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dimanche 9 décembre 2018

Coriaces, les Corses. Des durs à cuire.





C'est une des choses les plus difficiles et les plus nécessaires de la vie que d'apprendre à dédaigner. Le dédain protège et écrase. C'est une cuirasse et une massue.”



Victor Hugo, Choses vues




















Bonjour à toutes et tous !


Amis lecteurs, vous rendez-vous compte ?

Depuis que nous nous intéressons à la jolie racine indo-européenne ...

*(s)ker-, “couper, découper”,






nous avons découvert les liens étroits qui unissaient des mots tels que ...
  • les français déchirer, corme et acarien
  • l'anglais shear
  • les grecs anciens κείρω, keírō, couper / raser (les cheveux)...” et κόρση, kórsē, “tempe”,
  • le latin cortex
  • le lituanien kerti, “se détacher, s'enlever...”, 
  • le letton - mais l'est-on vraiment? - sķirt, “séparer, diviser, trancher...”, 
  • l'elfdalien stjärå, “couper”, 
  • le vieil arménien քերեմ, kʿerem, “gratter”, 
  • le gaélique écossais sgar“séparer, couper, trancher...”, 
  • le - oh oui oh oui - moyen gallois yscar, ysgar, “séparer, couper, trancher...”, 
  • le sanskrit कृन्तति, kRntati, “séparer...”, 
  • le hittite - et cher à mon coeur, mais ce n'est pas vos oignons - karšmi, “séparer, couper...”,
  • l'avestique récent kərən̥ta, “couper, ou encore
  • le breton skarinterstice”,


pour n'en citer que quelques-uns.

Les zamis, tout est ici, 'y a qu'à lire :
j'ti jur', c't'article i' déchir sa race (bouffon) 
D'interstice à armistice, il n'y a qu'un pas. De l'oie., 
couper les cheveux en quatre, ou s'arracher les cheveux? et 
- "Arthropodes chélicérates, pathogènes, parasites, bien-pensants !" - Mais voyons, capitaine, ils ne peuvent plus nous entendre !  
"κόρση, cortex, même combat" - slogan émanant d'un gilet jaune luttant pour la réhabilitation de la linguistique indo-européenne



C'est précisément la semaine dernière que nous avons découvert que le latin cortex, “enveloppe des plantes, écorce...” 
- ou aussi, soyons fou, “cortex” -
cortex cérébral

découlait, lui aussi, de notre indo-européenne

*(s)ker-.



Continuons donc sur notre lancée...

Même si - et je le reconnais, c'est particulièrement troublant - nous devons au latin cortex notre français cortex, ...


racine indo-européenne *(s)ker-“couper, découper”
forme *k(o)rt-
proto-italique *k(o)rt-ek-
latin cortex, cortex, enveloppe des plantes, écorce...
emprunt
français cortex



par le bas latin excorticare, nous lui devons aussi notre ... écorcher (1155).
Écorcher ? 
Dépouiller de sa peau (un animal).
Merci, ô Le Grand Robert de la langue française !

Cela, d'ailleurs, nous rappelant pourquoi une racine indo-européenne dont la sémantique est “couper, découper” est à l'origine de mots évoquant la peau, ce qui peut se découper, s'enlever (des os, de l'animal...)



racine indo-européenne *(s)ker-“couper, découper”
forme *k(o)rt-
proto-italique *k(o)rt-ek-
latin cortex, cortex, enveloppe des plantes, écorce...
ex- + cortex +  ⇒  excorticare, “écorcher”
emprunt
français écorcher



une jolie écorchée
(source)



Enfin, par un emprunt tardif
- mais alors tardif: de 1826 -
au latin impérial decorticare“enlever l'écorce, écorcer”, composé de 

dē- +‎ cortex +‎ -ō,



cortex nous également légué ... décortiquer !





racine indo-européenne *(s)ker-“couper, découper”
forme *k(o)rt-
proto-italique *k(o)rt-ek-
latin cortex, cortex, enveloppe des plantes, écorce...
dē- + cortex +  ⇒  latin impérial decorticare,  écorcer
emprunt
français décortiquer




Restons en latin, mais passons à présent à un autre mot, issu d'une forme de *(s)ker- au timbre o et suffixée, 

*skort-o-“coupe, coupure...”


C'est cette forme que nous retrouvons dans le proto-italique *skort-o-, et qui donnera en latin... scortum, “peau”.

Enfin... peau ou, comment dire... euh... prostituée.

Oui, c'est par une audacieuse synecdoque
- exprimant donc le tout pour la partie -
que la peau en vint à désigner la ... courtisane, dirons-nous.


Et non, strictement rien à voir avec une escort girl...

Remarquez d'ailleurs le parallélisme de construction avec notre français “vieille peau”, ou encore mieux, avec l'espagnol pelleja, “peau”, mais aussi ... “prostituée”.


et la peau de mon doigt, tu l'as bien regardée?


Je vous recommanderai, si vous souhaitez creuser ce filon, par Léon Nadjo, L'argent et les affaires à Rome des origines au IIe siècle avant J-C : Etude d'un vocabulaire technique”...



Cette dualité de sens du latin scortum se retrouve dans ses dérivés, parmi lesquels, d'un côté, scorteus, “fait de peau”, et de l'autre, le verbe scortārī, euh... aller aux p fréquenter des prostituées.





Où ça fait notre bonheur, c'est que, à partir de scortum,
et via le latin impérial scortea“manteau de peau”,
le français a fait... écorce (1176, quand même).


racine indo-européenne *(s)ker-“couper, découper”
forme *skort-o-“coupe, coupure...”
proto-italique *skort-o-
latin scortum, “peau, prostituée”
latin impérial scortea“manteau de peau”
ancien français écorce (1176)



création de Vincent Marit


Mais mais mais ! 

La vaillante *(s)ker- a encore donné d'autres beaux mots latins...

Oh que oui !


Par une autre forme indo-européenne au timbre o, qui, cette fois, devait signifier “arraché, enlevé”,

*k(o)r-io-,

*(s)ker- a donné le proto-italique *korjo-, duquel le latin fera... corium.

Corium, (notamment) peau, peau d'animal.

Eh !

- Corium, dans le sens de “peau” ?? Se pourrait-il que ...
- Mais OUIIIIII ! Nous lui devons notre ... cuir !



















L'ancien français cuir 
d'abord quir, fin du XIème, puis cuir vers 1160 -,
désignera, comme en latin
- nihil novi, quoi -,
tout autant la peau de l'homme que celle de l'animal.


Mais il n'a pas tenu la distance...

Sous la concurrence de peau, après le XVIIème, il cessera de désigner la peau humaine, sauf à quelques rares exceptions, comme dans cuir chevelu...


cuir chevelu (massage du)


En revanche, à partir de son sens de “peau animale”, il se spécialisera, et ce dès la fin du XIIème, pour désigner, par métonymie, une peau séparée de la chair, tannée et préparée. 

Du cuir, quoi.


Sièges en cuir de couleur "Forêt d'automne",
pour cette Rolls-Royce Phantom Nautica

racine indo-européenne *(s)ker-“couper, découper”
forme *k(o)r-io-“arraché”
proto-italique *korjo-

latin corium, “peau, peau d'animal...”

ancien français quir (fin du XIème), puis cuir (circa 1160)
français cuir




En vénerie, et construite sur cuir, le terme curiée désignait, deuxième moitié du XIIème, la portion de la pauvre bête que l'on abandonnait aux chiens (car cette portion était étendue, tant qu'à faire dans l'immonde et l'infâme, sur le cuir même de la pauvre victime de la barbarie des hommes).

Le mot se transformera légèrement en curée, et par extension, désignera le fait, ou le moment de donner cette fameuse curée.


latin corium, peau, peau d'animal...
ancien français quir (fin du XIème), puis cuir (circa 1160)

ancien français curiée

français curée






Et puis, corium nous a encore donné... coriace.

Vraisemblablement par le bas latin coriaceus“de cuir”.

Il est amusant de noter, à propos de coriace, que son sens initial était “souple, flexible”, en référence à la souplesse du cuir en lanières.

Mais comme vous le savez, c'est sur un tout autre caractère du cuir, sa dureté, sa résistance, que le sens moderne du mot s'est fondé...








latin corium, peau, peau d'animal...
bas latin coriaceus“de cuir”
emprunt
français corias (1531)
coriace (1549)




Enfin, le bas latin coriaceus“de cuir”, toujours lui, s'est retrouvé dans le latin tardif ... coriacea vestis, vêtements de cuir”.


De là, il passera ...
  • en vieil aragonais, avec cuyraça
  • en italien, avec corazza, et 
  • en ancien occitan, avec coirassa.


Et à partir de l'une de ces sources
- Alain Rey penche pour l'ancien occitan -,
le français a construit... cuirasse.

D'abord, deuxième moitié du XIIIème, sous la forme cuirace, puis, début du XVème, sous sa forme moderne (je vous laisse chercher?) cuirasse.

(On soupçonne que c'est sous l'influence de cuir que s'est forgé le début du mot.)



La cuirasse désignait très précisément la pièce
- à l'origine en cuir ; il y avait une certaine logique -
de l'armure qui protégeait le dos et la poitrine. 

Ce n'est que plus tard que son sens évoluera, pour désigner l'armure en tant que telle, le métal de cette armure.

superbe cuirasse d'une madame Viking


latin corium, peau, peau d'animal...
bas latin coriaceus“de cuir”
latin tardif coriacea (vestis), “(vêtements) de cuir”
ancien occitan coirassa

emprunt
ancien français cuiracedeuxième moitié du XIIIème
moyen français cuirasse, début du XVème




Qui dit cuirasse, dit cuirassier.

À l'origine
- et pour une fois je suis sérieux -
connu sous la forme cuirachier (fin du XVIème), il désignait bêtement un soldat muni d'une, d'une ? cuirasse.  


Pour rendre le moral à ces pauvres soldats
- vous aimeriez, vous, qu'on vous traite de cuirachier ?  
“Ça ou vieille peau, vous me direz... -,
on fit évoluer le mot en cuirassier.


Le sens du mot, aussi, évoluera, pour désigner tout soldat, avec ou sans cuirasse, servant dans une unité de cavalerie, 


(source)

et ensuite dans un régiment blindé.



Enfin, construit sur le verbe (1638) signifiant “revêtir une cuirasse”,
ouiiii, cuirasser, bravo !,
on trouve le moderne (1867) ... cuirassé
ancien navire de guerre de gros tonnage, fortement blindé et armé d'artillerie lourde. 
©Le Grand Robert de la langue française, ô toi, t'ais-je déjà dit à quel point je te remerciais ?


Bien sûr, le cuirassé Potemkine...
et un autre cuirassé célèbre, Крейсер « Авро́ра »,
le croiseur Aurora, Aurore


Et là-dessus, on se quitte pour se retrouver... dimanche prochain, en compagnie d'une nouvelle fournée de dérivés de la toujours sémillante *(s)ker-.


Rien à voir: 

Cette représentation de cuirassiers des guerres napoléoniennes, quelques lignes plus haut, me fait penser aux photos que l'on a toujours des soldats de l'époque !

Ci-dessous, deux des photographies de vétérans de Waterloo,

en uniforme, s'il vous plaît,
prises quelques quarante après la grande boucherie...







Et ce vieux monsieur fut l'un des
derniers vétérans - si pas le dernier -
de la Bataille de Waterloo.

Oui !
Geert Adriaans Boomgaard (1788 - 1899)































Dans le même ordre idée, 

savez-vous que lors de la retransmission d'un jeu télévisé, I've Got a Secret, sur une chaîne américaine en 1956, on filma M. Samuel J. Seymour, qui en possédait un, d'incroyable secret:
Il avait assisté, de ses propres yeux, car présent sur place, à l'assassinat d'Abraham Lincoln au Ford's Theater de Washington le 14 avril 1865 ...






Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche

- ici, pluvieux et venteux -,
et une très, très belle semaine !



Frédéric



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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter, 

Tafelmusik, cet enthousiasmant ensemble baroque,

que dirigeait, à l'époque de cet enregistrement, Jeanne Lamon,

nous interprète

l'Allegro 

du

Concerto pour 4 violons en Ré Majeur,

de

Georg Philipp Telemann.



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Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, Hein ? Vous pouvez par exemple...
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