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ѡ нем же Оукраина много постона
/o nem že Oukraina mnogo postona/,
vieux slave oriental pour
“pour lui, l'Ukraine gémissait beaucoup”.
Amis lecteurs,
Désolante, lamentable, épouvantable actualité oblige, nos devoirs d'étymologie, en ce dimanche, traiteront de l'Ukraine.
De guerre, nous en avons déjà parlé, ici : Guerre et Paix. Et saucisse.
(Mais vous n'y couperez pas, nous reviendrons à notre indo-européen *ǵʰ(e)i-m-, “hiver”, plus tard.)
Sachez déjà
- mais vous le savez évidemment, si vous êtes abonnés depuis un certain temps à ce blog si particulier -
que de la famille des langues slaves orientales ne demeurent vivantes que l'ukrainien, le russe et le biélorusse.
Mais vous-êtes vous déjà demandé ce que voulait dire Ukraine, et d'où venait ce nom ?
Non ? Eh ben, allons-y.
Ce sera, à ma façon, l'hommage que je rendrai à ce grand pays, à ce grand peuple.
Ukraine.
Comme souvent, avec les noms propres, ou les toponymes, il existe plusieurs étymologies possibles.
Je vous en proposerai deux, qui sont celles les plus reconnues par la communauté linguistique internationale.
Même si
- je l'avoue -
j'ai une préférence certaine pour la première, défendue par l'illustre linguiste Max Vasmer, ou plutôt Максимилиан Романович Фа́смер, Maksimilian Romanovič Fásmer, 1886 - 1962, né à Saint-Pétersbourg (Санкт-Петербу́рг) de parents allemands.
À Max Vasmer, nous devons notamment le célèbre Russisches Etymologisches Wörterbuch, qui fait toujours autorité.
Le mot ukrainien Україна, /Oukrayina/, est attesté fin du XIIème (circa 1187), sous la forme Оукраина, Oukraina, cité dans la chronique d'Ipatiev, Ипатьевская летопись.
Mais reprenons :
Le mot ukrainien Україна, /Oukrayina/, est attesté fin du XIIème (circa 1187), sous la forme Оукраина, Oukraina, cité dans la chronique d'Ipatiev, Ипатьевская летопись..., et désignait à l'époque, non pas tant l'Ukraine que le territoire de la Principauté de Pereïaslavl, au sud de la Principauté de Kiev
- Kiev ou plutôt Kyiv, pour lui redonner son nom ukrainien, non teinté de russe -,
à l'occasion de la mort de son Prince, Volodymyr Hlibovych :
ѡ нем же Оукраина много постона (o nem že Oukraina mnogo postona),
pour “pour lui, l'Ukraine gémissait beaucoup”.
Le mot Україна, Oukrayina, provient
- ça, c'est certain -
du vieux slave oriental украина, oukraina, en réalité un composé, de la préposition у- (/ou/, “chez, à, en, autour de, près de, à partir de, en possession de...”)
- si ce “en possession de” vous intrigue, sachez qu'en russe, У меня́ нет карандаша́, /Ou miniá niet karandachá/, littéralement “À moi / En ma possession pas de Caran d'Ache” signifie que je n'ai pas de crayon ; Caran d'Ache étant au russe ce que BIC est à notre français stylo-bille -,
le vieux slave oriental украина, oukraina, est composé, disais-je, de la préposition у-...
et de (on n'en est pas trop sûr)...
- краи, /krai/, “limite, fin, rive...”,
ou
- край, /kraj/, “terre, pays, territoire, fin, limite”.
Ouais, vous le constatez comme moi, les deux mots sont presque synonymes et homophones.
Mais comment donc comprendre ce composé у-краина, ou-kraina ?
Pour certains, dont Max Vasmer, il désigne ce que nous appelons en français marche, une région frontalière.
Je ne peux d'ailleurs, à ce propos, que vous encourager à lire ou relire cette petite série d'articles commençant par...
certaines marques de chaussures sont plutôt faites pour se faire remarquer que pour marcher, se poursuivant par...
“L'idée de Dieu est, je l'avoue, le seul tort que je ne puisse pardonner à l'homme.” - Sade et...
des héros du télémarketing me sont tombés dessus sanglier gare., pour se terminer par...
La proportion de jeunes filles s'appelant Margot et vivant au Pays de Galles est assez marginale. Si si, je vous assure.
Mais dès les années 30, certains linguistes ukrainiens ont traduit Україна, Oukrayina, par “région, principauté, pays”, voire “province ; les terres autour, le pays appartenant à (un centre donné)”.
Plus récemment, en 2001, le linguiste ukrainien Hryhoriy Pivtorak, arguant que le у- initial peut s'entendre au sens de “autour de”, avance que le mot pourrait désigner une “parcelle de terre séparée, une partie séparée du territoire d'une tribu”.
Pour étayer son étymologie, il précise que certains territoires qui ont formé la Lituanie étaient parfois appelés Ukraine lituanienne, de même que certains territoires qui ont formé la Pologne étaient dits Ukraine polonaise.
En outre, selon lui, le terme Ukraine était employé depuis le XVIème siècle par les Cosaques ukrainiens pour désigner leur propre territoire, et que la confusion entre territoire séparé et marche n'est qu'une invention de la Russie tsariste.
Il n'a peut-être pas tort, oui.
Mais Pivtorak oublie de dire que le terme, après avoir désigné le territoire de la Principauté de Pereïaslavl, s'appliquera indifféremment à une série de régions frontalières fortifiées de cette fédération politique médiévale que l'on appelait la Rous de Kiev (ou Rus' de Kiev), laquelle s'étendait sur les territoires actuels de la Biélorussie, de l'Ukraine et d'une partie de la Russie.
J'ai mon avis sur la question, mais bon, faites-vous votre propre idée !
Sur une note plus humaniste...
J'ai le sentiment qu'ici, linguistique et nationalisme se côtoient un peu trop ; ce qui débouche rarement sur des débats intelligents.
Je repense aux nationalistes tamouls, pour qui le tamoul est la plus ancienne langue du monde (ce qui ne veut par ailleurs strictement rien dire). Alors que pour certains Albanais, la langue la plus ancienne n'est autre que... je vous laisse deviner.
Ne parlons pas de ces nationalistes indiens qui, mêlant gaiement tradition religieuse et science, affirment que le sanskrit est à l'origine des langues indo-européennes (et que le proto-indo-européen n'est donc qu'une pure invention des colonialistes européens).
Tous se font rire au nez par les ultra juifs, qui savent évidemment que l'hébreu descend en droite ligne de Dieu. Ce qui fait hurler de rire les islamistes intégristes, à qui on ne la fait pas, qui peuvent affirmer que seul l'arabe est d'essence divine, forcément.
Pour résumer et généraliser, linguistique et idéologie font bien mauvais ménage. Il suffit, chez nous, de voir les dommages que l'inclusivisme prôné par des taré·e·s·x, pourtant plein·e·s·x de bonnes intentions, inflige à nos langues.
Décidément, on n'est pas rendu.
Amis lecteurs,
Je vous souhaite un bon dimanche, une belle semaine.
Et je pense amèrement à nos amis ukrainiens, qui sont sous les bombes et les rafales d'armes automatiques. Je leur souhaite courage.
Ils doivent certainement se rassurer en se disant que ça pourrait être pire, qu'un gouvernement dictatorial pourrait les obliger à montrer un certificat de vaccination à l'entrée des restaurants.
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ne vous laissez pas abuser par son nom :
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(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter
- c'est la chronique d'Ipatiev qui m'en a donné l'idée -,
voici la superbe chanteuse de bossa nova, la philippine Sitti,
qui, délicieusement, nous interprète...
non pas la chronique d'Ipatiev,
mais
La fille d'Ipanema,
ou plutôt l'original, Garota de Ipanema,
composé en 1962 par Antônio Carlos Jobim,
et dont les paroles originales, portugaises, sont de Vinícius de Moraes.
Et à Riga (Lettonie), ce 25 février au soir, la foule reprenait, non loin de l'ambassade russe, l'hymne national ukrainien,
Ще не вмерла України, dont, dans sa version actuelle, le premier vers est
Ще не вмерла України ні слава, ні воля,
La gloire de l'Ukraine n'est pas encore morte, ni sa liberté.
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Pourquoi, mais _pourquoi_ ai-je aussi, instantanément, associé Ипатьевская летопись à Garota de Ipanema ? Hmmm ?
RépondreSupprimerСлава Україні!
:-)
RépondreSupprimerPierre, tu me rassures ! :-)
Слава Україні!
@Pierre Libotte, @Frédéric,
RépondreSupprimerDites-moi que je ne dois pas m'inquiéter d'avoir associé Ипатьевская летопись à .. hépatite chronique ;-)
Слава Україні!
@LeScrat, non, aucune inquiétude : idem ici :-/
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