- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 22 mai 2022

Ég öskraði á þjófinn og hann...

  





Ég öskraði á þjófinn og hann
hljóp eins og fætur toguðu.

Vieil islandais pour « j'ai crié sur le voleur,
mais il a couru aussi vite qu'il a pu. »,
littéralement : « il a couru comme les jambes entraînent (sont capables de vous entraîner) ».



voleur islandais




Chers lecteurs, bonjour.


Nous avions, le 24 avril, épinglé une série de mots français (ou presque) descendant du latin dūcō, dūcere, « mener, guider, conduire » ; « tirer , pousser » :
  • conduire,
  • induire,
  • déduire,
  • séduire,
  • traduire,
  • éduquer,
  • duc,
  • doge,
  • ducat.
  • duce,
  • condottiere,
  • douche.
Et ce latin dūcō, dūcere était lui-même issu de la racine indo-européenne...

*deuk-
« tirer ; pousser ; mener... ».
 


Ensuite, le 1er mai, nous avons évoqué la descendance de notre jolie *deuk- en grec ancien, avec...
  • le verbe δαδύσσομαι, dādússomai« être égaré, déchiré, tourmenté... »,
et
  • le couple ἐνδῠκέως, endukéōs« soigneusementavec soin » / ἀδευκής, adeukḗs, « amer ? ; sans soin ? ».


Le 8 mai, nous avons débusqué une série de dérivés britonniques de la racine *deuk- :

  • le moyen gallois dwyn, « apporter, prendre, voler... »,
    • d'où le gallois dwyn,
  • le moyen breton do(u)en, « porter, transporter »,

d'où les bretons... 

    • douger«porteurobjet servant à porter »,
    • douger-banniel, «porte-drapeau »,
    • dougerez,  «femme enceinte »,
    • dougidigezh, «penchantinclination »,
    • dougus«portable »,
et
  • le cornique doen« prendre, apporter, voler ».



Le 15 mai, il était question de dérivés germaniques de la racine indo-européenne *deuk-« tirer ; pousser ; mener... ».

Avec...
  • le gotique 𐍄𐌹𐌿𐌷𐌰𐌽, tiuhan« mener, guider »,
  • le participe vieux norois toginn« tiré »,
  • le vieil anglais tēon, « tirer »,
  • le vieux saxon tiohan« tirer », mais aussi... « éduquer »,
  • le moyen néerlandais tien« tracter, tirer ; avancer, procéder»,
    • d'où le néerlandais tijgen« tirer, aller »,
  • le vieux haut allemand ziohan« mener, élever, éduquer »,
ou encore...
  • l'allemand ziehen, « tirer ; extraire ; déménager ; étirer... »,
  • l'allemand Zug« train»,
et
  • le composé allemand Herzog, « duc».





Amis lecteurs, 

Étendons donc quelque peu la liste de ces dérivés germaniques...

Je vous l'avais signalé la semaine dernière, l'on fait remonter tous ces mots,
directement ou indirectement,
à l'étymon germanique reconstruit *teuhan-« tirer ».



Avant d'aller plus loin
- et je m'adresse ici aux rares gens normaux qui lisent ce blog (il semblerait qu'il y en ait malgré tout quelques-uns, même si je n'y crois pas trop -,
savez-vous ce qu'est un verbe itératif (ou fréquentatif) ?


Si je vous pose la question, c'est que cet aspect lexical, le fréquentatif, n'est pas vraiment ancré en français
(ou encré, si l'on se réfère à la langue écrite - voilà un calembour de bon aloi dont Monsieur X fera ses longues soirées d'hiver),
même si nous l'utilisons euh... fréquemment, sans même nous en rendre compte.

Le phénomène est simple comme tout : d'une manière générale, et quelle que soit la langue,  pour faire un verbe fréquentatif, on prend un verbe tout ce qu'il y a de plus normal (on parle de verbe simple), et on le triture, en lui adjoignant un préfixe, ou en modifiant son radical...


Le latin ? Mais il en vit, du fréquentatif !

Ainsi, le verbe canere« chanter, déclamer un poème » donnera au fréquentatif cantare,
« chanter souvent », d'où « fredonner ».

Le latin adore tellement les fréquentatifs qu'il crée des fréquentatifs sur des... fréquentatifs.



Si le latin agere signifiait « faire, agir », son fréquentatif actare se comprenait comme « faire... en général, agir... d'habitude ». 

Et sur actare s'est créé actitare, qui lui, marque l'agitation désordonnée : « s'agiter, ne pas tenir en place, se débattre inutilement... ».


En français, nous l'ignorons souvent, tapoter est le fréquentatif de taper, tâtonner de tâter, tirailler de tirer, clignoter de cligner...

Et parfois même, sans avoir recours à un verbe particulier, nous exprimons parfaitement l'idée d'itération par le temps de la phrase ! Si si, car l'imparfait peut magnifiquement exprimer la répétition. Par exemple, « il toussait » signifie implicitement qu'il a toussé plusieurs fois...

Eh !




Or donc, notre germanique *teuhan-, « tirer », avait un fréquentatif, que l'on reconstruit sous la forme... *tukk/gōn-. On lui donne le sens de  « tirer par saccades, secouer... ».


En sont issus...
  • le - mais ouiiiiii ! - vieux norois toga« traîner, entraîner... »,
d'où...
    • l'elfdalien tugå, de même sens,
(pour les nouveaux, l'elfdalien est un ensemble de dialectes parlés
dans le nord de la province suédoise de Dalécarlie,
ici vers le centre de la carte, dans une couleur
qu'un homme cis hétéro peut difficilement nommer)

et
    • le vieil islandais toga« tirer, remorquer... », comme dans hlaupa eins og fætur toga, litt. « courir comme les jambes entraînent »,
  • le vieil anglais togian,
    • dont dérivera le moyen anglais toggen,
      • dont sera à son tour issu l'anglais tug« tirer fort, tirer sec, secouer, remorquer... », 
l'anglais tug-of-love désignant cette lutte acharnée à laquelle se livrent les parents d'un enfant pour en avoir la garde ; 


tug of war pouvant se traduire par tir à la corde, et
 
 
tugboat désignant évidemment le... remorqueur,
 
Theodore Tugboat, Théodore le remorqueur,
série télévisée canadienne
(pour les enfants, je pense. Enfin... j'espère)

  • l'anglais tow« tirer, tracter, remorquer... », toujours issu du vieil anglais togian, mais cette fois par la forme moyenne anglaise towen
le cousin de Théodore, je suppose...
[soupir]

  • le moyen néerlandais (comme si ça existait, un Néerlandais moyen ??) 

 
le moyen néerlandais, disais-je, togen, qui donnera le néerlandais togen« tirer, traîner... »,

ou encore...

  • le vieux haut allemand zogōn, zockōn, zohhōn« tirer fermement, secouer... », dont nous avons déjà découvert un beau descendant dimanche dernier...

Eh oui, le vieux haut allemand zug était le déverbal de zogōn, dont sera issu évidemment ce mot allemand que je vous avais offert en avant-première la semaine dernière : Zug« train».
 
 


Ouais, ou plutôt...

(ça, c'est Thomas the Tank Engine,
Thomas la machine à vapeur.)
Là, je crois que j'ai fait le tour.
[long soupir]


Zug ! Par ses diverses acceptions, mes enfants, si vous l'écoutez bien, vous comprendrez qu'il nous raconte son histoire, son étymologie, et celle de ses cousins (germains)...
 

Car il serait navrant de ne traduire l'allemand Zug que par « train ».

Oh que oui ! Il désigne également l'action de pousser, le tirage (d'une cheminée, par exemple), la traction, la course, le coup frappé...






Amis lecteurs, 

Nous continuerons à étudier la descendance germanique de notre indo-européenne *deuk-« tirer ; pousser ; mener... », la semaine prochaine.





Je vous souhaite un excellent dimanche, et une très belle semaine. 

Portez-vous bien.




Frédéric



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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

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Et pour nous quitter,

un morceau de Paul McCartney,

tiré du premier album qu'il sortit, fin avril 1982, 

après la dissolution de Wings,

et nommé particulièrement bien à propos...

Tug of War.
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