article précédent: "Di scrivermi ogni giorno Giurami, vita mia !" - Fiordiligi
“Wenn ich einmal soll scheiden,
So scheide nicht von mir,
Wenn ich den Tod soll leiden,
So tritt du denn herfür!
Wenn mir am allerbängsten
Wird um das Herze sein,
So reiß mich aus den Ängsten
Kraft deiner Angst und Pein! ”
(“Quand un jour je devrai partir d'ici,
Alors ne te sépare pas de moi,
Quand je devrai souffrir la mort,
Alors marche devant moi !
Quand la plus grande anxiété
Contractera mon cœur,
Alors arrache-moi de mes craintes
Par la puissance de ton angoisse et de ta douleur.”)
Texte de Christian Friedrich Henrici (Picander), inspiré de Matthieu 26-27,
que Bach mettra en musique dans sa Passion selon Saint Matthieu, BWV 244
So scheide nicht von mir,
Wenn ich den Tod soll leiden,
So tritt du denn herfür!
Wenn mir am allerbängsten
Wird um das Herze sein,
So reiß mich aus den Ängsten
Kraft deiner Angst und Pein! ”
(“Quand un jour je devrai partir d'ici,
Alors ne te sépare pas de moi,
Quand je devrai souffrir la mort,
Alors marche devant moi !
Quand la plus grande anxiété
Contractera mon cœur,
Alors arrache-moi de mes craintes
Par la puissance de ton angoisse et de ta douleur.”)
Texte de Christian Friedrich Henrici (Picander), inspiré de Matthieu 26-27,
que Bach mettra en musique dans sa Passion selon Saint Matthieu, BWV 244
Christian Friedrich Henrici, 14 janvier 1700 - 10 mai 1764 |
Bonjour à toutes et tous !
*bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”.
De cette jolie racine indo-européenne proviennent nos fleuret, fleurette, fleuron, floralies, floréal, déflorer, effleurer, fioriture, Florence, florilège, florin, l'italien Firenze, jusqu'aux anglais ... flour et flower.
Je ne veux pas me montrer désagréable, mais enfin, c'était ce qu'on vient de voir lors des deux derniers articles,
J'ai dépensé ma jeunesse comme une poignée de monnaie
et
"Di scrivermi ogni giorno Giurami, vita mia !" - Fiordiligi.
🌷🌸🌹🌺🌻🌼
racine indo-européenne *bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”
⇓
forme nominale *bʰleh₃-ōs-, “en floraison”, d'où “fleur”
⇓
proto-italique flōs(-), “fleur”
⇓
latin flōs, flōris, “fleur”
⇓
accusatif flōrem
⇓
ancien français flor, flur (fin du XIème)
⇓
français fleur
🌷🌸🌹🌺🌻🌼
Nous poursuivons, en ce SUPERBE dimanche de Pâques, le tour des dérivés de l'adorable *bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”, mais cette fois dans le monde... celtique !
Car voilà, notre délicieuse *bʰleh₃- s'y retrouve sous la forme du proto-celtique
(non attesté, ne demandez pas la lune, non plus)*blātu-, “fleur”.
Ce ā, soit dit en passant, n'étant que la transformation du o original, que la laryngale h₃ vous annonce...
(allez, on relit Un coup de souvláki et on se retrouve avec des points de suture. C'est cousu de fil blanc., et fissa, en plus)
Quant à la terminaison en -tu-, elle s'explique par la forme indo-européenne *bʰleh₃-tu-, dérivée bien évidemment de *bʰleh₃-, et dont provient précisément le celtique *blātu-, “fleur”.
*bʰleh₃-tu-, dérivé nominal abstrait de *bʰleh₃-, à qui l'on prête le sens de “florissant”, ou, s'il fallait vraiment le traduire par un substantif, ”épanouissement”.
À noter qu'il est parfaitement concevable de supposer
Et donc:
Pour ce qui est des langues gaéliques, nous pouvons dire que *bʰleh₃-tu- y a légué le vieil irlandais bláth (de formes blátha au génitif singulier, et bláthanna au nominatif pluriel), “fleur”.
D'où l'adjectif irlandais bláfar,
et qui dénote quelque chose de beau mais discret, bien entretenu, signifiant tour à tour et à la fois florissant, en fleur, sobre, bien soigné, fleuri...
🌺
racine indo-européenne *bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”
Aaaah...
Mais poursuivons !
*bʰleh₃-tu-, dérivé nominal abstrait de *bʰleh₃-, à qui l'on prête le sens de “florissant”, ou, s'il fallait vraiment le traduire par un substantif, ”épanouissement”.
À noter qu'il est parfaitement concevable de supposer
- en restant dans un cadre de stricte compatibilité linguistique -que le celtique ait dérivé de son degré zéro (sans la voyelle pivot) *bʰlh₃-tu-, mais on ne va pas chicaner, hein.
Et donc:
🌷🌸🌹🌺🌻🌼
racine indo-européenne *bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”
⇓
forme nominale abstraite *bʰleh₃-tu- (ou son degré zéro *bʰlh₃-tu-), “florissant, épanouissement”
⇓
proto-celtique *blātu-, “fleur”
🌷🌸🌹🌺🌻🌼
*blātu-, hein, pas Klaatu, le Klaatu de “Klaatu barada nikto” tiré du film de 1951 Le jour où la Terre s'arrêta (The Day the Earth Stood Still), phrase énigmatique que Helen Benson (Patricia Neal) doit aller prononcer devant Gort (mais oui, Gort le robot!!) pour qu'il ne détruise tout simplement pas la Terre (un accident est si vite arrivé).
(âmes sensibles, s'abstenir)
Pour ce qui est des langues gaéliques, nous pouvons dire que *bʰleh₃-tu- y a légué le vieil irlandais bláth (de formes blátha au génitif singulier, et bláthanna au nominatif pluriel), “fleur”.
D'où l'adjectif irlandais bláfar,
qui n'a strictement rien à voir avec notre français blafard, hein,
teint blafard |
et qui dénote quelque chose de beau mais discret, bien entretenu, signifiant tour à tour et à la fois florissant, en fleur, sobre, bien soigné, fleuri...
Irlandais bláfar, issu du composé moyen irlandais bláthmar,
formé de bláth suivi du suffixe -mhar,
formé de bláth suivi du suffixe -mhar,
-mhar, qui, accolé à des substantifs, en dérive des formes adjectivales, pouvant se traduire par “ayant la qualité de”.
🌺
racine indo-européenne *bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”
⇓
forme nominale abstraite *bʰleh₃-tu- (ou son degré zéro *bʰlh₃-tu-), “florissant, épanouissement”
⇓
proto-celtique *blātu-, “fleur”
⇓
vieil irlandais bláth, “fleur”
vieil irlandais bláth, “fleur” + suffixe adjectival -mhar
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moyen irlandais bláthmar
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irlandais bláfar
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vieil irlandais bláth, “fleur”
vieil irlandais bláth, “fleur” + suffixe adjectival -mhar
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moyen irlandais bláthmar
⇓
irlandais bláfar
🌷
Aaaah...
Ce doux sentiment,
c'est exactement ça !
Mais poursuivons !
Dans la famille des langues brittoniques occidentales
- je suppose que vous voyez où je veux en venir... -,*blātu-, “fleur”, nous a donné le...
- OUIIIIII, ouii, oui, oh OUIIIIIIIIIII -moyen gallois blawd, non pas “fleur”, mais bien... “farine”. D'où aussi “repas”.
Eh oui, encore ce rapprochement entre la fleur et sa finesse et la finesse du grain dont on fait la farine...
(Notez que je reprends ici les travaux de Ranko Matasović, l'étymologie de blawd étant discutée)
🌻
racine indo-européenne *bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”
racine indo-européenne *bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”
⇓
forme nominale abstraite *bʰleh₃-tu- (ou son degré zéro *bʰlh₃-tu-), “florissant, épanouissement”
⇓
proto-celtique *blātu-, “fleur”
⇓
⇓
moyen gallois blawd, “farine”
🌸
En revanche, le - aaaaaaaah - moyen gallois blawd a quand même donné, par une forme plurielle blawdyn,
en fait, blawd + le suffixe emphatique -yn,
le gallois blodyn, “fleur”
Aaaaaaah....
🌷
racine indo-européenne *bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”
racine indo-européenne *bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”
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forme nominale abstraite *bʰleh₃-tu- (ou son degré zéro *bʰlh₃-tu-), “florissant, épanouissement”
⇓
proto-celtique *blātu-, “fleur”
⇓
moyen gallois blawd, “farine”
forme plurielle blawd - yn
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gallois blodyn, “fleur”
⇓
moyen gallois blawd, “farine”
forme plurielle blawd - yn
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gallois blodyn, “fleur”
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En gallois, pour LUI dire, à elle, votre aimée, qu'elle est adorable, qu'elle est charmante, dites-lui simplement...
(même si, au sens littéral, ça donne “fleur de pomme de terre”, mais c'est vraiment très beau, très fin, très élégant, si fragile, une fleur de pomme de terre...)
Blodyn Tatws, ["blóden tatoss"], “belle, adorable personne”,
Aaaaah...
Allez, on continue...
(faites comme moi, laissez tourner l'andante du Concerto N°21 en Ut majeur, ça vous met dans le ... ton)
(et si vous tombez dessus, choisissez la version de Simone Dinnerstein, je n'en dirai pas plus...)
Allez, on continue...
Avec cette fois le collectif vieux breton bloduu, “fleurs”
qui donnera le moyen breton bleuzff,
qui lui-même nous donnera le breton bleuñv, toujours de même sens.
À noter d'autres sens associés, comme floraison, mais aussi apogée (le sommet de la tige, la partie la plus belle !), voire... menstruation !
Les menstrues étant l'apogée du cycle œstral, aux yeux de ces valeureux anciens Celtes, je suppose ...
🌼
racine indo-européenne *bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”
racine indo-européenne *bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”
⇓
forme nominale abstraite *bʰleh₃-tu- (ou son degré zéro *bʰlh₃-tu-), “florissant, épanouissement”
⇓
proto-celtique *blātu-, “fleur”
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vieux breton bloduu, “fleurs...”
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moyen breton bleuzff
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breton bleuñv, “fleurs...”
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vieux breton bloduu, “fleurs...”
⇓
moyen breton bleuzff
⇓
breton bleuñv, “fleurs...”
🌻
Allez !
Toujours en brittonique, cette fois en vieux cornique troupier, avec blodon, “fleur”, dont sera issu le cornique bledzhan, “fleur”.
Aaaaaah ...
🌸
racine indo-européenne *bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”
racine indo-européenne *bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”
⇓
forme nominale abstraite *bʰleh₃-tu- (ou son degré zéro *bʰlh₃-tu-), “florissant, épanouissement”
⇓
proto-celtique *blātu-,
⇓
vieux cornique blodon, “fleur”
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cornique bledzhan, “fleur”
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vieux cornique blodon, “fleur”
⇓
cornique bledzhan, “fleur”
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Pour les quelques derniers dérivés celtiques de notre douce, douce, douce *bʰleh₃- que nous aborderons ici, je vais passer la main à Xavier Delamarre - merci à lui ! -, qui nous raconte, page 208 de son passionnant Les noms des Gaulois, que (je cite)...
L'importance des céréales dans l'économie alimentaire des anciens Celtes est reflétée par d'autres thèmes de l'onomastique (que le blé, le grain et le sel, note de bibi): *blātu-, “farine” (...).
Xavier Delamarre continue en précisant que l'on retrouve *blātu-, “farine” dans des noms de lieux:
- Blato-magus, “marché de la farine”, aujourd'hui Blond, dans la Haute-Vienne,
à Blond, un jour de marché. Le marché, ils ne peuvent pas s'en empêcher. Le marché, à Blond, il est dans les gènes. |
- Blato-bulgia, “sac de farine” en Grande-Bretagne (comté de Dumfries?),
... et des noms de personnes, comme
- Blattius, “farinier”,
- Blatuna, Blatu-marus en Norique, “riche en farine”.
Le Norique, parlé dans le royaume celtique de ... Norique, constitué au IIème avant notre ère, qui devint une province de l'Empire, et que Wikipedia nous décrit...
limitée au nord par le Danube, à l'ouest par la Rhétie, à l'est par la Pannonie et au sud par la Dalmatie. Elle correspond approximativement à la Styrie, la Carinthie, la région de Salzbourg, une grande partie de la Basse-Autriche et de la Haute-Autriche, l’extrême est de la Bavière et une partie de la Slovénie.
(source) |
Voilà.
Nous allons en rester là pour aujourd'hui.
Laissons-en un peu pour la suite, non ?
Le dimanche indo-européen de dimanche prochain nous ramènera au sein des langues germaniques, pour quelques jolies surprises...
Chères lectrices, chers lecteurs,
Merci de me lire, merci de votre fidélité, merci de vos commentaires.
Je vous souhaite un EXCELLENT dimanche, et une très heureuse semaine !
À dimanche prochain !
Frédéric
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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,
un extrait - enfin, deux - de la Passion selon Saint Matthieu BWV 244,
ici dans la version qui me tient le plus à c(h)oeur,
celle que Karl Richter en avait faite en 1971.
Voici, rien que pour vous,
le sublime choral de la deuxième partie, “O Haupt voll Blut und Wunden”
(suivi des deux récitatifs),
suivi par le choral “Wenn ich einmal soll scheiden”, toujours de la deuxième partie.
Il s'agit de la même mélodie, mais la teinte est tout autre.
C'est comme si Bach, après avoir raconté la mort du Christ, pensait à présent à sa propre mort.
Quand un jour je devrai partir d'ici...
Et ce moment si intime, si humain, est d'une telle sérénité, d'un tel recueillement...
Ecoutez donc, en premier lieu,
O Haupt voll Blut und Wunden
Puis, seulement, Wenn ich einmal soll scheiden
un extrait - enfin, deux - de la Passion selon Saint Matthieu BWV 244,
ici dans la version qui me tient le plus à c(h)oeur,
celle que Karl Richter en avait faite en 1971.
Voici, rien que pour vous,
le sublime choral de la deuxième partie, “O Haupt voll Blut und Wunden”
(suivi des deux récitatifs),
suivi par le choral “Wenn ich einmal soll scheiden”, toujours de la deuxième partie.
Il s'agit de la même mélodie, mais la teinte est tout autre.
C'est comme si Bach, après avoir raconté la mort du Christ, pensait à présent à sa propre mort.
Quand un jour je devrai partir d'ici...
Et ce moment si intime, si humain, est d'une telle sérénité, d'un tel recueillement...
Ecoutez donc, en premier lieu,
O Haupt voll Blut und Wunden
Puis, seulement, Wenn ich einmal soll scheiden
Joyeuses Pâques à toutes et tous !
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article suivant: “Terre noire fait bon blé.” (Proverbe auvergnat)
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