article précédent : Want waeraen zullen ik en dit volk mogen weten
Je moet die jongens echt even in toom houden.
Néerlandais pour « Tu dois vraiment surveiller ces jeunes lascars »,
littéralement « les tenir en rênes »
L'auberge de jeunesse de Rennes. |
Chers lecteurs, bonjour.
Nous avions, le 24 avril, épinglé une série de mots français (ou presque) descendant du latin dūcō, dūcere, « mener, guider, conduire » ; « tirer , pousser » :
- conduire,
- induire,
- déduire,
- séduire,
- traduire,
- éduquer,
- duc,
- doge,
- ducat.
- duce,
- condottiere,
- douche.
Et ce latin dūcō, dūcere était lui-même issu de la racine indo-européenne...
*deuk-,
« tirer ; pousser ; mener... ».
Ensuite, le 1er mai, nous avons évoqué la descendance de notre jolie *deuk- en grec ancien, avec...
- le verbe δαδύσσομαι, dādússomai, « être égaré, déchiré, tourmenté... »,
et
- le couple ἐνδῠκέως, endukéōs, « soigneusement, avec soin » / ἀδευκής, adeukḗs, « amer ? ; sans soin ? ».
Le 8 mai, nous avons débusqué une série de dérivés britonniques de la racine *deuk- :
- le moyen gallois dwyn, « apporter, prendre, voler... »,
- d'où le gallois dwyn,
- le moyen breton do(u)en, « porter, transporter »,
d'où les bretons...
- douger, «porteur, objet servant à porter »,
- douger-banniel, «porte-drapeau »,
- dougerez, «femme enceinte »,
- dougidigezh, «penchant, inclination »,
- dougus, «portable »,
- le cornique doen, « prendre, apporter, voler ».
Le 15 mai, il était question de dérivés germaniques de la racine indo-européenne *deuk-, « tirer ; pousser ; mener... ».
Avec...
- le gotique 𐍄𐌹𐌿𐌷𐌰𐌽, tiuhan, « mener, guider »,
- le participe vieux norois toginn, « tiré »,
- le vieil anglais tēon, « tirer »,
- le vieux saxon tiohan, « tirer », mais aussi... « éduquer »,
- le moyen néerlandais tien, « tracter, tirer ; avancer, procéder»,
- d'où le néerlandais tijgen, « tirer, aller »,
- le vieux haut allemand ziohan, « mener, élever, éduquer »,
- l'allemand ziehen, « tirer ; extraire ; déménager ; étirer... »,
- l'allemand Zug, « train»,
- le composé allemand Herzog, « duc».
Le 22 mai, nous découvrions une nouvelle série de dérivés germaniques de notre
*deuk-, « tirer ; pousser ; mener... », évoquant tous cet aspect verbal particulier, le fréquentatif :
- le vieux norois toga, « traîner, entraîner... », d'où l'elfdalien tugå, de même sens, et le vieil islandais toga, « tirer, remorquer... »,
- l'anglais tug, « tirer fort, tirer sec, secouer, remorquer... »,
- l'anglais tow, « tirer, tracter, remorquer... »,
- le moyen néerlandais togen, d'où le néerlandais togen, « tirer, traîner... »,
- le vieux haut allemand zogōn, zockōn, zohhōn, « tirer fermement, secouer... ».
Le 29 mai, nous mettions au jour une série de substantifs germaniques dérivés de notre jolie racine :
- le gotique 𐌿𐍃𐍄𐌰𐌿𐌷𐍄𐍃, ustauhts, « aboutissement (d'un parcours d'études, d'un entraînement, par exemple), perfection... »,
- le vieil anglais tyht, « conduite, pratique... »,
- le moyen néerlandais tucht,
- d'où le néerlandais tucht, « discipline, régime, punition, auto-discipline... » ; (obsolète) « chasteté »,
- le vieux haut allemand zuht,
- d'où l'allemand Zucht, « élevage, ferme d'élevage... » ; (daté) « discipline, éducation, manières... »,
ainsi que quelques-un de ses rares dérivés français par la voie germanique, comme :
- touline, « cordage servant à haler un gros cordage (aussière, câble…) »,
- touer, « faire avancer (un navire, une embarcation) en tirant à bord sur une amarre... », sur lequel seront construits...
- toue, notamment « bateau plat à une voile servant de bac ; câble (qui sert à touer) »,
et
- touage.
Le 5 juin, nous nous sommes spécialement intéressés au néerlandais tocht, « marche, voyage, périple, odyssée ; courant (ou flux) d'air ; petit canal de drainage dans un polder ; corde d'ancrage ; fossé connecté à un moulin, station de pompage », et à quelques composés où il intervient :
- aantocht, « approche »,
- pelgrimstocht, « pèlerinage »,
- fietstocht, « tour à vélo »
et
- molentocht, « petit canal reliant les autres canaux d'un polder à un moulin à vent, pour drainer l'excédent d'eau».
Amis lecteurs,
Je vais être franc.
Non, nous n'en avons pas encore fini avec la descendance germanique de notre charmante *deuk-, « tirer ; pousser ; mener... ».
Mais, mais... la petite série de substantifs que je vais vous présenter ici risque de vous épater.
Et c'est avec elle que nous clorons ce long chapitre germanique.
Je vous l'avais signalé précédemment, TOUS les dérivés germaniques de notre jolie indo-européenne...
jolie Indo-Européenne |
je reprends : ... TOUS les dérivés germaniques de notre jolie indo-européenne *deuk- sont construits, directement ou indirectement, sur le proto-germanique *teuhan-, « tirer ».
racine indo-européenne *deuk-, « tirer ; pousser ; mener... »
⇓
forme spécifiquement occidentale *déuk-e-
⇓
étymon germanique *teuhan-, « tirer »
⇓
dérivés germaniques attestés
Oui ?
Ici, précisément, c'est d'un substantif en mo- créé sur le radical de *teuhan- que l'on fait descendre ces mots : *tauma-.
Pour les plus grands malades d'entre vous, notez que ce *tauma- devait originellement s'épeler *taugma-, mais qu'il perdit son *g en chemin.
racine indo-européenne *deuk-, « tirer ; pousser ; mener... »
⇓
forme spécifiquement occidentale *déuk-e-
⇓
étymon germanique *teuhan-, « tirer »
⇓
germanique *taugma-
⇓
germanique *tauma-
⇓
dérivés attestés
Quel pourrait être le sens de *tauma- ?
Guus Kroonen le reconstruit ainsi : « rêne, bride, corde... ».
Oui, puisque le substantif *tauma- est construit sur *teuhan-, « tirer ; conduire », nous pouvons nous représenter ces rêne, bride, corde comme autant d'éléments nécessaires à guider l'attelage. Attelage par lequel, d'ailleurs, un véhicule est... tiré, entraîné.
attelage |
En sera issu, avec le même sens,
- le - ouiiiiiiii ! - vieux norois taumr,
dont seront issus à leur tour...
- l'elfdalien tom,
- le norvégien taum,
- l'islandais taumur,
- le danois tømme,
- le vieux suédois tømber,
- d'où le suédois töm,
et même
- le féroïen teymur, avec cependant un sens spécialisé : « tirer violemment hors de l'eau un pinnipède encore gémissant... » (bien sûr, ce sens est inventé, et n'est destiné qu'à Monsieur X.)
En vieux frison, *tauma- a donné tām, toujours de même sens, dont sera issu
- soyons fous -
le frison saterlandais Toom.
là où |
En vieux haut allemand ? zoum,
dont est issu l'allemand Zaum, toujours de même sens.
Et ainsi de suite. Bon, rien de bien palpitant, me direz-vous...
Peut-être.
Mais... là où ça devient vraiment surprenant c'est qu'en moyen néerlandais, le mot dérivé, toom, qui donnera à son tour le néerlandais toom, désigne tant la bride, la rêne...,
qu'une troupe d'oies, un troupeau (ou un radeau) de canards
(selon qu'ils volent ou nagent ensemble ; pardonnez-moi cette précision),
voire un groupe de cygnes !
Curieux, non ?
Et ce n'est pas fini.
En vieil anglais, nous retrouvons l'étymon *tauma- sous la forme tēam.
Et OUI, c'est de lui que descendra,
par le moyen anglais tem, temme, teom...,
l'anglais... team.
Oui, team ! Team, « équipe ».
a team |
c'est fou comme on y croit, hein ? |
Team, « équipe » ?
Ça aussi, c'est curieux.
Mais l'anglais team désignait avant tout l'équipage.
Dans cette ancienne et si belle acception : l'attelage ; chevaux, harnachement, voiture.
Nous parlions jadis d'un fringant équipage.
Et Madame de Sévigné nous écrit, le 22 avril 1672,
On ne voit ici que des adieux, des équipages qui nous empêchent de passer dans les rues. Je reviens demain pour faire partir celui de mon fils (…)
Madame de Sévigné, 5 février 1626 - 17 avril 1696 |
Je suppose donc que cette surprenante acception néerlandaise, que je pourrais exprimer par « groupe d'oiseaux semblables », n'est qu'une généralisation de la notion d'équipage, quand il est constitué de plusieurs chevaux se déplaçant de concert.
Cette supposition s'appuie sur une acception obsolète de l'anglais team : « groupe d'animaux évoluant ensemble, en particulier jeunes canards».
Frisons se déplaçant de concert |
En tout cas, vous l'aurez compris, ce team anglais est étymologiquement bien éloigné de la notion actuelle d'équipe.
Je n'oserais dire si, quand votre patron parle de son équipe, il entend par là ses animaux de trait. Je pose ça là et vous laisse y réfléchir.
Mais dites-moi, auriez vous cru que nos duc et douche étaient si proches de l'allemand Zug, ou de l'anglais team ?
Eh oui, rendez-vous compte des liens étroits qui unissent des mots de langues différentes, de la parenté de mots d'apparence et de sens si dissemblables.
Merci qui ? Mais oui, l'indo-européen, et tous ces linguistes qui nous permettent de le découvrir et l'apprécier à sa juste valeur.
Je vous souhaite un excellent dimanche, et une très belle semaine.
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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter...
VOCES8
nous interprète
l'Ave verum corpus
de
William Byrd,
qu'il publia pour la première fois en 1605 dans son
Gradualia ac cantiones sacrae, Liber 1
Régalez-vous.
Respirez profondément,
et savourez ce que l'on appelle Musique, harmonie.
Musicoutai, aurait dit le grand Stromae.
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