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dimanche 21 novembre 2021

Liam, je suis contente que tu sois venu au bal.

 



    Liam, je suis contente que tu sois venu au bal.
    Et je suis sûre que ton beau-père sera content, lui aussi.
    C'est un pas dans la bonne direction.
    Amusez-vous bien à explorer le quartier.

traduction d'une réplique de Kelly,
dans cette remarquable série parodique qu'était Beverly Hills, 90210

Quoi, ce n'était pas parodique ? Oups, pardon.


Brandon et Kelly.
Ça ne s'invente pas.




Bonjour à tous !

Nous sommes encore et toujours à rechercher les dérivés de la racine indo-européenne…


*kelh-, “battre, frapper”.



Allez, le point.

🜛🜛🜛



🜛

Le 10 octobre 2021, à la recherche de l'étymologie du français calamité, nous étudiions les latins
  • călămĭtāsfléau, malheur, défaite, ruine...”,
et
  • incolumis, “sain et sauf, non endommagé...”, d'où 
  • l'espagnol incólume,
  • l'italien incolume,
  • le portugais incólume.
      Călămĭtās et incolumis pourraient peut-être descendre de la racine indo-européenne *kelh-, “battre, frapper”.

      En revanche, le latin clādēs, “destruction, désastre, défaite...”, en est un parfait dérivé.

      Nobis omnes conscii sumus...10 octobre 2021

      🜛

      Le 17 octobre, nous découvrions un beau dérivé latin de notre racine *kelh-, “battre, frapper”, 
      •  -cellō“frapper”, sur lequel seront composés les latins...
      • percellō, percellere“abattre, terrasser, heurter avec violence...”,
      • recellō, recellere“reculer, rebondir (vers l'arrière) ...”,
      et
      • procellō, prōcellere, “porter en avant, jeter violemment en avant, renverser...”, et en mode pronominalse prōcellere“se jeter en avant, s'allonger...”.
      De procellō dérivera prŏcella, tempêteorageouragan”, d'où...
      • le portugais procela, de même sens, 
      et nos moyens français...
      • procelletempête”,
      • procellé“produit par l'orage”,
      • procelleux“tempétueux”.
      🜛

      Le 24 octobre, nous avons tenté de trouver des dérivés grecs anciens à notre racine, mais sans grand succès…
      • κλάω, kláô“briser, casser...”, est vraisemblablement emprunté au substrat pré-grec,
      et pour ce qui est de
      • κλάδος, kládos, “branche, jet, brindille...”, son étymologie est peu claire ; il pourrait s'agir d'un emprunt au substrat pré-grec, ou d'un dérivé de la racine indo-européenne *kdo-“(morceau de) bois.
       
      🜛

      Le 31 octobre, nous poursuivions, avec persévérance mais sans trop d'espoir, notre quête des dérivés grecs anciens de notre racine, toujours sans grand succès...
      κλαδαρόςkladarós, “invalide, infirme...est vraisemblablement un emprunt au substrat pré-grec,et 
      • κόλος, kólos, “tronqué, écorné, écourté, raccourci...est également probablement emprunté au substrat pré-grec.
      Nous avions également épinglé quelques emprunts savants que le français avait créés sur le grec ancien, comme claste, le suffixe -claste, clastique, le suffixe -clastique, panclastite, anaclase...

       
      🜛

      Le 7 novembre, nous avons abordé les dérivés celtiques de notre belle *kelh-, “battre, frapper”, avec...
      • le vieil irlandais claidid, ·claid“creuser”, d'où l'irlandais claidh et le gaélique écossais cladhaich,“creuser”,
      • le moyen breton clazafaire une tranchée, creuser”, d'où le breton klazañ,
      et enfin 
      • le moyen gallois cladducreuser, creuser une tombe”, d'où le gallois claddu.

      🜛 

       Le 14 novembre, nous avons traité d'une nouvelle série de dérivés celtiques de notre *kelh-, “battre, frapper” :
      • le moyen irlandais clad, clod“trou creusé dans le sol, tranchée”,
      • les moyens gallois cladd“fosse, fosséet clawd, “levée de terres, fossé, fosse, rempart”,
      • le moyen breton kleuz“levée de terre, talus
      • le gaulois cladia, clado-fossé, tranchée, vallée creuse, d'où de beaux toponymes gaulois créés sur cladia, clado- :
          • Uindo-cladia“la Tranchée Blanche”, aujourd'hui Badbury Rings, dans le Dorset
          • Uo-cladum“Double Fossé” ou “Sous-Tranchée” ; le latin Vocladum devenu... Vouillé, dans la Vienne.
         
        🜛🜛🜛




        Chers amis lecteurs, 

        Dans la foulée des proto-celtiques *klad-o-“creuser, enterrer”, et *klādo-, *klado-, “tranchée”, je vous propose de continuer à parcourir, à notre aise, les dérivés celtiques de notre petite indo-européenne *kelh-, “battre, frapper”.


        Avant tout, creusons un peu plus


        autour de ses dérivés bretons.


        Mon exemplaire du Al Liamm,
        excellent dictionnaire breton / français,


        me raconte que de nombreux mots bretons sont construits sur ce radical klaz / kleuz, déjà entrevu avec le moyen breton et breton kleuz“levée de terre, talusou le breton klazañfaire une tranchée, creuser”.

        Citons ainsi les bretons...
        • kláz, tranchée, crevasse faite avec une pelle”,
        • kleuzadenn, endroit creusé, cavité”,
        • kleuzadur, “creusement”,
        • kleuzded, qualité de ce qui est creux”,
        ou même
        • kleuzenn, “lieu creux, cavité, mais aussi “arbre creux”, ou alors carrément “vieille femme décrépite” !
        Osez la traiter, seulement, de kleuzenn ! 


        • kleuziad, c'est encore le contenu d'un fossé,
        et
        • kleuzier, celui qui en fait, des fossés : le... fossoyeur.

        Le Fossoyeur du cimetière Saint-Jean à Tréboul,
        Henri Rivière, ca 1895


        N'oublions pas non plus ces toponymes, comme par exemple Cleuyou, Kleuyoù, provenant de Kleuz, et désignant des fossés avec talus, des retranchements.




        Pour tout vous dire
        - c'est pas compliqué -,
        selon l'association pour la promotion du patrimoine
        (ou matrimoine, pour les vaillants et si intelligents et subtils militants anti-patriarcat, binaires ou non)
        d'Ergué-Gabéric (source), Kleuzioù apparaît 16 fois dans la toponymie de Bretagne.


        Il y a encore le manoir du cleuyou...



        Ou même Korn ar c’hleuz, qui se situe à l’est de la pointe d’ar Gammes...

        Korn ar c’hleuz, au premier plan
        (source)



        Soit dit en passant, je trouve ces non-binaires particulièrement binaires, moi : si vous n'êtes pas d'accord avec leurs fumeuses théories "woke", vous êtes un sale réac (au mieux), ou alors, tout simplement, un facho.




        À présent, je vous soumets un autre étymon celtique qui pourrait peut-être être issu de 
        *kelh-, “battre, frapper”, que Ranko Matasović reconstruit sous la forme *klāro-, auquel il attribue le sens de planche, et qui va nous ramener
        - vous allez le voir -
        quelques articles en arrière...

        (ce n'est pas compliqué, il suffit de 1,21 gigowatts)



        Selon Matasović, ce *klāro- descendrait d'un substantif indo-européen, *klehro-, “planche”. 

        Et, selon ses dires, il est probable que *klehrosoit dérivé de notre *kelh-, “battre, frapper”.

        Oui, ce rapprochement s'expliquerait par une autre acception de *kelh-, “battre, frapper” : “casser, couper, abattre”, somme toute assez logique, car spécialisation de son sens premier.


        Et qui dit abattre un arbredécouper du bois,

        le sketch du lumberjack,
        le bûcheron canadien non-binaire,
        par Monty Python
        (le sketch en entier est ici)

        pense immanquablement
        - ben oui -
        à une planche de bois.

        une planche (de bois)




        Ce beau *klāro-, “planche” pourrait expliquer...
        • le vieil irlandais clár“planche, article plat, surface”,
        • le vieux gallois claur, d'où le gallois clawr“couvercle, planche”,
        ainsi que
        • le moyen breton cleür, kleur, d'où le breton kleur“limon de charrette, cheville du limon”.


        Et c'est ici qu'il faut disposer de 1,21 gigowatts...



        Car, vous l'avez compris, Matasović n'est pas entièrement sûr de cette étymologie, de ce rapprochement entre *klāro- et *kelh-...
        (celtique *klāro-, “planche” ⇐  indo-européen *klehro-, “planche” ⇐ racine indo-européenne *kelh-, “battre, frapper ; abattre, découper).

        Eh non.
        Il émet une autre possibilité...

        Qu'il s'agisse d'une isoglosse
        - un trait linguistique ; relisez donc ceud mìle fàilte chez les Tochariens (A), qu'on n'en parle plus -
        propre au celtique et au... grec ancien, qui impliquerait une autre racine indo-européenne, *klh-, “mettre en place, fixer...”. 

        Oui. Et que le proto-celtique *klāro-, “planche”,  ferait ainsi écho au grec ancien κλῆρος, klêros, notamment “parcelle de terrain”.

        - Mais ???
        - Je sais, oui. Il faut savoir que κλῆρος, klêros, désignait originellement un bout de bois qui servait à délimiter une... parcelle... Eh !

        Mais... qu'en pense Robert Beekes ? Mmmh ?
        Pour Beekes, oui, le sens originel de κλῆρος, klêros, était bien celui d'un bout de bois délimitant une parcelle.

        Mais
        (avec Beekes, il y a souvent un mais)
        même si, pour lui, la relation entre le grec ancien κλῆρος, klêros et le proto-celtique *klāro-, “planche”, est formellement acceptable, elle n'en reste pas moins douteuse pour des raisons sémantiques (qu'hélas il n'explicite pas).

        Pour Beekes, pas question d'isoglosse, pas question d'origine commune à ces mots celtiques et grecs anciens. Non, le grec ancien κλῆρος, klêros aurait probablement une origine...
        - allez, tous ensemble ! -

        pré-grecque.

        D'où ce joli ◀ PG? ▶ qui accompagne κλῆρος dans son somptueux dictionnaire.




        Allez, un p'tit dernier, pour la route.
        (Nous en terminerons avec les dérivés celtiques de notre *kelh-, “battre, frapper la semaine prochaine, et nous nous permettrons même un second retour vers le passé, cette fois vers l'article de départ de cette étude, Nobis omnes conscii sumus....)


        Voici l'étymon celtique... *kellāko-“combat, guerre”.

        C'est par lui que R
        anko Matasović explique...
        • le moyen irlandais cellach“conflit, dispute”.
        Ce qui vous fait une belle jambe, je sais.

        Mais sachez quand même que ce cellach est devenu un prénom (masculin) irlandais
        (Cellach, pour les comprenant bien mais plus lentement)
        qui, anglicisé, a donné Kelly (ou Kelley, en graphie irlandaise)...


        Et
        - voyez comme la vie des bisounours est belle -
        il est devenu épicène. Si si.

        Dans les années 60, il a commencé à s'employer pour baptiser des filles, même s'il est encore parfois attribué à des garçons (mais alors, probablement déconstruits, hein).
        (Euh, j'avoue ne pas savoir ce qu'il en est des non-binaires...)



        aaaargh (c'est du vieil irlandais),
        la magnifique actrice irlandaise
        Kelly Reilly



        Enfin, le théonyme gallo-romain Sucellos, par ailleurs uniquement attesté sous sa forme latinisée Sucellus, pourrait bien être apparenté à ce celtique *kellāko-“combat, guerre”.

        Ce que ne dément pas Delamarre, qui nous précise même que le dieu Sucellos
        - je le cite : -
        est représenté, à côté de sa parèdre (sa divinité associée) Nantosuelta, tenant un marteau ou plus exactement un maillet à long manche.

        Nantosuelta et Sucellos,
        sur un autel à Sarrebourg
        (source)



        Les inscriptions sur cet autel ? Mais bien sûr :

        Deo Svcello /
        Nantosvelte /
        Bellavsvs Mas /
        se Filivs V(otum).S(olvit).L(ibens).M(erito)


        Ce qui se traduirait par : 
        Pour le dieu Sucellos et Nantosuelta, Bellausus, fils de Massa, a volontairement et à juste titre accompli son vœu.


        Pour Delamarre, cellos désignerait le marteau, ou le frappeur.

        Considérant que le préfixe su- signifie “bon-, bien-”, le théonyme Su-cellos signifierait “le bon frappeur”, ou même, “Qui a un bon marteau”.




        Notez cependant que Delamarre propose aussi une autre étymologie possible, qui ne ferait pas de Sucellos un dérivé de notre *kelh-, “battre, frapper”, et qui permettrait de le traduire en “Celui à l'attention duquel rien n'échappe”.
        (Mais, tout à fait entre nous, j'ai l'impression qu'il s'est senti obligé de citer cette étymologie alternative, et qu'il n'y croit pas vraiment...)





        Et là-dessus, je vous souhaite, à tous,
        un excellent dimanche, une heureuse semaine.





        Frédéric



        ******************************************
        Attention,
        ne vous laissez pas abuser par son nom :
        on peut lire le dimanche indo-européen
        CHAQUE JOUR de la semaine.
        (Mais de toute façon,
        avec le dimanche indo-européen,
        c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

        ******************************************

        Et pour nous quitter,

        quoi de plus naturel qu'un doux chant irlandais,

        délicieusement interprété par le chœur des

        Scholars of University College Dublin ?


        Cette délicieuse ballade irlandaise,

        Wild Mountain Thyme,

        est en réalité l'adaptation, par le musicien de Belfast Francis McPeake (1885-1971),
        d'une chanson écossaise écrite par les Écossais 
        Robert Tannahill (1774-1810) et Robert Archibald Smith (1780-1829), 

        The Braes o' Balquither.
         

        ******************************************

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        ******************************************

        article suivant : B 'ann mun àm seo a ghabh an Rìgh Herod grèim air cuid a bhuineadh dhan eaglais

        dimanche 4 mars 2018

        C'est juste ! D'ailleurs, dans "fromage", il y a "mage".




        Après quoi, il fit prendre avec la présure la moitié de son lait, et le mit bien proprement sur des claies d'osier, et mit le reste dans des pots pour boire à son souper. (...)

        Jean Racine,

















        Livres annotés, 
        Remarques sur l'Odyssée, IX.


        les Remarques sur l'Odyssée, Gallica
















        Bonjour à toutes et tous !



        Ce que nous savons déjà ?

        Que nous avons emprunté notre français “livre au latin liber, “écorce, livre”, lointain descendant de la racine indo-européenne, *lubʰ-, peler, écorcer”.





        Et que la charmante 
        *lubʰ- a également essaimé dans les langues celtiques, en nous donnant notamment le collectif breton louzoù, plantesherbes, légumes, plantes médicinalesremède”.



        un autre collectif breton,

        le CBDD,
        Collectif Breton pour la Démocratie à Djibouti
        représenté ici par ses deux fondateurs et son seul membre.
        Qui pense d'ailleurs laisser tomber à la fin du mois.

        'Faut dire aussi que c'est assez pointu, comme concept...
        (source)



        Aujourd'hui, amis lecteurs - 'sais pas chez vous, mais ici, ça caille ! -, nous allons passer aux dérivés ... germaniques de notre délicieuse *lubʰ-.

        Oui, pour ceux qui prennent le train en marche, tout a commencé il y a deux dimanches, avec 
        ivre, le libraire livrait des livrets tôt et des librettos tard...

        Vous pouvez vous en douter, je vais d'abord vous donner la forme proto-germanique que l'on a reconstruite comme étant à la base des mots germaniques ultérieurs dont je vais vous parler ... euh ... ultérieurement.

        En l'occurrence, on ne retrouve pas un, ni deux, mais bien TROIS étymons germaniques, Mesdames, Messieurs, par qui *lubʰ- 
        enfantera dans le monde germanique !!






        Allez, allez,



        Roulez jeunesse !







        Commençons par la première...
        (parfois, moi-même je suis sidéré de mon niveau de pragmatisme)


        *lauba-. 

        À qui on attribue le sens de “feuille, feuillage”, et qui, pour être précis, descendrait d'une forme suffixée au timbre o de notre jolie *lubʰ-: *loubʰ-o-.


        (source)



        Oh, *lauba-, c'est elle qui se cache derrière ...
        • le gotique lauf,
        • le - OUIIIIII - vieux norois lauf, d'où
        • le féroïen leyv, l'elfdalien (et non “l'elfe alien”, comme l'insinue mon correcteur orthographique) lov, ou le vieux suédois lōf,
        • le vieux frison lāf,
        • le vieux néerlandais louf, *lōf, d'où, par le moyen néerlandais loef, lôof, le néerlandais loof, 
        sans qui point du succulent feuille blanche, witloof, notre chicon, que les Français, quand ils ne sont pas du nord, traitent d'endive,
        (source

        • le vieil haut-allemand loub,
        • d'où l'allemand Laub,  
        ou encore
        • le vieil anglais lēaf.

        Lēaf, qui deviendra,
        via le moyen anglais leaf, vous l'aurez compris,
        l'anglais... leaf, “feuille, feuillet, page....


        (source)


        Mais bon, on reconstruit aussi une autre forme germanique descendant de lubʰ-, cette fois par une forme suffixée lubʰ-io-: *lubja-.
        Oui, le voilà, le deuxième étymon proto-germanique du jour ...

        Par un glissement de sens que nous rapprocherons de celui des langues celtiques
        (mais relisez j'ai emprunté un livre d'André Breton. Que je lis au jardin. Excellente médecine !, enfin !),
        notre *lubja- signifiait “herbe”, mais aussi ... “potion”.


        (source)

        Quant aux mots germaniques que nous lui devons...



        (source)






        Ah, mes enfants, ils nous racontent une histoire ! 









        Ils nous plongent dans un monde passé où l'on se soignait certes par les plantes, mais où le guérisseur, la rebouteuse, étaient rapidement considérés comme des suppôts du diable, des ensorceleurs, des sorcières...


        (soure)


        Car si de *lubja- nous arrive le ... vieux norois (YESSS YESSS YESSS!) lyf, “médecine, herbes médicinales
        - d'où l'elfdalien lyv, “remède”, ...
        ... c'est toujours bien de *lubja- que descendent...
        • le vieil anglais lyb, lybb,“médecine, drogue, mais aussi ... poison, charme”,
        • le gotique lubja-leisei, “sorcellerie”, ou
        • le vieux haut-allemand luppi, “poison, sorcellerie”.


        Édifiant ! Et qui vous donne de méchants frissons dans le dos...


        le bûcher
        (source)


        Très curieusement, le germanique *lubja- se retrouve aussi dans le moyen néerlandais lubbe, et dans l’alémanique lupp

        C'est à ce moment que vous me direz oui, et alors ??? 
        Parce qu'il faudra bien que tu finisses par t'en rendre compte, hein, que le moyen néerlandais lubbe, et l’alémanique lupp, si tu savais comme on s'en tamponne ; d'ailleurs tu peux franchement te les carrer (...)

        Et je pourrais presque vous donner raison...
        (même si n'allant pas jusqu'à me les carrer (...

        Certainement, je peux aisément comprendre votre profond désintérêt pour le moyen néerlandais lubbe et l’alémanique lupp, mais ce qui est vraiment curieux, c'est que ces deux mots ne désignent nullement une plante médicinale, ou la sorcellerie ! 

        Mais plutôt... 

        La présure !

        La présure ???
        Substance extraite de la caillette des jeunes ruminants nourris de lait, qui contient une diastase coagulante dont on se sert pour faire prendre, cailler le lait.
        (oh merci, © Le Grand Robert de la langue française)








        - Ah ben ça ! Ben mon cochon !
        - Oui, on peut certes exprimer son ébahissement, son effarement de la sorte; c'est en effet, et à tout le moins, fort curieux.

        Il semble en fait que ce très surprenant glissement de sens soit lié au rapprochement que l'on faisait entre fabrication du fromage et sorcellerie ...
        Bon, oui, j'avais il n'y a pas si longtemps évoqué le fameux “anke”, dialecte bernois pour beurre, prononcé - c'est important - ankrrr.
        vous voulez l'extrême-onction, avant le kouign-amann?
        Mais jamais je n'y aurais vu la moindre sorcellerie !?

        Mais voilà, encore une fois, au détour de l'étymologie d'un mot, paf, vous plongez la tête la première dans un tunnel temporel et vous vous retrouvez, abasourdi, devant un monde disparu, où la réalité ne se percevait pas de la même façon qu'à notre époque...

        Oui, visiblement, cette coagulation du lait qui allait donner le fromage était perçue comme quelque chose de magique, probablement parce qu'on ne comprenait pas vraiment le phénomène, qui se produisait parfois mal, parfois bien, sans raison apparente...

        Mais surtout, sans lequel vous n'aviez tout simplement pas de fromage ! À manger, ou à vendre... Et là, on ne rigolait plus.


        Lizanne Henderson,

        dans son

        Witchcraft and Folk Belief in the Age of Enlightenment: Scotland, 1670-1740,


        Lizanne Henderson, de l'Université de Glasgow,
        que vous pouvez également suivre sur Twitter:
        https://twitter.com/hlizanne





















        raconte que fin du XVIIème, dans les Hébrides, il était communément admis que des paysannes étaient capables d'agir, par un sort ou tout autre moyen secret, sur la qualité du lait des vaches de leurs voisines, pour qu'il ne puisse produire autant de beurre que d'ordinaire, et que le lait caillé était alors trop dense pour permettre au fromage de se solidifier, entendez de coaguler correctement.  


        Il y avait cependant une façon simple et irréfutable de confondre la coupable: on prélevait un peu de présure chez chacune des suspectes
        (enfin, je veux dire dans la ferme de chacune des suspectes),
        chaque échantillon étant ensuite versé et mélangé dans une coquille d'oeuf remplie de lait. 

        Si des caillots apparaissaient dans un des mélanges, bingo !, on tenait l'ensorceleuse !




        Quelques lignes plus haut, nous mentionnions ...
        • le vieil anglais lyb, “médecine, drogue, potion, et
        • le vieux haut-allemand luppi, “poison, sorcellerie”.
        Eh bien, on retrouve encore plus clairement ce côté magique qu'avait la fabrication du fromage - et particulièrement l'étape de la coagulation du lait caillé - dans un de leurs composés respectifs,
        • le vieil anglais cīes-lyb
        - qui deviendra le moyen anglais cheslip, puis l'anglais cheeselip -,
        et 
        •  le vieux haut-allemand kāsi-luppa
        - qui deviendra lui le moyen haut-allemand kǣselap -,

        tous deux construits sur un premier terme signifiant fromage
        - tiens, relisez donc Maître corbeau, sur un arbre perché... -,
        tous deux pouvant se traduire littéralement par potion/sorcellerie du fromage,

        et tous deux, enfin, désignant précisément... la présure !

        La forme anglaise pouvant, en plus, désigner aussi la caillette, le...
        quatrième compartiment de l'estomac des ruminants, où se trouve la présure. La caillette joue le rôle essentiel dans la digestion des jeunes ruminants à l'allaitement. 
        MERCI ©Le Grand Robert de la langue française !


        Mais encore un dernier mot sur notre 
        *lubja- germanique, “herbe, potion”...

        Vous pouvez aisément rapprocher le sens et la forme de l'étymon germanique *lubja-, “herbe, potionde ceux de l'étymon celtique *lubī/ā-, “herbe, plante”.
        (relisez le dimanche de la semaine dernière, dètcheu !)
        Au point qu'on peut carrément parler, ici, d'une isoglosse
        - un trait linguistique séparant une zone géographique d'une autre -
        germano-celtique (ou celto-germanique?).

        On suppose que c'est du germanique que le mot et son sens sont passés au celtique, et non l'inverse, vu le lien étymologique étroit qui liait déjà *lubja- avec cet autre germanique qu'est *lauba-.

        Mais sachez quand même qu'il a également été suggéré que *lubja- et *lauba- pouvaient tous deux n'être que des emprunts à l'ouralien (donc non-indo-européen) *luppo-, dont descend le finnois luppo-, “lichen”. Bof.





        Il nous reste encore un troisième étymon germanique à voir !!

        Réservons-le pour dimanche prochain ; je vous ai déjà bien remués cette fois-ci... 


        Il risque de vous plaire, cet étymon... et de vous étonner ...
        Jamais vous ne penseriez à ses descendants ; jamais vous n'imagineriez qu'ils sont apparentés à notre livre !



        Bon, récap ?


        racine indo-européenne 
        *lubʰ-peler (écorcer)


        forme suffixée au timbre o *loubʰ-o-
        proto-germanique *lauba-, “feuille, feuillage
        néerlandais loof, allemand Laub, anglais leaf..., “feuille

        -------

        racine indo-européenne *lubʰ-peler (écorcer)” 
        forme suffixée lubʰ-io-
        proto-germanique *lubja-herbepotion
        vieux norois lyf, “médecine, herbes médicinales”, elfdalien lyv, “remède”, vieil anglais lyb, “médecine, drogue, potion”, gotique lubja-leisei, “sorcellerie”, vieux haut-allemand luppi, “poison, sorcellerie”, néerlandais lubbe et alémanique lupp, présure



        Et TOUS ces mots sont les cousins de notre français livre, ne l'oubliez pas ...

        - Mais c'est DIIINGUE !

        - Oui, mais là on se calme. Et on n'approche pas ses mains de mon corps.


        Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une superbe semaine !

        À dimanche prochain, 




        Frédéric



        PS: dans ces articles, les passages de texte en bleu, vous l'aurez compris, traitent d'éléments de linguistique.


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        Attention,
        ne vous laissez pas abuser par son nom:
        on peut lire le dimanche indo-européen
        CHAQUE JOUR de la semaine.
        (Mais de toute façon,
        avec le dimanche indo-européen,
        c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
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        Et pour nous quitter
        - et ça vaut bien un fromage -, 

        La divine mezzo-soprano Frederica von Stade,
        dans 
        Le chant à la Lune, 
        tiré de Roussalka, d'Antonin Dvořák

        Parlez donc de magie, d'une voix envoûtante, d'une enchanteresse...






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        Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, Hein ? Vous pouvez par exemple...
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