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dimanche 6 mars 2022

Ѣ, ѣ, mon général !

             





Ѣ, ѣ, mon général !

Lamentable jeu de mot dont je ne suis vraiment pas fier, construit sur

Ya, ya, mon général,

le titre français du film de Jerry Lewis

Which Way to the Front,

sorti en 1970.



J'étais allé voir ce film en 1970
- j'avais huit ans ! -,
dans un cinéma de Namur,
avec feu mon père.

Merci, Papa.




Amis lecteurs,


Après avoir traité de l'étymologie du mot Ukraine,
et toujours en hommage à ce pays sous les bombes, je vous propose en ce dimanche de nous intéresser au mot... Kiev.


Avant de nous plonger dans notre devoir d'aujourd'hui, rappelons-nous que nous savons déjà d'où vient le mot slave,
et que nous connaissons déjà l'étymologie de Vladimir /Volodymyr,
Walter, héraut d'armes à Vladivostok.


C'est bon pour tout le monde ?
Allez, on y va.

Le français Kiev désigne le nom de la capitale de l'Ukraine, qui en est (était ?) également la ville la plus peuplée.

Si nous, francophones, employons couramment le mot Kiev, sachez qu'en ukrainien, on parlera plutôt de Київ, que l'on romanise en Kyiv, et qui se prononce plus ou moins /Keuya/, l'accent tonique tombant sur le /keu/.

Pfff, oui, je sais, c'est à en tomber sur le /keu/. Vous en avez encore d'autres, comme ça ?

 

Kiev, avant


Précisons-le, l'alphabet cyrillique a subi une récente et solide normalisation, au début du XXème siècle.
Avant ladite normalisation, le nom de cette grande ville pouvait s'écrire Кыѣвъ, Киѣвъ, ou même Кіѣвъ.
Dans ces graphies cyrilliques, vous retrouvez avec ravissement cette lettre désormais obsolète, ѣ, le yat, la trente-deuxième lettre de l'ancien alphabet cyrillique, une voyelle longue.

On lui attribue le son [æ] ou [ɛ], que l'on dérive du proto-slave (non attesté) */ē/ ou */aj/.


Revenons à Kiev, voulez-vous ?
Ce nom descend du vieux slave oriental Kыѥвъ, Kyjevŭ.

Jusque ici, nous voyagions en Terra Cognita.

Car, si nous creusons un peu plus, nous devrons nous contenter d'hypothèses.

Parmi celles-là, l'une des plus appréciées est que ce vieux slave oriental Kыѥвъ dérive de la locution proto-slave (donc non attestée, hein) *Kyjevŭ gordŭ, que l'on pourrait littéralement traduire par château de Kyi”.

Mais... que signifiait (ou qui était) Kyi, me direz-vous (je vous connais).

Kyi, ou plutôt, en ukrainien et en russe, Кий, était l'un des quatre frères et sœur qui fondèrent cette glorieuse cité.

Quatre frères et sœur ? 
Presque comme les quatre frères Aymon (l'on parlera plus volontiers des quatre fils Aymon), qui chevauchaient à travers l'Ardenne sur le cheval-fée Bayard, ce brave cheval qui permit notamment à ses cavaliers d'échapper à l'infâme Berthelot, neveu de Charlemagne, en sautant, d'un bond prodigieux, d'une rive à l'autre de la Meuse, quelque part entre Dinant et Anseremme, non loin de... Namur.

la Chanson des quatre fils Aymon,
connue à partir du XIIIème, et où
Charlemagne tient le rôle du Supervillain



Un grand bloc rocheux fut brisé en deux par l'un des formidables coups de sabot du valeureux Bayard.
Sur la roche, devenue Rocher Bayard, on trouve toujours l'empreinte du sabot de ce bon cheval.

le Rocher Bayard...


... et, à Namur, le monument au cheval Bayard,
toujours chevauché des quatre Fils Aymon 


Même si de bien mauvaises langues osent raconter qu'un pic existait déjà à l'origine, et que cette roche fut séparée par les soldats de Louis XIV qui, ayant envahi Dinant, voulurent construire une route aisée à emprunter qui longerait la Meuse.
N'importe quoi.

Bref.

Revenons donc à la fondation de Kiev.

Nos quatre frères et sœur, les trois frères Kyi, Shchek, Khoryv et leur sœur Lybid (en ukrainien, Кий, Щек, Хорив et Либідь, et
- soyons fous - 
en vieux slave oriental, Кии, Щекъ, Хоривъ et Лыбѣдь),

établirent la cité au VIème siècle, qui deviendra, avant de devenir la capitale de l'Ukraine, celle de la Rous (ou Rus') de Kiev de 862 à 1242.


Non. Shchek, S-h-c-h-e-k, de grâce.



Et pourquoi avoir choisi de nommer la ville sur le nom de Kyi, plutôt que sur celui de Shchek, de Khoryv ou de Lybid ? Tout simplement parce que Kyi était l'aîné de cette fratrie.

Cette fondation nous est relatée dans la Повѣсть времяньныхъ лѣтъ, la Chronique des temps passés, connue également comme la Chronique de Nestor.

Il s'agit
- ce n'est pas rien -
de la plus ancienne chronique slave orientale qui nous soit parvenue.
Elle a dû commencer à être compilée vers 1111 par un moine, qui
- le hasard n'existe pas -
s'appelait Nestor.
Повѣсть времяньныхъ лѣтъ


Et voici
- la maison ne reculant devant aucun sacrifice -
l'extrait de cette grandiose chronique qui mentionne la fondation de Kiev :

Полѧномъ же живущиим̑ ѡ собѣ. и вла̑дѣющимъ роды своим̑ . ӕже и до сеӕ брат̑ӕ бѧху Полѧне . и живѧху кождо съ родом̑ своимъ . на своихъ мѣстехъ . володѣюще кождо родомъ своимъ ❙ И быша . г҃ . брата . а А єдиному имѧ Кии . а другому Щекъ . а третьєму Хоривъ . и сестра ихъ Лыбѣдь . и сѣдѧше Кии на горѣ кдѣ н҃нѣ оувозъ Боричевъ . а Щекъ сѣдѧше на горѣ . кдѣ ннѣ зоветсѧ Щековица . а Хоривъ на третьєи горѣ . ѿнюдүже прозвасѧ Хоривıца . створиша городокъ . во имѧ брата ихъ старѣишаго . и наркоша и Києвъ . и бѧше ѡколо города лѣсъ и боръ великъ . и бѧху ловѧще звѣрь . Б бѧхуть бо мудрѣ и смыслени. и нарицихусѧ Полѧне.

Magnifique texte, n'est-ce pas ? 

D'autres questions ?

Allez, ouais, je vous en propose une traduction, qui vaut ce qu'elle vaut (j'ai moi-même compilé deux traductions pour vous donner celle qui me semble la plus acceptable).

À cette époque, alors que les Polans (ou Polianiens, une tribu slave orientale) vivaient à part et gouvernaient leurs propres clans familiaux, trois frères, l'un s'appelant Kyi, le second, Shchek et le troisième, Khoryv, ainsi que leur sœur, Lybid, vivaient, le premier, sur la colline où se trouve maintenant le sentier Borichev, le second, sur la colline maintenant nommée Shchekovitsa, et le troisième, sur cette colline aujourd'hui nommée Khorevitsa. Ils construisirent une ville et l'ont nommée Kiev, du nom de l'aîné. Autour de cette ville s'étendaient un bois et une grande pinède où l'on attrapait les bêtes sauvages. Ces hommes étaient sages et prudents ; ils s'appelaient Polans, et il y a encore, à ce jour, des Polans vivant à Kiev qui en descendent.
à Kiev, le monument à la gloire de ses fondateurs




De bien mauvaises langues,

comme celle du grand linguiste ukraino-canadien Jaroslav Bohdan Rudnyckyj, né le 18 novembre 1910 et mort le 19 octobre 1995,

osent raconter que le terme Київ proviendrait plutôt de la même source que l'ukrainien (daté dans cette acception) кий, kyjpiquet, pieu.

Et qu'il désignerait donc un hameau entouré d'une palissade.

N'importe quoi.


Sachez quand même que l'ukrainien кий, kyjpiquet, pieu” descend du vieux slave oriental кꙑи, kyi, кии, kii, que Rick Derksen fait descendre de l'étymon slave (non attesté) *kyjь.





Amis lecteurs,

Je vous souhaite un bon dimanche, une belle semaine.


Portez-vous bien.






Frédéric



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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

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Et pour nous quitter,

un morceau choral qui s'impose,
tant il est serein, et apaisant.

'Faire is the Heaven'

de William Harris.


Et c'est sous la remarquable direction de Barnaby Smith
que nous l'interprètent les membres de
VOCES8 et de Apollo5 

https://youtu.be/fwauy_MYZjk

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