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dimanche 24 octobre 2021

Harry Potter et l'influence de l'environnement et des effets de substrat sur les substances déterminant la valeur du moût et du vin.

  






Dépasser l'apparence de l'âge pour ne garder que le substrat de l'être.
C'est là qu'on trouve le meilleur de l'homme

L'Âme du mal,
Maxime Chattam



C'est cela, oui.

Ces textes en exergue auxquels je ne comprends strictement rien,
Frédéric Blondieau




Ce qui m'a inspiré le titre de l'article ?

S'évertuer, en adulte, à lire un article scientifique,
quand votre propre femme vous fait ça…  




Bonjour à tous !


Nous poursuivons aujourd'hui notre quête des dérivés de la racine indo-européenne...


*kelh-, “battre, frapper”.




Un rapide point ? 

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🜛

Le 10 octobre 2021, à la recherche de l'étymologie du français calamité, nous étudiions les latins
  • călămĭtāsfléau, malheur, défaite, ruine...”,
et
  • incolumis, “sain et sauf, non endommagé...”, d'où 
    • l'espagnol incólume,
    • l'italien incolume,
    • le portugais incólume.
      Călămĭtās et incolumis pourraient peut-être descendre de la racine indo-européenne *kelh-, “battre, frapper”.

      En revanche, le latin clādēs, “destruction, désastre, défaite...”, en est un parfait dérivé.

      Nobis omnes conscii sumus...10 octobre 2021

      🜛

      Le 17 octobre, nous découvrions un beau dérivé latin de notre racine *kelh-, “battre, frapper”, 
       -cellō“frapper”, sur lequel seront composés les latins...
      • percellō, percellere“abattre, terrasser, heurter avec violence...”,
      • recellō, recellere“reculer, rebondir (vers l'arrière) ...”,
      et
      • procellō, prōcellere, “porter en avant, jeter violemment en avant, renverser...”, et en mode pronominalse prōcellere“se jeter en avant, s'allonger...”.
      De procellō dérivera prŏcella, tempête, orage, ouragan”, d'où...
      • le portugais procela, de même sens, 
      et nos moyens français...
      • procelletempête”,
      • procellé“produit par l'orage”,
      • procelleux, “tempétueux”.
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      Chers amis lecteurs, 

      Dans les cartons vous attendent, pour la suite, du celtique, et même du balto-slave, mais aujourd'hui, il sera question de grec ancien.



      Dites voir... Vous n'en auriez pas un peu marre, que je vous présente, pour la nième fois, une fournée de dérivés de la racine du moment ?
      Et vas-y que je t'en donne l'étymon proto-trucévidemment reconstruit, et gnagnagna, et gnagnagna...

      Non ?

      Parce que, , voyez-vous, là maintenant, ça m'arrangerait assez bien... 

      Aujourd'hui, je vais vous présenter une série de mots qui NE SONT PAS dérivés de notre racine du moment, notre *kelh-, “battre, frapper”. 

      C'est pas faute d'essayer, 'faut dire, mais voilà : j'ai beau secouer la nasse (celle de la pêche aux dérivés),


      pour ce qui est du grec ancienil ne semble pas qu'on puisse y trouver le moindre dérivé.

      Il ne semble pas : oui, je resterai cependant prudent.

      Vous l'avez déjà vu, pour ce qui est des dérivés latins de notre racine, il est parfois difficile d'affirmer quoi que ce soit.

      Eh ben, pour les dérivés helléniques, rebelote, c'est la même histoire qui se répète...

      vous reconnaissez évidemment le sublimissime Groundhog Day, 1993
      - pas vraiment bien traduit par Un jour sans fin -,
      où la même journée recommence, encore, 
      encore, encore, encore, encore, encore...
      (encore, encore, encore, encore... et encore...)



      Pour faire simple, et résumer tout ce tumulte grec ancien
      - cette procelle grecque ancienne -
      en une formule-choc :

      tadaaaaa


      Substrat pré-grec.


      Mais, avant d'aller plus loin, savez-vous ce qu'en linguistique historique, l'on qualifie de substrat ? 
      C'est tout simple, en fait.

      substrat pour gazon


      Comme vous le savez, c'est bien souvent la langue du vainqueur qui s'impose...

      Mais, ironiquement, en examinant cette langue victorieuse, on pourra parfois encore repérer certains des restes de la langue
      évincée, oubliée, humiliée,
      du vaincu...

      Le substrat représente en quelque sorte les reliquats, les vestiges d'une langue autochtone anciennement parlée sur un territoire donné, désormais disparue, et qui a peu ou prou influencé celle qui l'a un jour supplantée après l'invasion, la conquête dudit territoire par des locuteurs allochtones..

      Par métonymie, on parle aussi de substrat pour désigner non plus l'influence d'une langue disparue sur une autre, mais bien cette langue disparue elle-même...


      Une langue est un dialecte avec une armée et une marine.

      Max Weinreich (1894-1969)


      Oh, les exemples de substrats abondent...

      Certains mots gaulois (ici, la langue substrat) sont passés au latin, la langue de l'envahisseur, et de là, au français : ruche, boue...
      Toujours selon le même principe, certains mots celtiques - comme le gallois penguin - sont passés à l'anglais...
      Et ainsi de suite.

      Quant à ce fameux substrat pré-grec, il désigne en particulier les dialectes, dont on sait peu de choses, irrémédiablement perdus, qui se parlaient autour de la mer Égée, 

      la mer Égée

      AVANT que des tribus d'allumés indo-européens n'y débarquent, à l'Âge du bronze, et finissent par y imposer leurs propres dialectes, qui, linguistiquement, correspondent au proto-grec

      Mais oui, comme l'Amérique n'a pas à proprement parler été découverte par Christophe Colomb, de même, il y avait bien des autochtones, autour de la mer Égée, riches de leur langue, avant que ne s'impose là-bas le rouleau-compresseur des envahisseurs d'origine indo-européenne…

      Ce substrat pré-grec sort vraiment du lot, car si l'on ne dénombre, par exemple, que quelques rares mots gaulois passés au latin, l'on soupçonne que plus d'un millier de mots
      (y compris des noms propres, comme Ὀδυσσεύς, Odysseús, oui oui, Ulysse ! )
      sont passés des dialectes autochtones au grec ancien.
      Sans compter les apports phonétiques et morphologiques de ce substrat dans la langue grecque ancienne…


      Ce n'est évidemment pas pour rien que Robert Beekes...

      Robert Stephen Paul Beekes,
      2 septembre 1937 – 21 septembre 2017

      … y a consacré un bouquin entier (!), Pre-Greek : phonology, morphology, lexicon.

      Et j'avoue qu'à mes yeux, c'est aussi la marque de fabrique de Beekes, particulièrement tranchante, et que je réduirais ainsi :
      “Quand l'étymologie d'un mot grec ancien est peu claire, ou discutable, alors…,
      c'est du pré-grec.

      Robert Beekes, intarissable sur le pré-grec, nous explique qu'il devait s'agir d'une seule langue, vraisemblablement représentée par une série de dialectes. Il ajoute même
      - ah ça, 'faut pas le lancer sur le pré-grec, Robert -
      que l'on peut facilement (c'est lui qui le dit) distinguer les emprunts pré-grecs des mots réellement grecs (ceux, donc, d'ascendance indo-européenne).
      • Le cas le plus simple ? Ceux pour lesquels on ne retrouve aucune étymologie indo-européenne, forcément.
      • Parfois, également, un mot, comparé à d'autres mots de la même famille, présentera des variations qui ne peuvent s'expliquer en indo-européen.
      • Et puis, il existe de nombreux suffixes typiques du pré-grec.
      • Le sens, enfin, d'un mot, peut aider à le catégoriser, car, souvent, sont pré-grecs les noms de plantes ou d'animaux, ou des mots qui ont trait à l'agriculture (en particulier à la viniculture), à la marine... Les termes sexuels, aussi, sont bien souvent pré-grecs....

      Oui, je suis bien d'accord, c'est fascinant !




      Si donc je me fie à la rigoureuse ligne de démarcation
      - démarcation, on en parlait ici -
      qu'établit Robert Beekes, AUCUN des mots grecs anciens que je me fais fort de vous offrir ci-dessous,
      tous à l'étymologie peu claire ou discutable,
      n'offrirait suffisamment de garantie pour pouvoir être relié à coup sûr à notre racine *kelh-, “battre, frapper”.


      AUCUN. PAS UN SEUL.

      Mais bon, à vous de vous faire votre propre idée, après tout...


      Comme souvent - vous me connaissez -, j'exagère
      Mais oui, les emprunts ne me donnent pas toujours la nausée ; je ne déteste pas à ce point-là ce pauvre Stromae etc. Je connais même quelques Anglais qui ont voté en faveur du Brexit, et qui sont tout sauf des idiots.
      Et non, feu le grand Robert Beekes ne maniait d'une main experte ni la machette

       


      ni la tronçonneuse,

       


      et en l'occurrence, lui-même doutait des étymologies que je vais vous présenter, et ne pouvait se résoudre à affirmer quoi que ce soit.
       
      Quand, dans son Etymological Dictionary of Greek (constituant les premier et deuxième volumes du Leiden Indo-European Etymological Dictionary, IEED),

       

      Beekes peut affirmer qu'un mot est pré-grec, il lui accole un cryptogramme ◀ PG ▶.
       
      Mais s'il y a incertitude, Beekes l'estampillera d'un ◀ PG? ▶.
       
       
      D'autres symboles qui pourraient nous être utiles ?
       
      ◀ PG (V) ▶ indiquera qu'il s'agit d'un mot pré-grec au vu de la présence constatée de... variations ;
        
      ◀ PG (S) ▶ précisera que la raison pour laquelle ce mot est pré-grec est liée à la présence d'un suffixe pré-grec,

       alors qu'un ◀ IE ▶ désignera (évidemment) un mot d'ascendance indo-européenne

      - ouuuf -, 

      et qu'un ◀ IE? ▶ signifiera que même s'il existe une étymologie indo-européenne susceptible d'expliquer ce mot, elle n'est pas entièrement convaincante...



      C'est bon ? Alors, allons-y !

      • κλάω, kláô“briser, casser...”.

      Franchement, mais quel beau dérivé de notre *kelh-, “battre, frapper” !




      Pour Beekes, cependant, une dérivation formelle depuis *kelh-, même si envisageable, reste obscure (“unclear”).


      Résultat ?

      ◀ PG? ▶.

      Traduisez “vraisemblablement emprunté au substrat pré-grec”.


      On continue ?
      • κλάδος, kládos, “branche, jet, brindille...”.
      Non, n'allez surtout pas imaginer pas que le lien sémantique entre “battre, frapper ; casser, briser” et “branche” réside dans le fait que l'on peut utiliser une branche pour frapper.

      Basil (John Cleese), dans Fawlty Towers

      Ou qu'une branche, ça se casse.



      Meuh non, pas du tout. Il faut y voir l'idée de la cassure ; la branche représentant une cassure, une fracture, une rupture, par rapport au tronc.


      Ah, mais ouiii ! Mais il est formidable, ce κλάδος, kládos, “branche, jet, brindille...”, quien plus, ressemble tellement au latin clādēs“destruction, désastre, défaite...” !

      Aaaaaaah.



      Oui, mais...


      ... une dérivation de notre racine 
      *kelh-, “battre, frapper”, ne pourrait aucunement expliquer la forme grecque κλάδος, kládos, “branche, jet, brindille...”, qui présuppose, elle, une racine *kld-.
      Vous voyez un d, dans *kelh-, vous ? Ben, voilà.

      Tiens tiens, il existe une racine indo-européenne *kdo-“(morceau de) boisqui pourrait faire l'affaire, formellement et sémantiquement. À retenir, non ?

      D'autre part…, en restant en grec ancien, κλάδος, kládospeut aussi parfaitement être relié à κραδάω, kradáo“agiter, brandir…(une branche)”.

      Jusque là…




      Oui, mais… voilà : 

      Pour Beekes, parmi les fameux indices permettant d'identifier les mots du lexique pré-grec figure notamment une variation consonantique que l'on constate à l'examen d'une série de mots d'une même famille, selon laquelle, à la position où figure un ρ (r) dans un mot, apparaît, dans un autre, un λ (l) (et, forcément, vice versa).

      Regardez donc plus attentivement κλάδος, kládos, et puis κραδάω, kradáo.

      Encore une fois ?

      κλάδος, kládos, puis κραδάωkradáo...

      - Gasp !


      - Eh oui, comme vous dites.

      Cette variation, cette alternance, cet échange d'un ρ (r) contre un λ (l), renvoie au substrat. Oui, pré-grec, merci.

      Bon, même si pour Beekes, il n'est pas question de notre *kelhici, il se pourrait quand même, nous l'avons vu, que le mot soit d'origine indo-européenne.
      Si, évidemment, il n'est pas carrément emprunté au pré-grec.

      Conclusion, en demi-teinte (je vous la traduis et retranscris telle que nous la soumet Beekes) :

      ◀ PG?, IE? *kdo-“(morceau de) bois▶.

      Traduisez étymologie peu claire ; il pourrait s'agir d'un emprunt au substrat pré-grec, ou alors d'un dérivé de la racine indo-européenne *kdo-“(morceau de) bois.




      ici, un emploi de demi-teinte particulièrement à propos

      deveniraanh grih,
      (dixit le groupe Visage dans leur hit planétaire
      Fade to Grey)
      https://youtu.be/UMPC8QJF6sI



      Eh bien, je vous propose d'en rester là pour ce dimanche.

      La semaine prochaine, encore du grec ancien, mais aussi
      - et surtout - 
      du pré-grec...

      Et puis, quand même, quelques beaux dérivés français, repris du grec ancien.







      Je vous souhaite, à toutes et tous,
      un excellent dimanche, une heureuse semaine.





      Frédéric

      ******************************************
      Attention,
      ne vous laissez pas abuser par son nom :
      on peut lire le dimanche indo-européen
      CHAQUE JOUR de la semaine.
      (Mais de toute façon,
      avec le dimanche indo-européen,
      c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

      ******************************************

      Pour nous quitter,

      une très grande dame de la chanson espagnole,

      Luz Casal,

      qui reprend ici, seulement accompagnée au piano, 

      dans une version intimiste

      - presque trop intime même,
      comme si, toute pudeur passée, elle se racontait, fragile, en confidence,
      en confiance -,

      la chanson de Dalida Il venait d'avoir dix-huit ans,
      devenue, par sa voix tantôt rugueuse, tantôt veloutée,

      18 años.


      Quelle grande dame.


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      article suivant : Dieu que la plèbe est orchidoclaste. - Tristan-Edern Vaquette

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