article précédent : Ô Dieux ! ô justes Dieux ! donnez-nous du secours ; Les Vents, les Mers, le Ciel, tout menace nos jours !
« Le véritable mélomane est celui qui colle son oreille à la serrure d'une salle de bains afin d'entendre une femme chanter. »
Pierre Doris
Et pour le résumé consacré à ladite racine, c'est ici qu'ça s'passe :
Continuons, voulez-vous, à explorer les dérivés helléniques de notre belle racine.
Il y en a encore une flopée ; évoquons donc les plus intéressants, les plus surprenants...
Nous avions parlé il y a peu d'une forme verbale archaïque μέμονα, mémona, « avoir en tête, penser fortement à », d'où « avoir l'intention de, vouloir, désirer... », ainsi qu' « être plein d'ardeur, de courage... », (un parfait, certes, mais employé au sens d'un présent).
Allez, on se bouge et on relit τοὺς δὲ ἰδὼν ἐλέησε Κρόνου πάϊς ἀγκυλομήτεω.
À cette forme au parfait correspond en réalité l'infinitif actif μεμονέναι, memonenai.
Je vous propose donc, pour ce qui suit, de mentionner ce verbe sous cette forme, μεμονέναι, memonenai.
Eh bien, sachez que sur le radical de μεμονέναι, memonenai, s'est construit (tout seul) l'adjectif αὐτόμᾰτος, autómatos, « qui se meut de lui-même », entendez « par sa propre volonté », où, bien évidemment, vous reconnaissez αὐτός, autos, « soi-même ».
Eh oui, notre automate en provient bien.
Vous allez me dire que le terme français est une création savante récente, non ?
Il n'en n'est rien.
L'adjectif (car il s'agit à l'origine d'un adjectif) automate fut emprunté au grec en... 1532 !
Et votre étonnement de continuer...
Car savez-vous qui l'a emprunté, et donc créé en français ? Mmmmh ?
Un indice ?
OUI ! Cette splendide illustration, par Gustave Doré, de Gargantua et Pantagruel vous mènera à...
Rabelais !
Et précisément à son Gargantua, où il parle de « petits engins automates, c'est-à-dire soi mouvans eux-mêmes ».
Le mot va hélas s'oublier pendant près d'un siècle, pour réapparaître comme nom au début du XVIIème, puis enfin tant comme nom qu'adjectif un siècle plus tard (bravoooo ! Oui, vous avez fait le calcul : au XVIIIème).
À cette époque, par la magie d'un de ces glissements de sens dont nos langues ont le secret, il désignera spécialement un appareil imitant les mouvements d'un être vivant.
En 1751 est attesté son dérivé tellement célèbre qu'il en est devenu
- c'est la rançon de la gloire -
on ne peut plus commun,
Remarquez cependant qu'automatique a, lui, conservé le sens initial de l'emprunt automate.
Et puis, de notre racine *men-, « penser », citons encore un autre dérivé grec ancien.
Il s'agit d'un verbe :
- μῐμνήσκω, mimnếskô, « rappeler à la mémoire, se remémorer quelque chose, se souvenir, avoir en tête... ».
Si pour Beekes, il est seulement probable que μῐμνήσκω, mimnếskô, descend de la racine indo-européenne *men-, « penser » (ici au sens de « se souvenir »), pour Chantraine, cela ne fait aucun doute.
Il note cependant que ce radical particulier, qu'il retranscrit*mnā- (*mneh2- pour Beekes), dérivé de *men-, « penser »,
se trouve peu attesté hors du grec.
Ce qui, d'ailleurs, pourrait expliquer la tiédeur de Beekes quant à son ascendance.
(Notons que Beekes n'éprouve que de très légers doutes, n'hésitant pas à attribuer à μῐμνήσκω, mimnếskô, le Beekesogramme ◀ IE *mneh2-, « se souvenir » ▶, que vous lirez ainsi : le terme descend de la racine indo-européenne *mneh2-, « se souvenir ».)
(Pour apprécier à leur juste valeur ces délices de concision que sont les Beekesogrammes - c'est nouveau, ça vient de sortir -, relisez Harry Potter et l'influence de l'environnement et des effets de substrat sur les substances déterminant la valeur du moût et du vin.)
Les étonnants glissements de sens, il n'y en a pas qu'en français, évidemment...
Témoin cette superbe spécialisation ultérieure du sens d'un verbe apparenté à μῐμνήσκω, mimnếskô, considéré à l'origine comme l'un de ses synonymes...
Je veux parler de...
- μνάομαι, mnáomai, dont le sens premier est bien « songer à, avoir en tête » mais qui évoluera en
- tenez-vous bien -
... « rechercher une femme en mariage » !
Mais oui, d'en « avoir plein la tête ; ne plus penser qu'à elle » à « désirer, convoiter » une femme, il n'y a finalement qu'un pas...
Ça me fait penser à une réponse involontairement mal négociée d'un de mes amis à sa jeune compagne (c'était encore au siècle dernier) qui lui avait ingénument demandé :- « Si tu ne me connaissais pas, tu voudrais sortir avec moi ? ».Il lui avait alors répondu...- « Si je ne te connaissais pas, oui ! ».Ça ne s'est pas trop bien passé...
Ce type de pensée obsessionnelle, cette monomanie, se retrouve dans un autre verbe de cette grande famille :
- μαίνομαι, maínomai, « être fou, délirer, être enragé ».
Monomanie ? Je n'aurais pas pu mieux dire...
Car, dérivé de μαίνομαι, maínomai, « être fou, délirer, être enragé », il y a encore...
- le grec ancien μανία, maníā, qui peut désigner « enthousiasme », mais aussi et surtout « désir fou, compulsion, folie... ».
En sont dérivés nos maniaque, et tous ces mots en -mane, comme mythomane, mélomane...
... ou même Batmane (à prononcer Batmanaaan), la version parisienne de Batman.
Enfin
- et nous terminerons l'article par lui -,
mentionnons un mot que - je peux le supposer - vous attendiez tous depuis un certain temps,
- le grec ancien μνήμη, mnḗmē, « mémoire, souvenir ; mention ».
N'oublions pas Mémé... euh non, Μνήμη, Mnếmê.
Mnémé, la Muse de la Mémoire, qui plus est fille de... Μνημοσύνη, Mnêmosúnê, Mnémosyne, déesse de
- je vous laisse deviner ? -
la Mémoire.
À μνήμη, mnḗmē, « mémoire, souvenir ; mention », le français doit
- évidemment -,
ses mnémotechnie, amnésie, mais aussi amnistie (que l'on pourrait comprendre par le pardon par l'amnésie : l'oubli).
À vous tous, un excellent dimanche, et une très bonne semaine.
Portez-vous bien.
Frédéric
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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter…
NON, Gustav Holst n'a pas composé que Les Planètes, enfin !
Nous lui devons aussi ce merveilleux Christmas Carol
- car oui, ce bon Gustav était non pas allemand, mais anglais -
qu'est...
In The Bleak Midwinter,
non pas mise en bouche mais plutôt mise en musique d'un inspiré poème de la poétesse anglaise Christina Rossetti (je sais, mais elle aussi, elle est anglaise).
Laissez-vous donc emporter par l'ensemble
Tenebrae,
dirigé par l'irremplaçable
Nigel Short.
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oui, nous y pensions
RépondreSupprimeret passionnant
à mémé je vis presque Marilyn (Monroe) Μνήμη (Μνημοσύνη), même
merci toujours encore, et chaque semaine ;^)
@configuratao
RépondreSupprimer:-D Merci à vous !