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dimanche 5 mai 2019

"C'est lord Elgin qui a fait ouvrir ce monument et déblayer les terres" - Chateaubriand







Les froments sont les plus beaux que l’on puisse voir ; ils ont des feuilles larges comme des roseaux. Ce qui n’est pas emblavé en céréales, blé ou avoine, est occupé par des maïs ou par la jachère ; pas de fermes éparpillées dans les campagnes. Les maisons des cultivateurs sont groupées dans les villages. C’est le Dorf-system, comme disent les économistes allemands.


 Émile de Laveleye,

La Péninsule Des Balkans, tome I
Sur Gallica


Émile de Laveleye,
économiste, historien et professeur belge
(1822 – 1892)






















Bonjour à toutes et tous !


Où l'on poursuit notre étude des dérivés de la si jolie - et si prolifique - racine indo-européenne...

*bʰleh-, “fleurir, s'épanouir”.





Cette si charmante racine, nous l'avons vu, nous a donné (notamment) notre fleur.

🌼

racine indo-européenne *bʰleh-, “fleurir, s'épanouir”
forme nominale *bʰleh-ōs-“en floraison”, d'où “fleur”
proto-italique flōs(-), “fleur”
latin flōs, flōris, “fleur”
accusatif flōrem
ancien français flor, flur (fin du XIème)
français fleur

🌻



Mais aussi,
par le proto-germanique *blōan-“fleurir, s'épanouir, croître...”,
l'anglais blow, “éclore, fleurir, s'épanouir...”, ou même l'anglais blead, “fruit, fleur, résultat

🌼

racine indo-européenne *bʰleh-“fleurir, s'épanouir

proto-germanique *blōan-“fleurir, s'épanouir, croître...”

vieil anglais blōwan, “fleurir, s'épanouir...”
moyen anglais blowen, blowe...
anglais moderne blow“éclore, fleurir, s'épanouir...”

🌸

racine indo-européenne *bʰleh-“fleurir, s'épanouir

proto-germanique *blōan-“fleurir, s'épanouir, croître...”

proto-germanique *blōdi-, “fleur, floraison...”
vieil anglais blēd, blǣd, “pousse, branche, fleur, fruit...”
moyen anglais blede, bled
anglais moderne blead, “fruit, fleur, résultat

🌹

Et enfin
- soyons fou -,
nous lui devons notre français blé, toujours, toujours via l'étymon germanique *blōan-“fleurir, s'épanouir, croître...”.


🌻

racine indo-européenne *bʰleh-“fleurir, s'épanouir

proto-germanique *blōan-“fleurir, s'épanouir, croître...”

proto-germanique *blōdi-, “fleur, floraison...”
vieux francique *blād, produit de la terre
 
latin médiéval bladumblada“moisson, produit d'un vignoble” (fin du VIIème)
ancien français blet“céréales, blé”
moyen français, puis français blé

🌸



Pour ce dimanche,
auquel je n'ai hélas pu consacrer tout le temps voulu,
je vous propose de parcourir d'autres mots bien français, toujours dérivés de la délicieuse *bʰleh-“fleurir, s'épanouir”, mais pourtant issus du germanique...


Mais rappelez-vous déjà 
et sinon, relisez 
“Terre noire fait bon blé.” (Proverbe auvergnat),
qu'à côté de l'ancien français blet“céréales, blé”, existaient encore 

  • une forme blef
et une forme féminine...
(personnellement, j'aime beaucoup les formes féminines)



  • ...blée,
toutes deux désignant un champ de blé.



(source)



Notez par ailleurs que l'on rencontrait une variante à blef :
blave (XVIème). 
🌻

racine indo-européenne *bʰleh-“fleurir, s'épanouir

proto-germanique *blōan-“fleurir, s'épanouir, croître...”

proto-germanique *blōdi-, “fleur, floraison...”
vieux francique *blād, produit de la terre
 
latin médiéval bladumblada“moisson, produit d'un vignoble” (fin du VIIème)
anciens français blet“céréales, blé” et blef / blave, blée, champ de blé
moyen français, puis français blé

🌸


Mais... poursuivons.
Sur blé se créera aussi,
et tout naturellement, et en toute simplicité, ajouterais-je,
un verbe pour “ensemencer en blé”: bléer.


Oh, bléer existe toujours, mais son emploi s'est raréfié.

Au profit de son synonyme, créé sur blef, blave, ... emblaver, attesté en 1242.



Emblaver ?
En agriculture, et au sens propre, ensemencer une terre en blé. 
Et puis, toujours en agriculture, mais par extension, ensemencer avec toute autre graine de céréale.

Précisons-le
- mmmh, ça pourrait être intéressant pour la suite -,
à côté du verbe simple bléer, aura vécu le temps que vivent les blés une variante emblaer, toujours formée sur blé, mais elle aussi froidement évincée par emblaver.


Le résultat, la conséquence logique de l'ensemencement d'un champ en blé, ben, c'est la récolte (de blé, on suit).

Sur emblavure s'était créé à cet effet, et attesté en 1355, ambleure.

Ambleure, qui sera sup... planté par ... emblavure (début du XVIème), dont le sens évoluera et se fixera fin du XVIIIème, pour devenir terre ensemencée de blé.

Le mot est toujours bien actuel, même si son sens s'est quelque peu généralisé:
Terre ensemencée, notamment par le blé.

Mais la vie est parfois surprenante...
L'ancienne variante déchue de emblaver, emblaer, voyez-vous, n'a pas tout à fait disparu. 

Elle a certes donné l'ancien français emblayement, emblaiment, pour “moisson, récolte”, mais 
à son tour, emblayement, emblaiment a irrémédiablement disparu de notre vocabulaire.

De notre vocabulaire...

De NOTRE vocabulaire...

car... le mot est passé à l'anglais,
nettement plus conservateur que le français,
pour devenir,
et attesté en 1485,
l'anglais emblement, qui désigne à présent, en common law, dans un sens désormais (très) spécialisé,
les récoltes annuelles produites par des terres cultivées appartenant légalement au locataire d'un champ, et considérées comme sa propriété.


Enfin, le décidément tenace et courageux emblaer a encore eu la présence d'esprit, avant de nous quitter, de nous léguer un autre verbe - français, cette fois -, attesté en 1241 sous la forme ...remblaer.

Remblaer, qui donnera, à partir du XVIIIème, ...remblayer !

Oui oui, vous lisez bien, remblayer, notre remblayer:
Apporter des terres, du gravois, pour combler un creux ou pour exhausser un terrain.


l'inénarrable Fernand Ucon









 - Mais enfin !!! Qu'est-ce que tu nous racontes encore là, Blondieau ? 









- Oh, Monsieur Ucon, comment allez-vous ? Toujours la santé, à ce que je vois?



Oui, je vous l'accorde, le sens du mot a considérablement évolué...

De son sens premier de bléer, donc ensemencer en blé, il en est venu, par métaphore, à signifier encombrer, couvrir, charger, ... comme un champ semé de blé... !

Quant à son déverbal remblai (fin XVIIème), il désignera tout d'abord l'action de remblayer.
Ce n'est qu'à partir de la moitié du XVIIIème qu'il prendra son sens moderne, de “terres rapportées”.


Même plus que surprenante évolution sémantique pour un autre dérivé de blé, construit, lui, avec le privatif dé-...

Oui ! D'abord (1265) sous la forme desbleer, notre déblayer
- c'est bien de lui qu'il s'agit -,
d'un sens original de moissonner, récolter le blé”, en est venu à signifier “enlever la terre, les décombres...”, sans plus la moindre association avec le blé.


la terre, les décombres, mais aussi la neige...


Et pour ce qui est de déblai, déverbal de déblayer, il n'est que la réfection de desblée (1265), qui désignait l'action de déblayer, et désignera plus tard - et au pluriel - les terres enlevées, les décombres.


(Merci, merci, ô Alain Rey !)



Je vous avais parlé de surprises...


J'espère vous avoir ... comblés !




Chères lectrices, chers lecteurs, 

Merci de me lire, merci de votre fidélité, merci de vos commentaires.

Je vous souhaite un EXCELLENT dimanche, et une très heureuse semaine !




À dimanche prochain !





Frédéric

PS: dans ces articles, les passages de texte en bleu, vous l'aurez compris, traitent d'éléments de linguistique.


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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

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Et pour nous quitter,

Une merveilleuse version, intimiste, de la variation IX, Nimrod, des
Enigma Variations, de Elgar...

Écrite comme une ode au countryside, à la douce campagne anglaise, si chère à mon coeur.


Mais que c'est beau...
Beau à en être poignant...



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