- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 17 février 2019

Расцветали яблони и груши, Поплыли туманы над рекой...


article précédent : râpé ou pas râpé ?




Расцветали яблони и груши,
Поплыли туманы над рекой.
Выходила на берег Катюша,
На высокий берег на крутой.
(...)

"Pommiers et poiriers étaient en fleur,
Les brumes nageaient sur la rivière,
Katioucha sortait sur la rive,
Sur la haute rive escarpée.

Катюша (Katioucha),

paroles de Mikhaïl Issakovski,
musique de Matveï Blanter.


(Nous avons déjà mis ces paroles en exergue ; c'était à l'occasion de ...
elle attendait, debout sur la berge)




Bonjour à toutes et tous !



En ce beau dimanche, nous sommes toujours à la recherche, non pas du temps ...











... ou même de l'Arche ...,





















(j'ai personnellement un faible pour Indiana Jones, Proust n'ayant pas jugé opportun de sortir une version Master Digital THX de son bouquin.) 

... mais bien des dérivés perdus de la sublime racine *(s)ker-, “couper, découper”.







L'un d'entre vous m'a suggéré l'anglais ... share (portion, part...).


Alors, qu'en pensez-vous ?



c'est râpé, ou ...


... pas râpé ?


Ben... on a coutume de faire remonter l'anglais share,
via le moyen anglais schare, schere, descendant, lui, du
vieil anglais scearu, “coupure, tonsure, partie, division, partage...”,
à l'étymon proto-germanique *skarō-“division, détachement”.


Jusque là, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil.




Où ça devient légèrement plus délicat, et où on commence à sortir les armes blanches, c'est au moment où l'on s'interroge sur la parenté indo-européenne de ce si joli, si naïf, si mimi, étymon germanique *skarō-.


Il est courant...
(n'ayons pas peur des mots: plus que courant: commun, fréquent, habituel, jusqu'à en devenir banal - certains iraient même jusqu'à employer vulgaire)
... de considérer *skarō- comme issu de *(s)ker-, “couper, découper”.


Pour une fois, mes sources de prédilection n'en parlent pas. Mais alors, pas du tout.






Cependant
- suivez mon raisonnement -,
on associe volontiers *skarō- à d'autres étymons germaniques, comme ... *skarda-.

Et par là, je peux établir un lien entre *skarō- et ce que mentionnent mes sources.

Oui, oui.

Nous avons déjà parlé de *skarda-, mes amis.
Ici: Ah ! non ! c’est un peu court, jeune homme ! - Ah no! young blade! That was a trifle short!

Car c'est de lui que Guus Kroonen




- l'un des remarquables linguistes à qui l'on doit cette véritable somme qu'est le Indo-European etymological dictionary de l'Université de Leiden -,



fait dériver le - OUIIIIIIIII !!!! - vieux norois skarðr, “endommagé”, ou le vieux saxon skard, “coupé, blessé”...


Et *skarda-, selon Kroonen, provient de la racine indo-européenne...


*skerdʰ-, “hacher”.


Moi, je préfère choisir la voie ouverte par Guus Kroonen, mais je vous laisse faire votre propre choix, hein...


Mais donc, pour ma part:




*****


Vous m'avez également proposé... shirt.
L'anglais shirt, “chemise / chemisier, maillot...”.


la classe absolue

















Ou même l'anglais skirt, “jupe...”


nettement mieux...



















Alors !

Shirt nous vient du moyen anglais sherte / shürte / schirte, issu du vieil anglais sċyrte, “vêtement court, jupe ...” ; il désignait aussi une ancienne tunique féminine, une cotte...


On fait remonter sċyrte au proto-germanique *skurtijǭ-, dont le sens (reconstruit) serait “jupe, tablier ...” .

De *skurtijǭ- sont issus une chiée une série impressionnante de mots germaniques, parmi lesquels...
  • le scots schirt, shurt,
  • le vieux frison skerte, *skorte; skertel,
  • le saterlandais Skoarte,
  • le vieux saxon *skurtia,
  • L'allemand Schürze,
  • le vieux néerlandais *skurta, d'où le moyen néerlandais schorte, d'où le néerlandais schort,
  • le vieux norois skyrta, d'où, notamment, l'islandais skyrta, le suédois skjorta ou le danois skjorte
  • le scots skyrt, skirt,
et par le moyen anglais skyrte, skirte, l'anglais ... skirt.


Oui, vous l'aurez donc compris, les anglais skirt et shirt, même s'ils ne concernent pas nécessairement les mêmes parties du corps, proviennent bien de la même origine.


Mais à présent, la question qui vous taraude.
Mais d'où qu'i' vient, le germanique skurtijǭ- ?
(à ne pas confondre, évidemment, avec le français Utrillo. 
J'avoue être un peu surpris, ou même, disons-le, confondu, hébété, que vous puissiez seulement imaginer un tel rapprochement. 
C'est pour moi au-delà de l'entendement. Au-delà même de la déception.)
Maurice skurtijǭ Utrillo, Le Moulin de la Galette et le Sacré-Coeur


Mais reprenons, avec la question qui vous taraude.
Mais d'où qu'i' vient, le germanique skurtijǭ- ?

Je sais, le suspens est insoutenable.

...

...



Eh bien, le le germanique skurtijǭ- vient très vraisemblablement, 
par une forme *skurta-,
de la racine ...


*skerdʰ-, “hacher”.

Eh oui.





*****


Allez, encore une (dernière) proposition de dérivé germanique !

L'anglais, que personnellement, je trouve très beau, shore, “rivage, littoral...”.


le littoral britannique, ici, précisément, gallois


Pour en retrouver les racines indo-européennes, j'ai été fouiller cette fois dans l'incroyable Reconstructing Proto-Nostratic, 










rédigé par le brillantissime linguiste américain Allan R. Bomhard,










qui occupe deux volumes du Indo-European etymological dictionary de l'Université de Leiden (qui compte à ce jour dix volumes).


Si vous vous demandez ce qu'est le proto-nostratique, sachez déjà que vous êtes normal.
Car les autres, les fêlés de langues reconstruites, eux, ces grands malades, le savent déjà.

Le proto-nostratique est un peu au proto-indo-européen ce que le chocolat noir 96% est au chocolat au lait...

Les vrais amateurs, les malades de chocolat, ceux qui pourraient NE JAMAIS MANGER QUE du chocolat, chaque jour de leur vie
(et je sais de quoi je parle),
passent un jour, irrésistiblement, du classique chocolat au lait à celui-là, amer, noir, intense, corsé, puissant, d'une texture dense et soutenue, qui représente à leurs yeux la quintessence du chocolat.











On retrouve, pour user d'un vocabulaire de psychologie, le même schéma chez les amateurs de whisky
(et je sais aussi de quoi je parle).


Ils commencent leur apprentissage par des Single Malts racés, fruités, élégants, fins, délicats, pour terminer invariablement par sombrer dans les Islay les plus iodés, fumés et tourbés qui soient, ceux dont on fait le tarmac des autoroutes, que l'on rajoute à la teinture d'iode quand elle sent encore un peu trop la teinture

Ceux qui, rien que par les émanations de votre verre, font lamentablement regretter aux non-fumeurs de vous avoir interdit de savourer en leur compagnie un Cohiba, ou un Montecristo.










Si le proto-indo-européen est une langue hypothétique, alors que penser du proto-nostratique ?

J'en parlais ici, le 6 janvier 2013: 
Patrick, père et patron, un vrai patriote
Car nostratique est le nom (littéralement qui nous appartient, de chez nousque l'on donne à cette proto-langue parlée il y a plus de 10.000 ans !!, dont proviendraient ...les langues indo-européennes, ouraliennes, altaïques, caucasiennes du Sud, et chamitosémitiques.

(source)



Il s'agit donc de la (proto-)langue dont provient notre cher proto-indo-européen, sa langue-mère, si si!


Tout ça pour vous dire que c'est Allan R. Bomhard qui me donne la clé de l'étymologie de l'anglais shore.


Pour lui, shore provient de la racine indo-européenne *kher-“bord, rivage, berge...”.

À son actif, notamment des dérivés en...
  • avestique: karana- fin, frontière, rivage”, 
  • farsi: karān, rivage, côté”,
  • lituanien: krãštas, bord, frontière, rive... et krañtas, “berge, littoral”,
  • letton (mais l'est-on vraiment?): krasts, rivage, berge et krants,falaise”,
ou encore en
russe: крутой, kroutóilj”, “raide, escarpé”.

Comme dans ce vers de Katioucha
На высокий берег на крутой, 
littéralement,
Sur (la) haute rive(,) sur (la rive) escarpée.
Et donc,
ben ouais, 
point ici de *(s)ker-, “couper, découper”, mais bien la (très) jolie

*kher-, “bord, rivage, berge...”.


Autrement dit:




Oui, encore une fois, rien n'est jamais simple, en linguistique historique comparée...

Et les apparences sont, bien souvent, ...






















... trompeuses...








Chères lectrices, chers lecteurs, 

Passez un EXCELLENT dimanche, et une TRES BELLE semaine !





Frédéric



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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,

Katioucha, bien sûr !


Bon, cette version est sympa, oui,
mais moi, je préfère nettement le charme slave de... 

Татьяна Буланова, Tatiana Bulanova.

(mais bon, on n'se refait pas)




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Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, Hein ? Vous pouvez par exemple...
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2 commentaires:

Unknown a dit…

Bonjour/bonsoir et bonnenuit tant que nous y sommes.
Je découvre votre blog avec bonheur et tachycardie.
Une remarque cependant : Katioucha. C'est une chanson sentimentale, triste et douce. Une chanson de guerre, d'amour et de vaillance.
Les nombreuses interprétations que l'on trouve sur Youtube sont, à mon avis, toutes aussi mauvaises et vulgaires les unes que les autres. Je frémis en me rappelant l'abominable "kazatchok" de Rika Zaraï et de Régine dite Réginskaya quand elle avait ouvert cette "boîte".
Je cherche une version qui me plairait et, si je ne trouve pas, je l'enregistrerai moi-même, avec mes moyens antédiluviens et la mettrai sur Youtbe. NA !
Veuilles croire, Maître, à ma haute considération.

Frédéric Blondieau a dit…


Bonjour, Grand merci pour votre appréciation, et votre commentaire ! Ah, Katioucha ! Je me permettrais de poursuivre en précisant que c'est peut-être par le fait même de sa nature sentimentalo--militaro-nationaliste, qui n'hésite pas à mélanger l';amour inter-personnel et celui plus criticable de "la patrie par dessus tout" que cette chanson fait apparaître une certaine vulgarité chez ceux qui l'interprètent: il leur suffit de "s'y baigner", de s’inbiber de ce qu'elle représente profondément... J'avoue que je n'ai pas fait le tour de Youtube, mais on doit pouvoir la trouver ailleurs ! Etudiants, nous la chantions, et je l'adorais. Mais nous ne nous attachions pas à sa nature profonde... Ou plutôt, nous nous en écartions... Alors non, pas de "Maître", même avec humour. Je n'aime déjà pas qu'on m'appelle "Monsieur"... Bonne journée !