- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 15 mai 2022

Ich ziehe mit dem Zug nach Hamburg, aber mein Bruder zieht in eine andere Stadt.

                  




Ich ziehe mit dem Zug nach Hamburg, aber mein Bruder zieht in eine andere Stadt.

(« Je déménage à Hambourg en train, mais mon frère déménage dans une autre ville ».)


Dans quelle ville, et par quel moyen de locomotion son frère déménage-t-il ?
Je n'en sais f**trement rien, mais plutôt que de faire les malins,
devinez donc le lien entre trois mots de cette phrase sibylline, et le réalisateur allemand...

Werner Herzog.



Chers lecteurs, bonjour.


Nous avions, le 24 avril, épinglé une série de mots français (ou presque) descendant du latin dūcō, dūcere, « mener, guider, conduire » ; « tirer , pousser » :
  • conduire,
  • induire,
  • déduire,
  • séduire,
  • traduire,
  • éduquer,
  • duc,
  • doge,
  • ducat.
  • duce,
  • condottiere,
  • douche.
Et ce latin dūcō, dūcere était lui-même issu de la racine indo-européenne...

*deuk-« tirer ; pousser ; mener... ».



Ensuite, le 1er mai, nous avons évoqué la descendance de notre jolie *deuk- en grec ancien, avec...
  • le verbe δαδύσσομαι, dādússomai« être égaré, déchiré, tourmenté... »,
et
  • le couple ἐνδῠκέως, endukéōs« soigneusementavec soin » / ἀδευκής, adeukḗs, « amer ? ; sans soin ? ».


Le 8 mai, nous avons débusqué une série de dérivés britonniques de la racine *deuk- :

  • le moyen gallois dwyn, « apporter, prendre, voler... »,
    • d'où le gallois dwyn,
  • le moyen breton do(u)en, « porter, transporter »,

d'où les bretons... 

    • douger«porteurobjet servant à porter »,
    • douger-banniel, «porte-drapeau »,
    • dougerez,  «femme enceinte »,
    • dougidigezh, «penchantinclination »,
    • dougus, «portable »,
et
  • le cornique doen« prendre, apporter, voler ».

Arcʼhant douget nʼint ket arcʼhant dispignet.




En ce magnifique dimanche de mi-mai, amis lecteurs, 
je vous propose de nous intéresser aux dérivés germaniques de la surprenante racine indo-européenne *deuk-« tirer ; pousser ; mener... ».


Commençons par une famille de verbes forts germaniques (et fort germaniques au demeurant, si ça peut vous faire plaisir), que Guus Kroonen fait descendre d'un étymon non attesté, le germanique *teuhan-« tirer », qu'il rattache à une forme occidentale de notre *deuk-*déuk-e-.

(Les verbes forts ont recours à l'alternance vocalique, et changent de voyelles au radical, parfois à la 2° et à la 3° personnes du singulier, au prétérit, et parfois au participe passé.)

Un p'tit schéma, peut-être ?


racine indo-européenne *deuk-« tirer ; pousser ; mener... »
forme spécifiquement occidentale *déuk-e-
étymon germanique *teuhan-« tirer »
dérivés germaniques attestés



Ce sympathique *teuhan-« tirer », explique notamment...
  • le gotique 𐍄𐌹𐌿𐌷𐌰𐌽, tiuhan« mener, guider »,
  • le participe vieux norois toginn« tiré »,
  • le vieil anglais tēon, « tirer »,
  • le vieux saxon tiohan« tirer », mais aussi... « éduquer »,
  • le moyen néerlandais tien« tracter, tirer ; avancer, procéder »,
    • d'où le néerlandais tijgen« tirer, aller »,
  • le vieux haut allemand ziohan« mener, élever, éduquer »,
ou encore...
  • l'allemand ziehen, « tirer ; extraire ; déménager ; étirer... ».

Tijuana, au Mexique.
Non, enfin, RIEN à voir avec le gotique 𐍄𐌹𐌿𐌷𐌰𐌽, tiuhan.
Vous êtes sûrs que vous allez bien ?


Ce verbe fort (reconstruit, non attesté) *teuhan-« tirer », est particulièrement important. 

Déjà par sa forme. Oui, formellement, le verbe *teuhan- est identique au latin dūcō, dūcere.
Il est réellement son parfait pendant germanique. (Et sémantiquement, il est clairement proche de son dérivé, l'italien condottiere.)

Et puis, c'est toujours de *teuhan- que seront issus,
directement ou indirectement,
tous les dérivés germaniques de notre jolie *deuk-« tirer ; pousser ; mener... ».



Comme par exemple
- mais oui ! -
l'allemand... Zug, « train».




Il y a encore un mot dont je voudrais vous parler ce dimanche...
Il s'agit de l'allemand Herzog. Mais oui, l'équivalent de notre... duc.
Comme par hasard.

On le fait remonter, par le moyen haut allemand herzog, herzoge, au vieux haut allemand hęrizogo.

Les habitués du blog, vous aurez compris qu'il s'agit d'un composé créé sur le germanique
*hari, heri, « armée ».

C'est lui qui se cache dans...
  • Walter et héraut

ou dans
  • Oliver
une nuance plus blanche de pâleur.



Mais revenons à Herzog

Nous y trouvons donc Her-, pour « armée», et... zog, « chef, meneur ». 
Herzog est donc littéralement le chef d'armée, ou même, si l'on se fonde sur le sens du verbe vieux haut allemand ziohan, celui qui mène. Entendez : au combat.

Oui, je sais, c'est surprenant, mais il est rare de trouver des dérivés germaniques qui parlent de fleurs et de douceur de vivre. C'est comme ça.




Et le mot apparaît partout en germanique, du moins là où existaient des maîtres de guerre.
Donc, partout.

Clint Eastwood dans Le Maître de guerre
(
Heartbreak Ridge), 1986



Pensons au vieux saxon hęritogo, à l'anglo-saxon hęretoga, au néerlandais hertog, voire carrément au vieil islandais hertoge.


Ah oui, la charmante ville de 's-Hertogenbosch,
aux Pays-Bas. Non, n'essayez même pas.
Dites plutôt Bois-le-Duc. 


Et comme la guerre, hélas, est plutôt une constante humaine, le moyen haut allemand herzoge, herzog s'est répandu (comme une traînée de poudre) et s'est fait emprunter un peu partout hors des langues germaniques : en bulgare (херцо́г, hercóg), en turc ottoman (هرسك‎, hersek), en finnois (herttua), en hongrois (herceg), en russe (ге́рцог, gércog)... 




Pour la semaine prochaine, une nouvelle salve de dérivés germaniques de notre indo-européenne *deuk-« tirer ; pousser ; mener... ».




Amis lecteurs,

Je vous souhaite un excellent dimanche, et une très belle semaine. 

Portez-vous bien.




Frédéric



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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

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Et pour nous quitter,

Point de Bach ni de Purcell, mais un morceau orchestré par...

Percy Faith,

et interprété par son orchestre, sous sa direction.

Percy Faith, 7 avril 1908 – 9 février 1976


Je vous le dis tout bas, en toute confidence.
Ne m'en tenez pas rigueur, mais j'éprouve un plaisir certain
mais difficilement avouable
à écouter du Percy Faith,
surtout sur la terrasse du jardin, durant les douces soirées d'été,
alanguiun cocktail à la main...

Aaaah.

le bar à cocktails du jardin, affectueusement dénommé
Ye Olde Badger Sett, « Le terrier du vieux blaireau ».
Allez savoir pourquoi ?


Mr Badger,
dans
The Wind in the Willows,
 
Kenneth Grahame, 1908


Percy Faith, compositeur canadien, est mondialement connu,
si ce n'est que pratiquement personne ne connait son nom...
Mais si vous avez jamais pris un ascenseur dans votre vie, ou parcouru les rayons d'un supermarché, alors forcément, vous le connaissez.


Le morceau que je vous propose d'écouter n'est pas de lui, mais de Max Steiner, qui le composa pour cette romance dramatique qu'est A Summer Place (« Ils n'ont que vingt ans »), film que Delmer Daves réalisa en 1959 d'après le roman du même nom de Sloan Wilson, et que tout le monde a oublié.

Et Percy Faith a repris le morceau, et en a fait un tube mondial !


Et puis, d'abord, c'est de votre faute.
Vous n'aviez qu'à pas me parler de Tijuana.
Car oui, Percy Faith a composé Tijuana Tourista,
au nom amèrement évocateur en français,
mais qui flatte joliment l'oreille du public américain.


Voici donc la version de Percy Faith du morceau-titre de la bande originale de
A Summer Place, 1959.


Aaaaaaah

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5 commentaires:

Pierre Libotte a dit…

Ben, en fait, si : "'s-Hertogenbosch", j'ai essayé : on peut.

Frédéric Blondieau a dit…

:-) Mais Pierre, je ne m'adressais pas à toi, et à tous ceux qui manient le néerlandais et l'allemand avec ton assurance !

Mon "public", selon Google, est constitué en très grande partie de Français, et je sais leur difficulté à prononcer le moindre mot dont la phonétique ne correspond pas au français standard :-)

Michel De Munter a dit…

La semaine prochaine, nous pourrions peut-être essayer « 's-Gravenhage », mais le comte n'étant pas à confondre avec le duc, cela nous con-duir-ait sans doute trop loin...
Michel De Munter

Guy a dit…

J’aurais pourtant dû m’en douter : erziehen et éduquer, j’aurais pu faire le lien. Alors en allemand, aqueduc devrait se dire Wasserzog, non ?

configuratao a dit…


-deuche?


https://i.pinimg.com/originals/3d/b8/68/3db86825dfb3f67f6aee80455893b58a.jpg


https://1.bp.blogspot.com/-UHGdKseAb9k/XQkQ2qvMLcI/AAAAAAAACB4/YnMdndXphNUOAzooYN_n6DT0nmZsdDgeACLcBGAs/s640/50799407_1015892391931171_8715587884628836352_n.jpg


Bonnes salutations
et aussi merci pour Faith, etc. ;^)