- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 11 novembre 2018

D'interstice à armistice, il n'y a qu'un pas. De l'oie.




In Flanders fields the poppies blow
Between the crosses, row on row,
That mark our place; and in the sky
The larks, still bravely singing, fly
Scarce heard amid the guns below.
We are the Dead. Short days ago
We lived, felt dawn, saw sunset glow,
Loved and were loved, and now we lie
In Flanders fields.
Take up our quarrel with the foe:
To you from failing hands we throw
The torch; be yours to hold it high.
If ye break faith with us who die
We shall not sleep, though poppies grow
In Flanders fields.


In Flanders Fields,
John McCrae.


(Dans les champs de Flandre, les coquelicots fleurissent
Entre les croix qui, une rangée après l'autre,
Marquent notre place ; et dans le ciel,
Les alouettes, chantant valeureusement encore, sillonnent,
À peine audibles parmi les canons qui tonnent.

Nous, les morts, il y a quelques jours encore,
Nous vivions, goûtions l'aurore, contemplions les couchers de soleil,
Nous aimions et étions aimés ; aujourd'hui, nous voici gisant
Dans les champs de Flandre.

Reprenez notre combat contre l'ennemi :
À vous, de nos mains tremblantes, nous tendons
le flambeau ; faites-le vôtre et portez-le bien haut.
Si vous nous laissez tomber, nous qui mourons,
Nous ne trouverons jamais le repos, quand bien même les coquelicots fleuriront
Dans les champs de Flandre.)




John McCrae, né le 30 novembre 1872 dans l'Ontario, était médecin Lieutenant-Colonel au sein des Forces Expéditionnaires Canadiennes, et participa en tant que chirurgien militaire à la seconde bataille d'Ypres.


Il est mort d'une pneumonie le 28 janvier 1918, à Boulogne-sur-Mer.




Bonjour à toutes et tous !




*(s)ker-couper”.


Cette jolie racine indo-européenne est évidemment à l'origine de l'elfdalien stjärå, “couper”, mais aussi

- et toujours par le germanique *skeran-couper” -,
l'illustre ancêtre de l'anglais shear, “tondre, arracher...”, ou encore de l'allemand scheren.

Le français lui doit aussi

- tout cela, nous l'avons découvert la semaine dernière -
déchirer. 
le rock aussi, ça déchire




Je vous propose de poursuivre, en ce 11 novembre 2018,

triste centenaire de la fin d'abominables hostilités qui ont coûté la vie à plus de dix millions d'hommes, militaires ou civils,
notre étude de cette racine *(s)ker-, en en retrouvant encore quelques autres jolis cognats germaniques ou autres...

Mwouiii.



Mais disons-le tout net, et de but en blanc

- vous aurez la bienveillance de me pardonner le caractère ex abrupto de cette remarque -
ce n'est pas parce que le champ sémantique du germanique *skeran- et de son dérivé l'anglais shear pourrait inclure la notion de raser que l'anglais shave , ou l'allemand schaben“raseront un quelconque rapport avec notre aimable *(s)ker-.

RIEN À VOIR.


Non, ils proviennent d'une racine *(s)kep-

(ou *skh2bh-e- si vraiment vous préférez les retranscriptions avec laryngales - relisez ceci à vos risques et périls si vous voulez en savoir plus: Un coup de souvláki et on se retrouve avec des points de suture. C'est cousu de fil blanc.),
qui devait signifier plus précisément “raser, érafler, gratter...

Si vous êtes gentils, peut-être en parlerons-nous bientôt.



Sur ce, revenons à *(s)ker-couper”, et même - soyons fous - à son dérivé proto-germanique *skeran-couper”.


Car nous retrouvons de très beaux cognats de *skeran- ailleurs. J'entends par là hors du groupe germanique... 


Comme en ... vieil arménien ! Avec քերեմ, kʿerem, “gratter”.



Ou alors, dans les langues... celtiques ...

Voyons... je pourrais vous donner, comme pendant au germanique*skeran-couper”, le celtique *skara-, diviser, séparer”.

Dans le sous-groupe gaélique, il a notamment donné le vieil irlandais scaraidtrancher, écarter...”, voire déplier...”.


D'où, par exemple, les composés ...

  • com- + scaraid ⇒ conscara, détruire, abattre, tuer...” 
(et OUI, aaaaargh !!!! ce com vieil-irlandais vient, via l'étymon proto-celtique *kom-, de la racine indo-européenne *kom-, “avec”),
  •  to- (vers, vis-à-vis...” ) + scaraid ⇒ doscara, renverser, faire / laisser tomber, lâcher...”, d'où l'irlandais moderne treascair, renverser...”,
ou encore
  • etar- (cognat du latin inter, et de sens équivalent: “entre...” ) + scaraid ⇒ etarscara, “séparer, diviser”.
Sachez également que sans ce brave vieil irlandais scaraid, point il n'y aurait d'irlandais moderne scar ou de gaélique écossais sgar“séparer, couper, trancher...”.

Dans la branche brittonique, notons le

OUI, OUI, OUIIIIIIIIIII !!!!! 


moyen gallois 
Aaaaaaahhh...


yscar, ysgar, “séparer, couper, trancher...”, d'où le gallois moderne ysgar, qui, sous forme verbale, signifie “séparer, couper, et en tant que substantif, séparation...”.

Sachez enfin que le substantif gallois ysgariad signifie “séparation, divorce.



Alors, oui... 


Il faut y passer.

Il le faut.

Je me sens à présent tenu, obligé, en regard de certain(e)s désormais fidèles du blog, plutôt originaires de Nantes, ou de Quimper - vous situez, par là ? - de vous présenter les dérivés bretons du proto-celtique *skara-, diviser, séparer”.


Comprenez-moi bien: je n'ai pas le choix. 

Moi et mon libre-arbitre, sur ce coup-là, ça fait deux
Au point qu'un Gallois parlerait volontiers de ysgariad entre moi et mon libre-arbitre, c'est vous dire.

Alors, en breton!





Nous retrouvons *skara- en moyen breton... 

Où le verbe discar signifiait diviser, couper, trancher...”, où le substantif diskar, skar, désignait, lui, ... l'interstice.

Skar, qui signifie toujours, en breton moderne, interstice”.




interstice
(source)


Et cela sera le mot de la fin.

Car de interstice à armistice, il n'y a qu'un pas, ou quelques petits pas. 
De l'oie, parfois aussi, je vous le concède... 


Exercice du jour:
Sur feuille libre, montrez en quelques lignes qu'il n'y a qu'un pas entre interstice” et armistice”.
Copie à rendre en commentaire sur le blog ou sous sa publication sur Facebook.

Eh oui, l'Histoire n'est souvent faite que d'une succession de petits pas.

Exemple (à ne pas suivre):
Le socle de l'entente entre les peuples et nations peut, en quelques pas, se lézarder, se fissurer, sous la pression des nationalismes et autres mouvements de repli identitaire.
Dans ces lézardes, dans ces interstices s'insinuent alors des choses nauséabondes ; du nationalisme, on passe vite au fascisme (ou assimilé), de la peur de l'autre, à la noirceur des idées, puis à l'hostilité.
De l'hostilité ... aux hostilités
Du fascisme, un petit pas - de l'oie, bien sûr -, et hop, on déborde des frontières. 
Et c'est la guerre. 
Allez, encore un grrrrrrrand pas, cette fois, et ce sera enfin l'armistice.



N'oublions pas qu'au vu de son étymologie, la paix n'est que le résultat d'un traité, la paix n'est pas l'état premier, un idyllique état d'avant”, mais ne se conquiert au contraire, au prix d'un pénible processus, que par la guerre...

Dans ce blog, nous avons parlé des étymologies de guerre, de paix, et d'armistice, ici:


Dernièrement, Harry Leslie Smith, un illustre vétéran anglais de la R.A.F., qui ne mâche pas vraiment ses mots, écrivain, féroce antimilitariste et très actif sur twitter, a joliment mouché une dame bien-pensante qui le prenait pour un écervelé, car il clamait sur le réseau social que ...

Plutôt qu'arborer un poppy
- un coquelicot, le symbole de ceux qui sont morts pour la patrie, depuis le poème de John McCrae -
à la boutonnière pour le Jour du Souvenir 2018
- coutume toujours très vivante notamment au Canada et en Grande Bretagne -,
c'est notre honte que nous devrions afficher, car, en tant que race humaine, nous n'avons rien appris depuis 1918.




Le commentaire d'une certaine Joanne Offord :


Harry, de courageux jeunes hommes sont morts pour que vous puissiez avoir la liberté de débiter vos âneries. Ayez un peu plus de respect.

S'ensuivit la réponse cinglante du vétéran :




Hum, voilà une photo de moi en 1941, en uniforme de la RAF. Alors, comme nous le disions dans les rangs à l'époque: - faut-il vraiment le traduire ? - Va te faire foutre, Hitler.




Allez, une p'tit' récap', et on se quitte.



racine indo-européenne *(s)ker-“couper, découper”
proto-germanique *skeran, couper”

dérivés germaniques, dont vieil anglais scieran, “couper, raser...”

moyen anglais sheren, scheren
anglais shear, “tondre, arracher...”. 

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racine indo-européenne *(s)ker-“couper, découper”
vieil arménien քերեմ, kʿerem, “gratter..... 

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racine indo-européenne *(s)ker-“couper, découper”
proto-celtique *skara-, diviser, séparer”

vieil irlandais scaraidtrancher, écarter, déplier...”

irlandais moderne scar, gaélique écossais sgar“séparer, couper, trancher...”

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racine indo-européenne *(s)ker-“couper, découper”
proto-celtique *skara-, diviser, séparer”

moyen gallois yscar, ysgar, “séparer, couper, trancher...”

gallois ysgar “séparer, couperséparation...”, gallois ysgariad, “séparation, divorce

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racine indo-européenne *(s)ker-“couper, découper”
proto-celtique *skara-, diviser, séparer”

moyen breton discar, diviser, couper, trancher...”, diskar, skar, “interstice” 

breton skarinterstice”


Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une très, très belle semaine !

À dimanche prochain, pour la suite des aventures de notre vaillante 
*(s)ker- ...




Frédéric














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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
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Et pour nous quitter, 

Imagine, de, et par John Lennon




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Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, Hein ? Vous pouvez par exemple...
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2 commentaires:

Unknown a dit…

Cher ami et érudit,

Vous écrivez :
à l'origine du verbe anglais to blow, du moins celui qui signifie “éclore, fleurir, s'épanouir...”, à ne pas confondre avec to blow, (notamment) “souffler...”.

Les deux séries, homophones en anglais, auraient-elles des étymons différents ? Comment est-on passé éventuellement de l'une à l'autre ? Parce que fleurir ferait se dilater — comme quand on. souffle dans un. ballon ? Ce que fait un soufflé en cuisine…

En fait, je prépare un article sur "blow job". Je vois bien le rapport avec l'idée de fleurir, mais mal celui avec "souffler"… Me confirmeriez-vous que l'étymon est le même — ce que semble indiquer le Wiktionary, généralement assez bien informé ?
Cordialement
JP Brighelli

Frédéric Blondieau a dit…

Bonjour, cher Jean-Paul,

Vous m'honorez par votre question !

D'après mes sources, il s'agit bien d'étymons *différents*, donc issus de racines IE *différentes*, mais... homophones (et que l'on distingue simplement par un numéro): *bʰleh- 1,2,3...

Ainsi, to blow "souffler" est un cognat du latin flō, alors que to blow "fleurir" a comme cognat le latin florēre.
S'il y a eu influence d'un sens sur l'autre, il s'agirait alors d'un phénomène très ancien, mais hormis l'homophonie, ces deux racines IE semblent n'avoir a priori aucun lien entre elles (jusqu'à preuve du contraire).

Pour ce qui est de "blow job", vous avez raison : s'y retrouve l'idée de "faire fleurir" au sens de "faire éclater de plaisir", sans lien avec le fait de souffler dans un ballon !

J'espère vous avoir aidé.

Cordialement,
Frédéric