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dimanche 25 avril 2021

Oft ic wig seo, frecne feohtan

                           
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Oft ic wig seo, frecne feohtan

extrait d'un riddle (énigme poétique)

tiré du

Exeter Book,
 (ou pour être précis, Exeter Cathedral Library MS 3501, ou Codex Exoniensis),
rédigé en anglo-saxon à la fin du Xème siècle.


Traduit en anglais moderne, cela donnerait :  
often I see battleand fight the foe


ou en français :
souvent je vois la bataille, et combats l'adversaire


Pour l'anecdote,
dans ce riddle (le numéro 5),
l'énigme consiste à découvrir qui parle ainsi à la première personne.

Et moi je sais - euh. 


Pour les malades mentaux,
le texte complet du riddle, en anglo-saxon, est ici, ainsi que sa traduction en anglais


(L'épidémie liée au coronavirus et le confinement ont un impact sur la santé mentale ;  à l'Université de Leiden, on a dû reconnaître une augmentation certaine des inscriptions à la Faculté de Linguistique comparative ; il n'y a pratiquement plus de place, les professeurs et les chargés de cours n'en peuvent plus, ils sont à bout.) 


le Livre d'Exeter,
bibliothèque de la Cathédrale d'Exeter




Bonjour à toutes et tous.


Nous venons de terminer l'étude d'une racine absolument incroyable, *ḱleu-entendre”.

Mais... vous rappelez-vous, au moins, le déclencheur de cette étude ?
Mais oui, OH, nous avions décidé de célébrer à notre manière la naissance de Beethoven, il y a un peu plus de 150 ans.

Nous avions alors découvert que le prénom Ludwig était issu du vieux haut allemand Ludhuwīg, Hludwig, que l'on fait remonter à une forme germanique occidentale reconstruite, *Hlūdawīg

Mais ce *Hlūdawīg était en réalité un... composé.

De...
  • (h)lūt,“célèbre, renommé, “bruyant, sonore”, lointain descendant de *ḱleu-entendre”,
et de...
  • -wīgconflitbataille, descendant d'un verbe proto-germanique *wihan-, se battre”, lui-même descendant de la racine indo-européenne *uik-e-, “vaincre, triompher de”.

Eh bien, je vous propose de revenir au composé Ludwig, mais pour cette fois, nous intéresser à son second terme, -wīgconflitbataille”, et - évidemment - surtout à la racine...

*uik-e-, “vaincre, triompher de”.  




Cette étude nous emmènera dans les langues celtiques, les langues italiques, dans les langues balto-slaves, et au moins en sanskrit et en tokharien.




Alors
- je vous le dis tout de suite -,
pour certains des dérivés que je vous présenterai dans les semaines qui viennent, même si leur morphologie tend à les rapprocher de la racine *uik-e-vaincre, triompher de” (ou d'une de ses formes)leur sémantique ne semble en rien y correspondre. 

Au point qu'alors, leur ascendance étymologique est remise en question.




Il va de soi qu'à chaque fois que nous serons en présence d'un dérivé... incertain, dont l'étymologie peut être mise en cause, je le préciserai. 




Bon. Les précautions d'usage ayant été prises, allons-y.

Et à tout seigneur, tout honneur,



c'est dans le groupe germanique que nous débutons cette étude.


Forcément, je me fonderai pour ce faire sur les travaux de Guus Kroonen,

Guus Kroonen

le brillant et sympathique auteur du Etymological Dictionary of Proto-Germanic.




Nous savons donc déjà que notre *uik-e-, “vaincre, triompher de”, est passée, dans les langues germaniques, par un étymon germanique commun (reconstruit) *wihan-se battre”.

En gotique, il donnera 𐍅𐌴𐌹𐌷𐌰𐌽, weihan, de même sens.

gothique prête à se battre



Dans le sous-groupe des langues germaniques occidentales, il donnera naissance...
  • au vieil anglais wīganse battre, faire la guettre, batailler”, 
dont dériveront, par exemple, les vieux anglais... 

  • oferwīgan, “l'emporter au combat, conquérir”,
  • wīgend, “soldat, guerrier”, et
  • wigian, “se battre”.
Quelques fiers Anglo-Saxons
(ou alors des Brexiteers qui ont peur du photographe ?)



Toujours en vieil anglais, nous retrouvons encore...
  • wīġ, “guerre, bataille” - ce même wīġ dont vous pouvez vous délecter dans le titre de l'article et en exergue -,
et son composé...
  • ānwīġ, où wīġ est précédé de ān, 
ān qui donnera notamment l'anglais one
 
 
et peut se comprendre comme “seul, unique, solo” (j'aime beaucoup “solo”, ce qui me permet de faire ān, “solo”),

Han Solo,
Star Wars

et qui désigne un type de combat en corps à corps, 

où l'on se bat seul contre l'adversaire : le... duel,


 
ou encore

  • le substantif wiga“guerrier, combattant”, qui se traduit, en poésie anglo-saxonne, par “héro, homme”.


Hélas, ces termes n'ont pas survécu au passage des ans, et,

à ma connaissance, du moins,

aucun mot anglais n'en est issu, si ce n'est... l'anglais (obsolète, poétique)... wye, qui continue le vieil anglais wiga.

héros Anglo-Saxons



Allez,  un dernier mot à prendre des langues germaniques occidentales...

Vous rappelez-vous 

- et sinon, mais relisez - Ludwiiiiiig !, pour la nième fois ! - Aber... Was ?, enfin !! -

ce vieux francique *Hlūdawīg, dont nous avons tiré... Clovis ?

On retrouve bien dans ce composé le vieux francique

- langue qui se développera tranquillement du Vème au IXème pour devenir le vieux néerlandais -
 
*wīg, combat.

c'est surtout contre la montée des eaux
que se battent les Néerlandais

Ce *wīg vieux francique,

décidément habitué des seconds termes des composés,

figure également dans le prénom vieux francique *Mārīwīg, littéralement fameux (*mārī) au combat (*wīg)

*Mārīwīg (ou Merowig, Mérovech) sera latinisé pour devenir... Meroveus. Mais oui, Mérovée.

Nous en avons encore gardé,
par le latin médiéval Merovingi, les descendants of Mérovech”,
Mérovingiens, le nom de cette dynastie qui régna sur nos contrées du Vème jusqu'au milieu du VIIIème siècle.

Et Mérovée ne serait que l'aïeul de... Clovis

Enfin, c'est ce que l'on pense généralement... Rien n'est n'est très sûr ; d'ailleurs, on se demande toujours si Mérovée a vraiment existé.

Eh.

Mérovée, 448-458,
deuxième roi (légendaire ?) des Francs saliens


Allez, quittons les langues germaniques occidentales pour du plus septentrional, et par là-même, du plus... rugueux.

non, ce n'est pas de la peinture rouge


En - mais ouiiiiiii ! - vieux norois, le germanique *wihan-se battre”, donnera le verbe... vega, qui, sans surprise, signifie... se battre”.

Décidément, ils n'aiment pas les photographes


Voilà pourquoi, évidemment, ce sont les forces de Véga que doit combattre Actarus, prince d'Euphor, aux commandes de son Goldorak, dans les années 70. Enfin !!

Goldorak, monument de la linguistique comparative germanique.

Á l'Université de Leiden, il est clairement conseillé de connaître
la série complète pour entrer en première candi


Du vieux norois vega, se battre”, seront issus...

  • le danois archaïque vejeoccire, tuer au combat”,
  • l'islandais vega, de même sensHetjan vó drekann pouvant se traduire par le héro pourfendit le dragon,
  • le vieux suédois væghase battre, batailler, occire...”,
ou enfin, et surtout - et rien que pour Monsieur X -,
  • le féroïen viga, au sens spécialisé, pour tuer de sang froid des mammifères marins à la hache ou au gourdin, en savourant leurs cris implorants et désespérés le plus longtemps possible...”.


Et puis, il y a le vieux norois... víg, dont le sens est particulièrement explicitecombat, bataille, homicide, meurtre”.

Le prénom scandinave masculin Viggo, Wiggo, pourrait (sous réserves) en descendre, par latinisation du vieux norois Vigge, dérivé de víg.

l'acteur américano-danois Viggo Mortensen,
filmé ici, au naturel, par un paparazzi alors qu'il faisait ses courses
(le paparazzi a cessé de vivre peu après)


Et cela conclut le chapitre germanique des dérivés de la racine indo-européenne *uik-e-, “vaincre, triompher de”.



Protégez-vous, prenez soin de vous et de vos proches, 
Portez-vous bien.




Frédéric



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Et pour nous quitter,

un morceau étonnamment moderne,

bien qu'il fut composé par le (germano-)danois

Friedrich Kuhlau, 1786-1832.

Friedrich Kuhlau



Voici donc, de Friedrich Kuhlau,

la Fantaisie pour flûte seule en ré majeur, opus 38,

interprétée par la sublime flûtiste allemande Elisabeth Wentland.

https://www.youtube.com/watch?v=be1jJCH32OU

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4 commentaires:

Fafois a dit…

Elisabeth Wentland semble très bien respecter la distanciation physique.

Frédéric Blondieau a dit…

@Fafois

Ahaha, oui, la rigueur allemande, peut-être ?

Fred

LeScrat a dit…

Bonjour Frédéric,

Quelle belle entrée en matière pour cette petite racine qui promet bien des surprises!

N'oublions pas le prénom féminin Hedwig (Edwige en français), issu du vieux haut allemand Haduwig, Hadwig, du proto-germanique *Haþuwīgą, lui-même composé de *haþuz le combat et de *wīgą la bataille.

Hasard du calendrier, c'est aujourd'hui 1er mai de l'an de (dis)grâce 2021 qu'entre en fonction l'application Edwige, censée remplacer les bornes téléphoniques d'urgence présentes tous les deux kilomètres sur les autoroutes et principales nationales de Wallonie.

Edwige, choix innocent? Mmmwouais, j'ai ma petite idée...

Très belle fin de Fête du travail!

Frédéric Blondieau a dit…

@LeScrat

Ah mince, ça alors, Edwige !
Merci, je l'ignorais !!

Bon 1er mai, oui ! Et bonnes fêtes, d'une manière générale ! (vu le retard avec lequel je réponds à ce commentaire)