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dimanche 30 janvier 2022

ձմերային ձիգ գիշերք

         


      



ձմերային ձիգ գիշերք, jmerayin jig gišerkʿ,

“les longues soirées d'hiver”,
en arménien classique


Les longues (et belles) soirées d'hiver, en Arménie...
Ici, la sublime cathédrale Sainte-Etchmiadzin,
le plus ancien édifice chrétien arménien.






Amis lecteurs,

Les pieds dans la neige, nous poursuivons notre grand périple, qui nous emmène à la rencontre des dérivés de la forme indo-européenne...

*ǵʰ(e)i-m-“hiver”.




Mais avant de poursuivre, faisons le point.

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Le 12 décembre, nous avons (notamment) appris que le latin classique 
hiems, hiemis“hiver, tempête
, en descendait, avec, à sa suite,
  • les latins bīmus, “âgé de deux ans”, trīmus, “âgé de trois ans”, quadrīmus, “âgé de, de quatre ans”, et quadrīmulus, “qui n'est âgé que de quatre ans”,
  • l'adjectif latin classique 
    hibernus
    “hivernal”, et
  • son emprunt en français, hiver.


D'hiver, les Divers Jeux rustiques ?, 12 décembre 2021

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Le 19 décembre, nous passions en revue quelques-uns des emprunts laissés par le latin hibernum dans les langues romanes :
  • le roumain iarnă,
  • le catalan hivern,
  • l'occitan ivèrn,
  • le normand hivé,
  • le wallon ivier,
  • l'asturien iviernu, hibiernu,
  • le piémontais invern,
  • le dalmatien inviarno,
  • l'talien inverno,
  • le sicilien nvèrnu,
  • le portugais inverno,
  • l'espagnol invierno,
  • le romanche enviern.
Nous avons ensuite traité de la descendance de la forme *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, e
n grec ancien avec :
  • χεῖμᾰ, kheîma
    “hiver, froid, gel, tempête”,
sur lequel se sont construits :

  • χειμών, kheimónhiversouffrancedétresse”,
  • χιών, khiốn,neige, neige fondue, eau glacée”, d'où
    • Χιόνη, Khiónê, Chioné, déification de la neige,
  • χίμαιρα, khímairachimère. 
Nous avons enfin mentionné quelques mots germaniques désignant bien l'hiver, mais ne descendant pas de *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver” :
  • le gotique wintrus,le vieux norois vetr, d'où le féroïen vetur,
  • l'elfdalien witter,
  • le vieux frison winter,
  • le néerlandais winter,
  • le vieil anglais winter,
    • d'où l'anglais winter.

Avec le vent du nord..., 19 décembre 2021

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Le 26 décembre, nous avons entamé l'étude des dérivés germaniques de notre *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, avec...
  • Le vieux norois 
    gói, 
    gœ, “fin de l'hiver”, d'où...
    • l'islandais góa, “fin de l'hiver”,
    • le norvégien nynorsk gjø, go, “fin de l'hiver”,
    • le féroïen gø, “fin de l'hiver”,
  • le composé vieux norois gómánaðr, “mois de la fin de l'hiver”, d'où...
    • le vieux suédois göyomånat, “février”, dont est issu...
      • le suédois désuet göjemånad“février.
Góa er næstseinasti mánuður vetrarmisseris, 26 décembre 2021

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Le 2 janvier, nous terminions le chapitre germanique des dérivés de *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, avec l
es composés vieux bas franciques (latinisés)...
  •  ingimus“animal d'un an”,
et
  • tuigimus, “animal de deux ans”.

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Le 9 janvier, nous avons commencé l'étude des dérivés celtiques de *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, avec...
  • le vieil irlandais
     gam, gem, gaim,
     hiver”, dont dérivent...
  • le vieil irlandais 
    GAMI-CUNAS, litt. hiver-loup”,
  • le vieil irlandais gemred, gaimred, littéralement 
    saison de hiver
    ”, 
    d'où
    •  l'irlandais geimhreadh
      hiver”,
  • le gaélique écossais geamhardh, geamhraichhiver”,
  • le manxois geureyhiver”,
  • le vieil irlandais fogamar
    automne, récolte, d'où
    • l'irlandais fómharautomne, saison des récoltes, récolte”,
    • le gaélique écossais foghar, “récolte, automne,
    • le manxois fouyr“automne, récolte”,
  • le vieux gallois gaem
    hiver”, d'où
    • le moyen gallois gayaf, gaeaf,
       
      hiver”, d'où
      • le gallois gaeaf
        hiver”, d'où
        • le gallois cynhaeafrécolte ; (désuet) automne”, 
  • le vieux breton guoiam, d'où
    • le moyen breton gouaffd'où
      • le breton goañvgouañv, hiver
et
  • le vieux cornique goyf, hiver”, d'où
    • le cornique gwavhiver”, d'où
      • le cornique kynnyav, kydnyadhautomne”.
Un loup en hiver, 9 janvier 2022

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Le 16 janvier, nous avons traité des dérivés gaulois de *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, avec...
  • le 
    gaulois
     
    giamos (hiver”), 
que l'on retrouve dans de nombreux anthroponymes : 
  • Giamos, Giamius, Giama, Giamillus, Giamilos, Giamillius, Giamatus, Giamonius, Giamisus, Giamissa...,
dans quelques toponymes :
  • mons Berigiema, Bargème, Bargemon...
et dans 
  • giamoni(o)s, le nom du septième mois du calendrier gaulois.
Nous avons également découvert le gaulois (non-attesté) *gēvros, vraisemblablement à l'origine du français givre, du provençal gibre, ou encore du catalan gebre.

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Le 23 janvier, nous avons traité des dérivés balto-slaves de *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, qui signifient tous hiver :
  • le lituanien žiemà,
  • le samogitien žėima,
  • le letton zìema, 
    • d'où le composé letton ziemassvētki, Noël, 
  • le latgalien zīma.
  • le vieux prussien semo,
  • le vieux slavon d'église ⰸⰹⰿⰰzima,
  • le russe, le biélorusse et l'ukrainien зіма́, zimá,
  • le vieux novgorodien ꙁима, zima,
  • le bulgare, le macédonien зи́ма, zíma,
  • le serbo-croate зи́ма, zíma, froid, froidure,
  • le slovène zíma,
  • le tchèque, le slovaque et le polonais zima,
  • les bas-sorabe et haut-sorabe zyma,
    • d'où les bas-sorabe et haut-sorabe nazymaautomne”, 
  • le cachoube zëma,
  • le polabe zaimă.
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Chers lecteurs, 

Vous l'aurez compris, je vous propose, en ce dernier dimanche de janvier, de nous arrêter sur
- aaaah -

les dérivés arméniens de notre indo-européen *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”.

Je vous le dis d'emblée, pour tout savoir sur l'arménien classique et son fascinant alphabet, et apprendre pourquoi Peugeot a choisi de nommer 405 l'un de ses modèles les moins moches, lisez donc ոչ լսեն ինձ


Bien entendu, c'est en compagnie du passionnant Hrach Martirosyan que nous ferons des schuss dans la neige arménienne (ou dessinerons des anges, manière élégante de sortir d'un schuss lamentablement foiré)
.

anges dans la neige



Hrach Martirosyan





Commençons très logiquement, chers lecteurs, par l'arménien classique ձմեռն, jmeṙ-n, qui désigne tout simplement... l'hiver, et que Hrach Martirosyan fait descendre de *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, 
par la forme indo-européenne *ǵʰim-er-.

PS : la lettre ձ, dix-septième lettre de l'alphabet arménien, que Hrach Martirosyan retranscrit j, se prononce /dz/.

l'Arménie sous la neige


Et donc...

indo-européen *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver
 forme indo-européenne *ǵʰim-er-
arménien classique ձմեռն, jmeṙ-n, hiver




Notons cependant que si ձմեռն, jmeṙ-n, se traduit par hiver, on en retrouve de rares occurrences, 
  • l'une, le nominatif pluriel jmerun-k'
dans la traduction (en arménien ; je dois vraiment le préciser ?) d'un commentaire de l'archevêque de Constantinople Jean Chrysostome himself
Jean Chrysostome considéré comme l'un des Pères de l'Église, né à Antioche (aujourd'hui Antakya, en Turquie), entre 344 et 349 (le travail fut long et pénible ; ça devait être un saint-siège), et mort en 407 près de Comana (région du Pont) -,

  • l'autre, le locatif pluriel i jmerun-s,

toujours dans une traduction, toujours en arménien, d'un commentaire d'Éphrem le Syriaque, né vers 306 à Nisibe (Turquie actuelle) et mort en 373 à Édesse (Turquie actuelle),

on en retrouve de rares occurrences, disais-je, dont le sens n'est plus simplement hiver”, mais bien... tempête de neige”.


Antioche me fait toujours irrésistiblement penser à
La sainte grenade d'Antioche,
Monty Python
(désolé, je n'ai pas trouvé de version sous-titrée en français)


Note non linguistique, ce sont toujours eux, Saint Éphrem le Syriaque et Saint Jean Chrysostome, qui auraient constitué les fondations de la théologie arménienne, en particulier dans son exégèse biblique et la place prépondérante qu'elle a accordé très tôt à Marie.

Les voici réunis,
Saint Éphrem le 
Syriaque et
Saint Jean Chrysostome,
sur le point d'inventer l'éclairage de rue.



Marie, façon Gilbert Bécaud,
ou
le nom est Charlie, Monsieur Charlie


Outre ce (rare) glissement de sens de ձմեռն, jmeṙ-n, qui peut probablement s'expliquer par la fréquence des tempêtes de neige dans la région, au point que hiver puisse se confondre par métonymie avec tempête de neige, nous pouvons retrouver quelques autres dérivés,
toujours en arménien classique,
de ձմեռն, jmeṙ-n, hiver” :

  • ձմերային*jmer-ay(i)n, qui en tant que nom, signifie hiver, saison froide, tempête de neige”, et en tant qu'adjectifhivernal”,
  • l'adverbe ձմերանի, jmerani, “en hiver”,

    ou alors - et là, j'anticipe sur la réaction de Fernand Ucon en le disant moi-même : mais c'est du grand n'importe quoi -
    • le moyen arménien (et arménien moderne) ձմերուկ, jmer-uk, pastèque, melon d'eau”.
    Oui, je sais, je sais. Je sais.



    Et non, n'essayez même pas, les pastèques ne poussent pas en hiver, même en Arménie.


    Le grand linguiste arménien Hrachia Acharian (Հրաչեայ Աճառեան),

    Hrachia Acharian

    né le 8 mars 1876 et mort le 16 avril 1953, considéré carrément comme le père de la linguistique arménienne, tentait avec peine d'expliquer ce sibyllin développement de sens par la fraîcheur du jus de la pastèque. 

    Mwwwwouuuuais. 



    Une autre explication, sans doute plus plausible, serait que si l'on retrouve cette association entre hiver et pastèque en arménien, mais aussi...

    • en géorgien (საზამთრო, sazamtro, “pastèque ; hivernal”)
    • en talysh - langue iranienne parlée en Iran, au Sud de la mer Caspienne, et en Azerbaïdjan par les, les... Talyshs - (зымсони, zımsoni, “pastèque”, construit sur зымсон, zımson, “hiver”),
    adorable petite Talysh


    et aussi - soyons fous -
    • en tat, langue iranienne parlée par les, les, les... Tats dans le Caucase, en Azerbaïdjan et au Daghestan (zumustuni, pastèque”, construit sur zumustun, hiver”),
    Tats
    (je ne veux pas f* la m*,
    mais je ne suis pas trop sûr qu'ils manifestent
    vraiment pour un Azerbaïdjan laïque)


    ... c'est que tous ne feraient qu'à copier, m'sieur, directement ou pas, le grec moderne mais hélas désuet χειμωνικό, cheimonikó, “pastèque
    (rare, et apparemment très local, ayant été évincé par καρπούζι, karpoúzi, provenant, lui, semble-t-il, du perse خربزه‎, kharboze, “melon” avant de passer en grec par le turc ottoman قارپوز‎, karpuz, “melon”),
    ou alors, tant qu'à faire, les grecs de Capadoce σ̌αμανικό, šamanikó, “un type de melon” et σιαμανίκο, siamaníko, “pastèque”), 

    χειμωνικό, σ̌αμανικό et σιαμανίκο étant tous trois construits sur le grec ancien χειμωνικός, kheimōnikós, “hivernal ; qui a lieu en hiver, d'hiver”).

    L'explication ? Que le sens original des mots grecs ne ferait aucunement référence à la pastèque, mais à un type de melon qui, lui, mûrit tard dans l'année, et qui peut être conservé jusqu'au beau milieu de l'hiver.

    Et cette explication, nous la devons au diplomate, antiquaire et géographe britannique d'avant le BrexitWilliam Martin Leake (14 janvier 1777, Londres - 6 janvier 1860, Brighton), passionné par la Grèce, et dont les récits de voyages sont toujours renommés.


    PS : j'ai pu retrouver ce mot grec moderne oublié χειμωνικό, cheimonikó, “pastèque”, dans un dictionnaire de 1825, le Dictionnaire grec moderne français contenant les diverses acceptions des mots, leur étymologie ancienne ou moderne, et tous les temps irréguliers des verbes ; suivi d'un double vocabulaire des noms propres d'hommes et de femmes, de pays et de villes, de ce bon Félix Désiré Dehèque, helléniste français.


    Bon, maintenant, c'est vous qui voyez. Et si vous avez une autre explication, je suis preneur.


    Là-dessus, continuons notre joli tour des dérivés arméniens classiques de notre *ǵʰ(e)i-m-, hiver”.

    Hrach Martirosyan nous signale encore l'arménien classique... ձիւն, jiwnneige.
    Je ne pense pas devoir vous expliquer ce glissement de sens.


    Yerevan sous la neige


    Enfin

    - et nous en resterons là -,

    citons encore un mot dialectal correspondant à la photokératite, ou cécité des neigescausée par l'exposition non-protégée des yeux aux rayons ultraviolets.

    Ce mot, c'est jmet', ou jmayt'photokératitecécité des neiges”.


    solide jmet' en préparation


    Quelques linguistes ont supposé que jmet' provenait de l'expression 'faut qu'jmet' mes Ray-banaaanh, que certains Parisiens, en vacances Club Med en Arménie, ne cessaient de répéter à longueur de journée devant les autochtones sidérés.

    Je n'y crois guère.




    Amis lecteurs,

    Je vous souhaite un excellent dimanche, et une très belle semaine. 

    Portez-vous bien.





    Ֆրեդերիկ (Frederik)


    ******************************************
    Attention,
    ne vous laissez pas abuser par son nom :
    on peut lire le dimanche indo-européen
    CHAQUE JOUR de la semaine.
    (Mais de toute façon,
    avec le dimanche indo-européen,
    c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

    ******************************************

    Et pour nous quitter,

    la captivante chanteuse syrienne mais d'origine arménienne

    Lena Chamamyan (Լենա Շամամյան)

    - une chanteuse dont le nom s'écrit Լենա Շամամյան ne peut pas fondamentalement être mauvaise


    nous interprète
    - a cappella, je vous prie -
    un magnifique chant traditionnel arménien,

    Sareri Hoven Mernim (Սարերի հովին մեռնեմ),
    Je mourrai pour le vent des montagnes

    PS : Vous risquez d'être surpris par la puissance de la voix de la belle Լենա Շամամյան...


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    4 commentaires:

    1. Mais alors, mais alors, mais alors,
      Jean-Philippe jmet
      serait aveugle ?
      Il est vrai que pour lui
      https://www.youtube.com/watch?v=vx3OTZ35e80
      Bon dimanche !

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    2. @Unknown

      :-D Alors, il n'y a plus d'espoir.

      Merci, et bon dimanche !

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    3. Étant provençale et un peu sorcière j'exerce le don de ma mère et dexma grand-mère : choisir des melons type canari , les ranger en cave et les déguster comme l'un des 13 desserts. Peut-être une coutume grecque ?

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    4. @Françoise,

      Je ne sais pas si la coutume est grecque, mais en tout cas, ça doit être délicieux !

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