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dimanche 8 mai 2022

Arcʼhant douget nʼint ket arcʼhant dispignet.

                 





Arcʼhant douget nʼint ket arcʼhant dispignet.

(« L’argent qu’on porte sur soi n’est pas de l’argent dépensé. »)


Phrase tirée du
Trésor du breton parlé (Eléments de Stylistique Trégorroise),
 
Jules Gros, 1974


le célèbre Jules Gros,
1890 - 1992,
linguiste (mais aussi écrivain breton), spécialiste du
parler populaire breton en Trégor (là où habitait sa grand-mère)






Chers lecteurs, bonjour.


Nous avions, le 24 avril, épinglé une série de mots français (ou presque) descendant du latin dūcō, dūcere, « mener, guider, conduire » ; « tirer , pousser » :
  • conduire,
  • induire,
  • déduire,
  • séduire,
  • traduire,
  • éduquer,
  • duc,
  • doge,
  • ducat.
  • duce,
  • condottiere,
  • douche.
Et ce latin dūcō, dūcere était lui-même issu de la racine indo-européenne...

*deuk-« tirer ; pousser ; mener... ».



Ensuite, le 1er mai, nous avons évoqué la descendance de notre jolie *deuk- en grec ancien, avec...
  • le verbe δαδύσσομαι, dādússomai« être égaré, déchiré, tourmenté... »,
et
  • le couple ἐνδῠκέως, endukéōs« soigneusementavec soin » / ἀδευκής, adeukḗs, « amer ? ; sans soin ? ».



Aujourd'hui, je vous propose de nous intéresser aux descendants... celtiques de notre racine indo-européenne *deuk-« tirer ; pousser ; mener... ».


Les langues celtiques ? Mais oui, OH !

  • continentales : gaulois, celtibère, lépontique, galate… 
  • insulaires :
    • gaéliques :  irlandais, manxois, écossais,
    • brittoniques : breton, cambrien, cornique, gallois.



L'on fait remonter tous les dérivés celtiques de *deuk-« tirer ; pousser ; mener... » d'un seul étymon celtique commun, reconstruit sous la forme *duk-o-, auquel on attribue les sens, tout autant reconstruits, de mener, mais aussi de... transporter.


racine indo-européenne *deuk-« tirer ; pousser ; mener... »
celtique *duk-o-« mener ; transporter »
dérivés brittoniques attestés


Oui ?

Allons-y.

Ah oui, j'oubliais : c'est Ranko Matasović qui nous aidera à nous dépatouiller au milieu de ces dérivés, grâce à son Etymological Dictionary of Proto-Celtic.



Et pour tout vous dire, les dérivés celtiques de deuk- que nous retrouvons proviennent tous des langues... brittoniques.

- Britonniques ? Mais alors...


- Je sais, oui, vous l'attendez tous : en... moyen gallois, 


en moyen gallois, disais-je, *deuk- nous a donné le verbe dwyn.


De glissement de sens 

en glissement de sens,

de tirer, pousser, conduire, il en est arrivé à signifier... apporter (à), mais aussi prendre, voire, carrément... voler.

Sachez encore que ce moyen gallois dwyn est passé tel quel en gallois : dwyn.



En moyen breton, à présent, nous débusquerons... do(u)en, « porter, transporter »

Nous lui devons quelques beaux mots bretons, comme...

  • dougen« porter, transporter, pousser, incliner, inciter », mais aussi « supporter », d'où « subir ». Et je suppose que c'est de la notion de transporter que découle son sens de porter un enfantêtre enceinte
Ou être enceint·e·x, je suppose, pour rester dans le politiquement correct.

Vous croyez que j'exagère ?
Vous devez le savoir, un grand débat autour de la dépénalisation de l'avortement a lieu en ce moment aux États-Unis. 

Comme d'habitude, vous avez, 
    • d'un côté, les conservateurs, qui ont une lecture plutôt littérale de la Bible, et que ça ne choque pas d'être à la fois pro-vie, pour le port des armes à feu et pour la peine de mort,
    • et de l'autre, les libéraux, plus progressistes et ayant une vision plus humaniste des choses.
Eh bien, parmi ces derniers, nous avons maintenant, bien évidemment (puisqu'ils sont issus de la gauche radicale américaine), les woke.
Avec des personnes pour qui, par souci d'inclusivité, l'avortement ne peut se rapporter aux femmes, mais bien aux corps accouchant, birthing bodies.
  

On n'est pas rendu·e·s·x.

Bref.


Je vous parlais du breton dougen.
Au participe passé, dougen donne douget.
Vous pouvez à présent pleinement savourer le texte en exergue, où vous comprendrez que « l'argent que l'on porte » est, littéralement, « l'argent... porté ».

En breton, à côté du verbe dougen, vous trouvez aussi douger, porteur, ou, plus généralement, objet servant à porter.
Ainsi, douger-banniel est littéralement - devinez ! - le porte-drapeau.

je ne me l'explique pas bien, mais il est assez facile
de trouver des CENTAINES d'images sur internet en tapant
porte drapeau breton





Et dougerez, la femme qui porte, la femme enceinte.
(À quand douger·ez·x pour corps accouchant ?)


Vous ai-je dit que le moyen breton dougen pouvait signifier « incliner » ?
Eh bien, dougidigezh désigne le penchant, l'inclination...



Et n'oublions surtout pas dougus, le... portable. Oui, il n'y a pas que des boomers qui suivent ce blog. 

Hein ? 

Hein que non ?





Allez, passons, pour notre dernier dérivé de ce jour, au... cornique. 

Cornique ? Vous avez dit cornique ?
- [long soupir] oui, le cornique.
Qui se parlait dans les Cornouailles, au sud-ouest du Royaume-encore-plus-ou-moins-Uni.




La langue aurait dû s'éteindre au début du XIXème, avec le départ pour un monde meilleur de ses derniers locuteurs natifs.
Mais quelques irréductibles l'ont fait renaître, au siècle dernier (au XXème siècle, je veux dire). 

Et s'il y a peu
- à ma connaissance, du moins -
d'écoles coraniques dans les Cornwall, s'y trouve bien une école cornique, au sein de l'Institute of Cornish Studies (associé à l'Université d'Exeter), situé sur le campus de Penryn (en cornique, Pennrynn« promontoire », littéralement « tête, sommet,  (penn-) de terre (rynn) ».
Oh, ce pen(n) celtique, nous l'avons déjà mentionné, comme ici, dans Une idylle avec une idole?? Mais quelle drôle d'idée..., où nous expliquions l'étymologie de pingouin.
Penryn

Ce qui est assez cocasse, c'est qu'en 2022, la langue cornique a été ENFIN officiellement reconnue par Westminster.

Savez-vous qu'elle est la SEULE langue régionale reconnue en Angleterre ? Je parle bien de l'Angleterre, non pas du Royaume-jadis-vraiment-Uni ; les Cornouailles ne bénéficient pas d'un statut comparable à celui du Pays de Galles ou de l'Écosse, et font donc partie intégrante de l'Angleterre.

(Je sais, je sais, c'est un peu ardu pour les beaufs franchouillards qui ne connaissent qu'un seul mot pour Grande-Bretagne : Angleterre. Ce sont d'ailleurs souvent les mêmes qui parlent de Bruxelles (ou plutôt de Bruksellaaan) pour mieux maudire cet endroit infect d'où déboulent on ne sait comment ces saletés de lois européennes, lois que leurs propres parlementaires ont défendues et votées fièrement au Parlement Européen. Un de ces fascinants défavorisés affirmait récemment sur FB que le président du conseil européen n'était pas élu. C'est magique. Oui, c'est du lourd. Et après ça, vous vous étonnez que certains Français peu instruits veuillent quitter l'Union Européenne (souvent ceux d'extrême-droite et/ou d'extrême-gauche - en France, ça peut être les mêmes -, par souci de prétendu souverainisme). Enfin. [long soupir] Sans éducation, la démocratie est l'une des premières à morfler...)

Si je parlais de cocasserie en abordant cette reconnaissance officielle de la langue cornique, c'est parce que les Corniques la doivent exclusivement à la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, sans laquelle les autorités britanniques n'auraient simplement jamais admis de reconnaître cette langue (qui - magistral fashion faux pas, n'est même pas de l'anglais).

autres exemples de fashion faux pas



Et que, malgré cela, les Cornouailles ont majoritairement voté en faveur du Brexit.



Ouais, de vrais Corniques, comme vous dites. Ils ont vraiment tout compris. 
Serait-ce du cornique de situation ?
D'autant que des fonds européens importants leur venaient en aide (la région est très pauvre), fonds que le gouvernement britannique d'après Brexit ne va remplacer qu'à concurrence de moins de la moitié. C'est officiel.
Cornique de répétition ?

Je suppose que les Corniques aussi, ils parlaient de Brussels et non de l'European Parliament...


Mmmh ? Ah oui, et à quoi ça ressemble, le cornique ?
Je serais tenté de vous répondre à rien, mais je m'en voudrais.



Et, de grâce, ne me demandez pas non plus  vous pouvez trouver une méthode de cornique.


La langue est en réalité très proche du gallois, mais surtout (surtout) du... breton.
Pour ce qui est de sa syntaxe, c'est clair, elle en est très proche.
Quant à sa phonétique, elle est encore relativement proche de celle du breton, mais en plus... archaïque.

Sans vouloir le moins du monde être médisant, disons que sur ce plan, le cornique s'apparenterait plus au breton vannetais, si vous voyez ce que je veux dire... (Nooon, pas sur la tête !)



Donc, oui, en cornique, citons un dernier dérivé : 

  • le verbe doen« prendre, apporter, voler ».


- Mais, Blondieau, c'est quoi, ces élucubrations ? Le MÊME verbe pourrait donc signifier tout autant apporter que voler !? Du grand n'importe quoi, comme d'habitude.

- Oui, c'est vrai, c'est surprenant, cher monsieur Ucon. 

Mon nom est Ucon.
Fernand Ucon.


Mais si l'on pense que le sens, certes reconstruit, de la racine indo-européenne renvoie tant à tirer qu'à pousser, puis, secondairement, à mener, on peut comprendre qu'il était surtout question, avec *deuk-, de mettre en mouvement quelque chose, soit en tirant, soit en poussant, pour amener cet objet quelque part. 
Nous pourrions peut-être y déceler un sens plus large, déplacer.

Si ma théorie est exacte, et que cette sémantique a perduré, et qu'elle était présente dans l'étymon celtique *duk-o-, nous pourrions alors regrouper les acceptions de doen (« prendre, apporter, voler ») au sein d'un champ sémantique plus vaste, déplacer, qui les expliquerait toutes, d'apporter à prendre / voler.

Ça n'engage que moi, et je pourrais admettre être totalement à côté de la plaque.

Si vous avez une autre idée, faites-moi signe ! 




Amis lecteurs,

Je vous souhaite un excellent dimanche, et une très belle semaine. 

Portez-vous bien.




Frédéric



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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

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Et pour nous quitter,

voici pour vous un chant traditionnel irlandais,

Máire Mhór,

qui pourrait se traduire par...
Máire Mhór

(il s'agit du nom d'une belle Irlandaise).


Et c'est toujours l'ensemble 

Port Celtic Songs

qui nous l'interprète.


Et OUI, vous avez bien vu, la blonde, c'est Muireann Nic Amhlaoibh [Mouirenn Nic allī].

Comme je l'ai déjà exprimé, une chanteuse qui s'appelle Muireann Nic Amhlaoibh ne PEUT PAS fondamentalement être mauvaise.


 
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6 commentaires:

  1. Pas toujours facile de se tirer une balle dans le pied.
    Selon un célèbre économiste (rien d'un fanatique ni ultra), actuellement l'UE a un problème: manque de pieds pour pouvoir se tirer une balle dedans.

    Philippe LHOAS
    (pour adresse complète, voir commentaires précédents sur le même sujet)

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  2. Ahaha, forcément, vous revoilà ;-)
    Pas besoin de votre adresse ; je n’ai pas l’intention de vous rendre visite, rassurez-vous.

    De quel économiste parlez-vous ?

    Vous contestez ce que j’explique ici ? Vous voulez que la Belgique quitte l’UE, c’est ça, en fait, ou alors, comme tout bon Brusseleir,
    Vous devez râler contre toute institution, quelle qu’elle soit ?

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  3. Laissez en paix les brusselairs, les économistes, les Britanniques. Laissez-les tranquilles tous ceux qui ne pensent pas exactement comme vous.
    SUTOR, NE SUPRA CREPIDAM.

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  4. Cher Monsieur LHOAS,

    Tout d'abord, si je râle contre les Brexiteers, j'en ai surtout pitié. Peut-être ne le comprenez-vous pas, mais c'est un invraisemblable tissu de mensonges nationalistes et populistes qui a permis au Brexit de se faire. Et de jour en jour, la triste réalité se révèle. L'exemple des Cornouailles est à ce titre éloquent.

    Ça, c'est une chose.

    Maintenant, je pense que vous avez un sérieux problème psychologique, voire psychiatrique.
    Vous rendez-vous compte, cher Monsieur LHOAS, que RIEN ne vous oblige à suivre ce blog ? RIEN.

    Je fais encore ce que je veux sur mon blog, vous vous êtes à même de comprendre cela ?

    Barrez-vous, enfin ! En outre, vous ne vous imaginez quand même pas que vous allez me donner des ordres ? Je crois sincèrement que vous êtes, disons, "différent".

    Je fais ce blog pour moi, et pour ceux qui apprécient mes écrits, des humanistes, des gens qui ont de l'humour, l'esprit ouvert, qui ont de la culture, et qui en redemandent. Pas pour vous, cher Monsieur LHOAS. Pas pour vous.
    Allons ! Pas pour des gens comme vous. Vraiment pas. Vous n'avez pas votre place ici, enfin ; soyez réaliste !

    Alors, de grâce, arrêtez de vous faire mal, et cassez-vous. Je vous emm*rde tant que ça ?
    Quoique... là, je dois bien reconnaître que vous n'avez pas tort.


    Au plaisir de ne plus jamais recevoir de commentaire stupide de votre part. En d'autres termes, de ne plus recevoir aucun commentaire de votre part.

    Je vous plains. Essayez de reprendre pied, essayez de retrouver une vie normale. Et commencez par arrêter de me lire.

    C'est la dernière fois que je publie un commentaire de votre part. Vous m'amusiez, mais maintenant, ça a assez duré.
    Par ailleurs, j'ai trouvé votre adresse mail dans la liste des abonnés, je la supprime, par bonté d'âme.

    Portez-vous bien, mais LOIN.

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  5. Je voulais juste faire une remarque qui va dans le sens de votre interprétation finale : en argot français , "tirer" signifie voler, piquer.

    PS : ne vous en faites pas pour les trolls, l'intelligence, ça énerve les médiocres.

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  6. @Marie-Claire

    Merci, et "se tirer", c'est clairement se déplacer...

    Pour ce qui est des trolls, ils m'amusent et souvent me motivent. Mais dans ce cas-ci, je ne comprends même pas ce monsieur qui se permet de m'ordonner de me taire, et de ne me mêler que de ce que je connais. Alors que rien ne l'oblige à me lire, et que je ne lui fais pas payer la lecture de mes articles. Les gens sont parfois surprenants. ;-)

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