto-germanique *blēsan-, “souffler”
⇓
aoriste sigmatique *bʰleh₁-s-
⇓
proto-germanique *blēsan-, “souffler”
⇓
vieil haut-allemand blāsen
⇓
allemand blasen, “souffler”.
⇓
allemand blasen, “souffler”.
Allez, un p'tit dernier...
À côté des *blēan- et *blēsan-, “souffler”, figurait un troisième étymon germanique descendant de *bʰleh₁-, “souffler”:
un radical en -tu dérivé de *blēsan-.
Nous lui devons
- YES YESS YESSSS !! -
- le vieux norois bläst, “coup de vent, rafale, souffle”,
dont dériveront notamment
- le féroïen blástur, blóstur, “souffle, vent, temps venteux”
Les îles Féroé par temps normal (source) |
et
- l'elfdalien bläst, “coup de vent, bourrasque”,
- le vieil anglais blǣst, d'où l'anglais blast, “coup de vent, rafale, explosion...”, et enfin
- le vieux haut-allemand blāst, “souffle”, d'où le moyen haut-allemand blāst, “souffle”.
racine indo-européenne *bʰleh₁-, “souffler”
⇓
⇓
aoriste sigmatique *bʰleh₁-s-
⇓
proto-germanique *blēsan-, “souffler”
⇓
proto-germanique *blēstu-, “coup de vent, rafale”
⇓
(notamment) vieil anglais blǣst
⇓
anglais blast, “coup de vent, rafale, explosion...”
Ouuuuf !
Avec tout ça, nous venons de terminer notre étude de la racine indo-européenne *bʰleh₁-, “souffler”, dont
Avec tout ça, nous venons de terminer notre étude de la racine indo-européenne *bʰleh₁-, “souffler”, dont
- je le rappelle -descend peut-être le proto-germanique *blōda-, “sang”.
La semaine prochaine, et en toute logique, nous passerons à l'étude des dérivés de la racine...
*bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”,
l'autre candidate possible à la paternité de *blōda-, “sang”.
D'ici là, passez un EXCELLENT dimanche, et une TRES BELLE semaine !
Tiens, vous auriez fait, vous, le lien entre des mots tels que boursouflé, enflure,
fleurer, les anglais flavour, blow ou le féroïen blástur, mmmh ?
Merci QUI ?
Mais oui, merci l'indo-européen, pardi !
À Charles Morice
De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air,Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
Il faut aussi que tu n'ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise
Rien de plus cher que la chanson griseOù l'Indécis au Précis se joint.
C'est des beaux yeux derrière des voiles
C'est le grand jour tremblant de midi,
C'est par un ciel d'automne attiédiLe bleu fouillis des claires étoiles !
Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance !
Oh! la nuance seule fianceLe rêve au rêve et la flûte au cor !
Fuis du plus loin la Pointe assassine,
L'Esprit cruel et le Rire impur,
Qui font pleurer les yeux de l'AzurEt tout cet ail de basse cuisine !
Prends l'éloquence et tords-lui son cou !
Tu feras bien, en train d'énergie,
De rendre un peu la Rime assagie.Si l'on n'y veille, elle ira jusqu'où ?
Ô qui dira les torts de la Rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d'un souQui sonne creux et faux sous la lime ?
De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu'on sent qui fuit d'une âme en alléeVers d'autres cieux à d'autres amours.
Que ton vers soit la bonne aventure
Éparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym...Et tout le reste est littérature.
Art poétique, 1874, in
Jadis et Naguère, 1885,
Verlaine
Frédéric
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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,
Peter, Paul and Mary
nous chantent...
Blowing in the Wind
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