article précédent : Ah ! non ! c’est un peu court, jeune homme ! - Ah no! young blade! That was a trifle short!
“Madame préférait la cannelle de Chine aux pédoncules”
Frédéric Blondieau,
Dictionnaire des fausses contrepèteries qui ne font rire que moi, 2019
(le titre de cet article étant, lui, une vraie contrepèterie - qui n'est hélas pas de moi.
Allez, cherchez !)
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“Ô poivre adoré, ô cannelle honnie”
Frédéric Blondieau,
J'aime manger épicé, 2019
Bonjour à toutes et tous !
OUI,
- et vous pouvez déjà me remercier, je ne vous (re-)ferai pas le coup du “vous n'y couperez pas” -
c'est toujours la délicieuse racine indo-européenne *(s)ker-, “couper, découper” qui nous occupera en ce très beau dimanche d'hiver (ici, en tout cas).
Au fil des articles traitant de cette jolie *(s)ker-, vous m'avez demandé si tel ou tel mot n'en provenait pas - ou plutôt, “en provenait”, ce qui est déjà nettement plus intéressant, et réduit assez bien le champ des possibilités.
Je vais m'efforcer de répondre à toutes vos questions en suspens.
Je n'oublie pas non plus le très intéressant rapprochement qu'une lectrice assidue du blog m'a demandé de vérifier, à l'occasion de D'interstice à armistice, il n'y a qu'un pas. De l'oie., entre le préfixe
- oh oui oh oui -moyen gallois ys- et le russe из, iz.
J'y arrive !
Et j'en profiterai aussi pour reprendre tous ces mots que j'avais mis de côté, n'étant pas sûr de leur parenté avec notre *(s)ker-.
Tout cela, c'est pour bientôt.
Mais ... en ce dimanche si beau, je préfère revenir à un autre article de cette série,
qui, lui, traitait des dérivés baltes de notre formidable *(s)ker-.
Pour rappel ...
racine indo-européenne *(s)ker-, “couper, découper”
⇓
proto-balte kerti-
⇓
lituanien kerti, “se détacher, s'enlever...”
et
racine indo-européenne *(s)ker-, “couper, découper”
⇓
proto-balte *skirti-
⇓
lituanien skìrti, “séparer, diviser, distinguer...” et letton sķirt, “séparer, diviser, trancher...”
⇓
lituanien skìrti, “séparer, diviser, distinguer...” et letton sķirt, “séparer, diviser, trancher...”
Je vous y disais qu'à ma connaissance, il n'y avait pas de dérivés slaves de *(s)ker-.
Aïe. Grossière et lamentable erreur
- que personnellement je rejette sur une faille dans le continuum espace-temps -.
J'avais tout simplement oublié une série de dérivés du timbre o de notre subtile *(s)ker-,
*(s)kor-.
Une faille, je vous dis. Et c'est d'autant plus râlant/frustrant/navrant que j'en connaissais au moins un, de ces dérivés, en russe.
Honte sur moi, les trous noirs, les vortex et les failles temporelles.
Alors !
Ah oui ! Et un autre intérêt de cet article, c'est qu'il vous permettra de re-découvrir une sémantique que avons déjà rencontrée chez d'autres dérivés de *(s)ker-...
Le premier étymon slave dérivé de *(s)kor- dont je vous parlerai, c'est *korà-, “écorce”.
En
- mais ouiiiii ! -
vieux slavon d'église, il a donné kora, toujours “écorce”.
En russe, кора́, korá, “écorce”, d'où l'écorce autour de notre planète, la croûte terrestre.
Connaissez-vous le forage SG3 ?
Connaissez-vous le forage SG3 ?
Les Russes,
se fiant peut-être à la conception du monde que leur langue leur donnait,ont décidé de creuser la croûte terrestre,
pensant peut-être qu'il ne s'agissait que d'une vulgaire écorce.
Ils ont donc
- quelque part dans l'oblast de Mourmansk, certes mieux connu pour ses sous-marins de classe Typhoon -
The Hunt for Red October, 1990 |
foré, et foré, et foré, et encore foré, je pense. Et ensuite foré. Et encore un peu foré.
Pendant près de vingt ans...
Pour obtenir le trou le plus profond (12262 mètres !) qui ait jamais été creusé sous la terre...
Le chantier fut arrêté pour raisons techniques en 1989, et le trou définitivement scellé.
C'est là qu'il était...C'est tout ce qu'il en reste... (source) |
En tchèque, le proto-slave *korà- a donné kůra, toujours “écorce, croûte”.
Mais surtout, et évidemment, le slave *korà- nous a légué kȍra, “écorce, croûte” en kaïkavien.
Je ne vous ferai certainement pas l'injure de vous préciser que le kaïkavien, au même titre que le chtokavien et le tchakavien, est un des trois dialectes principaux (trialectes, alors ?) du serbo-croate.
En français, nous connaissons la langue d'oc et la langue d'oïl, formant cette si jolie isoglosse
En français, nous connaissons la langue d'oc et la langue d'oïl, formant cette si jolie isoglosse
- Vous vous posez la question de la nature d'une isoglosse ? Il y a un libellé d'articles précisément appelé Isoglosse, dans la colonne de droite, qui ne traite que de ça, qui reprend TOUS les articles du dimanche indo-européen DU MONDE où l'on a pu traiter d'isoglosses... (si vous lisez le blog sur un téléphone portable, vous devez pour cela afficher la version web).
Ou alors, (re-)lisez cet article, sur la plus célèbre des isoglosses,
Et si vous êtes fainéants au point de ne pas vouloir faire ce tout petit effort, sachez qu'une isoglosse, c'est comme l’Iso-Betadine, mais avec beaucoup moins de betadine et nettement plus de glosse. -
(Je reprends...)
En français, nous connaissons la langue d'oc et la langue d'oïl, formant cette si jolie isoglosse ... qui sépare la France en deux parties et fondée sur la façon dont on disait oui en ancien français.
Eh bien, c'est à peu près la même chose pour le kaïkavien, le chtokavien et le tchakavien...
Pour lesquels nous pourrions parler d'une double isoglosse.
À la différence qu'ici, il n'est pas question de la façon dont on dit oui, mais quoi.
En français, nous connaissons la langue d'oc et la langue d'oïl, formant cette si jolie isoglosse ... qui sépare la France en deux parties et fondée sur la façon dont on disait oui en ancien français.
Eh bien, c'est à peu près la même chose pour le kaïkavien, le chtokavien et le tchakavien...
Pour lesquels nous pourrions parler d'une double isoglosse.
À la différence qu'ici, il n'est pas question de la façon dont on dit oui, mais quoi.
- Oui, quoi ?
- Non, pas oui, quoi.
- Quoi ?
- Oui !
- Oui ?
- Non, quoi !
Bon, on s'en sortira pas.
Pour faire simple, dans chacun de ces trois dialectes, on prononce l'équivalent de notre quoi, respectivement /kaï/, /chto/et /tcha/.
Tcha. Oui. comme dans l'anglais cha-cha-cha.
Tcha. Oui. comme dans l'anglais cha-cha-cha.
Lancez la video ci-dessous, et rendez-vous à l'endroit précis que j'ai choisi rien que pour vous, à 4:00 très précises, pour bien réaliser où j'en suis dans mon délabrement mental. Attention, cela pourrait choquer les âmes sensibles.
Et donc, le kaïkavien est ce dialecte où l'on dit kaï pour quoi.
Résumons ?
racine indo-européenne *(s)ker-, “couper, découper”
⇓
forme au timbre o *(s)kor-
⇓
proto-slave *korà-, “écorce”
⇓
vieux slavon d'église kora, “écorce”, russe кора́, korá, tchèque kůra et kaïkavien kȍra, “écorce, croûte”
Mais poursuivons...
Du slave *korà-, “écorce” dérive un autre étymon slave, le diminutif *korica-, dont le sens littéral - reconstruit - serait donc ...“(petite) écorce”.
comme Madame ci-dessus. - euh ? - Petite et Corse. |
Nous retrouverons ce *korica- tout mini en...
- YES, YES, YESSS -
- vieux slavon d'église, avec koricę, au sens de “cannelle”
- Mais oui, oh ! La cannelle est une épice, certes, mais provenant de l'écorce intérieure d'une des espèces de cannelier -,
mais aussi en...
- russe, avec кори́ца, koritsa, “cannelle”,
- tchèque, avec skořice, “cannelle” et
- serbo-croate, avec kȍrica, eh non, pas “cannelle” mais plutôt “écorce, croûte”,
ou encore en...
- bulgare, avec koríca, “couverture (d'un livre), reliure”.
Autrement exprimé :
racine indo-européenne *(s)ker-, “couper, découper”
⇓
forme au timbre o *(s)kor-
⇓
forme au timbre o *(s)kor-
⇓
proto-slave *korà-, “écorce”
⇓
diminutif *korica-, “(petite) écorce”
⇓
vieux slavon d'église koricę, russe кори́ца, koritsa et tchèque skořice, “cannelle”,
serbo-croate kȍrica, “écorce, croûte”, bulgare koríca, “couverture (d'un livre), reliure”.
Et... ce sera tout pour ce dimanche !
Dimanche prochain, suite et fin des étymons slaves de *(s)kor-.
Chères lectrices, chers lecteurs,
Merci de me lire.
D'ici dimanche prochain, je vous souhaite, à toutes et tous, un EXCELLENT dimanche, et une radieuse semaine !
PS: quant au titre de cet article, le seul point commun qu'il partageât avec son contenu, c'est cette référence slave...
Frédéric
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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter, mais sans vraiment nous séparer de l'âme slave,
je ne vous propose pas moins que le...
Concerto pour piano no 1 en si bémol mineur, Op. 23,
de
Piotr Ilitch Tchaïkovski,
sous les doigts enchanteurs de la pianiste ukrainienne...
Anna Borysivna Fedorova (А́нна Бори́сівна Фе́дорова)
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