article précédent: "C'est lord Elgin qui a fait ouvrir ce monument et déblayer les terres" - Chateaubriand
“À vingt ans l'enfant déforme les femmes, à trente ans il les conserve et je crois bien qu'à quarante il les rajeunit.”
Léon Blum
Bonjour à toutes et tous !
Et si nous remontions un peu le temps ?
Tout avait commencé par une interrogation: y a-t-il un lien quelconque entre le français blesser et l'anglais to bless...?
j'ai le coeur blesséée, à tout jamééé - éééé, 3 mars 2019
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En allant faire un tour du coté des langues germaniques, nous découvrions, ravis, que l'anglais bless descendait du proto-germanique *blōda-, “sang”.
A blessing from the Lord, 10 mars 2019
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Mais quelle était donc la racine indo-européenne à l'origine de *blōda-, “sang”, vous posiez-vous alors comme question.
Et moi, bonne poire, je vous en proposais deux, de racines, l'une comme l'autre pouvant prétendre à la maternité du germanique *blōda-, car formellement très proches l'une de l'autre: *bʰleh₁-, “souffler” et *bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”.
Cette difficulté à choisir l'une ou l'autre option tient seulement à une seule laryngale, toute mimi, qui teinterait la voyelle présente dans les dérivés ultérieurs, soit en -e (*h₁), ou en -o (*h₃).
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Ah oui, grrrrande nouveauté sur le blog:
une page “Éléments de linguistique”,
“en construction”, comme on dit,
“en construction”, comme on dit,
sur laquelle je rassemblerai progressivement, peu à peu (on n'est pas aux pièces) tous les ... éléments de linguistique (définitions, explications, exemples...) qui saupoudrent le blog,
pour que vous puissiez les trouver en un seul endroit.
Qui a parlé de “bonne poire”?
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Pour les laryngales, c'est donc ici que ça se passe: https://indoeuropeen.blogspot.com/p/elements-de-linguistique.html
racine indo-européenne *bʰleh₁-, “souffler”
⇓
proto-germanique *blēan-, “souffler”
⇓
peut-être par rapprochement sémantique entre souffler et jaillir
proto-germanique *blēan-, “souffler”
⇓
peut-être par rapprochement sémantique entre souffler et jaillir
ou
peut-être par rapprochement sémantique entre souffle de la vie et sang
⇓
proto-germanique *blōda-, “sang”
⇓
proto-germanique *blōda-, “sang”
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racine indo-européenne *bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”
⇓
proto-germanique *blōan-, “fleurir, s'épanouir, croître...”
⇓
proto-germanique *blōan-, “fleurir, s'épanouir, croître...”
⇓
rapprochement sémantique entre la couleur rouge du sang et l'épanouissement
⇓
proto-germanique *blōda-, “sang”
álfrek ganga: vieux norois pour "aller faire déguerpir de l'Elfe", 17 mars 2029
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Bon, ben, impossible de trancher, mais qu'à cela ne tienne, nous pouvions alors nous pencher sur ces deux jolies racines, en commençant par *bʰleh₁-, “souffler”, et ses dérivés français, par le latin.
nous connaissons tous au moins une enflure qui fait de la gonflette, 24 mars 2019
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Des dérivés français de *bʰleh₁-, “souffler”, un petit pas à franchir pour passer à ses dérivés germaniques... Petit pas que nous fîmes, bien entendu...
(...) au vent crispé du matin / Qui va fleurant la menthe et le thym (...) - Verlaine, 31 mars 2019
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Ensuite
- il ne faut jamais froisser les susceptibilités des racines indo-européennes -,il nous fallait, comme promis, passer à l'étude de la charmante *bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”.
Aaaaah.
J'ai dépensé ma jeunesse comme une poignée de monnaie, 7 avril 2019
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Une semaine plus tard, nous poursuivions l'étude de ses délicieux dérivés, en français, mais aussi dans d'autres langues...
"Di scrivermi ogni giorno Giurami, vita mia !" - Fiordiligi, 14 avril 2019
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Nous consacrions alors tout un dimanche à ses dérivés... celtiques.
Gort, Blodyn Tatws ! Euh non... Ah oui: Klaatu barada nikto. OUUUUF, 21 avril 2019
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Pour revenir, une semaine plus tard, à quelques-uns de ses dérivés germaniques, mais aussi... français.
“Terre noire fait bon blé.” (Proverbe auvergnat), 28 avril 2019
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Et enfin, la semaine dernière, nous découvrions encore de surprenants dérivés français de la belle *bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”.
"C'est lord Elgin qui a fait ouvrir ce monument et déblayer les terres" - Chateaubriand, 5 mai 2019
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Aujourd'hui, de retour dans le présent, et après nous être intéressés, dimanche dernier, à l'étymon germanique blōdi-, “fleur, floraison...”, nous passerons à une autre forme germanique dérivée de l'adorable *bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”
- aaaaaah... -,
le germanique... *blōman-
*blōman- ? Mais il désignait tout simplement...
la fleur.
Oui, ENFIN !!!
Car beaucoup d'entre vous l'attendaient, ou du moins, l'avaient anticipé...
Notez que, même si tout porte à croire que *blōman- descend du germanique *blōan-, “fleurir, s'épanouir, croître...”
relisez donc álfrek ganga: vieux norois pour "aller faire déguerpir de l'Elfe",
il pourrait aussi bien dériver d'une ancienne forme germanique *blōzman-,..., de toute façon dérivée de notre formidable *bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”.
Mais j'éprouve ce curieux et diffus sentiment qu'en fait, vous n'en avez rien à battre ; je me trompe, évidemment.
Alors,
*blōman-, “fleur”.
Nous le retrouverons en gotique.
Mais oui, dans 𐌱𐌻𐍉𐌼𐌰, blōma, “fleur”
fleurs gothiques |
Mais aussi en, en ...
- OUIIIIIII !!!-vieux norois, avec blómi, toujours de même sens (euh, donc “fleur”, pour les ô combien hypothétiques lecteurs de ce blog qui seraient dotés d'un crible cognitif à mailles nettement plus serrées que la moyenne).
Le vieux norois blómi dérivera à son tour dans ...
- mais ça alors, quelle surprise ??! -
- l'islandais blómi, blóm, “fleur”,
- le féroïen blómi; blóma, “fleur, floraison”,
- l'elfdalien bljomme, “fleur”,
- le vieux suédois blōme, blōma, d'où le suédois blomma
- le danois blomme,
ou même - soyons fous -
- le botnien occidental blöömm, blååmm, blååom.
Je sais, c'est pointu. Le botnien se parle en, en ... ??
Botnie ! Région historique qui s'étend à présent sur un bout de Suède, et un bout de Finlande...
Vous voyez le golfe de Botnie ?
Eh ben c'est là, tout autour... Et le botnien occidental se parle (se gutture ?) sur la rive, la rive ... o, ou... ouest - bien ! - dudit Golfe, en d'autres termes, en Suède.
Du vieux norois blómi, notons encore l'anglais bloom, du moins dans son acception de “fleur, floraison”.
Il en descend par le vieil anglais blôma, puis le moyen anglais blom, blome.
Notons quand même que le vieil anglais blôma correspond formellement à ses cognats scandinaves, mais que sémantiquement, il ne désignait qu'un bloc d'acier ! L'anglais to bloom signifiant également marteler.
Ce qu'une des acceptions de l'anglais moderne bloom signifie toujours, en vocabulaire technique métallurgique, passé tel quel en français.
En français ? Eh oui ! Où l'anglicisme technique bloom (attesté dès 1774, quand même) désigne un...
demi-produit métallurgique obtenu par passage d'un lingot d'acier dans un laminoir dégrossisseurOh, merci ô toi ©Le Grand Robert de la langue française
Si fleur n'appartenait pas à la sémantique de blôma, en revanche, le sens de “fleur” se retrouvait bien dans le vieil anglais blóstm, blóstma, blósma.
Ça ne vous dit rien ? Rien, vraiment ? Rien de rien ??
Mais siiii ! Car le vieil anglais blóstma pourrait provenir de ce germanique *blōzman- dont je vous parlais plus haut.
Eh oui.
Eussiez-vous soupçonné la légendaire fainéantise qui m'habite
- l'Eternelle flemme diraient les Bangles -,
vous sauriez que je ne m'amuse que très rarement à vous raconter des détails qui n'ont strictement aucun intérêt...
Ah oui ! Quant à l'histoire, la chronologie précise de la sémantique derrière l'évolution des vieux anglais blôma et blóstma jusqu'à l'anglais bloom, bah, on ne se l'explique toujours pas vraiment...
Allez, comme autres dérivés du germanique *blōman-, “fleur”, citons encore...
- le vieux saxon blōmi, “fleur”, d'où le moyen bas-allemand blōme, et le bas-allemand Bloom,
- le vieux néerlandais *bluomo, bluome, d'où le moyen néerlandais bloeme et le néerlandais moderne bloem, “fleur”,
- le vieux haut-allemand bluomo, bluoma, d'où le moyen haut-allemand bluome, et l'allemand... Blume, “fleur”,
- le yiddish blum, le patronyme ashkénaze Blum descendant plus que vraisemblablement de l'allemand Blume mâtiné du yiddish blum...
Tiens, vous rappelez-vous le double sens “fleur / farine” de certains des dérivés de notre si jolie *bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”?
Même phénomène ici, avec le néerlandais bloem, “fleur”, certes, mais aussi ... farine.
En guise de résumé, nous dirons...
racine indo-européenne *bʰleh₃-, “fleurir, s'épanouir”
⇓
proto-germanique *blōan-, “fleurir, s'épanouir, croître...”
⇓
proto-germanique *blōan-, “fleurir, s'épanouir, croître...”
⇓
proto-germanique *blōman-, “fleur”
⇓
vieux haut-allemand bluomo, bluoma,
⇓
moyen haut-allemand bluome
⇓
allemand... Blume, “fleur”
Chères lectrices, chers lecteurs,
Merci de me lire, merci de votre fidélité, merci de vos commentaires.
Je vous souhaite un EXCELLENT dimanche, et une très heureuse semaine !
À dimanche prochain !
Frédéric
PS: dans ces articles, les passages de texte en bleu, vous l'aurez compris, traitent d'éléments de linguistique.
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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,
Un morceau sans lien direct avec la racine du jour,
si ce n'est qu'il évoque - il date de 1967 - l'époque du Flower Power,
et qu'il est à mes oreilles incroyablement entrainant,
plein de joie de vivre,
de tout ce beau que peuvent évoquer les fleurs...
Et puis, quelle voix !
Mais quelle voix !
Ah, Linda Rondstadt...
(nom à consonance éminemment germanique, hein)
Un morceau sans lien direct avec la racine du jour,
si ce n'est qu'il évoque - il date de 1967 - l'époque du Flower Power,
et qu'il est à mes oreilles incroyablement entrainant,
plein de joie de vivre,
de tout ce beau que peuvent évoquer les fleurs...
Et puis, quelle voix !
Mais quelle voix !
Ah, Linda Rondstadt...
(nom à consonance éminemment germanique, hein)
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article suivant: "Ob-La-Di, Ob-La-Da" - The Beatles. *blōdi-,*blada- - germanique *blōan-
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Je travaille beaucoup aux Pays-Bas, avec des collègues que j'apprécie beaucoup, et je m'étonne souvent de leur empressement à vouloir me répondre dans un français qu'ils ne maîtrisent vraiment pas. En lisant l'article de ce dimanche, je ne peux m'empêcher de penser ce qu'ils feraient de "Dites-le avec des fleurs".
RépondreSupprimerJe suis à chaque fois émerveillé par la passion et la recherche investies dans les articles et l'humour qui est propre à ce blog. Sans oublier les extraits sonores qui complètent le tout !
Merci Frédéric et bonne semaine à tous.
Je ne veux même pas l'imaginer... !ç
RépondreSupprimerGRAND merci à toi, Thierry, et bon boulot aux Pays-Bas !
Bon dimanche, et bonne semaine à toi,
Frédéric