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dimanche 28 avril 2019

“Terre noire fait bon blé.” (Proverbe auvergnat)







Neige au blé est tel bénéfice
Qu'au vieillard la bonne pelisse.

Proverbe français



Bonjour à toutes et tous !



*bʰleh-, “fleurir, s'épanouir”.





Aaaaaah...




(do ré mi fa sol) La si jolie *bʰleh-, qui, vous le savez déjà, nous a donné (notamment) ...


  • notre français fleur... 
🌼

racine indo-européenne *bʰleh-, “fleurir, s'épanouir”
forme nominale *bʰleh-ōs-“en floraison”, d'où “fleur”
proto-italique flōs(-), “fleur”
latin flōs, flōris, “fleur”
accusatif flōrem
ancien français flor, flur (fin du XIème)
français fleur

🌻

  • ... l'irlandais bláfar, “floral...”...

🌺

racine indo-européenne *bʰleh-, “fleurir, s'épanouir”
forme nominale abstraite *bʰleh-tu- (ou son degré zéro *bʰlh-tu-)“florissant, épanouissement
proto-celtique *blātu-“fleur”

vieil irlandais bláth, “fleur”

vieil irlandais bláth, “fleur” + suffixe adjectival -mhar

moyen irlandais bláthmar

irlandais bláfar, “floral...”


🌷

... ou, pourquoi pas, 

  • le breton bleuñv, “fleurs...” ...
🌼

racine indo-européenne *bʰleh-, “fleurir, s'épanouir”
forme nominale abstraite *bʰleh-tu- (ou son degré zéro *bʰlh-tu-)“florissant, épanouissement
proto-celtique *blātu-“fleur”

vieux breton bloduu“fleurs...”

moyen breton bleuzff

breton bleuñv, “fleurs...”

🌻


... a aussi ensemencé le domaine germanique, par le proto-germanique *blōan-, “fleurir, s'épanouir, croître...”, qui pourrait (pourrait, rien n'est sûr) être à l'origine du germanique *blōda-, “sang”.


🌷

racine indo-européenne *bʰleh-“fleurir, s'épanouir

proto-germanique *blōan-“fleurir, s'épanouir, croître...”

rapprochement sémantique entre la couleur rouge du sang et l'épanouissement
proto-germanique *blōda-, “sang

🌹


psss: relisez álfrek ganga: vieux norois pour "aller faire déguerpir de l'Elfe" !


Oui ??


Eh bien, je vous propose à présent de poursuivre avec ce germanique *blōan-“fleurir, s'épanouir, croître...”, que nous n'avions fait ... qu'effleurer.


Sachez déjà que ce verbe fort n'est attesté QUE dans le groupe germanique...

Mais il a malgré tout une belle descendance ; vous allez rapidement vous en rendre compte !

Ainsi, nous le retrouvons dans le vieil anglais blōwan, de même sens (“fleurir, s'épanouir...”),
dont sera issu le moyen anglais... blowen, blowe..., 
à l'origine du verbe anglais to blow, du moins celui qui signifie “éclore, fleurir, s'épanouir...”, à ne pas confondre avec to blow, (notamment) “souffler...”.


Si en anglais, le verbe est resté fort (blow, blew, blown)...
- Les verbes forts germaniques, 
déclarés irréguliers car désormais minoritaires, 
dérivent généralement de l'indo-européen ; ils en ont conservé cette belle conjugaison par alternance vocalique, la voyelle du radical étant capable de se modifier. 
Dans les langues germaniques modernes, ce changement s'opère au prétérit et au participe passé 
(pensez à l'anglais sing, sang, sung, à l'allemand singen, sang, gesungen), 
ou parfois encore, à de plus rares exceptions, aux 2e et 3e personnes du singulier du présent (comme dans l'allemand ich helfe / er hilft). 
Les verbes faibles, quant à eux, sont des créations plus récentes, majoritaires, et aussi ... productifs, car un nouveau verbe sera toujours, théoriquement, un verbe faible.
(merci, Wikipedia !) 

... dans les autres langues germaniques occidentales, en revanche ...,

(source)
(source)

... il s'est affaibli, comme nous le montrent, par exemple...
  • le vieux saxon blôjan (d'où le moyen néerlandais et le néerlandais bloeien), ou encore 
  • le vieux haut-allemand bluojan, à l'origine du moyen haut-allemand blüejen, blüen, dont dérivera l'allemand moderne blühen.


Pourquoi ces verbes ont-ils perdu cette marquante patente de leur lointaine superbe indo-européenne ?

Bof, on sait pas trop, mais ce que l'on sait, c'est qu'inéluctablement, les langues vont en se simplifiant...

Voyez le français ! Mon propre niveau de français, et le français du XVIIIème: 'y a pas photo.


Ceux qui tentent de conserver la beauté - et surtout (surtout, surtout !) la richesse - de la langue française pourraient passer aujourd'hui pour des réactionnaires passéistes, tant le rouleau compresseur de la simplification à outrance est en marche... 
Je pense en particulier à certains irréductibles d'un groupe sur Facebookle groupe Réhabilitation de l'emploi du subjonctif imparfait dans la langue française, dont je sais (avec une certaine fierté, je l'avoue) que certains membres me lisent...

Quoi qu'il en soit, tous ces verbes germaniques occidentaux ont bien conservé le sens de départ du germanique *blōan-“fleurir, s'épanouir, croître...”


🌼

racine indo-européenne *bʰleh-“fleurir, s'épanouir

proto-germanique *blōan-“fleurir, s'épanouir, croître...”

vieil anglais blōwan, “fleurir, s'épanouir...”
moyen anglais blowen, blowe...
anglais moderne blow“éclore, fleurir, s'épanouir...”

🌻


Mais ce n'est pas fini...


Car sur le germanique *blōan-“fleurir, s'épanouir, croître...” se construira un autre étymon germanique,
de radical en ti-,
le substantif féminin *blōdi-, tout simplement... “fleur, floraison...”.

Germanique *blōdi-, dont dérivera, par exemple,
le vieil anglais blēd, blǣd, “pousse, branche, fleur, fruit...”,
dont descendra le moyen anglais blede, bled,
et enfin l'anglais moderne... blead, “fruit, fleur”, ou même fruit dans le sens de résultat...

Cette notion de fruit associée à un résultat (ou de résultat associée - la notion - à un fruit, si vous voulez vraiment ergoter), nous la rencontrerons encore ...
  • en scots, avec bleed“fabriquer, produire de bons résultats”, ou 
  • en allemand, avec Blüte, “fleur, floraison”, certes, mais aussi épanouissement, prospérité”...


🌸

racine indo-européenne *bʰleh-“fleurir, s'épanouir

proto-germanique *blōan-“fleurir, s'épanouir, croître...”

proto-germanique *blōdi-, “fleur, floraison...”
vieil anglais blēd, blǣd, “pousse, branche, fleur, fruit...”
moyen anglais blede, bled
anglais moderne blead, “fruit, fleur, résultat

🌹



Et, tiens, oui, parlons-en
- dit-il, comme si de rien n'était, comme citant un point de détail -,
le dérivé vieux francique de *blōdi- ne fera pas exception...

Je parle de ce francique (non attesté) *blād, dont le sens devait être “produit de la terre”...

Je pourrais aisément comprendre qu'arrivés ici, vous vous retourniez vers moi et m'adressiez un vibrant ouais, et alors ??.

Ben...

La semaine dernière, je vous annonçais des surprises...


La première de celles-ci, 
- et c'est avec elle que nous clôturons cet opus, les émotions, ça fatigue -
c'est que le francique *blād,
en passant par le domaine gallo-roman, où il est attesté, en latin médiéval (fin du VIIème !!!), sous la forme blada, pluriel collectif neutre de bladum, pour “moisson, produit d'un vignoble,
via l'ancien français blet“céréales, blé”,
donnera le moyen français, puis français... blé.





Eh oui !

Vous vous attendiez, à celle-là ?

À ce que l'on revienne si vite à notre français, en pleine étude des dérivés germaniques de la belle, la jolie *bʰleh-, “fleurir, s'épanouir” ?


Bon, la question qu'à ce stade-ci vous êtes parfaitement en droit de vous poser, c'est
“mais qu'est-ce que c'est que ce glissement de sens à la c., pour passer de récolte à blé?”.

Je ne puis certes vous donner tort, du moins sur le fond de votre questionnement ô combien légitime.


Aaaah, l'évolution de bladum en gallo-roman est tout simplement palpitante...
(enfin, pour des fêlés comme moi ; je vous laisse à votre introspection)

Vous le devinez, c'est parce que le blé, ou du moins la céréale (le froment...) était le principal produit de l'agriculture de l'époque en nos contrées, que le lien s'est établi entre la notion de récolte, généraliste et celle de moisson, spécifique.

Mais il a fallu du temps pour y arriver...

Au début du IXème, par les sources (attestations) retrouvées, on ne peut toujours pas affirmer que l'évolution du sens du mot (de récolte à blé, reprenez peut-être un café fort?) était faite, les textes de l'époque pouvant s'interpréter dans un sens ou l'autre.

Mais... vers 1100, le nouveau sens du mot ne fait plus aucun doute, dans une charte de l'abbaye de Cluny.

Le latin bladum, vous l'imaginez bien
- ce n'est pas pour rien qu'on le place dans le domaine gallo-roman -,
va voyager... 

On le retrouve déjà en Catalogne, au sens de “céréale, blé, en 967 !

Et il voyage, il voyage...

Il franchira les Alpes, et pourra être attesté, toujours au sens de “céréale, blé, à Gênes en 1028, et en 1054 à Milan !

En ancien français, blet n'est pas la seule forme sous laquelle on le rencontre, oh que nenni.

Pour preuve les anciens français blef et blée (un féminin), tous deux pour “champ de blé”.

Alain Rey nous raconte qu'en ancien français, le mot s'appliquait d'une façon générale

- linguistiquement, proprement au sens large -
à des céréales dont le grain servait à l'alimentation, ou parfois même aussi à des légumes...

C'est de ce sens large que doit dater la locution (figurée)
être pris comme dans un blé,
pour “être attrapé de manière à ne pas pouvoir s'échapper”, “blé” y désignant par métonymie un “champ de céréales”.



Et puis, et puis...





Vous rappelez-vous les dérivés du proto-germanique *blōdi-, comme le scots bleed“fabriquer, produire de bons résultats”, ou l'allemand Blüte, “fleur, floraison, prospérité”?


Cette association si ancienne et tellement logique, en nos contrées du moins, entre blé et richesse, nous ne l'avons curieusement reprise en français que sur le tard... 
(Certes, elle existait déjà depuis longtemps, mais seulement dans des emplois métaphoriques.)
Il nous faudra en effet attendre 1850 (!) pour que le sens argotique - puis devenu familier - de blé, comme “argent”, s'impose...


🌻

racine indo-européenne *bʰleh-“fleurir, s'épanouir

proto-germanique *blōan-“fleurir, s'épanouir, croître...”

proto-germanique *blōdi-, “fleur, floraison...”
vieux francique *blād, produit de la terre
 
latin médiéval bladumblada, “moisson, produit d'un vignoble” (fin du VIIème)
ancien français blet“céréales, blé”
moyen français, puis français blé

🌸


Eh ben !

Dimanche prochain, suite des aventures germaniques de notre irrésistible *bʰleh-“fleurir, s'épanouir, mais avec encore quelques superbes quelques incartades en français...








Chères lectrices, chers lecteurs, 

Merci de me lire, merci de votre fidélité, merci de vos commentaires.

Je vous souhaite un EXCELLENT dimanche, et une très heureuse semaine !




À dimanche prochain !





Frédéric

PS: dans ces articles, les passages de texte en bleu, vous l'aurez compris, traitent d'éléments de linguistique.


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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

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Et pour nous quitter,

C'est fou ce que la linguistique historique peut vous émouvoir...

(moi, en tout cas),

voici non pas du Bach ou du Purcell, 
mais une scène dans les champs...

Les dernières images d'Alexandre le Bienheureux, 
sous la douce chaleur de la Beauce,
et porté par la douce, douce voix d'Isabelle Aubret,
aux cheveux blonds comme les blés...





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article suivant: "C'est lord Elgin qui a fait ouvrir ce monument et déblayer les terres" - Chateaubriand

2 commentaires:

  1. Alexandre s'en va, par les champs de la Beauce chère à Péguy…

    Sans aucun appareil, sans fatras, sans discours,
    D’un pas toujours égal, sans hâte ni recours,
    Des champs les plus présents vers les champs les plus proches.[…]

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