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dimanche 24 février 2019

Je suis Brésilien, j’ai de l’or, Et j’arrive de Rio-Janeire.






Je suis Brésilien, j’ai de l’or,
Et j’arrive de Rio-Janeire ;
Plus riche aujourd’hui que naguère,
Paris, je te reviens encor !
Deux fois je suis venu déjà ;
J’avais de l’or dans ma valise,
Des diamants à ma chemise :
Combien a duré tout cela ?
Le temps d’avoir deux cents amis
Et d’aimer quatre ou cinq maîtresses,
Six mois de galantes ivresses,
Et plus rien ! ô Paris ! Paris !
En six mois tu m’as tout raflé,
Et puis, vers ma jeune Amérique,
Tu m’as, pauvre et mélancolique,
Délicatement remballé !
Mais je brûlais de revenir,
Et là-bas, sous mon ciel sauvage,
Je me répétais avec rage :
« Une autre fortune ou mourir ! »
Je ne suis pas mort, j’ai gagné
Tant bien que mal, des sommes folles,
Et je viens pour que tu me voles
Tout ce que là-bas j’ai volé !
Ce que je veux de toi, Paris,
Ce que je veux, ce sont tes femmes,
Ni bourgeoises, ni grandes dames,
Mais les autres… l’on m’a compris !
Celles que l’on voit étalant,
Sur le velours de l’avant-scène,
Avec des allures de reine.
Un gros bouquet de lilas blanc ;
Celles dont l’œil froid et câlin
En un instant jauge une salle,
Et va cherchant de stalle en stalle
Un successeur à ce gandin
Qui, plein de chic, mais indigent,
Au fond de la loge se cache,
Et dit, en mordant sa moustache :
« Où diable trouver de l’argent ?… »
De l’argent ! Moi j’en ai ! Venez !
Nous le mangerons, mes poulettes,
Puis après, je ferai des dettes :
Tendez vos deux mains et prenez !
Hurrah ! je viens de débarquer,
Mettez vos faux cheveux, cocottes !
J’apporte à vos blanches quenottes
Toute une fortune à croquer !
Le pigeon vient ! plumez, plumez…
Prenez mes dollars, mes bank-notes,
Ma montre, mon chapeau, mes bottes,
Mais dites-moi que vous m’aimez !
J’agirai magnifiquement,
Mais vous connaissez ma nature,
Et j’en prendrai, je vous le jure,
Oui, j’en prendrai pour mon argent.
Je suis Brésilien, j’ai de l’or,
Et j’arrive de Rio-Janeire ;
Vingt fois plus riche que naguère,
Paris, je te reviens encor !

Le Brésilien (rondeau),
Acte premier, scène XII de
La Vie parisienne,
opéra bouffe de Jacques Offenbach 
créé le 31 octobre 1866, 







Bonjour à toutes et tous !




Aujourd'hui... aujourd'hui, nous allons dire au revoir à cette formidable racine

*(s)ker-, “couper, découper”

qui nous a occupés pendant de si longues semaines. 
En fait, pendant presque quatre mois !
Eh oui, le tout premier article où nous l'étudiions,
c'était
j'ti jur', c't'article i' déchir sa race (bouffon), le 4 novembre de l'année passée !!!
Et comme je m'assure de vous mettre systématiquement, au bas de chaque article, le lien vers l'article suivant, vous pourriez sans heurt relire toute cette série ; ce serait une bien belle façon de rendre hommage à notre multi-millénaire *(s)ker-, “couper, découper”...


Je vous propose, en guise de bouquet final,

l'incroyable feu d'artifice de ce Nouvel-An à Londres,
résolument pro-européen, et particulièrement anti-xénophobe 


un mot qui en dérive bien, et qui pourtant n'évoque pas vraiment
- du moins à un francophone -
cette jolie *(s)ker-...

Vraiment, le mot que je vous proposerai en ce dimanche n'est pas un mot qui peut vous venir à l'esprit quand on mentionne *(s)ker-.

Même si formellement*(s)ker- lui a laissé son empreinte.


Je ne vais pas vous le jeter ainsi.



Mais non.

Je vais plutôt vous le faire deviner.



Sachez déjà qu'il s'agit d'un mot bien français, mais qui n'est, à l'origine, qu'un emprunt.


Mais il ne provient ni d'une langue germanique, ni de l'italien, de ces langues auxquelles nous avons tant emprunté...

Ne parlons même pas de langues baltiques ou slaves, ou encore plus orientales.

Pourtant, la langue à laquelle nous avons fait cet emprunt est une langue tout ce qu'il y a de plus ... indo-européenne...

Pis que ça !

C'est une langue... romane.

Et non, je n'essaie pas de vous piéger, de vous induire en erreur, rassurez-vous ; cette langue dont je vous parle, ce n'est pas le mégléno-roumain, le ligurien, le gruérien, le salentin, le végliote, l'ombrien, le romanesco, le sassarais ou autre gallurais, toutes langues parfaitement romanes mais plutôt, disons, relativement méconnues de monsieur Tout-le-Monde



(ou de madame Toute-la-Monde, osons l'inclusivité).
Encore mieux, parlons plutôt, non plus de monsieur et madame Tout.e-le/a-Monde, mais d'un quidhomme et d'une quidamme, non (non.ne)?



Avant de vous donner la langue d'origine de ce mot, je vous donne son année de création en français
- ou si vous préférez, l'année de son arrivée et altération en français -:


1880.



Vous devez connaître ce mot. Même s'il est à présent vieilli.

À vrai dire, c'est un terme qui date
OUI, il évoque bien ces années-là, les années de la fin du XIXème siècle

Où la révolution industrielle battait son plein, où le monde occidental se voyait tellement au centre du monde, où il incarnait à ce point la modernité et la civilisation, qu'il en devenait naturellement, et en toute logique et en toute naïve sincérité, xénophobe, sans même s'en rendre compte, forcément.

Ētre raciste, mais..., c'était simplement reconnaître une situation de fait !

NOUS étions civilisés, NOUS utilisions la main d'oeuvre et les matières premières des colonies pour construire nos empires industriels, NOUS faisions avancer la science, NOUS étions les détenteurs de la Seule Vraie Foi

C'est NOUS qui étions les plus forts, qui savions asservir les peuplades primitives, les indigènes, comme on disait. 

Et pas l'inverse, grand dieux ! Enfin !?
Ça prouvait quand même bien notre supériorité naturelle, non?

Alors, où en êtes-vous dans vos réflexions ?







- Réflexions ? Maisje ??...










Bon, ' pas grave, on continue...


Je vous donne la langue de départ...
 - non, il ne s'agit pas du portugais (ou du brésilien), ne prenez pas toujours à la lettre les citations en exergue... -,
... il s'agit de ... l'espagnol.


Mais... pas l'espagnol standard. Pas le castillan
Parlé dans cette zone en jaune pétant sur l'illustration ci-dessous.

(source)

Ce serait un peu trop facile.

Non non. 

Il s'agit ici de l'une des versions de cette si belle langue parlées là-bas, en Amérique du Sud.
L'argentin, ou le vénézuélien (ou un peu des deux).



Là-bas, on utilisait le mot espagnol (ou argentin/vénézuélien, si vous préférez)
- celui qu'on empruntera en français en 1880, hein ; il serait peut-être temps que vous repreniez une tasse de café ? -
pour désigner quelqu'un qui travaillait dans le commerce des cuirs.




Alors, une idée ?

Non ?

Allors, on poursuit.



Ce mot, c'était un composé.

Et il m'apparaît que c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles on ne l'associe pas aussi vite à notre chère *(s)ker-.

Car ce n'est que dans le deuxième (et dernier) terme de ce composé que vous pouvez la retrouver.


Alors ???

Non ?!  Bon.


Traduit littéralement, ce mot se comprendrait comme ... ratisse-cuir.

Et , vous avez trouvé la forme sous laquelle nous le connaissons en français !!!!

Car le mot espagnol d'origine, c'est ... (ar)rastracuero.

Rastracuero que nous avons emprunté et déformé
- tant qu'à faire, mais c'était pour des raisons euphoniques -
pour créer notre français ... 

rastaquouère !

Rastaquouère ? 
Étranger aux allures voyantes, affichant une richesse suspecte. 
Et par extension, aventurier de bas étage, individu d'allure louche. 


Oh merci, merci, ô toi ©Le Grand Robert de la langue française
Le rastaquouère de La Vie parisienne
d'Offenbach
(source)


Examinons le mot original, voulez-vous:

(Ar)rastra - cuero.

Vraiment, littéralement, “ratisse - cuir”.

Le verbe arrastrar, signifiant en castillan traîner, a subi une légère modification de sens en argentin, pour signifier ... ratisser.
Mais oui, bravo !!! Vous le saviez ? 

Arrastrar, de rastro“râteau, du latin raster, de même sens.
Et oui, merci de le préciser, vous avez parfaitement raison, c'est également de raster qu'est issu notre rateau, via son diminutif rastellus. 


Pour l'ascendance de raster, je ne remonterai cependant pas plus loin quà l'italo-celtique: considérant que le latin raster (et sa famille) ne se retrouve qu'en italo-celtique, précisément, il y a bien peu de chances que le mot soit d'origine indo-européenne.

Quant à cuero, ben oui, il provient du latin corium, dont procède notre français cuir.

Pour rappel,
Coriaces, les Corses. Des durs à cuire.


racine indo-européenne *(s)ker-“couper, découper”
forme *k(o)r-io-“arraché”
proto-italique *korjo-

latin corium, “peau, peau d'animal...”

ancien français quir (fin du XIème), puis cuir (circa 1160)
français cuir




Mais - me direz-vous avec plein de bon sens - il n'y a rien de péjoratif, dans le sens du mot original ?!
Et vous aurez parfaitement raison.

Un ratisse-cuir, là-bas, c'était donc bien un tanneur, ou, par extension, un grossiste en peaux et cuirs.

Ce qui n'a strictement rien de péjoratif.

Ce sens péjoratif, mais ... c'est à Paris que le mot, une fois emprunté, l'a reçu. 

À Paris, où de nombreux Sud-américains étalaient de manière ostentatoire leur fortune amassée dans ... le commerce des peaux et cuirs.
Tout se tient.

Ce luxe et ces manières, nous ne les associons plus, à présent, à des Sud-américains, mais plutôt
- à tort ou à raison, hein, moi, je ne prends pas parti, d'autant que je connais leur mafia et leur puissance -
à des ressortissants du pays le plus puissant de l'ancien bloc communiste.
Si vous voulez un indice, peut-être s'en trouve-t-il dans l'article de la semaine dernière, mais je ne vous ai rien dit...
En vous disant toutefois qu'on trouve également de ces spécimens dans le pays le plus puissant dit “du monde libre”.



Ce qui est amusant, c'est que le terme (ar)rastracuero, introduit en français et devenu rastaquouère avec un sens péjoratif
- je ne veux pas être méchant, mais en gros, c'est quand même ce que je viens de vous raconter pendant de longues minutes -, 
a ensuite été ré-importé en Amérique latine sous une forme espagnolisée de la version française, rastacuero, mais avec ce nouveau sens, pour désigner de même, sur place, un parvenu, ce qu'on appelle improprement un nouveau riche, quoi, quelqu'un dont les manières et les goûts - et les qualités humaines, parfois - ne se sont pas développés aussi vite et bien que la richesse...


argentin / vénézuélien (ar)rastracuero, “tanneur, grossiste en peau”
emprunt et déformation, adoption d'un sens péjoratif
français rastaquouère“parvenu...

emprunt, avec nouvelle forme et nouveau sens

espagnol sud-américain rastacuero“parvenu...


toujours l'appartement de Trump




Chères lectrices, chers lecteurs, 
Passez un EXCELLENT dimanche, et une TRES BELLE semaine !





Frédéric


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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,

bien sûr, 

L'air du Brésilien, le rastaquouère de
La Vie parisienne,

inteprété ici par

le baryton britannique Andrew Ashwin



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Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, Hein ? Vous pouvez par exemple...
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