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dimanche 9 mai 2021

Jules César, On l'appellait Jules César, Il mettait pas d'falzar - Le Grand Jojo

                             




Veni, vidi, vici. 

Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu.

Jules César


Le Grand Jojo nous interprète Jules César.

J'avoue qu'en tant que Belge, je n'ai jamais bien su que penser du Grand Jojo.

Je n'ai jamais vraiment perçu où se terminait le 1er degré dans ses
chansons pourtant absurdes et empreintes d'une truculente auto-dérision.

Mais au moins, appréciez son accent brusselaire
(que l'on pourrait peut-être comparer à la gouaille du Parigot ?),
cet accent populaire qui se perd,
comme les mains belges sur les joues des beaufs français qui s'imaginent qu'il s'agit là
de "L'accent belge"





Bonjour à toutes et tous.

(Non, que vous le croyiez ou non, cette expression, chez moi, ne ressort pas de l'écriture dite inclusive ; c'est ma façon de m'exprimer, qui m'appartient, que je ne changerai pas au gré du vent, et surtout pas pour satisfaire certains ou, soyons fous, certaines. Il ne manquerait plus que ça.
  
Grammar nazis et autres pisse-vinaigre qui vous permettez de critiquer mon style et non le fond de mes articles, si vous saviez ce que je pense de vous, je crains que vous n'ayez encore plus matière à critique.)
 
Même si, au demeurant, je pense honnêtement tenir compte des remarques bienveillantes, pertinentes ET intelligentes (oui, ça fait beaucoup de critères, quand même) qui me sont adressées. Ainsi, depuis bien longtemps, j'essaie d'oublier se baser sur” au profit de "se fonder sur”, plus joli, et moins anglicisé. Même si, au fond, ça ne me choque pas vraiment de le lire moi-même ailleurs.



Aujourd'hui, nous traiterons des dérivés... italiques de la chatoyante racine indo-européenne *uik-e-, “vaincre, triompher de”.

ça, ça tombe bien



Mais... avant d'aller plus loin, faisons, voulez-vous, le point.

🜛🜛🜛















Nous avons passé en revue, le 25 avril, une série de dérivés germaniques de notre *uik-e-, “vaincre, triompher de”, dont notamment 
  • le gotique 𐍅𐌴𐌹𐌷𐌰𐌽, weihanse battre”,
  • le vieil anglais wīganse battre, faire la guettre, batailler”, d'où...
  • les vieux anglais... oferwīgan, “l'emporter au combat, conquérir”, 
  • wīgend, “soldat, guerrier”, et 
  • wigian, “se battre”,
  • le vieil anglais wīġ, “guerre, bataille” et son composé ānwīġ
  • duel
  • le vieil anglais poétique wiga“guerrier, combattant”, “héro, homme”, 
  • le vieux francique *wīg, combatsecond terme du prénom *Mārīwīg, fameux (*mārīau combat(*wīg)”, latinisé pour devenir... Meroveus, d'où Mérovingiens,
  • le vieux norois vegase battre”, dont seront issus...
    • le danois archaïque vejeoccire, tuer au combat”, l'islandais vega...,
  • le vieux norois... vígcombat, bataille, homicide, meurtre” dont descend probablement le prénom Viggo, Wiggo,
Oft ic wig seo, frecne feohtan, 25 avril 2021.
 
Le 2 mai, il était question des dérivés celtiques de *uik-e-,
ou pour être précis, de sa forme de base et au degré zéro *uik- (ou *wyk-),


au nombre desquels nous pourrions citer :

  • le vieil irlandais fichid,
     se battre, combattre”,
  • le moyen gallois amwyn, “entourer, défendre”,
  • le gaulois 
    Adcovicus, qui est fortement avec les vainqueurs”,
  • le gaulois Blandovicu, qui combat avec douceur”,
  • le gaulois Exalbiovix, qui combat en dehors du monde céleste”, 
  • l'ethnonyme gaulois Lemovices(ceux qui) combattent / vainquent avec l'orme”,
  • le celte Aquincum, qui a eu la victoire rapide”...

🜛🜛🜛



Or donc, nous aborderons en ce beau dimanche
- ici, il fait vraiment (et curieusement) beau -,
les dérivés italiques de notre racine bien-aimée.


Et, comme à l'accoutumée, ma source de prédilection pour les étymologies que je vous présente ici sera l'un des volumes du sublime
- et surtout récent, et précis, et reconnu -
Dictionnaire étymologique indo-européen compilé par les linguistes de l'université de Leiden,
le Leiden Indo-European Etymological Dictionary,


en l'occurrence, le volume consacré au latin et autres langues italiques, 

Etymological Dictionary of Latin and the other Italic Languages,



du brillant Michiel de Vaan, qui, à l'instar du grand Robert Beekes, raccroche systématiquement les dérivés qu'il propose à leurs cognats présents dans d'autres langues indo-européennes.

En cela, son dictionnaire, comme celui de Beekes, est une véritable mine d'or.
Merci, Monsieur de Vaan.




De notre douce racine, ce sont ses formes indo-européennes
- je reprends ici le formalisme et les sens reconstruits de Michiel de Vaan -
  • *ui-n-k-, un infinitif présent au sens générique de plier, lier”, où apparaît un infixe nasal,
et
  • *uik-to-, un participe passé passif,
que l'on peut reconstruire à l'origine de ses dérivés italiques.


Un infixe nasal est une consonne (ou éventuellement une syllabe) nasale reconstruite, insérée...
 
(infixée, c'est pareil, mais ça fait tellement plus sophistiqué)

...dans la racine ou le thème d'un mot. 



 
Ceci n'est pas un infixe nasal


Alors, oui. Vous rappelez-vous cette mise en garde du premier article de cette série ? 
Sur les sens parfois surprenants que l'on retrouve chez les dérivés de cette racine...

Ici, le sens est déjà curieux en indo-européen.

Quel lien, me direz-vous, peut-on établir entre la sémantique de *uik-e-, “vaincre, triompher de”, et celle de son infinitif présent *ui-n-k-, plier, lier” ?




de Vaan, qui a (évidemment) anticipé votre question, explique que l'on peut aisément développer l'idée de plier, dans un emploi transitif, pour en arriver à celle de vaincre, triompher : faire plier l'adversaire.

oui, je pense ici à toutes ces idéologies actuelles,
comme l'antiracisme, le féminisme intersectionnel,
ou évidemment l'inclusivisme
dont l'un des efficaces mécanismes d'offensive
consiste à vous culpabiliser.

Ou, à l'inverse, à jouer sur votre narcissisme si vous y adhérez,
vous, cette belle personne qui avez choisi le camp du bien.



Pour ce qui est de la sémantique de lier, son développement est, je le conçois, assez abscons.

Il faut comprendre
- c'est du moins ce que moi, je comprends ; si vous avez une meilleure idée, contactez-moi -
que lier implique une relation d'égal à égal.
Il n'est pas anodin, d'ailleurs, qu'au Québec, le fameux terme de tennis tie-break (l'anglais tie renvoyant à notre lier) se traduise par bris d'égalité. TRÈS jolie traduction, au demeurant...
Et cette relation d'égal à égal peut être, comme au tennis (en pension ou pas), de l'ordre... du combat.

le bris d'égalité entre Bjorn Borg et John McEnroe
à Wimbledon, 1980



En proto-italique, en tout cas
(nous sommes ici toujours dans des étymons reconstruits, hein, d'où les * à profusion), 
en suivant le raisonnement de Vaan, nous pouvons reconstruire la forme *wink-(e/o-), de sens original lier, plier”, sens qui évoluera vers celui de l'emporter sur.
Pour rappel, ce sibyllin e/o (*wink-(e/o-)) indique simplement la présence d'une voyelle thématique (une voyelle qui s'intercale entre le thème et la désinence) alternante : qui pouvait être soit un e, soit un o.


N'oubliez pas que sur le blog, bien visible si vous le lisez en mode web (comme sur un écran d'ordinateur), figure une page subtilement nommée Éléments de linguistique, en perpétuelle construction, sur laquelle vous pouvez trouver ce genre de définitions à mémoriser avant toute soirée mondaine.

Et, amis lecteurs (au sens strictement exclusif), tout à fait entre nous, je peux vous le dire, placer adroitement un infixe nasal", un "voyelle thématique", ou évidemment, quoi que ce soit en moyen-gallois ou en tokharien,

ça marche.

 



Une rubrique entière du blog est consacrée à ces outils de procréation sociabilisation des jeunes linguistes célibatairesElles en sont DINGUES ! (et au bas de chaque page des articles filtrés, cliquez alors sur le lien Articles plus anciens pour, ben, passer à des articles plus anciens sur le même sujet).




Hors latin, nous trouvons encore à notre jolie *uik-e-, “vaincre, triompher de”, quelques descendants italiques, mais qui ne sont que de...

...vulgaires emprunts au latin.


J'y viendrai donc un peu plus tard...




Le dérivé latin le plus naturel de ce wink-(e/o-) italique, mais c'est bien entendu...

vincō, vincere.

Aux sens multiples, mais toujours bien en rapport avec la victoire :
  • vaincre à la guerre, remporter la victoire, être vainqueur,
  • l’emporter,
  • avoir l’avantage, surpasser, venir à bout de, forcer, réduire, battre, être victorieux (dans un procès), gagner (un procès, une cause), avoir gain de cause, avoir raison, triompher,
  • gagner un pari,
  • atteindre son but, réussir, voir ses vœux réalisés,
  • venir à bout de,
  • prouver,
  • convaincre, persuader,
  • ...



Résumons ?

**********

racine proto-indo-européenne *ueik-
, “vaincre, triompher de”
degré zéro *uik-
infinitif présent avec infixe nasal *ui-n-k-, lier, plier”
proto-italique *wink-(e/o-)lier, plier”
latin 
vincō, vincere, 
“vaincre...

**********


Vous pouvez déjà deviner les cognats français de vincō (et de ses dérivés latins) que nous allons étudier... 

Mais... ce sera pour plus tard.

Car au préalable, j'aimerais faire avec vous le tour des dérivés romans de ce latin vincō, vincere.


Qu'est-ce qu'i' nous a donné, hein, le latin vincō, vincere...
  • en aroumain ? azvingu, azvindziri,
(l’aroumain, parlé dans les Balkans, mais aussi en Roumanie et ailleurs - non, PAS en Aroumanie -, est à rapprocher du daco-roumain (le roumain, quoi), du mégléno-roumain et de l’istro-roumain. Tout en vous disant - c'est tellement classique et convenu -, que pour certains linguistes... roumains, il ne s’agirait que d’un dialecte du, du, du ? roumain, comme c'est surprenant. Idéologie, nationalisme, quand tu nous tiens...)

en rouge, les Aroumains
(source)

  • en bourguignon ? voincre,
  • en catalan ? vèncer,
  • en corse ? vincia,
  • en espagnol ? vencer,
  • en frioulan ? vinci,
  • en galicien ? vencer,
  • en italien ? vincere,
  • en liégeois ? vinki, dauuuuc (on retrouve bien ici la trace de l'infixe nasal de l'étymon),
  • en normand ? veincre,
  • en occitan ? véncer, vencir,
  • en picard ? vinke,
  • en piedmontais ? vince,
  • en portugais ? vencer,
  • en provençal ? vencre,
  • en romanche ? vaindscher, venscher,
  • en roumain ? învinge, învingere,
  • en sarde ? bínchere, binci, bínciri, bínghere, vínchere,
  • en sicilien ? vìnciri,
  • en vénitien ? vìnsar, vìnser, vénsar.
Tous de sens similaire, voire identique, à vaincre.


Je peux bien entendu déjà vous le dire, nous devons au latin vincō, vincere, notre français... vaincre.

Mais bon, j'aimerais passer un peu de temps dessus ; nous en parlerons en détail bientôt.
Et puis, il y a encore tous les dérivés latins de 
vincō, vincere, 
dont nous aurons à parler.
Ah, le temps, le temps...
Mais oui, comme vous le savez, j'ai aussi un vrai boulot, qui, lui, me permet de gagner ma vie. Et de pouvoir passer du temps sur ce blog improbable.



Hors latin, dans les langues italiques
- mais oui, vous voyez, on y arrive -,
nous trouvons donc quelques emprunts au latin, comme... 
  • l'osque uincter“prouver la culpabilité de quelqu'un (emprunt probable),
  • le pélignien uicturei“vainqueur”,
ou même
  • l'osque vikturrai, “victoire”.
Je citerais encore l'osque abaliēros, mais ça, ça se mérite, et c'est peut-être un peu difficile pour un dimanche matin.


L'osque, langue aujourd'hui disparue, appartenait, au sein des langues italiques, au groupe sabellique.

Cette famille sabellique compte, à côté de l'osque lui-même, trois variantes de celui-ci : l'hernicain, le marrucien et le, et le... pélignien. 

Ça alors, décidément, tout se tient.

(source)

 


Protégez-vous, prenez soin de vous et de vos proches, 
Portez-vous bien.




Frédéric


Tiens, et si vous êtes intéressés par l'avis d'un linguiste de haut niveau sur l'écriture dite "inclusive", c'est ici que ça se passe : 

L’Écriture inclusive et les sciences du langage : une offensive épistémologique, par Jean Szlamowicz.

C'est assez long (pour moi, pas assez, mais bon), la qualité de la transmission est plus que moyenne, mais alors, quel brio dans la démonstration...
Et si vous voulez encore en savoir plus, lisez, toujours de Jean Szlamowicz, 


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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,

mais en restant dans les harmonies latines et romanes,

un superbe motet, appelant au recueillement,
à l'introspection, à l'humilité - le propre de l'Homme,
à la sérénité,

de Alonso Lobo,
ca 1555 - 5 avril 1617,
compositeur espagnol de la Renaissance,

Versa est in luctum.

Et c'est Tenebrae,
toujours sous la direction de Nigel Short,
 qui nous en fait cadeau.

Ou, si vous préférez... qui nous en régale (hilarant jeu de mot franco-espagnol)


 Versa est in luctum cithara mea,
et organum meum in voce flentium.
Parce mihi Domine,
nihil enim sunt dies mei.

Ma harpe est accordée aux chants de deuil,
ma flûte à la voix des pleureuses.
Epargne-moi, Seigneur,
car mes jours ne sont rien.

https://youtu.be/DWyG4wqU0Tw

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4 commentaires:

  1. Magnifique! Merci! Bon dimanche ensoleillé!

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  2. :-) Grand merci, @Unknown !
    Bon dimanche à vous !

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  3. Chaque dimanche je remonte le temps, l’esprit ancré dans le présent. Merci à vous.

    RépondreSupprimer
  4. @jean-claud,

    Quelle belle remarque, merci !

    Frédéric

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