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dimanche 26 mai 2019

Eyes Wide Shut, version tokharienne







Alice Harford:

I do love you and you know there is something very important we need to do as soon as possible.


William Harford:

What's that?


Alice Harford:

Fuck.




Dialogue entre Alice (Nicole Kidman) et William Harford (Tom cruise),
le couple au centre de l'intrigue de Eyes Wide Shut, 
chef d'oeuvre de Stanley Kubrick, 1999






















Bonjour à toutes et tous !


En ce dimanche d'Élections,
où peut-être comme moi, vous savez clairement pour qui vous n'allez pas voter, mais que vous ne savez toujours pas pour qui vous voterez, tant le paysage politique n'a jamais été aussi pauvre 
prenons un grand bol d'air frais, inspirons, inspirons...

Et
- dit en belge -,
vous savez quoi ? Le tokharien va nous y aider.


Eh oui !

Ça faisait longtemps, non, que nous n'avions plus parlé de tokharien...


L'article de ce dimanche sera doublement important. 

Car il y aura certes du tokharien au menu, mais aussi... parce qu'il s'agit du dernier article que nous consacrerons à la jolie racine indo-européenne...

*bʰleh-“fleurir, s'épanouir”.




Non, il n'y a pas de mais, c'est comme ça.




Alors ouiii, d'accord, j'aurais encore pu vous parler de tous les dérivés qu'on lui a prêtés
- et il y en a encore un paquet -,
mais dont la filiation avec *bʰlehest à présent remise en question, ou n'a vraiment jamais été très assurée, de toute façon.

Quoi ?

Que dites-vous ?
Ah oui: des exemples ?

Oui oh, pourquoi pas.



Je pourrais vous citer, voyons...
  • le grec ancien φύλλον, phúllon“feuille, feuillage, plante”, ou 
  • le latin folium, “feuille, pétale...”.
Ou même
- ce troisième étant un cognat probable des deux premiers -
  • le proto-celtique *belyo-, “arbre”, qui donnera le moyen irlandais bilegrand arbre, grand tronc...

Je pourrais encore vous donner...
  • le vieil irlandais blár et le gallois blawr,gris”... Carrément.


Mais bon, comme je vous le disais, je ne suis pas certain (du tout !) de leur parenté avec *bʰleh-.



En revanche...

Oui, il y a vraisemblablement deux dérivés tokhariens à notre *bʰlehsi gentille:

le tokharien A pält et son équivalent en tokharien B, piltafeuille, pétale”.


Et c'est,
comme toujours (ou en tout cas bien souvent),
sur les travaux de Douglas Q. Adams 

Douglas Q. Adams 

que je me fonde, pour les affaires tokhariennes... 

A dictionary of Tocharian B,
Douglas Q. Adams,
Leiden Studies in Indo-European


- Le tokharien, mais qu'est-ce que c'est ?

- Vous êtes nouveau, vous, ici, hein ? Bienvenue, alors ! 

Lisez donc la rubrique Éléments de linguistique, accessible par le menu du blog ; je viens d'y ajouter une entrée ô combien intelligemment dénommée Tokharien.

Or donc !

Le tokharien A pält et son équivalent en tokharien B, piltafeuille, pétale”...


Ah oui, j'ai encore une chose à vous dire.

Je devais, avant de les aborder, ces pält et pilta, vous avoir parlé du proto-germanique *blada-“feuille, pousse”, et de ses dérivés, au nombre desquels citons...
  • le vieil anglais blæd, “feuille... 
ou (soyons fou)
  • le vieux haut-allemand blat, de même sens.


Ce fut chose faite dimanche dernier, 

racine indo-européenne *bʰleh-“fleurir, s'épanouir
proto-germanique *blōan-“fleurir, s'épanouir, croître...”
proto-germanique *blada-“feuille, pousse”
dérivés au sens de “feuille



Pourquoi était-ce si important ?
(de vous présenter d'abord ces dérivés germaniques, hein. Vous êtes sûr que vous ne voulez pas reprendre un peu de café noir, mmmh ?)



























Parce que ce sont précisément ces dérivés germaniques qui sont les plus proches de ceux que je vous présente aujourd'hui, en tokharien.

Quelle belle transition, ne trouvez-vous pas ?



Oui, vous suivez toujours ?


Alors !

Nous trouvons donc en tokharien,
  • le tokharien A pält et
  • le tokharien B pilta,
tous deux désignant la feuille, le pétale.



On les fait remonter à un étymon proto-tokharien, *pältā-, descendant d'une forme suffixée du degré zéro de la délicieuse *bʰleh-, *bʰl̥h-oto-.


Autrement présenté:

racine indo-européenne *bʰleh-“fleurir, s'épanouir
 *bʰl̥h-oto-
proto-tokharien *pältā-“feuille, pétale”
tokharien A pält et tokharien B pilta“feuille, pétale”



Amis lecteurs
- ici, je me veux spécialement réducteur, en n'incluant pas les lectrices -
qui me suivez depuis déjà un certain temps, vous savez à quel point elles (oui, elles) sont, disons .... , sensibles aux langues anciennes, notamment (mais pas qu'exclusivement) au moyen gallois, au hittite et au tokharien...

Pas difficile, recherchez sur le blog le libellé Elles en sont DINGUES!, qui vous renverra aux articles mettant en évidence cette relation particulièrement étroite entre les langues anciennes et la libido féminine.


(Je m'adresse toujours ici à mon lectorat masculin)

Vous êtes seul, elle vous ignore - ou encore pis: vous considère comme son meilleur ami, celui qui la fait rire, celui à qui elle peut raconter ses peines de coeur).




Vous l'aimez depuis si longtemps, désespérément, vous languissez d'elle, et elle, elle, elle ? Elle vous ... aime bien.

Vous rêvez de LA séduire.
ELLE.

Simple. 

Mais attention ! Comme je l'ai déjà exprimé précédemment, vous mettez en pratique, avec l'emploi du tokharien, des forces prodigieuses, qu'il faut savoir manier, maîtriser, au risque d'altérer irrémédiablement la santé mentale de l'aimée. 



Anál nathrach, orth ' bháis ' s bethad, do chél dénmha,
le charme créateur, Excalibur, 1981

Au moment de la soirée où les slows commencent, invitez-la sur la piste, prenez-la par la main. 
Risquerait-elle de refuser ? Mais non, elle acceptera une simple danse avec son meilleur ami...

Et sur la piste, là, alors que le Hammond B3 entame le refrain de A Whiter Shade of Pale,

Une splendide version du morceau...

à voix basse, d'un ton plus posé que d'habitude, dites-lui calmement...
Marie-Cécile (adaptez), vous êtes tout en beauté, ce soir. 
Je n'avais jamais remarqué que vos yeux étaient si intensément bleus. 
Vos yeux grand ouverts, tels deux pétales de lotus bleu...

À ce moment précis, vous décèlerez de l'ennui teinté d'une certaine surprise dans ce regard qui vous ignore, dans ces yeux qui vous regardent à peine.

Mais , susurrez-lui, lentement, et sur le même ton (c'est important) 
Comme disaient les Tokhariens, 
ts[e]n-uppālṣi piltāṣ ra eśne aurtsi,
ou en d'autres termes, 
Les yeux grand ouverts comme deux pétales de lotus bleu.” 

À ce stade, de grâce, soyez sur vos gardes.
Retenez-la. Fermement.
Soyez prêt à lui éviter de vaciller, de tomber, 
de sombrer.
De s'écrouler.

Elle ne voit plus rien, va vraisemblablement tituber, défaillir. 

Certaines, même, à cet instant fatidique
- c'est vous dire -,
parlent en langues. Ou en donnent l'impression, du moins
- le parler en langues, c'est la glossolalie; voyez ce qu'en dit Wikipedia -,
en tentant désespérément d'articuler une suite incohérente de mots qui, pris séparément, pourtant, veulent tous bien dire quelque chose.

Là, dites-lui quelque chose, quelque banalité.
Peu importe. 
Dites-lui en fait n'importe quoi.

Mais parlez-lui.

Déjà pour ne pas qu'elle s'évanouisse, mais aussi pour qu'elle reconnaisse votre voix.

Qui sera dorénavant LA voix qui lui aura révélé, dans son trouble, dans le monde d'ombres et de lumières vagues où elle est à présent plongée, sa féminité, par le biais du tokharien.

Elle (elle) ne sera plus jamais comme avant.
Elle aura cessé de vous voir comme le gentil copain.
Elle sera désormais ... vôtre.

Mais attention ! 
Encore une fois, vous maniez des forces dont vous ignorez le pouvoir réel.

SURTOUT, ne lui parlez PLUS JAMAIS en tokharien.
Efforcez-vous de même de ne PLUS JAMAIS la mettre dans une situation où elle puisse tomber sur quelque écrit tokharien, ou
- et c'est capital -
entendre la moindre parole en tokharien.

Cela pourrait lui être fatal, tout simplement.

C'est le prix à payer, pour l'amour fou, à vie.
Soyez-en bien conscient.






Chères lectrices, chers lecteurs, 

Merci de me lire, merci de votre fidélité, merci de vos commentaires.

Je vous souhaite un EXCELLENT dimanche, et une très heureuse semaine !




À dimanche prochain !







Frédéric




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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)


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Et pour nous quitter,

la Valse n° 2, 

tirée de la

Suite pour orchestre de variété n° 1,

de 

 Dmitri Chostakovitch,

1956,

et qui sert de musique de film à Eyes Wide Shut.





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